Eglises d'Asie

MINDANAO : “LES CELEBRATIONS DE NOEL MONTRENT QUE LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX PROGRESSE DANS LE SUD PHILIPPIN” – une interview d’Edwin de la Pena, administrateur de la prélature de Marawi –

Publié le 18/03/2010




Ucanews : Comment l’Eglise célèbre-t-elle Noël dans votre prélature, à la population très majoritairement musulmane ?

Mgr Edwin de la Pena : Nous avons été plus libres cette année comparé aux années passées. La paix et l’ordre ont progressé depuis l’assassinat du P. Halley. Aujourd’hui, les gens se rendent sans crainte à Simbang Gabi (messes célébrées avant le lever du soleil durant l’Avent). Ils ne craignent plus de sortir seuls avant l’aube. Cela fait maintenant quatre ans que la paix est ainsi revenue. Nous nous sentons beaucoup mieux désormais, avec le sentiment d’être bien chez nous et en paix. De nombreuses activités peuvent désormais avoir lieu lorsque la nuit est tombée – chose qui aurait été impossible auparavant. Nous savourons cela pleinement.

Pouvez-vous nous parler de la situation pastorale de Marawi ?

Nous avons quatre paroisses, y compris la cathédrale, et une quasi-paroisse, ici à Marawi. Un aumônier a été nommé à l’Université d’Etat de Mindanao. Je suis aidé dans mon travail par onze prêtres. La majorité de nos 43 000 catholiques vivent dans des villages isolés.

Quels changements ont eu lieu dans l’Eglise à Marawi depuis votre installation à la tête de la prélature ?

Nous récoltons les fruits nombreux du travail entrepris il y a vingt-cinq ans par Mgr Benny (Tudtud). Aujourd’hui, je reviens d’un Duyog Pag Pasko (‘accompagnement à Noël’) qui s’est déroulé à l’Université d’Etat de Mindanao et qui était organisé par des musulmans. En 1980, Mgr Tudtud avait mis sur pied un Duyog nga Ramadan, durant lequel des chrétiens jeûnent avec leurs voisins durant le mois saint de l’islam. C’est la première fois que la communauté musulmane a ainsi répondu à une initiative visant à célébrer avec nous la Nativité. C’est un progrès à marquer d’une pierre blanche.

Expliquez-nous ce qu’est un Duyog Pag Pasko ?

Une centaine de responsables religieux et de membres de l’Université d’Etat de Mindanao ont pris part à un service interreligieux de prières qui a duré une heure et a été suivi d’une procession dans les rues de la ville. Après la procession, nous avons partagé un petit-déjeuner et écouté un enseignement sur le thème de “la Naissance miraculeuse de Jésus donné par Elias Macarandas, un ouléma de premier plan qui est membre de la Commission tripartite de la Conférence des évêques et des oulémas. J’ai ensuite pris la parole pour un enseignement sur “Jésus, Prince de la paix et de la miséricorde pour le monde”. Ensuite, des chorales ont chanté et des prix ont été distribués. Des prix ont aussi été attribués pour différentes manifestations culturelles.

Quelle est l’importance de ces rituels religieux et festifs ?

Lors de Duyog nga Ramadan, nous dialoguons avec les musulmans présents sur le territoire de nos paroisses par le biais de rencontres et d’ateliers. L’idée est que les chrétiens comprennent mieux la foi musulmane et la culture Maranao. Plus nous nous comprenons, plus nous serons à même d’entrer en dialogue. Certains des intervenants sont des oulémas ou des chefs de tribu. L’évêque et les prêtres, qui sont toujours présents, prennent eux aussi la parole. A la fin des années 1980, ces rencontres ont été un temps suspendues, du fait de la présence de groupes gauchisants qui les avaient investies pour faire avancer leur ordre du jour, mais elles ont pu reprendre une fois ce problème résolu.

