Eglises d'Asie

L’ONU APPELEE A LA RESCOUSSE POUR SORTIR LE PAYS DU CHAOS

Publié le 18/03/2010




Le travail des Nations Unies au Timor-Oriental de 1999 à 2002 était jusqu’à présent salué comme l’une des rares success story de l’organisation. L’ONU avait aidé à l’établissement des institutions de base du dernier né de la communauté internationale : justice, police, armée, système politique. Le regretté Sergio Viera de Mello avait, de l’avis général, exécuté un travail de grande qualité, alors même que l’ONU s’aventurait pour la première fois sur des terres en friches : la prise en charge totale d’un pays qui n’existait pas encore. Tout avait dû être mis en place, à partir des ruines fumantes laissées derrière elle par l’armée indonésienne, du système de facturation de l’électricité à la création d’une Banque centrale. Quatre ans après, l’immense espoir né avec l’accession officielle à l’indépendance du Timor Leste (nom officiel du pays) retombe dans le fracas des rafales d’armes automatiques et de brutaux affrontements intercommunautaires. Il serait sans doute facile de reprocher, a posteriori, à l’organisation onusienne de n’avoir pas fait ceci, d’avoir trop peu insisté sur cela. Mais les faiblesses et les manquements qui ont précipité le Timor-Oriental sont inhérents au pays. “Les problèmes sont entièrement des problèmes timorais nous dit Grover Joseph Rees, l’ambassadeur américain à Dili. Mais plus encore, ils sont typiques des pays très pauvres qui, martyrisés par un long conflit, tentent de gravir les premières marches d’un Etat de droit sous un régime démocratique. “Cette crise est tout à fait normale dans un pays en voie de transition, après vingt-quatre ans d’occupation étrangère et la tragédie de 1999 estime le ministre des Affaires étrangères et de la Défense du Timor-Oriental, José-Ramos Horta.

Pour comprendre la brutale descente aux enfers de l’ancienne colonie portugaise, il faut revenir sur le cheminement incertain des dernières années. Elu président en 2002, le charismatique et populaire ‘Xanana’ Gusmao, leader de la guérilla indépendantiste et emprisonné sept ans dans la prison Cipinang de Djakarta, est, constitutionnellement, le commandant en chef des forces armées, mais ses pouvoirs exécutifs sont très limités. Le régime est semi-présidentiel : c’est le parlement, dominé, aux termes des élections législatives de 2001, par le parti Fretilin – principale formation lors de la lutte pour l’indépendance -, qui met en place un gouvernement. Concrètement, le secrétaire général du Fretilin, en l’occurrence, Mari Alkatiri, devient automatiquement Premier ministre. Il n’existe pas d’autres partis de poids.

Peu enclin, du fait de sa culture idéologique, à ouvrir le champ politique, Mari Alkatiri a placé un petit groupe de proches aux postes clefs du gouvernement. C’est ce qu’on appelle “le cercle mozambicain qui désigne ces Timorais de l’Est exilés pendant des décennies au Mozambique ou en Angola et qui sont revenus dans le sillage d’Alkatiri après le vote pour l’indépendance en 1999. Rogerio Lobato, un individu trouble qui a passé du temps au Cambodge avec les leaders Khmers rouges, puis a été emprisonné en Angola pour trafic de diamants, a reçu le portefeuille de l’Intérieur ; Roque Rodriguès, celui de la Défense ; Madelena Boavida, celui des Finances ; Anna Pessoa, l’Administration interne, et Gregoria de Souza est secrétaire d’Etat du Conseil des ministres. Tous sont de culture marxiste-léniniste et c’est à leur initiative que le nouveau pays a été baptisé la République démocratique de Timor Leste. Les relations sont excellentes avec les partis communistes cubains et chinois, dont des délégations sont invitées d’honneur aux congrès du Fretilin.

Un premier faux pas de ce gouvernement de fidèles a été de s’en prendre à l’Eglise catholique. En faisant voter, sans dialogue, une loi de sécularisation de l’enseignement, Mari Alkatiri a forcé l’Eglise à sortir de la retraite politique qu’elle s’était imposée depuis 1999 (1). Dans ce pays très majoritairement catholique, prêtres et religieuses sont sortis dans les rues, défilant avec des milliers de Timorais catholiques, portant des pancartes comme “Voter pour Alkatiri c’est sacrifier le Christ une seconde fois”. Ce faisant, le gouvernement s’est coupé de la plus importante institution de la société civile timoraise, la seule que les Indonésiens avaient laissé vivre et qui avait constitué un refuge matériel et spirituel pour la population pendant les vingt-quatre ans de l’occupation.

Mais l’Eglise est aussi la seule institution capable de jouer un rôle de médiateur en cas de crise. Lors de la cérémonie d’investiture des nouveaux ministres de la Défense et de l’Intérieur le 3 juin, le président Xanana Gusmao a insisté, dans un bref discours improvisé, sur le rôle que l’Eglise doit jouer dans les “pourparlers” qui doivent avoir lieu entre les différents acteurs pour résoudre la crise. Quelques jours après, le nouveau ministre de la défense José-Ramos Horta est revenu à plusieurs reprises sur ce thème. “Il faut écouter la voix des différentes couches sociales, notamment de l’Eglise. Nous avons eu des relations très tendues avec l’Eglise pendant un an. Nous acceptons notre échec nous a-t-il indiqué. Le Premier ministre Mari Alkatiri nous a confirmé que l’évêque de Dili, Mgr Alberto Ricardo da Silva, serait l’un des participants aux pourparlers.

