Eglises d'Asie

APRES HUIT ANS AU VATICAN, LE CARDINAL JAPONAIS FUMIO HAMAO PLAIDE POUR UN CERTAIN CHANGEMENT

Publié le 18/03/2010




“Je me sens libre désormais.” Telle a été la remarque exprimée par le cardinal Hamao lorsqu’il a appris qu’il n’avait désormais plus à assumer la responsabilité qui était la sienne au Vatican depuis le 15 juin 1998, date de sa nomination à la tête du Conseil pontifical pour la pastorale des migrants et des gens du voyage. Le propos est immédiatement suivi de l’affirmation selon laquelle il a profondément aimé son travail durant ses années romaines, qui l’a amené à être “en contact quotidien avec la souffrance des hommes de par le monde”. Il ajoute qu’il espère qu’il pourra continuer à ouvrer dans ce domaine, d’une façon ou d’une autre, dans les années à venir.

En février 2005, peu avant que le cardinal ne fête son 75e anniversaire, le 9 mars 2005, il avait remis sa démission au pape Jean-Paul II, conformément au code de droit canon. Mais le pape, très affaibli, est décédé un mois plus tard et son successeur, Benoît XVI, a demandé au cardinal Hamao, comme à tous les responsables de la curie romaine, de rester à leurs postes “jusqu’à nouvel ordre”.

Du temps du pontificat de Jean-Paul II, le cardinal Hamao avait pour habitude de rendre compte de son travail au pape tous les six mois. En septembre 2005, il a donc demandé à parler à Benoît XVI et celui-ci l’a reçu pour une audience privée à Castel Gondolfo, résidence d’été des souverains pontifes. Bien que le cardinal Hamao n’aurait “jamais imaginé” que le conclave débouche sur l’élection du cardinal Joseph Ratzinger, il a eu une “très bonne impression” de Benoît XVI lorsqu’il s’est approché de lui pour le féliciter. Le pape lui a dit : “Travaillons ensemble pour le bien des migrants.” Le cardinal japonais a trouvé ces propos “très encourageants” : “Il me connaissait et connaissait le Conseil que je préside. C’était très bien et très humain.” En septembre 2005, lors de son audience privée avec le pape, à nouveau, il a trouvé Benoît XVI “très intéressé par notre travail et très à l’écoute mais “il n’a donné aucune indication quant à l’avenir de notre Conseil – aucune indication !”

En fait, c’est par la presse que le cardinal Hamao a appris l’intention du pape de réformer la curie et le fait que le Conseil qu’il présidait jusqu’ici serait désormais placé, temporairement, sous la direction du cardinal italien Renato Martino, 73 ans, président du Conseil pontifical ‘Justice et paix’. Aucune notification officielle ne lui fut toutefois communiquée et le cardinal japonais a commencé à se douter que ce que la presse rapportait devait être vrai lorsqu’il a constaté que son Conseil perdait de ses membres. En août 2005, le sous-secrétaire du Conseil, le P. Michael Blume, un Américain de 59 ans, était nommé nonce au Togo et au Bénin, puis, en février dernier, le P. Anthony Chivatyath, 64 ans, un Indien, qui suivait les dossiers relatifs aux gitans et aux aumôniers d’aéroport, était nommé évêque du diocèse syro-malabar de Sagar, en Inde. Aucun des deux ne fut remplacé. Par conséquent, le cardinal demanda à rencontrer Mgr Leonardo Sandri, substitut à la Secrétairerie d’Etat, pour réclamer de nouvelles nominations. Mais, lorsque les deux hommes se sont rencontrés, le prélat italien l’a informé du fait que le pape avait accepté sa démission. Il lui a aussi suggéré de rencontrer le cardinal Angelo Sodano. Rencontrant le jour même le Secrétaire d’Etat, le cardinal Hamao s’entendit confirmer ce qu’il venait d’entendre.

Le 11 mars, le Vatican a annoncé que le pape avait accepté la démission du cardinal Hamao. Dans le même temps, il fut annoncé que la présidence de son Conseil était “pour l’heure” fusionnée avec celle du Conseil pontifical ‘Justice et paix’. Le cardinal Hamao ne cache pas sa déception de la façon dont son départ de Rome s’effectue. “Personne ne m’a consulté, dit-il. Je me sens un peu triste.”

