Eglises d'Asie – Japon
L’EGLISE CATHOLIQUE DU JAPON A-T-ELLE SOUTENU LE REGIME IMPERIAL DANS SES GUERRES D’EXPANSION ?
Publié le 18/03/2010
par Christophe Sabouret
Lorsque des catholiques japonais offrirent un avion à l’armée de terre en (mars) 1936, “pour la défense du pays ils étaient issus pour la plupart, au sein du Comité catholique pour la participation à la défense du pays, des descendants des “chrétiens cachés” (kakure kirishitan) de la région de Nagasaki qui avaient été persécutés pendant plus de deux cent cinquante ans par le régime antérieur à la Restauration de Meiji des shôguns Tokugawa. Toute l’ambivalence de la position de l’Eglise japonaise au sein de la société japonaise au cours de la première moitié du XXe siècle peut se lire à travers ce fait. Et ce n’est pas le moindre des mérites de la présentation du P. Pierre Dunoyer (MEP), sous forme de notes, autant que la traduction du japonais vers le français, assurée par ses soins, de passages de l’ouvrage qu’elle vise à présenter (que nous présentons ici/voir ci-dessous), que de la rendre.
Ambivalence donc, tout d’abord, des descendants des chrétiens cachés. Certes ils n’ont pas tous rejoint l’Eglise, depuis que celle-ci, en la personne de Mgr Bertrand Petitjean qui avait été nommé vicaire apostolique (1866), n’était plus, depuis le décret impérial du 14 mars 1873, interdite. Pourtant les deux étudiants de l’université de Jôchi qui refusèrent de visiter le sanctuaire shintô de Yasukuni en mai 1932 étaient des descendants des chrétiens cachés. De même, le collège catholique de filles de Amami-ôshima, qui allait devoir cesser “volontairement” ses activités en mars 1934, pour cause d’investissement militaire de la place en ce lieu stratégique entre Kyûshû et Ryû-kyû, et l’église, qui allait être rasée en décembre de la même année, dépendaient-ils du diocèse de Nagasaki, haut lieu de persécutions du temps de l’ancien régime du shogounat. Pourtant, des descendants des chrétiens cachés formeront, en 1936, le cour du Comité catholique pour la participation à la défense du pays. Conséquence de la misère dans laquelle les persécutions contre leurs aïeux les avaient précipitées et contre laquelle des victoires à l’étranger pouvaient faire espérer des lendemains économiques qui chanteraient ? Ou conséquence du surenchérissement, inconscient à lui-même, du dominé, ou minoritaire parmi des dominés, à se faire bien voir du dominant ?
Ambivalence, ensuite, de l’Eglise au Japon. Certes des paroisses catholiques célébrèrent, bien que la constitution de 1889 ne reconnût aucune religion d’Etat, des messes en l’honneur de la victoire du Japon contre la Chine, en 1895. De même, la majorité des catholiques approuvèrent-ils la guerre contre la Russie en 1904-1905. Ou encore des quêtes furent-elles organisées par les catholiques, au moment de cette guerre, ou à celui de l’annexion de la Corée en 1910, en signe de collaboration à l’effort de guerre. La liste pourrait être rallongée. Mais l’Eglise avait à souffrir, à l’instar des croyances autres que le shintô, que ce dernier fût de facto religion d’Etat. Que, à mesure que se renforçait le poids des militaires dans la vie politique japonaise, l’obligation de se rendre aux sanctuaires shintô, pour tous, se faisait plus pressante. Pourtant, le premier évêque japonais, Mgr Hisayuki Hayasaka, représentera, en 1936, le fameux Comité catholique pour la participation à la défense du pays. Conséquence du principe patriotique de l’Eglise qui veut qu’elle soit avant tout aux côtés de ses fidèles, quelles que soient les rigueurs du temps, a fortiori lorsqu’elles sont hivernales ? Ou bien conséquence de la lutte contre le communisme “athée”, ennemi commun à l’époque de l’empire du Grand Japon et du Vatican ?
Absence d’ambivalence en tout cas, de la part de l’Eglise du Japon en 1999 lorsqu’elle fait paraître un livre sur sa collaboration passée à l’effort de guerre et sa participation au culte patriotique du shintô impérial et impérialiste, et même moins de “dix ans après”. Exception tout d’abord de la seule institution au Japon à s’être penchée sur son passé impérialiste et à le reconnaître comme tel. Charité ensuite que de chercher à comprendre, davantage qu’à juger. Aujourd’hui n’est pas hier. Qu’aurions-nous fait, comment aurions-nous agi, si nous avions vécu à cette époque ? “Ce livre lui-même, dans moins de dix ans, va bénéficier des critiques nées de points de vue nouveaux impensables aujourd’hui peut-on lire dans l’introduction. Aujourd’hui, moins de “dix ans” après, l’esprit et l’humilité qui ont présidé à cette entreprise méritent d’être salués et rappelés. Car peu de points de vue nouveaux sont venus bouleverser ce qu’elle nous apprend. D’autant que l’actuel Premier ministre du Japon met un zèle particulier depuis son accession au pouvoir en 2001 à se rendre au sanctuaire de Yasukuni. De quoi susciter bien des inquiétudes et interrogations et donc, pourquoi pas en retour ?, des réponses nourries par la connaissance et la compréhension du passé qu’offre le présent dossier.
Rédacteur en chef de la revue MEP
QUE NOUS APPREND L’HISTOIRE ?
Collaboration de l’Eglise catholique à l’effort de guerre
et participation aux rites patriotiques du shinto
Préface
“La période de modernisation du Japon qui avait commencé avec la révolution de Meiji (1868) a subi un arrêt brutal en 1945 avec la défaite de la guerre du Pacifique et la ruine d’un régime militaire dictatorial. Pendant cette période, dans quelle mesure l’Eglise du Japon, qui avait retrouvé une relative autonomie sous l’Empereur Meiji, s’est-elle laissé intégrer au régime militaire et a-t-elle collaboré avec lui, tel a été le sujet de cette recherche.
Nous avons divisé cette période (1868-1945) en quatre parties et, pour chacune d’elles, nous avons rassemblé les documents qui nous semblaient les plus importants pour essayer d’apporter une réponse.
(.) Le 25 février 1981, dans le Parc de la Paix à Hiroshima, à l’endroit même où explosa la première bombe atomique, le pape Jean-Paul II, s’exprimant en japonais, a lancé un message de paix au monde. “Revenir sur son passé, c’est assumer sa responsabilité pour mieux préparer l’avenir avait-t-il répété quatre fois. Ces appels jaillissaient du fond du cour de celui qui était né et avait vécu tout près du camp d’extermination nazi d’Auschwitz dans ce siècle qui a connu deux guerres mondiales et les deux tragédies que furent Hiroshima et Nagasaki. A partir de cette exhortation, le Centre d’études pour l’évangélisation de la Conférence des évêques du Japon (Katorikku Chûô kyôgikai) a voulu savoir si, dans le passé, l’Eglise catholique du Japon avait adhéré à l’idéologie guerrière et y avait collaboré. Pour répondre à ces importantes questions, nous avons consulté et réuni les documents d’archives les plus importants et nous les publions dans ce recueil que nous avons intitulé : “Que nous apprend l’histoire ?”
Dans ce livre, il n’est pas question bien sûr de vouloir, pour nous, juger ou blâmer les acteurs de ce passé. Comme dit le pape, “l’exactitude d’un jugement sur le passé ne peut s’obtenir sans une étude circonspecte des conditions culturelles de l’époque”. Une courte explication présente chacun des documents. Pour quelqu’un qui peut les consulter pour la première fois, en particulier pour les jeunes générations qui n’ont pas connu la guerre, saisir la situation d’où est né tel ou tel document et les rapports qu’ils ont entre eux n’est peut-être pas facile. En ce sens, nous espérons que, bientôt, les recherches s’approfondissant et s’étoffant, d’autres publications verront le jour. Ce recueil de documents est matière à réflexion sur notre passé et nous exprimons notre gratitude à tous ceux qui en prendront connaissance.”