Les échanges qui ont eu lieu, le 14 décembre dernier, nous indiquent que nous avons parcouru un bon bout de chemin en vingt-cinq ans, en ce qui concerne le dialogue interreligieux. Je suis vraiment un partisan convaincu de ce Mouvement chrétien-musulman Ranao pour le dialogue et la paix. Les musulmans sont de plus en plus nombreux à rejoindre notre groupe. Nous voyons venir à nous des artisans de paix issus de la communauté musulmane. Ils sont de plus en plus nombreux et ne sont pas forcément issus des cercles académiques ou religieux, comme c’était le cas au début. Des jeunes et des gens moins en vue viennent à nous et cela nous encourage à persévérer dans le développement de tous nos programmes liés à la paix.

J’aime cette opportunité de pouvoir partager la Bonne Nouvelle et le fait que des personnes extérieures à notre région prennent connaissance des belles choses qui sont réalisées ici, dans notre petite Eglise. Il est bon également de voir que nous pouvons nous montrer actifs. Tout ceci est possible uniquement car nous récoltons les fruits des graines plantées en terre par Mgr Benny et le P. Desmond Hartford.

Quels sont les effets de l’émigration en-dehors de la région du fait des opérations de guerre ?

On peut constater que la population chrétienne a de fait augmenté. Plus nombreux sont les chrétiens qui viennent ici pour trouver du travail. Les opportunités d’emploi sont nombreuses, notamment pour les travailleurs manuels et les employées de maison. Les gens qui arrivent ici sont généralement originaires des Visayas (la région centrale des Philippines) ou bien des provinces de Mindanao. La plupart appartiennent aux classes sociales défavorisées ; ils sont sans emploi et viennent en trouver ici. Peut-être quelques hommes d’affaires ont-ils quitté notre région, mais ce n’est pas le cas de ceux qui travaillent de leurs mains.

Quels défis pensez-vous que l’Eglise à Marawi a à relever au cours des années à venir ?

Les vocations sont un véritable défi pour nous. Nous avons un prêtre de Malaybalay (diocèse proche, situé à l’est de Marawi) qui s’est porté volontaire pour venir chez nous ; il a travaillé autrefois auprès du P. Rufus Halley. Nous avons aussi un prêtre Missionnaire de Saint Paul (MSP) ainsi que cinq prêtres religieux, sans compter les quatre prêtres diocésains. Toutefois, aucun de nos diocésains n’est originaire d’ici. L’un d’eux – une vocation tardive – est désormais mon vicaire général.

Nous avons décidé qu’une de nos priorités est de travailler sérieusement à la question des vocations, de façon à être en mesure de compter sur nos propres forces, sur des prêtres formés localement. Nous insistons sur ce point car nous avons eu des expériences malheureuses avec des candidats originaires d’autres régions. Cela nous a amenés à penser qu’il était préférable de développer nos propres ressources. Pour l’heure, nos séminaristes sont au nombre de trois : l’un d’eux est en théologie, les deux autres sont en premier cycle de formation (philosophie) et c’est un début encourageant. Un des nos prêtres est plus spécialement responsable des vocations et est chargé de discerner les éventuels candidats au sacerdoce.

Dans notre prélature, nous ne disposons que de deux écoles et nous souhaiterions en ouvrir d’autres, notamment des collèges et lycées. C’est là un projet qui nous tient très à cour car il nous semble important d’enseigner les valeurs de paix et de dialogue aux jeunes lorsqu’ils sont en formation. Nos plans sont très ambitieux pour l’avenir. Nous essayons ainsi de développer notre action en amont des collèges et lycées pour ouvrir davantage d’écoles primaires et de maternelles afin d’entrer en contact avec les enfants au plus tôt. Par ailleurs, ce sont les parents qui demandent à l’Eglise d’ouvrir des écoles élémentaires car ils ont le sentiment que leurs enfants ne reçoivent pas une éducation de qualité dans les établissements publics. En juin 2006, nous ouvrirons sans doute notre première école maternelle sur le campus de la MSU, au cour de la ville. Cette école sera un service rendu à la communauté, tout particulièrement pour les membres de l’université et ses employés. Les plans sont pratiquement achevés et nous pensons pouvoir ouvrir l’école en juin 2006.