Peu après, le cardinal Hamao a appris que la même chose était arrivée à Mgr Michael Fitzgerald, 68 ans et désormais ancien président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. L’archevêque anglais, nommé nonce en Egypte le 15 février dernier, n’a pas été consulté au sujet de la réforme de la curie ou de l’avenir de son Conseil.

Selon le cardinal, l’intégration complète du Conseil pontifical pour la pastorale des migrants et des gens du voyage dans le Conseil pontifical ‘Justice et paix’ “prendra du temps si tel est le plan retenu. “Cela ne sera pas aisé anticipe-t-il, car l’objet de son ancien Conseil est “plus pastoral là où celui de ‘Justice et paix’ est “plus théorique”. Le résultat final toutefois “peut être bon mais il faudra y mettre beaucoup de “consultation”. Le cardinal s’attend, au bout du compte, à ce que le Conseil pontifical ‘Cor Unum’ soit fusionné avec ces deux Conseils.

A l’image d’un certain nombre de responsables du Vatican, le cardinal Hamao ressent l’urgence d’une meilleure communication, coordination et coopération entre et au sein des différents bureaux de la curie romaine. Il a fait part de ce point lors de la réunion du collège des cardinaux qui s’est tenue le 23 mars dernier.

Le seul Asiatique à la tête d’un bureau de la curie

De 2002 à la date de sa retraite, le cardinal Hamao a été le seul Asiatique responsable d’un bureau du Vatican. En 1998, le Synode des évêques pour l’Asie avait demandé au pape Jean-Paul II de faire en sorte que plus d’Asiatiques travaillent à la curie. Rapidement après, Fumio Hamao, alors évêque de Yokohama, était nommé au Vatican, ainsi que l’archevêque vietnamien, Mgr François-Xavier Nguyên Van Thuan, alors en exil à Rome et placé à la présidence du Conseil pontifical ‘Justice et paix’. Le Vietnamien fut créé cardinal en février 2001 et Mgr Hamao en octobre 2003.

Aujourd’hui, plus aucun Asiatique ne dirige un bureau de la curie. “Le cardinal Van Thuan est mort (en 2002) et je pars constate le cardinal Hamao. Si, comme il l’espère, il obtient prochainement une audience avec le pape Benoît XVI, il lui demandera d’“appeler un évêque d’Asie pour diriger un bureau de la curie. Je suggérerais de nommer quelqu’un de Corée, d’Indonésie, d’Inde, des Philippines ou d’ailleurs en Asie”. Lorsque le cardinal Hamao, le cinquième cardinal japonais de l’histoire de l’Eglise, rencontrera Benoît XVI, il suggérera également au pape d’“écouter la voix des peuples d’Asie – non de juger par avance, mais de les écouter, de nous écouter”. Selon lui, Rome “a des difficultés à comprendre” les réalités asiatiques et l’Eglise en Asie, particulièrement en ce qui concerne le dialogue avec les croyants des autres religions.

“Ils ne peuvent pas comprendre parce qu’ils disent que le dialogue interreligieux est très important et que, dans le même temps, nous devons proclamer Jésus Christ, unique Sauveur. Bien sûr, nous savons cela et nous le croyons, mais, si nous vivons au milieu de religions autres, nous devons avoir une forme de dialogue avec les autres, notamment le dialogue de vie. Dans ce dialogue, nous pouvons coopérer avec les autres religions, telles le bouddhisme ou le shintoïsme, pour la formation de la jeunesse, l’éducation des gens à la paix, l’aide aux personnes handicapées, l’aide aux pauvres et bien d’autres choses encore.” Le cardinal poursuit en citant la première Epître de saint Pierre (3,15-16) : “S’ils nous demandent raison de notre espérance, de notre joie, alors nous pourrons expliquer cela, avec douceur, honnêtement, clairement. Telle est notre attitude.” De ce sujet, le cardinal Hamao a parlé lors du Synode de 1998. “Lors du Synode, j’ai dit que nous devions proclamer l’Evangile et Jésus Christ Sauveur, de manière graduelle, pas d’entrée de jeu et d’un seul coup. Parce que si nous disons d’emblée que le Christ est l’unique sauveur, nous ne pouvons entrer en dialogue avec les non-chrétiens.”

“Les cardinaux et les évêques européens ne comprennent pas bien cela, ajoute le cardinal. Ils ne sont pas satisfaits avec ce ‘de manière graduelle’, tandis que nombreux sont les évêques asiatiques à recourir à cette manière graduelle. Ils disent que nous devons témoigner du souci pastoral de Jésus Christ. Pas le catéchisme mais l’Evangile. Les Asiatiques acceptent plus aisément l’attention pastorale de Jésus Christ que le catéchisme.”