INTRODUCTION
“Le Japon qui s’était fermé à l’étranger pendant près de deux cents ans a fini, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, par ouvrir ses ports, sous la pression de l’Amérique et de la Russie, et, par leur intermédiaire, s’est résigné à accueillir la modernité. Dans ce contexte, le nouveau gouvernement, issu de ce que les Japonais désignent par l’expression ‘rénovation de Meiji’ (Meiji ishin), s’est orienté vers l’établissement d’une nation nouvelle, unifiée et centralisée, donnant les pleins pouvoirs à l’Empereur. (3)
Le nouveau gouvernement de Meiji (1868), pour rattraper son retard dans la modernisation, a développé l’industrie et poussé au développement de l’économie. Il entreprit le renforcement de sa puissance industrielle et militaire tout en réorganisant le gouvernement, la société, l’économie et l’armée. Plutôt que de choisir la solidarité avec les pays d’Asie, il préféra se mesurer aux Occidentaux colonisateurs en s’inspirant de leur impérialisme.
Peu à peu, renforçant sa politique d’extension, le gouvernement japonais, par la guerre sino-japonaise (1894-1895), dévoila son dessein asiatique et continua par la guerre russo-japonaise (1904-1905), l’annexion de la Corée (1910) et l’incident de Manchourie (1931). La nouvelle guerre sino-japonaise (1937-1945) finit d’élargir le front des combats jusqu’à la guerre du Pacifique (1941-1945). Le Japon mit fin à ses invasions militaires par l’acceptation de la déclaration de Potsdam d’août 1945 et sa reddition sans condition.
De la première guerre sino-japonaise jusqu’à la défaite, pendant cinquante ans, il était impossible pour l’Eglise catholique de s’abstraire de tout contact avec le gouvernement japonais, obnubilé par ses guerres d’agression. Entraînée dans le processus nationaliste et militariste du régime impérial, elle ne pouvait pas ne pas enseigner l’amour de la patrie et la loyauté envers l’Empereur, le chef de l’Etat. Prise indirectement dans l’étau de la politique militaire du gouvernement, contrainte et forcée, par patriotisme, elle finit par appeler les catholiques à venir eux aussi s’incliner dans les sanctuaires du shintô et à participer à l’effort de guerre. Cet ouvrage revient sur les traces du passé, en reprenant les documents où l’on voit qu’à partir de l’ère Meiji, l’Eglise catholique en est arrivée à collaborer à l’effort de guerre et à participer aux rites du shintô. Notre démarche n’est en rien une critique des ecclésiastiques ou des chrétiens de l’époque. Il n’est pas donné à n’importe quel être humain de pouvoir échapper aux contraintes de l’histoire, d’autant plus que cette histoire, dans sa compréhension, évolue à chaque instant.
Ce livre lui-même, dans moins de dix ans, va bénéficier de critiques nées de points de vue nouveaux impensables aujourd’hui. C’est pourquoi, puisqu’on ne peut pas dépasser les “limites de l’histoire », ceux qui ont vécu la guerre ne peuvent être blâmés au nom de ce que l’on sait aujourd’hui. Pour nous, qui directement n’avons pas été concernés par la guerre, se pencher sur le parcours d’une Eglise du Japon collaborant à l’effort de guerre signifie assumer la responsabilité structurelle de l’Eglise du Japon d’autrefois.
Puisse ce travail nous aider à répondre à cet appel. Nous qui vivons dans la société d’aujourd’hui, prions de tout cour pour que ce livre serve quelque peu à la construction de la paix désirée par le Christ”.
PREMIERE PERIODE : Montée de l’absolutisme (1882-1931)
Cette première période est peut-être la plus importante pour comprendre la fuite en avant du Japon vers la modernité, qui le conduira au cataclysme que l’on sait. Les rescrits impériaux de cette époque ont donné naissance non seulement à l’absolutisme et au culte de l’Empereur comme religion d’Etat mais surtout au bellicisme comme unique idéal national. Cependant, les auteurs de cette recherche historique mettent en garde les lecteurs :
“Evitons de transposer nos conceptions modernes aux réalités japonaises de la fin du XIXe siècle. Les auteurs de la Constitution japonaise, par exemple, avaient tous connu la société féodale et donc portaient un très grand respect à la prérogative impériale. La force de leur autorité et leur conservatisme étaient dans l’ordre des choses.
En 1882, dans la ligne de l’aménagement d’un Etat moderne, le gouvernement de Meiji, pour accélérer avant tout une politique de renforcement de l’économie et de l’armée, publia une adresse impériale à l’intention des militaires, le 4 janvier 1882. C’était un mandement rédigé par l’Empereur lui-même sous la forme d’un “Rescrit impérial des soldats et marins”. Il signifiait à tous que : 1.) l’Empereur était le commandant suprême de l’armée et 2.) qu’il exigeait des militaires une fidélité totale envers sa personne. La fidélité y est présentée comme la première vertu d’un militaire, et obéir à un supérieur, c’est obéir à l’Empereur. Immédiatement, cette fidélité absolue prit une telle importance qu’elle fut considérée comme l’âme même de l’armée et que le ‘Rescrit impérial des soldats et marins’ finit par être sacralisé.
La “Constitution de l’Empire du Grand Japon”, quant à elle, fut promulguée le 11 février 1889. L’Empereur a tous les pouvoirs, civils et militaires, et son autorité en matière religieuse y est qualifiée “d’absolue”.
L’article 1er affirme que l’Empereur est l’héritier d’une dynastie millénaire, l’unique descendant en ligne directe de l’Empereur Jimmu Tennô, le premier Empereur mythique du Japon qui aurait régné entre 660 et 585 avant JC. Le 3e article stipule que la personne de l’Empereur est sacrée et que nul ne peut lui porter atteinte. L’article 28 reconnaît la liberté religieuse mais, formellement, dans les limites légales définies par le gouvernement. Cet article, loin de sauvegarder la liberté religieuse comme un droit fondamental, prescrivait le culte de l’Empereur et la pratique du shintô comme un devoir pour tous. Le système politique du Japon est donc, dès ce moment, doté d’une quasi religion d’Etat, le shintô national.”
Rien ne doit échapper au pouvoir absolu. L’éducation des jeunes et des masses populaires est pour lui une priorité, d’où, coup sur coup, la promulgation d’un rescrit impérial et d’un décret sur l’éducation.
“Le Rescrit impérial sur l’éducation” du 30 octobre 1890, d’inspiration typiquement confucéenne, définit l’autorité religieuse de l’Empereur et établit les principes fondamentaux de la morale et de l’éducation des jeunes.
La nation japonaise est gouvernée par une lignée d’Empereurs issue de la déesse Amaterasu. Donc, pour les sujets de l’Empereur, la fidélité à son égard est le principe fondamental de l’éducation, est-il expliqué dans ce rescrit. L’Empereur en tant que dieu venu sur terre sous la forme temporaire d’un homme est sacré. Tout sacrifier pour l’Empereur, monarque absolu, représente pour son peuple l’éthique universelle. Ce rescrit sur l’éducation a donc ainsi joué, sans contredit, le rôle d’un code religieux au profit d’un shintô d’Etat.
A peine deux ans plus tard est publié un décret ministériel qui rend obligatoires le “Salut quotidien au portrait de l’Empereur et la lecture solennelle du rescrit sur l’éducation » (17 juin 1891). L’Education nationale fait ainsi parvenir à toutes les écoles primaires le portrait du couple impérial et ordonne le salut à l’Empereur tous les matins. Cette ordonnance avait pour but principal de faire pénétrer dans les esprits de la population la notion d’un dévouement absolu à l’Empereur et l’idée que le Japon était un empire d’origine divine.
La lecture du rescrit, quant à elle, devait être faite trois fois par an dans toutes les écoles : le premier jour de l’année, le jour de l’anniversaire de l’intronisation de Jimmu Tennô, le 11 février, et le jour anniversaire de la naissance de l’Empereur régnant. Cette ordonnance perdurera jusqu’à la fin de la guerre du Pacifique, en 1945.”
La révolution et la contre-révolution de Meiji terminées et le cartel des grands seigneurs féodaux anéanti, les nouveaux dirigeants s’empressèrent, à l’image des puissances occidentales, de se construire une armée. Ils enrôlèrent tous les membres des anciennes milices féodales, les “bushi désouvrés et sans ressources. La puissance militaire aidant, le Japon pouvait désormais prétendre occuper une place dans le concert des nations.
