Eglises d'Asie – Indonésie
LE TIMOR-ORIENTAL PERSISTE-T-IL A ETRE “UN CAILLOU DANS LA CHAUSSURE” DE L’INDONESIE ?
Publié le 18/03/2010
Dans dix ans, essayons d’imaginer ce que les manuels scolaires indonésiens diront du Timor-Leste, l’ancien Timor-Oriental, lorsqu’ils aborderont l’implication de l’Indonésie dans ce territoire.
Aujourd’hui, ce que les petits Indonésiens apprennent, c’est que nos combattants de la liberté ont donné jusqu’à leur dernière goutte de sang pour lutter contre de cruels occupants, hollandais et japonais. Au sujet du Timor-Oriental, nos enfants apprennent toujours qu’en 1975, nous avons volé au secours de ce territoire après que le Portugal eut abandonné cette colonie délaissée, et que nous avons perdu nombre de braves soldats dans les combats contre les rebelles du Fretilin, contribuant ainsi à sauver la planète du danger communiste.
Le 20 janvier dernier, le monde a entendu un son de cloche différent à propos de ce qui s’est passé au Timor-Oriental. Très digne, le président du Timor-Leste, Xanana Gusmao, a remis aux Nations Unies un rapport produit par la toute jeune Commission pour l’accueil, la vérité et la réconciliation. Il est dit que le rapport contient plus de 2 000 pages, renfermant le témoignage de plus de 7 000 personnes qui ont expérimenté ce qu’était la vie sous la présence indonésienne.
Des fuites qui nous sont parvenues au sujet du rapport, nous savons que non seulement quelque 183 000 Est-Timorais sont morts des conséquences directes ou indirectes d’une occupation qui a duré vingt-quatre ans, mais aussi que l’assassinat, la torture, le viol et la famine ont été délibérément utilisés comme armes afin de s’assurer de l’obéissance de la population. Le rapport ne fait que confirmer ce que, depuis des années, des journalistes étrangers et des défenseurs des droits de l’homme ont écrit – mais, aujourd’hui, c’est officiel et c’est un document des Nations Unies qui le dit.
Les Indonésiens semble comprendre, ou espérer, que le rapport ne causera pas de perturbations majeures au sein de la communauté internationale. L’Indonésie a déjà eu à digérer l’humiliation qu’a représenté la perte du Timor-Oriental, et le Timor-Leste connaît – c’est naturel – les difficultés qui sont celles d’un Etat jeune et pauvre, avec seulement un Etat sur qui compter, son considérablement plus vaste et peuplé voisin. Les grandes puissances qui se sont penchées sur le chevet du Timor-Leste ont en grande partie plié bagage pour venir en aide à d’autres, ailleurs.
Xanana lui-même a souligné à maintes reprises qu’il n’était dans l’intérêt de personne de donner une suite à ce rapport. “Nous acceptons les conclusions du rapport comme une manière de cicatriser les blessures tels ont été les mots employés par l’ex-responsable du Fretilin, lors d’un forum organisé par l’ONU. Ce n’est pas une “justice punitive” que le pays appelle de ses voux, a déclaré Xanana, ajoutant que le rapport faisait également la lumière sur les violations des droits de l’homme commises par des Timorais.
Ainsi, il n’est probablement pas nécessaire de s’inquiéter de la possibilité du monde à réclamer le jugement des généraux indonésiens par un tribunal international. Ce qui est désormais important est ce qui se passera au sein de la Commission pour la vérité et l’amitié, mise en place par le Timor-Leste et l’Indonésie afin de se pencher sur les griefs hérités du passé et établir des relations “harmonieuses” entre les deux pays – bien que le mandat de cette commission soit uniquement de faire la lumière sur les violations des droits de l’homme qui ont eu lieu depuis 1999, la période avant cette date étant couverte par d’autres commissions.
Les attentes quant aux conclusions de cette commission sont importantes, peut-être trop importantes. Cependant, elle aura contribué considérablement aux bonnes relations entre les deux pays si elle met sur papier ce qui s’est passé durant la période du référendum qui a mené à l’indépendance du Timor-Oriental.
Howard Varney, avocat à la Cour en Afrique du Sud et fort de l’expérience acquise au sein de la première commission de la planète du type ‘vérité et réconciliation’, a déclaré l’an dernier dans ces colonnes que la commission devrait “au moins dans les grandes lignes écrire l’histoire de ce qui s’est passé, . au moins une version de l’histoire qui présente les témoignages qui lui ont été confiés”.
Ce qui nous est rappelé ici, ce sont nos propres expériences sous le joug colonial. Ma mère peut pardonner, mais elle ne peut pas oublier le fait que ses parents adoptifs ont été enlevés un jour et qu’ils ne sont jamais revenus pour lui acheter la bicyclette qu’ils lui avaient promise pour son neuvième anniversaire. Pour ma part, je peux au moins consulter les archives concernant les enlèvements de l’année 1944 et les assassinats massifs de “dissidents” à Mandor, Kalimantan-Ouest, où une plaque commémorative indique le site où ils ont été enterrés. Les gens qui ont patiemment retrouvé et archivé les documents renseignant ces enlèvements et ces assassinats pensaient qu’il n’était pas permis que la trace de ces vies disparaisse.
Abordons le sujet là où il fait mal. Les Indonésiens, qui se voient comme victimes et éventuellement comme victorieux de colonisateurs inhumains, doivent faire face à des accusations qui ne disparaîtront pas, des accusations de violations graves des droits de l’homme lorsque nous-mêmes étions la puissance occupante. Quels que soient les débats qui pourront surgir du rapport remis à l’ONU par Xanana – et qui pourront peut-être affecter un peu plus les questions relatives à la “vérité”, à la “réconciliation” et à l'”amitié” -, c’est l’affaire des Est-Timorais de décider comment ils enseigneront l’histoire de leur nation. Mais c’est aussi l’affaire des Indonésiens de décider si nous voulons continuer à enseigner à nos enfants les mêmes vieilles rengaines, en faisant comme si le rapport des Nations Unies n’avait jamais existé, comme si ces quelque 7 000 Est-Timorais avaient tous menti. Pour reprendre les mots employés jadis par un de nos éminents ministres des Affaires étrangères, il y a des chances pour que l’affaire du Timor-Oriental continue à être comme “un caillou dans notre chaussure”.