Eglises d'Asie

Gujarat : des chrétiens aborigènes s’apprêtent à quitter la région de Dangs afin d’éviter tout risque de persécution lors d’un important rassemblement religieux hindou

Publié le 18/03/2010




Dans l’Etat du Gujarat, où aura lieu du 11 au 13 février prochain, un grand rassemblement hindou visant à reconvertir les populations aborigènes à l’hindouisme (1), des chrétiens aborigènes de la région de Dangs s’apprêtent à quitter temporairement leur village, afin d’éviter tout risque de persécution. “C’est une situation de vie ou de mort pour les chrétiens estime Samson Christian, le responsable de l’organisation de cet exode. Les groupes de l’extrême droite hindoue “se débarrasseront de nous si nous ne partons pas ajoute-t-il, en précisant que les chrétiens prévoient de revenir une fois que le rassemblement religieux sera terminé.

Le district de Dangs est le plus petit district de l’Etat du Gujarat. Il se situe dans une région où les forêts couvrent plus de 90 % du territoire. Selon le recensement du gouvernement en 2001, la population de Dangs est à 92 % aborigène. Elle appartient principalement aux tribus Dangis, Kunknis, Warlis, Gamits, Chaudhris. Sur les 186 000 habitants de la région, près de 89 % sont hindous et moins de 5 % chrétiens, catholiques, protestants de l’Eglise du Nord de l’Inde (CNI), et anglicans.

En 1998, les chrétiens de Dangs avaient déjà subi des violences orchestrées par des groupes de l’extrême droite hindoue, les mêmes qui organisent le prochain Kumbh Mela. Selon certains villageois aborigènes, la situation n’est pourtant pas si dangereuse qu’elle pourrait le laisser penser, notamment parce que le Gujarat s’est déjà fait connaître internationalement pour les violences perpétrées contre des chrétiens. Ces derniers ne sont d’ailleurs pas favorables à quitter maisons et villages pendant le Kumbh Mela. Le P. Xavier Manjooran, qui coordonne différentes associations afin de canaliser “la menace hindoue est du même avis, et selon lui, le problème soulevé par ce grand rassemblement religieux n’est pas d’ordre religieux, comme voudraient le laisser entendre les fondamentalistes hindous, mais est plutôt lié à la question des aborigènes. Avec les bénévoles des associations caritatives qu’il coordonne, il explique aux aborigènes les pièges qui peuvent leur être tendus par des gens qui voudraient s’accaparer leurs terres. “Ils l’ont fait tant de fois et à tant d’endroits différents rappelle le prêtre jésuite.

Pour le P. Cedric Prakash, directeur de Prashant, centre de défense des droits de l’homme pour la justice et la paix animé par les jésuites du Gujarat, la question fondamentale est : “Pourquoi un rassemblement religieux hindou à Dangs en 1998, puis en 2006 ? Selon ce dernier, le rassemblement n’a pas pour but la “reconversion” des chrétiens à l’hindouisme, mais il vise surtout à limiter l’action de l’Eglise locale vis-à-vis du développement économique, social et éducatif des tribus aborigènes, ces dernières étant de moins en moins sujettes à l’analphabétisme et par conséquent de moins en moins ignorantes, lorsqu’il s’agit de connaître et de défendre leurs droits. Ainsi, il existe aujourd’hui des mouvements d’aborigènes qui militent pour la protection des forêts de Dangs, en prenant position contre des marchands de bois qui tentent d’acquérir leurs terres en négociant avec les hommes politiques de la région.

De leur côté, les organisateurs du Kumbh Mela tentent de séduire les aborigènes en leur vantant les bienfaits du rassemblement religieux hindou du point de vue du développement de leur région (1). Selon le P. Prakash, personne ne conteste le fait que les organisateurs du Kumbh Mela ont le droit d’organiser un rassemblement religieux, mais, dit-il, plusieurs questions posées par des associations de défense des droits de l’homme qui ont réalisé des études sur la situation de la région méritent d’être approfondies : – Quelles vont être les conséquences écologiques de ce rassemblement pour lequel une quarantaine de campements ont été édifiés pour accueillir les 500 000 pèlerins attendus, et que plusieurs centaines d’arbres ont déjà été abattus ? – le rassemblement de dizaines de milliers de personnes dans une région majoritairement aborigène ne serait-elle pas motivée par une volonté de détruire l’identité aborigène et de créer des tensions sociales ? – Pourquoi un rassemblement religieux hindou semble-t-il avoir, pour seul objectif apparent, d’être dirigé contre des chrétiens ?

Selon les sources du P. Prakash, des agitateurs fanatiques du Sangh Parivar (2) sont actuellement en train de sillonner “la ceinture aborigène” du sud de l’Etat du Gujarat, afin d’intimider les chrétiens. Il craint que, comme à Ayodhya (3), Dangs ne soit en passe de devenir un nouveau symbole du communautarisme et de ses dangers, et il invite les citoyens indiens, qui souhaitent préserver la laïcité et la diversité de la nation indienne, à élever leur voix contre ce rassemblement et les dangers qu’il représente.