Première guerre sino-japonaise : 1894
“Une dispute entre le Japon fier de sa nouvelle armée et la Chine, à propos du contrôle de la péninsule coréenne, fut une occasion de faire la guerre. Ce fut le début de la guerre sino-japonaise (1er août 1894), où le Japon vainqueur obtint Taiwan comme colonie et commença ainsi à se hisser au rang des grandes nations impérialistes et coloniales européennes ». (Fac-similé du supplément de Shimbun du 3 août 1894).
Malgré cette recrudescence de l’impérialisme, dans l’euphorie d’une montée en puissance de l’économie et du respect de la force militaire, certaines paroisses catholiques auraient, rapporte un historien japonais, Itakashi Gonoi, célébré des messes pour la victoire (4).
Pour faire la guerre, un pays doit être uni autour de son Empereur et de son armée. Des divergences d’opinion ne sauraient être tolérées.
“Avec le rescrit sur l’éducation de 1890, le gouvernement avait commencé peu à peu à s’orienter juridiquement vers un shintô d’Etat. Mais pour différentes raisons, dont la forte opposition des bouddhistes et des sectes issues du shintô (Kyôha shintô), ce fut un échec. Le gouvernement dut admettre alors que le shintô n’était pas religion d’Etat. Mais l'”Interdiction par ordonnance du ministère de l’Education nationale de l’enseignement religieux et de toutes cérémonies religieuses dans les écoles de l’Empire” (3 août 1899) va aller jusqu’au bout de l’éducation fondée sur la personne de l’Empereur. Son but est d’éliminer l’influence du bouddhisme ou du christianisme dans les écoles privées, protestantes, catholiques ou bouddhistes jusque-là autorisées.
Un choix s’imposait à l’enseignement privé catholique. Pour perdurer, les écoles chrétiennes devaient-elles abandonner les cours d’éducation religieuse ou sortir du cadre institutionnel ? L’association des écoles chrétiennes demanda officiellement la suppression de cette instruction. Elle lui fut refusée. Pour survivre, les écoles privées durent s’incliner. L’ordonnance ne fut abolie qu’après la défaite, par la publication de l’ordonnance N° 8 du ministère de l’Education, en octobre 1945.”
Le Japon, conscient d’être devenu une puissance, entend s’imposer à ses voisins. La guerre russo-japonaise lui en donnera l’occasion.
La guerre russo-japonaise (1904)
“La rivalité entre le Japon et la Russie pour la domination de la Mandchourie et de la péninsule coréenne déclenchera la guerre russo-japonaise (10 février 1904). Vainqueur, il obtient la cession de la voie ferrée sud-mandchourienne, la partie méridionale de l’île de Sakhaline, la presqu’île de Liaodong avec Port-Arthur et un droit de protectorat sur la Corée. Plusieurs intellectuels chrétiens sociaux protestants comme Kanzô Uchimura et Gien Kashiwaki s’opposèrent à cette guerre, mais la plus grande partie des catholiques l’approuvèrent et commencèrent à chercher un accommodement avec l’Etat. (Tôkyô Asahi Shimbun, 10 février 1904). Nous n’avons aucun document témoignant de l’hostilité de l’Eglise catholique du Japon à cette guerre ou à l’annexion de la Corée. Mais on sait, par les journaux de l’époque, que des quêtes ont été organisées par les catholiques en signe de collaboration à l’effort de guerre.” (5)
Le shintô n’est pas religion d’Etat, a dû reconnaître le gouvernement, mais la religion est importante pour soutenir le moral de la population. Le 25 février 1912, il invitait les représentants des deux branches du shintô, les représentants des bouddhistes et du christianisme, y compris les catholiques, à se rencontrer pour voir “comment soutenir le gouvernement de l’Empereur et renforcer la moralité dans la population”. Une rivalité de préséance entre les deux branches du shintô fit échouer le projet.
Mais le shintô reste, de facto, religion d’Etat.
“(.) Deux élèves catholiques d’une école secondaire de la préfecture de Kagoshima refusèrent de se rendre en pèlerinage dans un sanctuaire shintô en mars 1924. Leur refus posa clairement le problème de la participation des catholiques à cette quasi religion d’Etat. Dans les sanctuaires shintô, sont vénérés l’Empereur et ses ancêtres, les dieux protecteurs du Japon et surtout les âmes des soldats morts au champ d’honneur, comme au sanctuaire de Yasukuni à Tôkyô (6Les deux élèves catholiques de l’école secondaire d’Amami-ôjima, préfecture de Kagoshima, qui refusèrent de s’y laisser conduire, furent renvoyés de l’école. Dans le catéchisme de l’époque, que tous les enfants catholiques japonais apprenaient par cour, on pouvait lire qu’il était interdit de se rendre dans un sanctuaire autre qu’une église catholique, qu’il soit shintô ou bouddhiste et quelles qu’en soient les raisons. Ces deux élèves qui savaient qu’ils pouvaient être renvoyés avaient donc obéi aux enseignements de l’Eglise. Dans le numéro d’avril 1929 de la revue catholique Koe (‘la Voix’), on peut lire que cette affaire fut discutée au cours du synode du diocèse de Tôkyô la même année, lequel se tourna vers la Congrégations des rites (l’actuelle Congrégation pontificale pour la liturgie et les sacrements) pour l’interroger sur la possibilité on non pour un chrétien de se rendre dans un sanctuaire shintô.
Quoi qu’il en soit, à l’occasion de l’intronisation solennelle du prince impérial comme Empereur (4 octobre 1928), le patriotisme faisant partie des devoirs d’un chrétien, le synode des évêques et des préfets apostoliques du Japon réunis dans les locaux de l’archevêché de Tôkyô décida sans peine de célébrer dignement l’événement.
Dans chaque diocèse ou préfecture apostolique, une messe solennelle devrait être célébrée et un Te Deum chanté. Le jour même de l’intronisation, dans chaque église, le curé du lieu lirait devant la communauté une lettre pastorale intitulée : “Annonce à tous les croyants à l’occasion de la grande cérémonie”. Des activités festives étaient recommandées et les journalistes seraient invités à rendre compte de ce qui serait fait par les catholiques.
Cette lettre pastorale est signée des douze évêques et préfets apostoliques du Japon dont, en particulier Mgr Jean-Baptiste Chambon, MEP, archevêque de Tôkyô, Mgr Jean-Baptiste Castanier, MEP, archevêque d’Osaka, et Mgr Fernand Thiry, MEP, évêque de Fukuoka, et Mgr Hisayuki Hayasaka, vicaire apostolique de Nagasaki, le premier évêque japonais, sacré à Rome en 1927 par Pie XI (Koe, novembre 1928, p. 22 23).” (7).
Pourtant malgré toute cette bonne volonté, certaines compromissions restaient impensables pour l’Eglise catholique.
“En 1929, à l’occasion du “Transfert solennel des sanctuaires d’Ise” (shikinen sengû), une proclamation du ministère de l’Education nationale demandait que, partout et dans toutes les écoles, selon la tradition, une célébration soit organisée pour commémorer l’événement.
Pour le shintô, cette fête d’Ise est, aujourd’hui encore, un événement important. Il s’agit, tous les vingt ans, du transfert des anciens sanctuaires à un nouvel emplacement situé à côté de l’ancien et d’une reconstruction complète en bois de cyprès et à l’identique. Le premier transfert aurait eu lieu, dit-on, fin du VIIe siècle et le dernier en 1993. L’ensemble des vingt-huit écoles catholiques primaires et secondaires refusèrent de participer à ces rites shintô. L’ensemble des journalistes virent dans ce refus une grave atteinte à l’ordre social et le firent savoir. Un prêtre catholique, le P. Toma Wakita tenta une réponse dans son livre : L’Etat japonais et l’Eglise catholique (25 décembre 1930).
