Eglises d'Asie

EN QUETE D’INSPIRATION, LA JEUNESSE CHINOISE SE TOURNE VERS SEOUL

Publié le 18/03/2010




A Pékin, dans ‘Korea City’, au dernier étage du centre commercial Xidan, dans un dédale de petites boutiques, se vendent des vêtements de style hip-hop, des films, des cosmétiques et d’autres produits de style coréen.

Pour les jeunes consommateurs chinois, cela ne semble pas poser de problème que certains des produits vendus, comme les casquettes new-yorkaises Yankees ou les figurines japonaises AstroBoy, n’aient rien à voir avec la Corée du Sud, ou que la plupart de ces produits, proviennent, en fait, d’usines chinoises. “Nous savons que les produits de ‘Korea City’ sont fabriqués en Chine, précise Wang Ying, 28 ans, qui travaille pour une entreprise américaine. Mais, pour beaucoup de jeunes, la Corée est chic et à la mode, alors ils copient le style coréen.”

Depuis cinq ans, des vêtements à la coupe de cheveux, de la musique aux séries télévisées, la Corée du Sud fixe les goûts de beaucoup de Chinois et d’autres Asiatiques. Dans cette “vague coréenne de culture pop tels que les Chinois la définissent, une série TV à propos d’un cuisinier au service d’un roi, “Le bijou dans le Palais recueille une audience record en Asie, et Rain, un chanteur de Séoul de 23 ans, a rassemblé plus de 40 000 fans lors d’un concert dans un stade de Pékin, en octobre dernier.

La “soft power” de la Corée du Sud s’étend en outre aux domaines matériels et spirituels. Les téléphones portables et les télévisions sont les symboles d’une société de consommation à laquelle aspirent nombre de Chinois. Le christianisme, dans sa branche évangélique et l’arrivée de missionnaires coréens à travers le continent chinois, attire à lui des Chinois, malgré les efforts de Pékin qui visent à freiner l’expansion de la religion. Selon des experts, la Corée du Sud sert de filtre aux valeurs occidentales, les rendant ainsi plus agréables aux yeux des Chinois et des autres Asiatiques.

La Corée, qui a été influencée par d’autres cultures, notamment la Chine, mais également le Japon et les Etats-Unis, se situe, aujourd’hui, à un tournant dans son nouveau rôle d’exportateur.

Cette transformation a débuté avec sa démocratisation à la fin des années 1980, qui a eu pour conséquences de déclencher des changements nationaux radicaux. Alors que la démocratie et l’économie s’affirmaient, son influence dans le reste de l’Asie, faible il y a encore dix ans, a pris de l’ampleur, et ses exportations culturelles ont suscité des réactions, voire des plaintes en Chine et au Vietnam pour invasion culturelle.

Historiquement, le christianisme a peu percé en Asie, sauf en Corée du Sud, où près de 30 % de la population est chrétienne (1). La Corée du Sud est ainsi devenue le deuxième pays au monde, après les Etats-Unis, à envoyer le plus grand nombre de missionnaires à l’étranger.

Aujourd’hui, en Chine, les missionnaires coréens amènent un christianisme au visage asiatique. Les séries télévisées et les films coréens traitant de la vie des Séoulites, bien qu’ils ne soient pas ouvertement politiques, véhiculent des images d’une vie moderne centrée sur le bonheur individuel et une société de consommation perfectionnée, tout en représentant les valeurs ancestrales confucéennes à travers les relations familiales des personnages. Ils offrent ainsi aux Chinois, un rappel de ce qu’ils ont perdu avec la Révolution culturelle d’une part, et un exemple de pays asiatique qui s’est modernisé, tout en conservant ses traditions d’autre part.

“Trois garçons et trois filles” et “Trois amis” sont les adaptations sud-coréennes des séries télévisées américaines “Friends”. Comme pour “Sex and the City son jumeau coréen “Le Bon Parti” – qui relate la vie de trois femmes célibataires actives de 30 ans cherchant l’amour à Séoul – a eu un tel succès en Chine, que les épisodes ont été téléchargés illégalement et vendus sur des DVD piratés.