Selon plusieurs analystes à Dili, le fait que Mari Alkatiri soit de confession musulmane n’est pas, en soi, un facteur pertinent pour expliquer les mauvaises relations avec l’Eglise ou même avec la population catholique. Dans le pays, les relations entre les catholiques et la petite communauté musulmane sont en général harmonieuses. “En fait, beaucoup de musulmans du Timor-Oriental ont soutenu l’Eglise catholique contre Alkatiri. L’impopularité d’Alkatiri n’a rien à voir avec sa confession musulmane estime un observateur occidental sur place. Hasundungan Sirait, un Indonésien qui travaille avec la fondation des droits de l’homme Yayasan Hak à Dili, tempère ces propos rassurants, considérant qu’on commence à voir émerger, au Timor-Oriental, des tensions religieuses comme il en existe aux Moluques et à Célèbes, car “certains utilisent la question religieuse pour attaquer Alkatiri”.

Formée par des instructeurs australiens et portugais, la nouvelle armée timoraise, nommée F-FDTL, est commandée par les anciens dirigeants du Falintil, la guérilla indépendantiste, tous nés dans la partie est du pays, mais elle incorpore aussi de nombreux jeunes officiers, qui ont été scolarisés pendant l’occupation indonésienne et qui ne parlent pas portugais. Une bonne partie de ces “jeunes turcs” sont originaires de l’ouest du pays, la partie proche de la frontière avec le Timor occidental indonésien. La crise actuelle, très complexe tant les factions et les sous-factions sont nombreuses, est essentiellement provoquée par la volonté de ces jeunes officiers ambitieux de ne pas être bloqués dans leur carrière par les “vieux commandants”. Plusieurs dizaines d’entre eux, entraînant un groupe de près de 600 soldats, ont fait scission et se sont réfugiés dans les plantations de café d’Ermera, au sud de Dili. La police, très politisée et totalement sous le contrôle du Fretilin, a semblé appuyer ces soldats rebelles, provoquant de sérieux affrontements entre militaires et policiers qui ont fait des dizaines de victimes. De l’avis général, la dimension ethnique du conflit, qui a opposé à Dili le clan lorosae, des natifs de l’est, au clan loromonu, des habitants originaires de l’ouest, est artificielle : elle a émergé d’une confrontation entre deux générations d’officiers militaires. Mais, attiser les querelles tribales est potentiellement dangereux. Des rancours futures peuvent prendre racine sur un conflit créé de toutes pièces. Et sur les murs de certaines maisons de Dili, des habitants ont marqué à la peinture leur appartenance ethnique “loromonu” en espérant échapper aux incendies et aux pillages, comme c’est le cas dans les régions d’Indonésie en proie aux conflits intercommunautaires.

L’arrivée des troupes australiennes a mis fin au chaos, arrêtant peut-être dans le même temps une tentative par le ministre de l’Intérieur Rogerio Lobato d’instaurer un régime beaucoup plus autocratique. Ce ministre a été forcé de démissionner le 1er juin. Il est maintenant accusé d’avoir mis en place des “escadrons de la mort” à la solde de Mari Alkatiri pour éliminer ses ennemis politiques à l’approche des élections de l’an prochain. Ce qui est en cause est donc le profil que l’armée timoraise va adopter, dans ces premières années de la jeune nation. La génération portugaise – les chefs de guérilla comme le général Taur Matan Ruak et le colonel Anan Timur Léré – tendent vers le modèle d’une armée professionnelle, non engagée en politique, chargée de la protection du gouvernement civil et de la défense de la souveraineté. Les jeunes officiers, influencés par la doctrine indonésienne de la “double fonction” (2), comme les chefs de la faction rebelle Alfredo Reinado et Salsinha promeuvent une implication active des militaires en politique. Mais la crise actuelle a redéfini les positionnements de chacun et l’armée régulière semble désormais plus proche du gouvernement Fretilin que du président Xanana Gusmao.

L’extrême pauvreté de ce pays, où le revenu moyen est de moins d’un euro par jour et où le chômage en zone urbaine est de 75 %, ne pouvait qu’envenimer une situation tournant au chaos. Des gangs de jeunes désoeuvrés, habillés de loques et armés de lance-pierre et de chassepots, souvent adeptes d’arts martiaux, ont saisi l’occasion pour piller les maisons abandonnées et faire des coups de mains contre tous ceux perçus comme étant des ennemis. “La situation économique fait que les jeunes sont plus facilement susceptibles d’être utilisés explique le P. Rolando Fernandez, un prêtre du collège Dom Bosco de Dili. Les Nations Unies, qui vont reprendre, sous une forme ou sous une autre, une présence d’au moins deux ans au Timor-Oriental – et vont notamment superviser les élections législatives de l’an prochain -, joueront un rôle crucial pour déterminer l’orientation d’un pays qu’elles ont probablement quitté trop précipitamment. La priorité est claire : rebâtir l’armée et la police sur des bases plus saines, sans lesquelles le pays n’est guère viable, et redéfinir l’équilibre des pouvoirs entre le président et le gouvernement.

(1)Voir EDA 411, 418

(2)Formulée à la fin des années 1950 par le général indonésien Nasution, cette doctrine stipule que l’armée a, parallèlement, à sa mission de défense du territoire, un rôle politique et social à l’intérieur du pays.