Pour le P. Wakita, religion chrétienne et fidélité à l’Etat ne sont pas incompatibles. Il développe en particulier trois points. 1.) On ne peut vénérer les ancêtres et les défunts comme s’ils étaient Dieu (82.) Dans la culture traditionnelle du Japon on trouve le mythe de l'”au-delà”, selon lequel la terre du Japon, la nature et les dieux auraient été créés sur l’ordre des dieux fondateurs de l’Empire qui sont dans l’au-delà. Il n’est pas nécessaire de croire à ce mythe qui nous parle de “souveraineté sacrée”, tel que nous le rapporte la littérature. 3.) Les chrétiens on le droit de ne pas participer à des rites shintô, comme les shintoïstes et les bouddhistes eux-mêmes ont le droit de ne pas vouloir pénétrer dans une église chrétienne.”
DEUXIEME PERIODE : De l’incident de Mandchourie à la deuxième guerre sino-japonaise (1931-1937)
“Les Japonais, vainqueurs de la Russie, ont obtenu la cession de la voie ferrée sud-mandchourienne (1904). Les officiers d’infanterie de l’état-major japonais en poste en Mandchourie comprirent tout de suite l’importance de cette ligne ‘vitale’ pour le Japon dans cette immense région aux ressources abondantes. Déguisés en soldats chinois, ils firent sauter la ligne du chemin de fer trans-mandchourien et attaquèrent sur le champ l’armée chinoise, affirmant que c’était elle qui l’avait fait exploser. Prenant prétexte de cet attentat truqué, l’armée japonaise partit à l’assaut de la Mandchourie (Tôkyô Asahi Shimbun, 19 septembre 1931, fac-similé). En mars 1932, la création de l’Etat du Mandchoukouo fut annoncée avec comme chef de l’Etat, l’ex-Empereur de Chine Puyi, le Japon en sous-main tenant l’ensemble des pouvoirs.
Le sabotage du chemin de fer avait été un plan élaboré par un groupe d’officiers ultranationalistes groupés autour du général Seishirô Itagaki, mais exécuté avec l’assentiment de l’état-major général. A l’époque, la radio et les journaux japonais ne parlèrent que de la responsabilité de l’armée chinoise.
S’incliner dans un sanctuaire shintô n’est rien d’autre qu’un acte de patriotisme.
C’est dans ce climat d’euphorie militaire que deux étudiants de l’université Jôchi provoquèrent un incident grave. Le 5 mai 1932, le colonel Isshi Kitahara, chef du Bureau des affectations des officiers, conduisait un groupe d’étudiants de l’université catholique de Jôchi au sanctuaire de Yasukuni. Ils devaient également visiter une exposition consacrée au matériel militaire moderne. Les deux étudiants, qui étaient catholiques et descendants des chrétiens cachés, visitèrent seulement l’exposition du nouvel armement, sans passer par le sanctuaire. Cet incident déclencha une campagne anti-chrétienne virulente. (9)
Inquiets, le délégué apostolique de l’époque et l’archevêque de Tôkyô, Mgr Jean-Baptiste Chambon, le 22 septembre de la même année, présentèrent une supplique au ministre de l’Education nationale, Ichirô Hatoyama, lui demandant de déclarer clairement que “pour les élèves, s’incliner dans un sanctuaire shintô n’avait pas de signification religieuse En date du 30 septembre, la réponse du ministre fut affirmative : “La visite dans un sanctuaire shintô est en lien avec l’éducation, l’inclination demandée aux étudiants, aux lycéens et aux enfants est un signe de patriotisme et de fidélité à l’Empereur.” Le lendemain, 1er octobre, le Hôchi Shimbun (‘Journal d’information’) dénonçait l’incident provoqué par les deux étudiants catholiques et le Yomiuri annonçait que les autorités militaires avaient décidé le retrait du bureau des affectations de l’université de Jôchi. Tout ceci n’était qu’un prétexte. Le ministre des Armées déclara que le christianisme était une hérésie incompatible avec le régime et que les croyants chrétiens étaient des traîtres et des espions. Plein d’à propos, le P. Hôgoro Taguchi, qui deviendra cardinal-archevêque d’Osaka après la guerre, publia un livre intitulé : Conception catholique de l’Etat (Katorikkuteki kokkakan), dans lequel il écrivait (p. 148 à 149) combien la réponse du ministère avait rendu les choses plus facile pour les catholiques, patriotes comme tous les Japonais”.
La reconnaissance de l’Empire du Mandchoukouo par le Vatican, le 18 avril 1934.
“La Société des Nations, à la suite du recours que lui avait adressé la Chine, envoya la commission Lytton enquêter sur place, en Chine et au Japon. En octobre 1932, la commission donna son rapport. Le 2 février 1933, l’assemblée générale extraordinaire de la Société des nations s’appuyant sur le rapport Lytton reconnut les droits de la Chine sur la Mandchourie. La résolution demandant le retrait des troupes japonaises de la Mandchourie fut votée par 42 voix contre une, celle du Japon. Le 12 mars suivant, le Japon se retirait de la Société des Nations. En 1934, rompant avec le traité de désarmement naval de Washington, le Japon choisissait ainsi l’isolationnisme et l’élargissement de la guerre.
Les choses étant ce qu’elles étaient, la Congrégation pontificale pour l’évangélisation, dirigée par le cardinal Fumasoni-Biondi, dans une lettre datée du 20 février 1934, nomma Mgr Auguste Gaspais, MEP, préfet apostolique de Kirin, représentant du Saint-Siège auprès du nouvel Etat. Le 18 avril, Mgr Gaspais présenta ses lettres de créance auprès du gouvernement et fit sa première visite officielle. De ce jour, étaient établies les relations diplomatiques entre l’Empire du Mandchoukouo et le Vatican (Journal catholique, 23 septembre 1934).” (10)
Préoccupés par l’agressivité grandissante des militaires à l’égard de la religion chrétienne, les évêques tentèrent alors d’affirmer la totale loyauté des chrétiens et de leur Eglise vis-à-vis de la nation et de son gouvernement tout en réclamant la liberté religieuse à laquelle tout homme a droit. C’est ainsi qu’à l’occasion d’un grave conflit qui opposa une unité de la marine impériale à une paroisse de son diocèse, Mgr Hisayuki Hayasaka, le premier évêque japonais, intervint.
Le vicaire apostolique de Nagasaki, Mgr Hayasaka adresse une Instruction à ses prêtres (13 février 1935).
“Depuis 1922, parce que l’armée de terre avait planifié et décidé de renforcer ses installations dans la zone fortifiée de l’île d’Amami-ôshima (11la communauté catholique locale bien implantée subissait des pressions de plus en plus fortes. En 1933, à l’occasion de l’installation d’une nouvelle unité de marine, la pression devint encore plus grande et le curé, un missionnaire canadien, fut accusé d’espionnage. En mars 1934, le collège catholique de filles de Amami-ôshima fut obligé de cesser “volontairement” ses activités. Le 13 décembre, les missionnaires canadiens quittèrent l’île. Le 19 décembre, l’église fut rasée. Une signature au bas d’un serment d’apostasie fut même exigée d’un grand nombre de paroissiens.
L’île d’Amami-ôshima dépendait du diocèse de Nagasaki. Les quatorze prêtres du diocèse se réunirent et délibérèrent sur la ligne pastorale à adopter pour essayer d’échapper à une telle pression. Mgr Hayasaka, vicaire apostolique, donna à ses prêtres ses instructions, en date du 22 février 1935. Elles peuvent être résumées en quatre points : 1.) Faire comprendre à tous les chrétiens qu’appartenir à un Etat est important. 2.) Se rendre dans un sanctuaire shintô en groupe n’a aucune signification religieuse. S’incliner en signe de respect est permis aux chrétiens. Il ne s’agit pas pour autant de modifier le dogme catholique sous la pression de l’armée. Par contre, il faut refuser d’aller s’incliner au sanctuaire d’Inari (123) Quand il s’agit de prier pour les âmes de ceux qui sont morts pour le pays, il est permis de participer à un service shintô ou bouddhiste célébré à leur intention. 4.) Les collectes organisées pour la défense du pays ou pour célébrer la mémoire des morts de la guerre, sont des actes positifs d’ordre social. (Ichio Takamura : Histoire de l’Eglise catholique au temps de Taishô et de Shôwa, Le Japon et l’Eglise, tome II, p. 202-204)
Quelques semaines plus tard, animés du même souci pastoral et de la même inquiétude, les responsables des quatre diocèses du Kyûshû publièrent une lettre de carême (5 mars 1935). 1.) Fidèles à l’Empereur, nous prions pour le pays dont il est le chef. 2.) Le Japon est un pays gouverné par un Empereur héritier d’une dynastie millénaire. C’est une nation à la structure familiale où peuple et souverain ne sont qu’un et qui n’a pas son pareil dans le monde. C’est pourquoi il est normal de souligner l’excellence de ce centralisme. 3.) Les calomnies contre l’Eglise catholique s’amplifient. “Pas de fumée sans feu”, dit-on. Il nous faut donc réfléchir à certaines de nos attitudes critiques erronées. 4.) Les jours de fête, le drapeau national doit être hissé sur chaque maison. C’est le signe de notre amour de la patrie et de notre fidélité. Il ne faut absolument pas que, sous prétexte de participer aux liturgies de l’Eglise catholique, les devoirs qui relèvent du service militaire soient omis. 5.) Quelle que soit la nationalité des missionnaires étrangers, chaque fois qu’ils en auront l’occasion, ils devront expliquer clairement qu’ils n’ont aucun lien avec l’armée et la politique de leur pays d’origine (Journal catholique, 31 mars 1935).”
