“LA PAIX EST LE FONDEMENT ESSENTIEL DE TOUT DEVELOPPEMENT” – une interview de Mgr Tomasz Peta, archevêque d’Astana –

Publié le 18/03/2010




Ucanews : Comment êtes-vous arrivé au Kazakhstan ?

Mgr Tomasz Peta : Parti de Pologne, je suis arrivé au Kazakhstan en 1990. Ce n’était pas un choix personnel. Mon évêque m’a envoyé là-bas car nous avions reçu deux lettres des catholiques du Kazakhstan demandant des prêtres. C’est ainsi que je suis parti avec un autre prêtre polonais.

Quelles ont été les difficultés auxquelles vous avez été confronté ?

La vie n’est pas exempte de difficultés. Parfois, nous pouvons trouver difficile l’adaptation dans un pays étranger. Pour ma part, venir vivre au Kazakhstan ne m’a pas semblé difficile. Au contraire, c’était une période très riche, très intéressante. C’était toujours l’ère soviétique, mais un élan de liberté soufflait au sein de la population. Puis le Kazakhstan a gagné son indépendance. C’était passionnant d’être le témoin de ces bouleversements. Ce qui m’a beaucoup touché, c’est la gentillesse que les gens avaient les uns pour les autres, pas seulement les catholiques, mais aussi les représentants d’Etats et d’autres religions. Je peux donc dire que ces neuf années (comme curé du village d’Ozenoe) ont été les plus belles de mon existence.

En tant que prêtre catholique, avez-vous eu affaire à des malveillances ?

Je ne dirais pas cela. Bien sûr, nous avons rencontré certaines difficultés. Ce serait ridicule de penser qu’en étant étranger ici, toutes les portes vous sont ouvertes. Mais, de nouveau, je voudrais souligner la bonté des Kazakhs, pas seulement des catholiques.

Comment “le dialogue des confessions” a-t-il influencé les relations interreligieuses dans le pays ?

La conférence interreligieuse, à l’initiative du président kazakh, s’est déroulée à Astana, les 23-24 septembre 2003. Toutes les religions ont répondu à l’invitation. Le pape Jean-Paul II avait envoyé huit représentants, avec à leur tête le cardinal Jozef Tomko (ancien préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples) qui transmit le message du pape à tous les participants. Etaient également présents le supérieur général des franciscains conventuels, le P. Joachim Giermek. Le plus grand moment fut le rassemblement lui-même. Pour un échange théologique plus approfondi, nous avons besoin de plus de temps et d’un dialogue plus étroit. Mais le congrès lui-même a permis un élan de communication entre les participants. Cela a été fait dans l’esprit d’Assise [NDLR : en 1986, puis en 1993 et en 2002, à Assise, en Italie, le pape Jean-Paul II a invité les représentants des principales religions du monde à une journée de “prière pour la paix”].

Quelles ont été les répercussions de la visite du pape Jean-Paul II à Astana ?

La visite de Jean-Paul a été un cadeau de la providence, non seulement pour l’Eglise mais pour toute la société kazakhe. Il existe peu de personnes au Kazakhstan qui n’ont pas entendu parler de Jean-Paul II. Il est venu pour le dixième anniversaire de l’indépendance du Kazakhstan. Sa visite a été un évènement remarquable car le pape a présenté le pays au monde entier, et il l’a fait avec beaucoup d’amour. Pendant son voyage, Jean-Paul II a souligné l’importante mission du Kazakhstan qui consiste à être un pont entre l’Orient et l’Occident.

Est-ce que l’autorisation faite à Jean-Paul II de venir au Kazakhstan n’était pas un moyen pour les autorités locales de se rendre populaires ?

Je ne pense pas que les autorités locales aient eu l’intention d’impliquer l’Eglise dans la politique. Je pense que l’Etat souhaitait montrer que le pape pouvait librement venir dans le pays et prononcer un discours, alors que d’autres pays n’osent pas inviter le Saint-Père. Sur ce point, le Kazakhstan n’a pas eu peur d’ouvrir ses portes au pape ou à d’autres religions. C’était un geste d’ouverture et d’hospitalité. Le pape ne faisait pas de politique, il venait prêcher au nom de Jésus et de valeurs communes à l’humanité.

En quoi la création de la Conférence épiscopale du Kazakhstan a-t-elle bénéficié à l’Eglise locale ?

