Eglises d'Asie

Des intellectuels musulmans dénoncent les agissements d’une frange minoritaire de musulmans qui souhaitent transformer le pays en Etat islamique

Publié le 18/03/2010




Le 24 avril dernier, des intellectuels musulmans et des militants engagés dans la société civile se sont réunis à Djakarta le temps d’un colloque. Pour ceux d’entre eux qui ont pris la parole, l’Indonésie traverse une phase délicate de son histoire, notamment du fait d’extrémistes musulmans qui exercent une influence grandissante sur la société. La faiblesse du gouvernement et de l’administration, combinée à l’inefficience de l’Etat de droit, permet à des groupes déterminés, n’hésitant pas à recourir à la violence de faire régner l’ordre pour lequel ils militent, argumentent ces intellectuels dans un communiqué commun diffusé à la presse locale.

Ce sont de jeunes intellectuels, réunis au sein du Cercle indonésien de la jeunesse, qui ont pris l’initiative de ce colloque. Formés de militants pour la démocratie issus des deux grandes organisations musulmanes de masse du pays, la Nahdlatul Ulama et la Muhammadiyah, ils ont débattu des dispositions législatives fondées sur la charia qu’un nombre croissant d’administrations locales édictent, ainsi que du très controversé projet de loi censé réprimer la pornographie qui est actuellement discuté au Parlement. Selon eux, ces éléments représentent un danger pour l’unité nationale.

Un intellectuel de la Muhammadiyah, Zuly Qodir, a ainsi expliqué que les tentatives pour faire appliquer la charia dans le pays étaient directement issues de l’effervescence qui a caractérisé les années post-Suharto. Au pouvoir jusqu’en 1998, Suharto prenait soin d’étouffer dans l’ouf toute tentative visant à supprimer le pancasila, les cinq principes sur lesquels l’Indonésie indépendante est fondée. Depuis peu, profitant de la décentralisation du pouvoir mise en place par les successeurs de Suharto, nombre de municipalités et de régions ont édicté des édits ou des ordonnances inspirées de la charia pour des sujets relatifs aux comportements en public et à la moralité. La municipalité de Tangerang, toute proche de Djakarta, a ainsi adopté un édit très controversé au sujet de la prostitution, qui est dénoncé par ses adversaires comme attentatoire à la dignité des femmes. A Java-Ouest, la municipalité de Depok envisage de voter un texte similaire et, à Aceh, ainsi que dans plusieurs districts (régences) de la province de Célèbes-Sud, des mesures inspirées de la charia ont été prises.

Le projet de loi contre la pornographie a été, lui aussi, très critiqué par les jeunes intellectuels musulmans. Selon eux, ce texte ne respecte pas la diversité culturelle et religieuse du pays. Le danger, ont-ils poursuivi, est que le gouvernement, dans une Indonésie majoritairement musulmane, semble incapable de s’opposer à la surenchère que certains groupes extrémistes musulmans mettent en scène sur le terrain religieux. Ils ont ainsi cité la récente attaque menée par des militants du Front des défenseurs de l’islam (FPI) contre les locaux de la rédaction de Playboy Indonesia. Le 12 avril dernier, les militants du FPI ont lapidé les bureaux de Playboy, dont la première édition en Indonésie était sortie, sous une forme très édulcorée, le 7 avril. Huit jours plus tard, convoqué à la police, le rédacteur en chef du magazine de charme a annoncé la suspension de la parution de son journal.

Pour ces jeunes intellectuels, « les groupes extrémistes accentuent la pression en vue de parvenir à un changement de régime et de faire de l’Indonésie un Etat théocratique. Ils cherchent à faire de l’islam l’idéologie de l’Etat ». Le problème, ont-ils souligné, est que l’Etat se révèle incapable de leur opposer une réelle résistance.

Leur analyse a trouvé un écho au sein de la presse indonésienne. Le 18 avril, un éditorialiste du Jakarta Post a regretté que, « dans une société en pleine libéralisation et confuse comme la nôtre, l’anarchie [soit] glorifiée et les agents du chaos se voient conférer l’autorité ». Son éditorial était titré : « La voyoucratie fait la loi ». Dans l’hebdomadaire Tempo, le rédacteur en chef Bambang Harymurti s’interrogeait sur l’inaction de la police face aux agissements de groupes comme le FPI. « Les gens considèrent que la police est corrompue, alors ils (les policiers) sont un peu effrayés par des gens qui agissent au nom de la moralité analysait-il. D’autres analystes mettaient en avant le dilemme auquel était confrontée la police : si la police était vue en train de réprimer le FPI, beaucoup penseraient que la police soutient Playboy, expliquaient-ils.

Pour les jeunes intellectuels de la Muhammadiyah et de la Nahdlatul Ulama, les institutions d’éducation doivent montrer qu’elles ont un rôle à jouer pour sauver l’Indonésie de la désintégration. « Les scientifiques, les enseignants et les étudiants doivent agir et se montrer exemplaires en manifestant du respect pour les différences et les droits fondamentaux de l’homme a ainsi déclaré Zuahairi Miswari, de la Nahdlatul Ulama.