Dans leur escalade vers le pouvoir absolu, les militaires franchirent un nouveau seuil en avril 1935.
“Sous la pression des milieux militaristes de plus en plus influents, le ministère de l’Education nationale publia sa quatrième instruction pour une “Clarification de la notion d’Etat”, le 10 avril 1935, reprise quelques mois plus tard par le Premier ministre lui-même.
Depuis Meiji, le centre du pouvoir politique au Japon était l’Etat et le chef de l’Etat était l’Empereur. D’après cette doctrine, en tant qu’organe placé au plus haut niveau de l’Etat et dans la ligne de la constitution, l’Empereur utilise ses pouvoirs et dirige la politique.
Jugeant cette doctrine blasphématoire, des sénateurs issus des milieux militaires et les ultranationalistes votèrent son rejet au Sénat, le 18 février 1935. Le 22 mars, ils demandèrent à l’unanimité que le gouvernement prenne des mesures énergiques à l’encontre de cette doctrine ‘anti-Etat’, choquante pour de vrais patriotes. Les députés imitèrent les sénateurs. Fort des ces décisions, le ministère de l’Education nationale, dans sa quatrième instruction datée du 10 avril, posa clairement “le principe fondamental de l’Etat” dans le domaine de l’éducation. Pour lui, seul un gouvernement impérial de droit divin peut être le principe fondamental de l’Etat. Le 3 août et le 15 octobre, le cabinet du Premier ministre Keisuke Okada, un amiral, publia lui aussi un communiqué : “Clarification de la notion d’Etat”, mais avec plus de précision. A travers l’annonce faite par la grande déesse Amaterasu à Ninigi no Mikoto, son petit-fils, il ne fait pas de doute que la prérogative impériale de gouverner l’Empire du grand Japon appartient clairement à l’Empereur, son descendant. L’opinion qui ne voit dans l’Empereur qu’un des rouages de la machine gouvernementale trahit l’Etat (13) (Yomiuri Shimbun, 3 août 1935).”
Les évêques et les responsables de l’ensemble des diocèses du Japon, inquiets de la montée du fascisme chez les militaires et soucieux de préserver l’avenir de leurs communautés, publièrent à leur tour une lettre pastorale.
“Accompagné du délégué apostolique au Japon, Mgr Paul Marella, les évêques et tous les responsables de diocèses, douze personnes, tinrent conseil dans les locaux de l’archevêché de Tôkyô et publièrent une lettre pastorale (25 avril 1935Cette lettre reprenait le contenu de la lettre déjà publiée par les quatre évêques du Kyûshû, en y ajoutant les deux points suivants : 1.) Les missionnaires étrangers s’efforcent de travailler à l’accroissement du nombre des croyants et à la formation des prêtres japonais. Mais lorsque l’Eglise catholique en terre de mission pourra devenir indépendante et autosuffisante, ils sont résolus courageusement à partir et à tout confier aux prêtres japonais. Les catholiques collaborent avec les prêtres étrangers à la naissance d’un clergé autochtone et travaillent à la construction, à l’entretien et à l’autosuffisance de leur Eglise. De plus, pour éviter les difficultés, ils préparent dès maintenant le jour où les missionnaires étrangers pourront partir. 2.) Pour montrer que les catholiques aiment vraiment leur pays, ils ont décidé eux-mêmes d’offrir un avion aux autorités compétentes et de demander la collaboration et l’aide de tous, prêtres, religieuses et fidèles.
L’initiateur de cet appel pour le don d’un avion était le “Comité catholique pour la participation à la défense du pays représenté par Mgr Hisayuki Hayasaka, vicaire apostolique de Nagasaki. Le journal mensuel Nippon Katorikku Shimbun du 1er mars 1936 écrivait que “l’avion du patriotisme catholique” avait été offert à l’armée de terre grâce au Comité catholique de Nagasaki pour la défense du pays et grâce aux sommes reçues de l’ensemble du pays.” (14)
Directives de la Congrégation romaine pour l’évangélisation des peuples (26 mai 1936).
“L’Eglise du Japon avait questionné plusieurs fois les autorités vaticanes pour savoir quoi faire si le gouvernement japonais imposait pas la force un acte contraire à la foi chrétienne. En mai 1936, le préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, (à l’époque ‘Sacrée Congrégation de la Propagande’), le cardinal Fumasoni-Biondi envoya ses directives au délégué apostolique, Mgr Paul Marella. Nous en donnons les points principaux.
1.) L’évêque doit enseigner aux chrétiens que les visites ordinaires traditionnelles aux sanctuaires shintô, religion nationale, ne sont qu’expression du sentiment patriotique. Il est donc permis aux catholiques d’y participer et de s’y comporter comme tous leurs compatriotes.
2.) Quand il s’agit seulement d’exprimer son affection ou simplement par courtoisie, l’évêque peut autoriser les chrétiens à participer à des funérailles ou à un mariage communément admis comme tels dans une autre religion.
3.) Quant au serment sur l’observance des rites liturgiques demandé aux prêtres, ils devront dorénavant suivre ces nouvelles directives données ci-dessus.
On se souvient qu’en 1924, des élèves d’une école secondaire de la préfecture de Kagoshima, avaient refusé de se rendre dans un sanctuaire shintô. L’Eglise enseignait en effet que s’incliner dans un sanctuaire shintô contrevenait au premier des dix commandements de Dieu. Que cette démarche soit dorénavant autorisée comme n’étant qu’un simple signe de patriotisme représentait une directive importante qui modifiait profondément l’enseignement de l’Eglise catholique.
De plus, l’application des directives de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, en particulier leur traduction en japonais, fit difficulté. On se souvient qu’à propos du refus des étudiants de l’université de Jôchi de se rendre au sanctuaire de Yasukuni et sur la demande de la hiérarchie catholique, l’Education nationale avait répondu par la circulaire n° 40 du 30 septembre 1932 que l’inclinaison de la tête, demandée “aux groupes d’étudiants, d’élèves et d’enfants signifiait fidélité et amour du pays. Cette visite au sanctuaire shintô présentée comme une activité scolaire par l’Education nationale, la Congrégation pour l’évangélisation l’interpréta au sens large et la présenta comme un signe de patriotisme individuel et personnel. Ce qui changeait tout. “Il est permis aux catholiques d’y participer et d’avoir le même comportement que celui de leurs compatriotes. C’est ce que l’évêque doit enseigner” devint, traduit en japonais dans le Journal catholique (Nippon Katorikku Shimbun du 26 juillet 1936) : “Il faut enseigner aux catholiques d’y participer comme tous les autres participants.” C’est-à-dire que les directives de Rome et leur annonce dans le journal catholique ne correspondaient pas.”
Comme pour accréditer les directives de la Congrégation romaine, un cardinal américain de passage au Japon, accompagné de plusieurs évêques se rendit officiellement au temple shintô de Yasukuni. La délégation y fut reçue par un des chefs des prêtres. Un cardinal et sa suite visitent le temple shintô de Meiji et le sanctuaire de Yasukuni (18 février 1937).