Des religieuses sont-elles présentes dans la prélature ?

Deux communautés des Missionnaires de l’Assomption, basées à Davao (à environ 180 km. au sud-est de Marawi), sont présentes. Elles animent les deux écoles que nous avons. La bonne nouvelle pour nous est qu’en 2007, les carmélites seront de retour parmi nous. Elles viendront “refonder” le carmel de Marawi. Elles s’occupent pour l’heure de former des postulantes et, si tout ce passe bien, la réouverture aura lieu en 2007. Elles m’ont demandé de prier pour cela. Je n’aurais jamais imaginé qu’elles accèdent à ma proposition de rouvrir le couvent. Parmi les conditions de refondation du carmel, il y a le fait que, puisse qu’il ne s’agit pas d’une réouverture, mais bien d’une refondation, aucune des religieuses qui était là auparavant ne pourra revenir. La communauté sera entièrement formée de nouveaux membres.

Y a-t-il des communautés ecclésiales de base (BEC) à Marawi ?

Elles sont solidement implantées et, à Marawi, elles sont de plusieurs types. Dans toutes, le dialogue est un point central. Les BEC sont des “communautés ouvertes” en ceci qu’elles doivent atteindre les musulmans. L’objectif est que nos fidèles se réunissent en des communautés de base qui ne soient pas exclusivement chrétiennes, mais qui forment des “communautés humaines” avec des musulmans. En ce sens, elles sont là pour faire naître et croître de petites “zones de paix”.

A ce propos, nous avons une belle histoire dans notre prélature. A Maladig, une zone où la population musulmane est très importante, se trouve une petite communauté chrétienne. Située sur la côte, le long de la baie d’Illana, celle-ci s’est dotée d’un responsable très dynamique, Bob Anton, un artisan de paix. Bob Anton est chrétien et compte un grand nombre de musulmans parmi sa parenté et il s’est servi de la BEC pour créer une véritable communauté de paix.

Ces cinq dernières années, nous avons connu un réel progrès à la fois dans le dialogue et la paix grâce au travail mené dans les BEC. Tout cela s’enracine dans ce que Mgr Tudtud a imaginé, à savoir apprendre à s’engager dans un “dialogue de vie” avec nos voisins.

Pensez-vous qu’il soit possible d’avoir des missionnaires laïcs à Marawi ?

Il y a sans doute des possibilités et différents groupes de laïcs missionnaires m’ont approché. Je les ai invités à venir voir ce que nous faisons ici. Je leur ai dit que notre position est que nous n’invitons pas des gens à venir ici pour y faire un travail. Nous les invitons à venir observer et si, plus tard, ils ressentent un appel particulier à venir à Marawi, ils seront les bienvenus.

Quelle espérance portez-vous en ce qui concerne la dimension missionnaire de l’Eglise des Philippines ?

J’espère qu’au sein des Eglises d’Asie, la conscience missionnaire ira en se développant. J’espère aussi que la coopération ou les échanges inter-missionnaires se développeront : des missionnaires d’autres pays venant aux Philippines et des missionnaires philippins étant envoyés dans de nombreux pays d’Asie. Les possibilités sont si nombreuses, pour peu que nous apprenions à travailler ensemble et à coordonner nos efforts.

Comment cela peut-il se faire ?

Je représente la Conférence des évêques catholiques des Philippines dans les instances qui préparent le Congrès asiatique missionnaire (qui aura lieu en octobre 2006, à Chiang Mai, en Thaïlande). Nous avons déjà eu trois rencontres, et nous nous retrouvons à nouveau en janvier 2006 pour une dernière rencontre à Bangkok. Je suis très optimiste au sujet de ce congrès. Pour notre part, aux Philippines, nous gardons l’accent sur la mission ad gentes (auprès des non-chrétiens). Ailleurs, en Asie, en Corée notamment, les appels à la mission sont également très forts.