Eglises d'Asie

UN NOUVEAU-NE POUR UNE NATION VIEILLISSANTE

Publié le 18/03/2010




A la date du 6 septembre, le Japon a vu la naissance d’un prince impérial, qui, dès l’instant où il a vu le jour, a déjà accompli le tour de force d’éloigner le spectre d’une crise constitutionnelle. Selon le droit japonais, en effet, le trône impérial ne peut être transmis qu’à un héritier mâle. Or, aucun garçon n’était né au sein de la famille impériale depuis novembre 1965. Le prince héritier et son épouse sont les parents d’une petite fille, tandis que le jeune frère du prince et son épouse étaient parents, jusqu’au 6 septembre, de deux filles. Le garçon de la princesse Kiko est donc désormais le troisième de la lignée dans l’accession au trône, après son oncle, le prince héritier Naruhito, 46 ans, et son père, le prince Akishino, 40 ans. Ainsi, en présumant que le nouveau-né grandira en âge et en sagesse, le Japon repousse pour au moins une génération une éventuelle crise de succession sur le trône impérial et fait l’économie d’une réforme autorisant l’accession des femmes au trône du Chrysanthème.

Jusqu’à l’annonce de la grossesse de Kiko, en février dernier, le gouvernement avait laissé entendre qu’il préparait une réforme autorisant non seulement l’accession des femmes au trône, mais leur permettant aussi de transmettre le trône à leur éventuelle descendance. Au sein du camp conservateur, les partisans de la filiation patrilinéaire étaient indignés. Ce sont ces mêmes conservateurs qui se réjouissent aujourd’hui de la naissance d’un héritier mâle et les médias sont à l’unisson.

La mobilisation des médias sur le sujet est, bien entendu, en grande partie due au fait que ce genre de nouvelles est de celle qui fait vendre du papier et qui attire le téléspectateur. Mais il faut cependant s’interroger sur l’intérêt réel qui est celui des Japonais pour cet événement. Il est parfois révélateur de remarquer ce que les gens omettent de dire. Et c’est particulièrement le cas lorsque l’observateur lit ou regarde ce qui est diffusé par les organes d’information. Il est bon de garder ces questions à l’esprit dans le cas présent. Pour ce qui concerne la naissance du prince, la question est : “Qui s’en soucie ?”

Les médias ont fait état des personnes qui attendaient devant l’hôpital où la princesse a accouché ou bien encore de celles qui se sont réjouies à l’annonce de la naissance. On cherche cependant en vain dans ces articles et ces reportages une trace indiquant combien le nombre de ces personnes ou ce qu’elles ont fait pour manifester leur joie, puisqu’aucune foule n’est visible sur aucune photo et qu’il n’y a pas eu de manifestations publiques ou de défilés pour exprimer cette joie.

La vérité est que la plupart des Japonais se soucient peu de cette nouvelle. La famille impériale et le palais sont si éloignés de la vie des gens que la naissance d’un jeune prince ne suscite pas l’enthousiasme de la grande masse. La naissance d’un panda dans un zoo du pays mobiliserait à n’en pas douter une attention et des foules plus importantes.

Plus important est de savoir quel genre de pays sera le Japon lorsque le prince nouveau-né sera en âge d’accéder au trône. Le jour même de la naissance du prince, un rapport publié par le Fonds des Nations Unies pour la population indiquait qu’en 2050, la population du Japon serait inférieure de 16 millions d’âmes de la population actuelle, soit une diminution de 13 %. 2050 correspond à la période à laquelle le jeune prince accédera sans doute au trône. Et, pour être plus précis, l’Institut national de la recherche sur la population et la sécurité sociale, un organisme officiel du gouvernement japonais, prévoit une chute encore plus importante.

Mais la population japonaise ne sera pas seulement moins nombreuse, elle sera aussi plus âgée, précise cet institut, qui prévoit qu’en 2050, “une personne sur 2,8 aura dépassé 65 ans”.

Quel genre de défi une telle situation pose-t-elle à l’Eglise ? La réponse qui vient immédiatement à l’esprit est que cela entraînera un besoin accru pour les activités tournées au service des personnes âgées : maisons de retraite, soins médicaux, activités adaptées aux personnes âgées, services hôteliers, tels les repas à domicile, etc. Mais cette réponse néglige le fait qu’il est probable que les personnes, catholiques ou non, disponibles pour animer ces services seront,-elles aussi, moins nombreuses. Après tout, les catholiques ne se situent pas en-dehors de cette tendance au vieillissement qui remodèle actuellement le Japon.

Pour l’Eglise du Japon, le temps est déjà venu de servir les personnes âgées de 2050. Peut-on contribuer à aider les générations d’âges intermédiaires actuelles à développer des attitudes et une spiritualité qui leur permettra de vivre à un âge avancé en conservant une dignité paisible, à une époque où les gens qui seront disponibles pour s’occuper d’eux seront moins nombreux, et à une époque où les jeunes générations n’accepteront peut-être pas sans difficulté qu’une proportion grandissante des ressources disponibles soit allouée au bénéfice des classes âgées ?

Sans évoquer ici les effets économiques ou en termes de politique extérieure du vieillissement de la population japonaise, ce phénomène présente dans toute l’Asie un défi à l’Eglise. Traditionnellement, l’Eglise a utilisé ses ressources pour servir les pauvres. Peut-on imaginer que, dans un avenir pas si éloigné, que l’Eglise réponde aux besoins d’une nation dont la pauvreté soit exprimée non en termes d’argent mais de jeunesse ?

Déjà, l’économie japonaise fait appel à l’immigration, de manière à combler les manques consécutifs de main-d’ouvre. L’Eglise, pour sa part, a toujours recouru à l’importation de forces vives, en les personnes de missionnaires, prêtres, religieuses, personnels ordonnés ou laïcs. Le temps vient où l’Eglise aura ici à importer une nouveau type de missionnaires, des spécialistes pour être une présence évangélisatrice parmi et avec les personnes âgées.

Les Eglises plus jeunes d’Asie sont-elles préparées à envoyer certains de leurs membres en mission au Japon pour être au service des personnes âgées ? Et, si elles en ont la volonté, de quel genre de préparation ces personnes envoyées auront-elles besoin ? Quel type de préparation faut-il mettre en place dès aujourd’hui ?

Notre jeune prince règnera peut-être un jour sur un pays qui ressemblera sans doute à une gigantesque maison de retraite. Comment l’Eglise se mettra-t-elle au service d’un tel pays ?