“De retour de Manille où s’était déroulé un Congrès eucharistique international, l’évêque de Philadelphie, le cardinal Denis Dougherty, passa par le Japon où il fit une visite officielle au sanctuaire shintô de Meiji et au sanctuaire de Yasukuni. Un prêtre catholique missionnaire qui faisait partie du groupe des visiteurs en a parlé dans ses mémoires : “J’ai sous les yeux une photographie de cette époque”, écrit-il, (13). “On y voit, à la sortie du temple, à côté du prêtre shintô, le très corpulent cardinal Dougherty, le délégué apostolique, Mgr Paul Marella, puis l’archevêque de Tôkyô, Mgr Jean-Baptiste Chambon, plusieurs évêques et enfin nous les prêtres qui formions leur suite. Une scène historique !”. (Père Hildebrand : Autobiographie, p. 88) (15)
TROISIEME PERIODE : De la deuxième guerre sino-japonaise à la guerre du Pacifique (1937-1941)
Début de la guerre sino-japonaise (l’incident du pont de Lugouqiao)
“Le 7 juillet 1937, l’incident du pont de Lugouqiao, un accrochage près de Pékin, entre troupes japonaises et troupes chinoises fournit à l’armée japonaise l’occasion, sans préavis, d’avancer partout à l’intérieur du pays. Au mois d’août, c’était la guerre. En décembre de la même année, l’armée japonaise occupait la capitale, Nankin, et massacrait les prisonniers puis les femmes et les enfants, en tout près de 200 000 personnes. Ce qui provoqua une énorme indignation internationale. Cependant, le peuple japonais en a été tenu dans l’ignorance la plus complète.
Pourtant l’invasion de la Chine ne fut pas chose si aisée et des prières pour l’Empire du Japon (1er octobre 1937) furent demandées par les autorités. Le ministère de l’Intérieur, l’Education nationale et l’Armée renforcèrent la surveillance et les contrôles. Toutes les religions, y compris le christianisme, furent astreintes à l’effort de guerre. A Tôkyô, tous ceux qui passaient à pied, en voiture ou en tramway, dans les environs proches du palais impérial, devaient s’incliner dans sa direction en signe de dévotion.
On trouve dans le “Livre de prières de l’Eglise catholique à l’usage des fidèles” une prière où ils jurent fidélité à l’Empereur et prient pour qu’en cas de difficulté urgente et avec courage, “pour l’Empereur ils puissent tant à l’intérieur qu’à l’étranger montrer la force du pays.”
“Mon Dieu, humblement prosternés devant toi, nous te rendons grâce du bonheur d’être nés dans l’illustre Empire du Grand Japon. Pour la gloire de Notre Seigneur, tu lui as donné une mission particulière en Extrême-Orient. Pendant 2 600 ans, depuis sa fondation, grâce à ton secours, tu as toujours aidé notre pays. Quoi qu’il arrive, accorde-nous ta bénédiction. Jamais, nous ne cesserons de te rendre grâce et, jurant fidélité à l’Empereur, nous prions pour lui, pour qu’il ait une longue vie. Si le pays venait à être en danger, par notre héroïsme, nous voulons que soit reconnue, chez nous comme à l’étranger, la grandeur de la nation. Puisses-tu bénir la sincérité de notre patriotisme. Que brille également sur notre patrie la lumière de la vérité éternelle, et accorde aussi à nos compatriotes, partout, le salut. Ainsi, dans une grande paix, face à l’étranger, unis dans le même sentiment national, conscients des efforts de la Société des Nations, nous t’en prions, fais que chez nous nous puissions, en bonne intelligence avec tous, responsables et simples citoyens, jouir d’un gouvernement pacifique. Par le Christ Notre Seigneur. Amen.” (16)
Alors que le Japon affronte, en Chine, les troupes de Chiang Kai-shek et la guérilla communiste, le Vatican demande aux catholiques de soutenir l’action de leur gouvernement.
“Le pape Pie XI, le 9 mars 1937, avait publié l’encyclique Divini redemptoris, sur le communisme athée. Une encyclique résolument opposée au communisme fondé sur une conception matérialiste de l’homme. En août de la même année, le pape, pour les protéger de l’infiltration communiste et sauvegarder les catholiques de Mandchourie, de Chine et de Corée, demanda à toutes les Eglises d’Extrême-Orient de coopérer à l’action du Japon contre la Chine. Un article du Tôkyô Asahi Shimbun (édition du soir du 16 octobre 1937 avec une photographie du pape Pie XI) répercute cet appel à l’adresse des catholiques japonais. On dit même, rapporte un historien japonais, Itakashi Gonoi (17que par l’intermédiaire du délégué apostolique, Mgr Paul Marella, le Vatican aurait fait parvenir des fonds au ministère des Affaires étrangères nippon au tire de participation à la défense nationale.”
Le Japon, l’Allemagne et l’Italie signent un pacte d’alliance, le 6 novembre 1937.
“La guerre sino-japonaise se prolongeant, le Japon, face à l’Amérique, l’Angleterre et l’Union Soviétique, veut sauvegarder son indépendance. Pour cela, il renforce ses liens avec le pouvoir fasciste italien et allemand. C’est ainsi qu’en février 1936, le Japon, pour lutter contre l’Union Soviétique et le Komintern, signe un pacte d’alliance avec l’Allemagne et l’année suivante avec l’Italie et un peu plus tard avec le Mandchoukouo, la Hongrie et l’Espagne. Le magazine Katorikku Gahô rapporte que, le 4 décembre 1937, à Okayama, une rencontre s’est tenue où quatre prêtres catholiques issus des quatre pays de l’alliance s’étaient rencontrés à ce sujet. L’article est intitulé : “Un magnifique plaidoyer !”
Célébration des 2 600 ans de l’Empire, 10 novembre 1940.
“A cette occasion, une cérémonie spécifiquement catholique réunissant le délégué apostolique, Mgr Paul Marella, l’archevêque de Tôkyô, Mgr Tatsuo Doi, le recteur de l’Université de Jôchi, le P. Herman Howard, s’est déroulée devant la grotte de Lourdes de l’église de Sekiguchi, à Tôkyô. Le journal catholique (18 novembre 1940) signale que le pape a envoyé un télégramme de félicitations à cette occasion.”
Une habilitation officielle est dorénavant obligatoire pour toute association religieuse (3 mai 1941).
“Ce projet de loi sur les associations religieuses fut adopté au cours de la 74e Diète impériale et officiellement adopté le 8 avril pour entrer en vigueur ce même mois. Le gouvernement entendait par là mieux contrôler les religions et les faire coopérer plus efficacement encore à l’effort de guerre. (18)
L’Eglise catholique, sous la direction du ministère de l’Education nationale, entreprit la révision de son “Catéchisme national” et de son “Livre de prières à l’usage des fidèles Le 3 mai 1941, la religion catholique recevait son habilitation officielle sous le titre de Tenshu kôkyô. L’archevêque de Tôkyô, Mgr Tatsuo Doi, fut désigné comme administrateur. La préface et la conclusion de la sixième édition du nouveau Catéchisme (Kôkyôyôri), écrites sur les recommandations de l’Education nationale, parurent le 15 avril 1942.”
QUATRIEME PERIODE : Du début la guerre du Pacifique à la défaite finale (1941-1945)
L’état-major organise la formation et l’envoi de brigades dites de ‘pacification religieuse’ dans les pays occupés par l’armée japonaise (10 août 1941).
“Le gouvernement japonais et l’armée, pour essayer de se sortir d’une guerre sino-japonaise sans issue et qui se prolonge, décidèrent, pour s’assurer les ressources stratégiques nécessaires à cette guerre, d’occuper l’Asie du Sud-Est. Déjà, dès juillet 1940, après l’occupation de l’Indochine, colonie française (Vietnam, Laos et Cambodge actuels), l’état-major avait projeté d’occuper les Philippines.
Sachant que 80 % des Philippins étaient catholiques, quatre mois avant l’attaque, le 10 août 1941, l’état-major convoqua l’Association catholique du Japon et exigea l’organisation de brigades qui auraient pour tâche de faire comprendre les intentions du Japon à l’égard de la population locale et de la pacifier par le biais de la foi religieuse. Comme représentants de l’Association catholique, le P. Hogoro Taguchi et le P. Tatsuya Shimura, convoqués le 11 août à l’état-major et mis au courant du plan échafaudé par l’armée, reçurent non loin de là un local, appelé le “Bureau des brigades de pacification de l’Eglise catholique du Japon où ils s’attelèrent à l’organisation des brigades et à leurs programmes de pacification.