“Nous percevons un style de vie moderne à travers ces séries, commente Qu Yuan, 23 ans et étudiante à l’université de Tsinghua, à Pékin. Les séries américaines montrent également le même style de vie. Nous savons que la Corée du Sud et les Etats-Unis ont le même système politique et économique. Mais c’est plus facile d’accepter un style de vie provenant des Coréens car ils sont culturellement plus proches de nous. Nous pensons que nous pourrons vivre comme eux dans quelques années.”

“Ils semblent avoir le même style de vie, ajoute-t-il. Ils ont des amis et vont dans les bars. Ils possèdent de bons téléphones portables, de bonnes voitures et mènent une vie agréable.”

Pour sa camarade de classe, Huo Kan, âgée de 23 ans, “les séries américaines sont trop modernes. Une série comme “Sex and the City” est trop différente de nous.” “Ils sont post-modernes précise Qu Yuan.

“Nous aimons la culture américaine, mais nous ne pouvons l’accepter directement, ajoute Jin Yaxi, 25 ans, étudiante de l’université de Pékin, qui a étudié le coréen et le japonais. Il n’y a pas d’obstacle à accepter la culture sud-coréenne, contrairement à la culture japonaise. Du fait de l’histoire entre la Chine et le Japon, si un jeune Chinois aime la culture japonaise, il mécontentera ses parents.”

Les politiques semblent également être à l’origine de cette préférence pour la version coréenne filtrée de la culture américaine hip-hop. Des messages contenant un esprit de rébellion, de liberté et d’angoisse existentielle d’adolescents, semblent être plus acceptables pour les Chinois dans leur version coréenne.

Kwon Ki Joon, 22 ans, un Coréen étudiant à l’université de Pékin, qui a passé son baccalauréat en Chine, rapporte que ses amis chinois sont fans de groupes de musique hip-hop coréens, comme H.O.Tet son tube “We are the Future dont la traduction de certains passages donnent ce genre de messages : “Nous sommes encore dans l’obscurité des adultes / pas encore libres / traverser la journée avec toute sorte d’oppositions est fatigant.” Pour Kwon Ki Joon, il n’existe pas de mystère au succès du groupe : “Ils abordent des thèmes tels que la rébellion, la volonté de vivre dans un monde plus ouvert. Le hip-hop coréen est en train d’essayer de s’adapter au hip-hop américain.”

Comme beaucoup de Coréens, Oh Dong Suk, 40 ans, investisseur dans les jeux vidéo sur Internet, pense que la culture pop de la Corée du Sud est le fruit de la démocratisation du pays. “Si vous regardez les films coréens des années 1970 ou 1980, vous sentez que nous vivions dans une société contrôlée précise-t-il.

Hwang In Choul, 35 ans, missionnaire coréen en Chine, voit également un lien entre la démocratisation de la Corée du Sud et son influence en Chine. Après la levée des restrictions de voyager à l’étranger à la fin des années 1980, le mouvement missionnaire coréen est passé des quelques centaines de missionnaires à 14 000 aujourd’hui.

Hwang In Choul qui, depuis l’an 2000, a formé cinquante pasteurs chinois à l’évangélisation, fait partie des 1 500 missionnaires coréens qui évangélisent la Chine, la plupart du temps en secret. “Avec un régime militaire, il était tout simplement impossible de sortir de Corée du Sud, et même nos activités à l’intérieur du pays étaient surveillées, commente-t-il. Nous avions les capacités d’être missionnaires à l’étranger, mais nous étions bloqués. Nous étions passionnés, mais nous ne pouvions exprimer notre passion.”

Jusqu’à ce que la Chine et la Corée du Sud, ennemis durant la guerre de Corée, normalisent leurs relations en 1992, la Corée du Nord avait une présence plus forte ici, avec son ambassade, ses magasins et restaurants. Jusque là, la Corée du Sud restait inconnue pour la plupart des Chinois, ou souffrait d’une mauvaise image.