“Le catéchisme, c’est de la théologie, de la théologie européenne, pas de la théologie orientale. C’est trop difficile, trop intellectuel, trop logique. Nous, Asiatiques, ne sommes pas si intellectuels, mais nous ne sommes pas idiots. Nous sommes, pourrait-on dire, plus intuitifs, plus sensibles à une approche tendue vers l’esthétique. Nous avons besoin que notre cour soit touché. Le catéchisme ne convertit personne.”

Revoir les critères de nomination des évêques en Afrique et en Asie

En tant que cardinal, Fumio Hamao a été membre de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples et, à ce titre, il a pris part aux réunions mensuelles au cours desquelles sont examinées les profils des personnalités qui sont pressenties pour être nommées évêques en Asie et en Afrique. Autour de la table, explique-t-il, il y a “tant” de cardinaux et d’évêques d’Europe, d’Amérique et d’Amérique latine, dont le souci est de savoir si les évêques qui seront nommés ont suivi ou non des études à Rome ou ailleurs en Europe, s’ils sont diplômés des universités pontificales européennes. Or, selon le cardinal Hamao, cet aspect ne devrait pas être un critère décisif. Selon lui, un candidat à l’épiscopat peut très bien n’avoir étudié que dans son pays, sans nécessairement décrocher de prestigieux diplômes, et cependant avoir acquis une vraie expérience pastorale. Un tel candidat peut très bien être la personne idoine pour devenir évêque.

En se fondant sur son expérience auprès de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, le cardinal Hamao préconise “une révision des critères de nomination des évêques en Asie et en Afrique”. Il faudrait ne pas seulement prendre en compte la préparation académique et théologique, mais aussi aborder “les problèmes liés à l’appartenance ethnique ou de caste un problème majeur pour des pays tels que le Bangladesh, l’Inde, le Sri Lanka ou l’Afrique.

En citant sa propre expérience, le cardinal précise que, si les Asiatiques sont si peu nombreux à la curie, si il y manque une manière asiatique de voir les choses et si les Asiatiques n’y sont pas véritablement écoutés, c’est parce que “l’Asie est trop loin d’ici, très loin. Je ne parle pas géographiquement mais moralement”. A Rome, poursuit-il, “on considère l’Eglise en Asie et en Afrique comme un bébé, immature en termes de chrétienté. Ils considèrent que seule l’Europe est adulte, peut-être aussi l’Amérique latine. C’est ainsi que je perçois les choses”.

La prédominance de l’Europe est ainsi évidente dans le collège cardinalice, où, aujourd’hui, 100 des 193 cardinaux sont des Européens. Pour les cardinaux électeurs, les chiffres sont de 60 Européens pour un total de 120 cardinaux. Une telle composition ne reflète pas l’étendue du catholicisme aujourd’hui. Les Européens sont minoritaires désormais et ce sont les Latino-Américains les plus nombreux. En Asie et en Afrique, l’Eglise grandit. Le collège cardinalice devrait refléter ces réalités, estime le cardinal japonais, qui ajoute qu’il a été très heureux de voir trois évêques d’Asie recevoir la barrette, lors du consistoire du 24 mars dernier, mais qu’il était “étrange” que pas un seul cardinal-électeur d’Afrique ne soit parmi eux. La moitié des douze nouveaux cardinaux-électeurs sont des Européens, souligne-t-il encore.

Le cardinal Hamao a appris le latin et a enseigné cette langue à l’actuel empereur du Japon, lorsque celui-ci était prince héritier. Il déclare toutefois qu’il ne comprend pas les tentatives actuelles visant à redonner au latin une place dans la liturgie et l’insistance de certains à ce que les catholiques soient capables de réciter le Gloria, le Credo et le Notre Père en latin. Lors du Synode pour l’Eucharistie d’octobre dernier, des cardinaux, principalement des Européens, ont poussé ce dossier. Selon le cardinal Hamao, le pape les écoute. Mais il ajoute qu’il a été le seul des responsables du Vatican à mettre par écrit son opposition à la restauration du latin. Il explique qu’il est “surréaliste” d’attendre des catholiques en Inde, en Indonésie ou au Japon qu’ils apprennent le latin.