Eglises d'Asie

ISLAM ET DEMOCRATIE : LE MODELE MALAISIEN FACE AU MODELE INDONESIEN

Publié le 18/03/2010




Du fait d’une population majoritairement composée de Malais qui sont de confession musulmane, l’Indonésie et la Malaisie se ressemblent à bien des égards, mais les voies de démocratisation qu’elles ont respectivement choisies ne pourraient être plus distinctes. Alors qu’il existe des limites et des imperfections dans chacun de ces deux systèmes, ils sont considérés comme deux modèles bien différents des autres pays majoritairement musulmans, particulièrement ceux du Moyen-Orient qui cherchent à s’engager vers plus de démocratie.

Au centre de cette problématique se trouve le rôle politique joué par l’islam. L’Indonésie et la Malaisie interprètent la religion et appliquent la charia (loi islamique) de manière sensiblement différente.

Les participants à un colloque, ayant pour thème “Islam et démocratisation de l’Asie”, qui s’est tenu à Djakarta cette semaine, se sont poliment abstenus de s’interroger sur la question de savoir lequel de ces deux systèmes – indonésien ou malaisien – serait le plus souhaitable ou le plus ‘islamique’.

Si le trait de culture malais caractérisé par sa discrétion peut, en partie, expliquer cette attitude, il est certain que la principale explication réside dans le fait que le processus de démocratisation est toujours en cours dans ces deux pays. Si la Malaisie peut vanter les mérites de sa bonne santé économique et des bienfaits apportés par celle-ci à sa population, l’Indonésie défend une approche plus globale qui prend en compte les intérêts des minorités non musulmanes.

Ces deux approches différentes rendent l’étude d’autant plus intéressante que plusieurs années seront probablement nécessaires pour départager les deux systèmes, et déterminer lequel s’avèrera être le meilleur.

Cette table ronde qui a été organisée par Center for Islam and Pluralism (ICIP), et le Bureau de Foundation, est la deuxième de ce genre dans la région, après le colloque organisé en septembre dernier, à Manille.

Outre le fait d’observer la construction de la démocratie dans ces deux pays, le colloque a analysé le développement des minorités musulmanes dans des pays comme les Philippines et la Thaïlande. Dans ces deux pays, les musulmans ont des perceptions différentes de la démocratie. Alors qu’ils vivent dans des systèmes démocratiques installés depuis des dizaines d’années, ils continuent de subir des persécutions et de se sentir dépossédés. Des participants de ces deux pays étaient relativement sceptiques quant au fait que la démocratie puisse apporter des solutions à leurs problèmes.

Néanmoins, dans la plupart des pays musulmans, il est largement admis que l’enjeu ne se situe pas dans le fait de savoir si l’islam est compatible avec la démocratie, et ils remettent ainsi en cause la thèse du “choc des civilisations” de Samuel Huntington.

Le ministre des Affaires étrangères indonésien, Hassan Wirajuda, dans son message d’ouverture, a souligné qu’il était maintenant évident que la démocratie n’était pas une valeur exclusivement occidentale, mais qu’elle appartenait à toutes les principales religions du monde. “Le débat sur le bien-fondé de la démocratie et de sa compatibilité avec l’islam est terminé, a-t-il affirmé. Le défi en Indonésie est de savoir comment l’islam et les autres religions peuvent aujourd’hui être une force dans les réformes et les processus démocratiques.” Cette conception marque une différence essentielle entre les voies respectives que l’Indonésie et la Malaisie ont choisies.

Comme un participant l’a fait remarquer pendant la table ronde, l’Indonésie a choisi l’approche “conciliante pendant que la Malaisie lui préférait l’approche “prépondérante”. En Malaisie, l’islam est ainsi religion d’Etat et la charia, la loi qui s’impose à la majorité musulmane, les minorités non musulmanes étant régies par une loi différente. En Indonésie, l’islam est une des cinq religions reconnues par l’Etat. Alors qu’il y a eu des demandes pour que l’Indonésie devienne un Etat islamique et impose la charia aux musulmans, le débat s’est clos – du moins pour le moment – lorsque la question a été soumise aux votes lors des débats sur les amendements apportés à la Constitution en 2002. Les demandes des partisans pro islamiques et ceux de la charia n’ont pas été retenues lors des consultations électorales.

Alors que l’islam en tant qu’idéologie politique a été largement rejeté par la majorité musulmane en Indonésie, l’enseignement islamique et les valeurs de l’islam continuent à jouer un rôle essentiel dans la vie politique du pays. Il est d’ailleurs difficile de considérer l’Indonésie comme un Etat laïc ou séculier au même titre qu’un Etat européen, même si la Constitution indonésienne de 1945 garantit la liberté de religion et oblige l’Etat à protéger les droits et la liberté de culte des fidèles.

Douglas Rumage, président du bureau de Office en Indonésie, a souligné le rôle majeur que les organisations musulmanes de masse ont joué dans la participation de l’islam à la construction de la démocratie, lors des deux dernières élections démocratiques qui ont eu lieu dans le pays depuis 1999. L’islam, en tant qu’idéologie politique, est seulement une idéologie parmi d’autres dans les démocraties naissantes. Les partis vainqueurs des élections de 1999 et de 2004 ont été des partis politiques nationalistes comme le Parti démocratique indonésien de lutte (PDI-P) ou le Golkar.

Les différentes voies empruntées par l’Indonésie et la Malaisie sont le fait de plusieurs facteurs déterminants. L’histoire coloniale en est un : la Malaisie, ancienne colonie britannique, possède un système politique et judiciaire largement inspiré du système anglais (c’est un royaume), alors que la République d’Indonésie et son système judiciaire ont été mis en place pendant la période coloniale hollandaise.

De plus, l’histoire récente et la politique ont également conduit à des chemins différents de démocratisation. Les Premiers ministres malaisiens, Mahathir Mohamad et aujourd’hui Abdullah Badawi, ont de plus en plus viré vers le conservatisme islamique, en partie pour neutraliser la menace que représentait le Party Islam SeMalaysia (PAS). Un participant malaisien du colloque a, pour sa part, estimé que le débat sur le rôle de l’islam et de la charia dans la démocratie malaisienne était limité à l’élite politique, sortant peu des salles confinées pour atteindre le grand public.

En Indonésie, du point de vue législatif, il n’existe plus de débat au sujet de la charia, mais certaines régions, comme Aceh et différents districts (régences), ont adopté la loi islamique au niveau régional, à la demande des partis islamistes et des oulémas.

Selon Surin Pitsuwan, ancien ministre thaïlandais des Affaires étrangères, orateur éloquent sur l’islam du Sud-Est asiatique, les relations de la démocratie et de l’islam doivent être abordées sous un angle complètement différent. Selon lui, il n’est pas tant question du rôle que l’islam peut jouer au sein de la démocratie que d’être un bon musulman en comprenant l’importance de vivre sous un régime démocratique. “Je crois avec ferveur que pour être un bon musulman, vous devez vivre dans un système démocratique a-t-il expliqué.