La création de la Conférence épiscopale sert le bien de l’Eglise locale. C’est une nouvelle structure. Tout d’abord, il y avait un seul évêque pour toute l’Asie centrale (Mgr Jan Pawel Lenga, archevêque de Karanga). A présent, nous avons quatre prélats de l’Eglise catholique romaine et un de l’Eglise grecque catholique [NDLR : Mgr Wasyl Ihor Med-wit, vicaire apostolique de Kyiv-Vyshhorod en Ukraine, est visiteur apostolique pour l’Eglise grecque catholique ukrainienne au Kazakhstan.]. Cette structure nous aide à travailler ensemble efficacement. Chaque diocèse a ses propres défis, mais, comme c’est le cas pour l’Eglise catholique dans le monde entier, nous nous sentons appartenir à une même famille, avec à la tête le Saint-Père. Dans le cadre de cette conférence, nous nous rencontrons deux fois par an.

L’existence de la Conférence épiscopale ne signifie pas que les évêques sont gouvernés par le président de la Conférence. Ce dernier a un rôle de coordinateur, il convie les évêques pour des rencontres qu’il préside, mais il n’est pas le supérieur des évêques. Sa nomination est d’ailleurs temporaire. Le président de la Conférence participe au niveau de l’Eglise locale en étant membre de cette famille, mais chaque évêque obéit au pape via la nonciature apostolique.

Est-ce que la création des diocèses et de la Conférence épiscopale a attisé les antagonismes avec l’Eglise orthodoxe russe, comme cela a été le cas en Russie ?

Le patriarche Alexis II de Moscou a critiqué le pape et a accusé l’Eglise catholique d’expansionnisme. La critique de la part de l’Eglise orthodoxe locale n’a pas été aussi importante qu’en Russie et n’a pas affecté nos relations. La décision du pape concernait les affaires internes de l’Eglise catholique. Même si, au Kazakhstan, il n’y a pas autant de catholiques que de frères orthodoxes, les catholiques ont besoin de prêtres et d’une structure d’Eglise, et cela a pu être réalisé grâce à la liberté de religion qui existe au Kazakhstan.

Le jour où le pape a créé les diocèses et que le secrétaire d’Etat du Vatican, le cardinal Angelo Sodano, est venu à Astana pour nous transmettre la nouvelle, le président du Kazakhstan, Nursultan Nazarbayev, s’est également déplacé à la cathédrale pour nous féliciter. Nous analysons la décision du pape comme étant d’ordre interne, non comme une décision prise contre l’Eglise orthodoxe.

Comment le pays s’est-il développé depuis la chute de l’Union soviétique ?

Après la chute de l’Union soviétique, le pays comme les autres Républiques soviétiques, est tombé dans une profonde crise économique. Mais cette période est révolue. A présent, la population n’a plus à endurer les difficultés auxquelles elle était encore confrontée il y a dix ans : absence d’électricité, de revenus, etc. En tant qu’évêque, je vois non seulement le succès économique du pays, mais, aussi et surtout, la présence de la paix qui est le fondement essentiel de tout développement.

Pourquoi avez-vous choisi de devenir citoyen du Kazakhstan ?

Lorsque j’ai été nommé administrateur apostolique puis ordonné évêque, j’ai décidé de prendre la nationalité kazakhe pour témoigner de mon respect vis-à-vis du Kazakhstan. C’était également une manière de développer de bonnes relations à l’intérieur de l’Eglise locale, puisque l’Eglise catholique locale est composée de citoyens du pays et non d’étrangers.

Avez-vous été confronté à des difficultés pour obtenir la citoyenneté kazakhe ?

Chaque pays a ses propres critères et ses propres sélections pour décider d’attribuer la citoyenneté. Au Kazakhstan, toute personne qui réside légalement dans le pays plus de cinq ans peut demander la nationalité. On m’a non seulement attribué la citoyenneté kazakhe, mais j’ai également reçu une distinction présidentielle pour le travail accompli, ce qui montre que les autorités du pays apprécient le travail de l’évêque. Je ne suis ni un politicien, ni un homme d’affaires. Je suis un pasteur. Cette récompense concerne donc mon travail social.

Parlez-vous kazakh ?

Je l’étudie. Les résultats sont, jusqu’à présent, modestes, mais mon rêve est de pouvoir maîtriser parfaitement la langue kazakhe.