La première brigade : “Section pour la mise en ouvre d’une pacification religieuse” formée, du côté catholique, de trois prêtres dont le directeur général du Journal catholique, le P. Shôji Tsukamoto, de cinq séminaristes et de cinq laïcs, et, du côté protestant, de deux pasteurs, dont le pasteur Isamu Chiba, secrétaire général de l’Association protestante du Japon (Nihon Kirisutokyôdan) et d’un séminariste, s’embarqua à Hiroshima, le 26 novembre 1941. Elle dut attendre à Taiwan (presqu’île de Pescadores, Bôkotô en japonais) la déclaration de guerre du 8 décembre et rallia de suite les Philippines. Après l’ouverture des hostilités, la “Section pour la mise en ouvre d’une pacification religieuse» resta en observation pendant une année. La “Section religieuse féminine” vint la rejoindre et commença le travail des relations amicales nippo-philippines, doublé d’un enseignement de la langue japonaise (Koe, décembre 1942). Ces “Brigades de pacification religieuse” furent créées non seulement dans l’armée de terre mais également dans la marine qui les utilisa en Indonésie, colonie hollandaise. (Fukuin-senkyô, avril 1999 : Arikata Komura, Indonesha jûgunki, p. 16).” (19)
Le P. Hogoro Taguchi fait paraître un article intitulé : “L’Eglise catholique du Japon en temps de crise” (octobre 1941).
“Deux mois après que l’Eglise du Japon eut reçu la demande secrète de l’état-major d’envoyer une brigade de pacification religieuse, le P. Hogoro Taguchi, administrateur du diocèse d’Osaka, au titre des affaires générales de l’Association catholique, fit paraître un article sous le titre : “L’Eglise catholique en temps de crise dans le n° 10 de la revue catholique Koe en 1941.
Dans son article, le P. Taguchi commence par annoncer que, sous la direction du ministère de l’Education nationale, pour prendre des mesures face à la situation actuelle hors du commun, avait été spécialement organisé un bureau temporaire dénommé “Bureau au service des affaires actuelles dans le cadre du secrétariat général de l’Association catholique du Japon. Ensuite, il lance un appel pour que les catholiques se débarrassent des “idées dangereuses” du communisme athée, qu’ils rassemblent toutes leurs forces en tant que “peuple impérial et qu’ils intensifient l’aide à l’armée et offrent des “Prières pour les morts.” (20)
Début de la guerre du Pacifique (8 décembre 1941).
“Le 8 décembre 1941, après une préparation restée secrète, le Japon débarqua dans la presqu’île de Malacca et attaqua la base navale américaine de Pearl Harbor par surprise. La guerre du Pacifique commençait, sans déclaration de guerre. C’était le Japon et ses alliés fascistes, l’Allemagne et l’Italie, en lutte contre vingt-six pays alliés dont l’Amérique, l’Angleterre, la Russie et la Chine. Le monde entier devint un champ de bataille.” (Fac-similé de la première page du journal Asahi Shimbun annonçant la nouvelle, 9 décembre 1941)
Directives de Mgr Tatsuo Doi, le président de l’Association (25 décembre1941).
“Le président de l’Association catholique du Japon, l’archevêque de Tôkyô, Mgr Doi, recevant le décret impérial de la déclaration de guerre contre l’Amérique, le 25 décembre 1941, publia une lettre pastorale destinée aux catholiques japonais. Il appelait les catholiques fidèles à l’Empereur et convaincus de la victoire à répondre spontanément à ce que leur demandait le pays. (Université Dôshisha, Centre de recherche en sciences humaines, Les chrétiens pendant la guerre, tome II, p. 70)
L’évêque d’Osaka, Mgr Hogoro Taguchi, participe lui aussi au travail de pacification des Philippines.
“En janvier 1942, l’état-major de l’armée de terre réquisitionna Mgr Taguchi pour la pacification religieuse des Philippines (son ordination épiscopale avait eu lieu 14 décembre). Il prit la direction de la brigade de pacification religieuse et fit ce qu’on lui demandait : nouer des liens d’amitié avec le gouvernement philippin. Une photographie de l’époque, publiée en pleine page de notre livre, montre l’ensemble d’une cérémonie du souvenir organisée en l’honneur d’un illustre daimyô (seigneur) japonais catholique, Takayama Ukon (1552-1614), déporté et mort aux Philippines pour son refus d’apostasier trois cents ans plus tôt (Koe, décembre 1942). Une cérémonie en fait destinée à endormir la vigilance des participants, membres importants du gouvernement philippin et responsables de l’Eglise catholique à Manille.”
Mgr Tatsuo Doi, archevêque de Tôkyô, publie un article : “La guerre de la Grande Asie et les catholiques” (août 1943).
“Dans cet article paru dans le numéro du mois d’août 1943 de la revue Koe, Mgr Doi ne s’écarte pas de la ligne imposée par la propagande officielle. Il explique que le but de la guerre du Pacifique est la libération des peuples d’Asie orientale et l’édification d’une paix éternelle. Si le Japon s’est levé les armes à la main, écrit-il, c’est parce qu’il s’appuie sur la sollicitude profonde de Dieu. C’est pourquoi il faut que les 350 millions de catholiques du monde entier soutiennent son action.”
Directives de l’Eglise catholique pour temps de guerre (23 septembre 1943).
“En 1943, tous les étudiants furent envoyés au front. Les étudiants non seulement troquèrent le stylo pour un fusil et rejoignirent le théâtre des opérations, mais il fut demandé à tous les Japonais de participer eux aussi à la guerre. L’Eglise catholique également, le 28 septembre 1943, publia des “Directives de l’Eglise catholique japonaise pour temps de guerre S’appuyant sur le caractère national spécifique de la nation, ces directives sont un appel au dévouement à l’Empereur, à l’amour de la patrie, au renouvellement de la foi et à un élargissement de l’enseignement de l’Eglise (Koe, août 1943).” (21)
Constitution d’un séminaire pour la “Grande Asie” (19 novembre 1943).
“Le 19 novembre 1943, se tint l’assemblée générale de l’Association de l’Eglise catholique du Japon dans les locaux du collège Taisei de Fukuoka. Il fut décidé d’en faire un séminaire pour la Grande Asie. Un séminaire pour former les prêtres qui seraient envoyés dans les régions de la future “Sphère de coprospérité de la Grande Asie”.
On peut en lire l’annonce dans le numéro de février 1944 de Koe sous le titre : “‘Aigles impétueux’ en formation dans le monde religieux”. Ce terme d”Aigles impétueux’ désignait pendant la guerre les équipages des avions de chasse ou des bombardiers.”
Les nouvelles sont mauvaises, il faut relever le moral de la population (1944).
“Le rescrit impérial du 8 décembre 1941 décrétait l’ouverture des hostilités contre l’Angleterre et l’Amérique. Le huitième jour de chaque mois, le “Jour en l’honneur du rescrit impérial fut ainsi consacré à exalter le moral et l’héroïsme de la population.
Dans les archives de la police secrète, on relève que, ce 8 juillet 1944, les catholiques s’étaient bien rendus au sanctuaire shintô. Dans les premiers jours de juillet, le bureau de l’Association catholique avait envoyé une circulaire pour que, le 16 juillet, chaque diocèse et chaque communauté religieuse participent à une assemblée de prière pour obtenir la victoire. Pourtant, on peut lire dans les archives de la police que, même si l’Eglise catholique s’efforçait de paraître fidèle à la patrie, les autorités policières, elles, n’avaient jamais relâché leur surveillance.
Dans cette même circulaire, on apprenait que Mgr Hogoro Taguchi, évêque d’Osaka, avait publié dans le numéro d’août 1944 de la revue Koe un petit article sous le titre : “Réveiller l’énergie des chrétiens”. En apprenant la capitulation de l’île de Saipan, luttant de cour avec ses habitants et les soldats qui mouraient pour le pays, “nous aussi, de cour avec eux, nous sommes appelés à ‘marcher à tout prix comme des soldats'” (Université Dôshisha, Centre de recherche en sciences humaines : Les chrétiens pendant la guerre, tome III, p.224-225, Koe, août 1944).”
