Eglises d'Asie – Indonésie
La nouvelle mouture du décret de 1969 régissant la construction des lieux de culte ne satisfait pas pleinement les responsables des Eglises chrétiennes
Publié le 18/03/2010
Le décret de 1969, pris sous le régime de l’Ordre Nouveau de Suharto, stipulait que la construction d’un lieu de culte requerrait l’accord écrit du responsable de l’administration locale, lequel devait consulter les organisations et les responsables religieux de la circonscription placée sous sa responsabilité. Concrètement, dans les régions à majorité musulmane, les chrétiens rencontraient le plus souvent de grandes difficultés pour obtenir l’accord de l’administration. Ils construisaient donc des lieux de culte sans autorisation ou plus exactement obtenaient l’autorisation de l’administration des Affaires religieuses de faire fonctionner des lieux de prière ou de culte, mais pas celle de l’administration locale. Souvent, des habitations privées ou des locaux commerciaux étaient transformés en lieux de culte – ce que des organisations islamistes dénonçaient comme une manouvre illégale (2).
Selon la nouvelle mouture du décret, dont la rédaction a été précédée d’une phase de consultation des responsables religieux et de l’appareil de sécurité, les principes de base du décret de 1969 sont maintenus, mais des nouveautés sont apportées quant à la délivrance des permis aboutissant à l’érection d’un lieu de culte. Ainsi, ce sont bien toujours les administrations locales qui seront responsables de la délivrance des permis de construire et celles-ci devront, comme cela était déjà prescrit, recevoir l’avis des branches locales de l’administration des Affaires religieuses. La nouveauté introduite par le décret signé le 21 mars est que les Forums interreligieux, organismes officiels mais indépendants de l’administration, implantés dans toutes les provinces du pays, seront associés au processus ; les Forums de communication pour l’harmonie religieuse (FKUB, selon l’acronyme indonésien) examineront les demandes de construction de lieux de culte avant de produire un avis, adressé à l’administration locale.
Parallèlement, les seuils ont été abaissés, s’agissant de l’importance qu’une communauté locale doit avoir pour demander l’érection d’un lieu de culte. Pour prétendre à un lieu de culte, une communauté doit compter désormais un minimum de 90 personnes. Un minimum de 60 personnes n’appartenant pas à la religion du groupe demandeur et vivant dans le voisinage devra donner son accord à la construction de ce lieu de culte. Dans le décret de 1969, ce seuil était fixé à 100 personnes. La principale nouveauté introduite réside dans le cas où les habitants ne donneraient pas leur accord mais que celui-ci serait accordé par l’administration locale et le FKUB : les autorités locales seront alors dans l’obligation de trouver une alternative et de proposer un autre lieu à la communauté demandeuse pour pratiquer sa religion.
Enfin, afin d’empêcher que les procédures s’éternisent, le décret prévoit que les administrations concernées auront un délai compris entre sept et trente jours pour se prononcer, une fois saisies d’une demande, le délai de délivrance d’un permis de construire ne devant pas dépasser six mois. S’agissant des communautés de moins de 90 membres, il est prévu qu’un permis probatoire de deux ans puisse être demandé et obtenu afin de faire fonctionner légalement un lieu de culte. Pour les lieux de culte existants, mais n’ayant pas reçu de permis en bonne et due forme, les communautés en question devront entamer les démarches pour en obtenir un, l’administration étant tenue de les protéger pendant l’intervalle.
Selon le P. Antonius Benny Susetyo, secrétaire de la Commission pour les Affaires interreligieuses et l’ocuménisme de la Conférence des évêques catholiques d’Indonésie, les dispositions du nouveau décret vont dans le bon sens, mais tout dépendra de leur application concrète. “Des règlements locaux doivent être supprimés ou bien révisés pour être mis en conformité avec le nouveau décret a-t-il déclaré au Jakarta Post, tout en insistant sur le danger de voir les autorités locales faire obstacle à une application respectant la lettre et l’esprit du nouveau texte.
Du côté des Eglises protestantes, Weinata Sairin, de la Communion des Eglises (protestantes) d’Indonésie (PGI), les réserves sont plus vivement exprimées. D’une part, la PGI demandait des chiffres plus bas, à savoir 60 personnes d’une même communauté religieuse pour pouvoir déposer une demande de lieu de culte et 40 personnes n’appartenant pas à cette religion pour approuver cette demande. D’autre part, a expliqué le responsable chrétien, “ce n’est pas qu’une affaire de chiffres. La liberté de culte est clairement exprimée dans la Constitution et n’a pas besoin d’un décret pour être affirmée”. Ceci étant dit, ce qui est le plus important maintenant, c’est la manière dont sera appliqué le décret “car le degré de liberté et d’éducation des gens et la qualité de l’harmonie religieuse varient selon les régions a-t-il continué.
Fin mars, 42 députés, presque tous chrétiens – en majorité protestants -, ont déposé une motion demandant le rejet du nouveau décret. Selon Muhaimin Iskandar, adjoint du président de la Chambre des représentants, la motion sera discutée en petit comité, entre les chefs de groupes politiques. Par ailleurs, un groupe d’avocats représentant différentes religions (chrétiens protestants et ahmadiyahs) ont déposé un recours auprès de la Cour suprême, estimant que le décret était inconstitutionnel.
Du côté des musulmans, le président de la Nadhlatul Ulama, Hasyim Muzadi, a critiqué le nouveau décret, estimant qu’il était le fruit d’un compromis visant à satisfaire toutes les parties en présence. Il a toutefois assuré que son organisation, au niveau local, veillerait à créer “les conditions pour que les non-musulmans ne rencontrent pas de difficultés à obtenir des permis de construire et des problèmes de sécurité pour leurs églises, temples et autres lieux de culte”.