“Si un poste de télévision japonais ne fonctionne plus, les Chinois diront qu’il y a un problème électrique, précise Ohn Dae Sung, gérant d’un restaurant coréen, Suboksung, installé ici depuis 1993. Si c’est un poste de télévision coréen qui ne fonctionne plus, ils diront que c’est un défaut du poste.”

La vague coréenne a pris peu à peu de l’ampleur à travers différentes lignes de développement, notamment les Jeux olympiques de Séoul en 1988. Le premier président civil a été élu en 1992, mettant fin à près de trente-deux ans de régime militaire et introduisant le pays dans une vague de changements mouvementés.

La nouvelle Corée du Sud, sûre d’elle-même, a poursuivi une politique étrangère de plus en plus indépendante, souvent jusqu’au mécontentement de Washington, en se rapprochant de la Chine et de la Corée du Nord. Les changements sociaux qui ont pris plusieurs décennies dans d’autres pays, se sont produits en peu de temps en Corée, alors que de nouvelles libertés amenaient l’émergence d’une riche société civile, mais créaient également des tensions entre les générations et les sexes, faisant de la Corée du Sud un des pays au monde ayant le plus haut taux de divorce et le plus faible taux de fécondité.

Alors qu’elle devenait la nation la plus connectée à Internet, de nouveaux sites sont venus concurrencer le monopole médiatique conservateur : des clubs de presse et un héritage colonial japonais qui contrôlaient le flux d’informations se sont retrouvés affaiblis ou ont disparu. Contrairement à d’autres pays asiatiques, la Corée du Sud a attaqué de front des sujets de société jugés tabous, comme l’héritage d’un régime militaire et la collaboration avec le régime colonial japonais.

Ici, dans un centre Internet, on peut voir, en soirée, de jeunes Chinois jouer à des jeux vidéo coréens. Cyworld, premier fournisseur coréen d’accès à Internet, a annoncé son arrivée sur le marché chinois, par des publicités placardées sur les bus de Pékin. Grâce à la vague coréenne et à la nouvelle image de la Corée du Sud, être Coréen aide en affaires.

“Je suis persuadé qu’il existe un lien, même si je ne dispose pas de chiffres a commenté Jim Sohn, président de LG Electronics China, dans une interview donnée au nouveau siège chinois de la société coréenne, bâti pour la bagatelle de 400 millions de dollars américains.

Une autre société qui a bénéficié “des effets positifs” de la vague coréenne est Hyundai, d’après Um Kwang Heum, président du constructeur automobile coréen en Chine. Arrivé plus tard sur le marché chinois, Hyundai a signé un accord de partenariat avec Beijing Automotive Industry Holdings en 2002, et est déjà devenu numéro deux des ventes automobiles.

Grâce à ces partenaires locaux, les automobiles Hyundai ont été choisies par le gouvernement de Pékin pour remplacer les vieux taxis de la ville, avant les Jeux olympiques de 2008. Hyundai Elantras construira donc la plupart de ces taxis en vue des Jeux olympiques qui sont attendus comme la manifestation d’un tournant pour la Chine, au même titre que la Corée marqua ainsi son entrée sur la scène internationale en 1988, ou le Japon d’après-guerre en 1964.

Toutefois, aussi importante que soit la vague coréenne en Chine, peu de Chinois espèrent une harmonisation de la démocratisation avec les Jeux olympiques, comme ce fut le cas à Séoul.

Une chaîne de télévision locale, Beijing Modern English Film and TV Culture, a proposé un programme pour adultes en langue coréenne en 2004, mais ce projet a été rejeté une dizaine de fois sans raison par les autorités chinoises. Fina-lement, ils ont réussi à lancer un dessin animé, “Heureuse Imitation de Phrases Coréennes”. “Tant que c’est un programme pour les enfants, cela passe précise Sun Hogan, un producteur de la chaîne de télévision locale, tout en ajoutant que “le gouvernement chinois est un peu craintif vis-à-vis de la popularité de la vague coréenne”.

Note

D’après le recensement de 2005, les catholiques représentaient 10,9 % de la population (NDLR).