Fondation d’une “Association religieuse patriotique du grand Japon pour temps de guerre” par le ministère de l’Education nationale (30 septembre 1944).
“Le ministère de l’Education nationale confia aux militaires le soin de faire participer l’ensemble des religions à l’édification de la “Sphère de coprospérité de la Grande Asie”. La fondation de l’“Association religieuse patriotique du grand Japon pour temps de guerre” fut opérationnelle le 30 septembre 1944.
L’Association bouddhiste du Grand Japon, l’Union chrétienne du Japon, dont l’Eglise catholique, le Comité central des associations religieuses, la Fédération des religions du Japon, etc., ne formèrent plus qu’une seule et même organisation, même si plusieurs d’entre elles étaient déjà unifiées. Le ministre de l’Education nationale, le général de corps d’armée Harushige Ninomiya, fut placé à sa présidence. La responsabilité des différentes sections fut confiée aux préfets, au gouverneur de Tôkyô, au gouverneur du Hokkaidô, etc. Les structures des associations religieuses elles-mêmes avaient été supprimées et la surveillance policière fut encore renforcée (Journal catholique du 24 septembre 1944, fac-similé).”
Romano condamne l’utilisation de la bombe nucléaire (mercredi 8 août 1945).
L’Amérique, le Royaume-Uni et la Chine, un peu plus tard l’Union Soviétique, avec la déclaration de Potsdam de juillet 1945, appelèrent le Japon à une capitulation sans condition. Mais les responsables japonais, attachés obstinément à la sauvegarde des privilèges de l’Empereur, tardèrent à répondre. Les Américains lâchèrent leurs bombes nucléaires le 6 août sur Hiroshima et le 9 août sur Nagasaki, 600 000 et 200 000 morts (Osservatore Romano du 8 août 1945, fac-similé).”
ANNEXES
En annexe, plusieurs documents sont donnés in extenso :
1.) La lettre pastorale de la Conférence épiscopale du Japon (1936).
2.) L’instruction de la Congrégation romaine pour l’évangélisation des peuples (ancienne Congrégation ‘Propaganda Fide’) de 1936, signée du cardinal Fumasoni-Biondi. Texte latin et japonais.
3.) L’Allocution du cardinal Seiichi Shirayanagi, archevêque de Tôkyô et président de la Conférence épiscopale du Japon, à l’occasion de la quatrième Assemblée générale de la Fédération des conférences épiscopales d’Asie (FABC). Allocution donnée dans la cathédrale de Tôkyô le 21 septembre 1986.
“A l’occasion de cette quatrième assemblée générale de la Fédération des conférences épiscopales d’Asie, nous, évêques du Japon, en tant que Japonais et membres de l’Eglise du Japon, nous demandons pardon à Dieu et à nos frères d’Asie et des régions de l’Océan pacifique pour la tragédie qu’a provoquée le Japon pendant la deuxième guerre mondiale.
Engagés dans cette guerre, nous partageons la responsabilité de plus de vingt millions de morts en Asie comme dans toutes les régions de l’Océan pacifique. Plus encore, nous regrettons profondément les blessures toujours aussi douloureuses, infligées aux peuples de ces régions, à leurs vies et à leur patrimoine culturel.
Pendant cette Eucharistie, nous voulons prier du fond du cour pour le repos de toutes les victimes de cette guerre. En tant qu’Eglise nous redisons notre détermination pour que non seulement un tel crime ne se renouvelle pas, mais que le Japon travaille à la paix et à une véritable liberté des hommes en Asie.
Notre Père qui es aux cieux, source de la paix, accorde-nous tes dons et ta bénédiction. Regarde nos communautés rassemblées ici aujourd’hui venues de toute l’Asie et du Pacifique. Envoie ton Esprit pour que nous, évêques du Japon, avec les prêtres, les religieux et les fidèles, nous soyons entre tes mains des instruments fidèles, pour faire qu’en Asie tous tes enfants puissent vivre en paix une véritable vie d’homme. Par ton Fils Jésus Christ Notre Seigneur. Amen”.
4La lettre pastorale publiée par la conférence des évêques du Japon à l’occasion du cinquantième anniversaire de la fin de la guerre, le 25 février 1995 : une demande de pardon pour construire la paix
“Résolution pour la paix” (extraits)
“(.) Avant et pendant la guerre, l’Eglise catholique au Japon était regardée comme une religion étrangère. Opprimée et persécutée, elle fut poussée à collaborer à la guerre par les autorités militaires et se trouva dans l’impossibilité de remplir sa mission. La fin de la guerre signifia pour elle une véritable libération. Ici, il nous faut exprimer tout le respect que nous portons à l’égard des missionnaires et de tous ceux qui ont supporté bien des épreuves au service de l’Eglise en ces moments difficiles.
Pourtant, aujourd’hui, il nous faut reconnaître que, quand le Japon nationaliste envoya ses soldats en Asie et dans le Pacifique, l’Eglise catholique ne se préoccupa pas de ce qu’il y avait d’inhumain et d’anti-évangélique dans cette idéologie. Elle n’a pas su discerner la mission prophétique qui était la sienne de faire respecter la vie humaine si précieuse aux yeux de Dieu.
Il nous faut aujourd’hui sincèrement le reconnaître, demander pardon à Dieu et aux nombreuses victimes de cette guerre et accomplir notre devoir de réparation. Comme signe de notre conversion, il nous faut concrètement réaliser en toute sincérité tout ce que nous pouvons faire dans ce sens”.
Pour faire advenir la paix les évêques donnent comme objectif :
(.)
“1) Avec une humaine et chaleureuse attention, travailler à ce que soient redonnés leurs droits à tous ceux que la deuxième guerre mondiale a écrasés.
2) Au-delà des frontières, élargir toujours davantage l’immense toile qui unit tous les hommes.
3) Aider et collaborer à tout ce qui vise à unir et à rendre libres les hommes de l’Asie et du Pacifique.
4) Promouvoir le respect de toute vie, don de Dieu, de l’embryon à la mort.
5) Lutter contre le commerce des armes, abolir les armes atomiques, réduire les dépenses militaires.
6) Respecter les droits des exclus de la société, les Coréens, les Coréens vivant au Japon, les travailleurs étrangers, les minorités, les femmes et les handicapés. Travailler à la suppression de toutes discriminations quelles qu’elles soient.
7) Travailler à l’éducation à la paix des jeunes, en famille, en paroisse ou à l’école.
(.) A l’occasion de cet anniversaire, nous nous souvenons des leçons du passé et, à leur lumière, nous voulons bâtir la paix. Que tous les catholiques japonais s’unissent à nous, que revenus à la source de la foi, la main dans la main avec tous les hommes de bonne volonté, face aux difficultés de la société, ils accomplissent leur responsabilité de chrétiens pour réaliser un monde de paix. C’est ce que nous leur demandons du fond du cour.
Tôkyô, le 25 février 1995, la Conférence épiscopale catholique du Japon
Notes
(1)Sur l’histoire de l’Eglise du Japon, voir EDA 105 (Dossier : “L’Eglise du Japon : 444 ans d’histoire
(2)A l’occasion de la parution de cet ouvrage, voir EDA 283 et 306. Le livre a été publié en 1999 (Editions Shinseisha, Nagoya) sous le nom et le patronage du Centre d’études pour l’évangélisation de la Conférence des évêques japonais. C’est un travail collectif. Celui du “Groupe de réflexion : ‘Culture japonaise et mission'”, sur lequel sont venus se greffer divers autres travaux, en particulier ceux de la Commission pour les Affaires sociales du diocèse de Nagoya, de la Commission ‘Justice et paix’ de la Conférence épiscopale et de Ichio Takamura, auteur de L’Eglise catholique au temps de Taishô et de Shôwa.
(3)Paul Akamatsu : Meiji-1868. Révolution et contre-révolution au Japon, Calmann-Lévy. Paul Akamatsu, spécialiste reconnu de l’histoire du Japon, montre dans son livre que la “rénovation de Meiji” dont parlent les Japonais fut surtout une véritable “révolution”, suivie de l’inévitable “contre-révolut