Eglises d'Asie

A Djakarta, un forum réunissant des responsables religieux de dix-sept pays d’Asie a appelé à la rédaction d’une déclaration sur “la responsabilité” pour protéger les religions

Publié le 18/03/2010




Organisé par le Comité indonésien sur la religion et la paix et prévu de longue date, un forum a réuni à Djakarta, les 12 et 13 février derniers, 150 responsables religieux de dix religions différentes. Venus de dix-sept pays d’Asie, ces responsables ont vu leurs débats en grande partie accaparés par l’affaire des caricatures, après la publication au Danemark puis dans divers pays européens de dessins caricaturant le prophète Mahomet. Une recommandation finale en dix points a été rédigée, appelant les fidèles à promouvoir et à vivre dans leur vie quotidienne les valeurs éthiques prônées par leurs croyances respectives. Un appel a également été lancé à l’ONU afin qu’une déclaration sur “la responsabilité humaine” soit rédigée et votée, afin de prévenir la répétition d’actes perçus comme blasphématoires ou insultants envers telle ou telle religion.

Din Syamsuddin, chef de la Muhammadiyah, une des deux plus importantes organisations musulmanes de masse d’Indonésie et responsable du comité directeur du forum organisé à Djakarta, a précisé qu’une telle déclaration sur la responsabilité humaine devrait venir s’ajouter à la déclaration universelle sur les droits de l’homme. Selon lui, “revendiquer la liberté sans assumer la responsabilité revient à mener notre civilisation au libéralisme le plus absolu”. Une déclaration sur la responsabilité permettrait aux individus comme aux institutions d’user de leur liberté d’expression, tout en les rendant responsables de leurs actions.

En écho aux caricatures qui ont enflammé une grande partie du monde musulman, un prêtre catholique, le P. Joseph Chusak Sirisut, directeur d’un centre de recherche sur la religion et la culture basé à Bangkok, en Thaïlande, a rappelé que les catholiques de son pays s’étaient pareillement sentis insultés par la parution en octobre dernier d’une caricature de Benoît XVI. A l’occasion de l’installation du nouveau pape, le Bangkok Post avait publié un dessin montrant le pape enveloppé dans un préservatif. L’afflux de courrier de protestation auprès de la rédaction du quotidien a été considérable, les gens demandant la démission ou des excuses de la rédaction en chef du prestigieux quotidien, a expliqué le prêtre, qui a ajouté que, selon lui, “la liberté de la presse ne permettait pas l’insulte faite aux figures religieuses”.

A Kuala Lumpur, le gouvernement malaisien avait organisé peu avant, les 10 et 11 février, une conférence internationale réunissant des responsables religieux et politiques ainsi que des universitaires pour débattre des relations entre l’islam et l’Occident. Le Premier ministre Abdullah Badawi, dont le pays préside l’Organisation de la conférence islamique (OCI), a dénoncé un “abîme” entre le monde musulman et l’Occident, accusé de vouloir contrôler le gaz et le pétrole de la planète et, au bout de compte, de “diaboliser l’islam”. Hormis l’adresse inaugurale du Premier ministre malaisien, les débats de cette conférence ont eu lieu à huis clos. Parmi la soixantaine d’intervenants, venus pour moitié du monde musulman et pour moitié du monde occidental, on notait la présence du président iranien, Mohammad Khatami. Par ailleurs, en Malaisie, hormis quelques manifestations devant l’ambassade du Danemark, l’agitation a été limitée ; le pouvoir a fermé temporairement deux publications qui avaient reproduit les caricatures et interdit toute diffusion et détention des dessins litigieux.

A Singapour, un haut responsable du Département d’Etat américain a félicité la Malaisie et l’Indonésie pour leur gestion de la controverse née de la publication des caricatures. “Les manifestations se sont dispersées plutôt rapidement et un débat public sur le sujet a eu lieu a souligné Eric John, adjoint de l’assistant du Secrétaire d’Etat pour l’Asie et le Pacifique. En Indonésie, des manifestations ont bien eu lieu dans différentes grandes villes, la police allant jusqu’à tirer des coups de feu en l’air pour disperser des foules, mais le calme a prévalu. Aussi bien le président de la République que les responsables des principales organisations musulmanes ont appelé au calme. La Conférence des évêques catholiques d’Indonésie s’est associée à ce mouvement, déplorant la publication des caricatures comme un acte qui “a réellement heurté les sentiments de la communauté musulmane”.

Ailleurs en Asie, dans les pays où les musulmans sont nombreux, des manifestations ont eu lieu. Ainsi au Bangladesh et en Inde, le 10 février, après la prière du vendredi, les manifestants ont été près de 20 000 à Dacca et entre 3 000 et 15 000 à New Delhi. Là aussi, les appels au calme ont prévalu. Au Bangladesh, le Premier ministre Khaleda Zia, qui avait auparavant qualifié la publication des dessins d’“extrêmement arrogante a mis en garde ses compatriotes contre la violence. “Nous avons de la sympathie pour les protestations internationales (.), mais nous ne soutenons aucune activité menaçant la paix, l’harmonie et la stabilité où que ce soit a-t-elle déclaré.

C’est finalement au Pakistan que les protestations ont été les plus violentes. Alors qu’elles allaient en diminuant dans le reste de l’Asie, elles ont gagné en intensité dans les grandes villes de ce pays. Le 13 février, deux manifestants ont été tués, puis, le 15 février, trois autres ont trouvé la mort lors de manifestation anti-caricatures. A quelques semaines d’une visite du président George W. Bush au Pakistan, les manifestations ont pris une tournure de plus en plus antiaméricaine et anti-Musharraf, le président pakistanais. Si les violences ont été dirigées contre des symboles du Danemark, elles ont rapidement gagné des établissements sous franchise américaine, tels les fast-food McDonald’s, Kentucky Fried Chicken ou Pizza Hut – qui ont été incendiés.