EDA 449
Octobre 2006
Dossier
Document N° 8/2006
DE DIVERS HORIZONS
L’EGLISE EN ASIE
VINGT ANS ET QUARANTE ANS APRES VATICAN II
Réflexions personnelles : 1985 – 2005
par Mgr Francisco F. Claver, S.J.
Introduction
Vingt ans dans la vie d’une institution (1), cela ne représente qu’une goutte d’eau dans un seau, surtout si le seau participe d’une certaine façon à l’éternité. Pour cette raison, essayer de savoir ce qu’est devenue l’Eglise catholique après la clôture de Vatican II revient à essayer de déterminer l’effet de cette goutte d’eau sur les millions d’autres gouttes dans le seau. C’est impossible. Mais probablement il faudrait changer quelque peu la comparaison, celle d’une réaction chimique, peut-être, le levain dans la pâte, une charge électrique dans une batterie vide – quelque chose de dynamique, quelque chose qui provoque la vie. Sous cet angle, l’image de la petite goutte peut ne pas être trop mal choisie, même sous le “regard de l’éternité Le fait incontestable est que le Concile a apporté du changement, le changement, le grand changement, dans l’Eglise éternelle du Christ, même si le temps qui s’est écoulé depuis sa clôture est décidément bien court.
Evaluer le changement
Ce document ne prétend en aucune façon donner une analyse scientifique. Il est écrit comme le travail d’un pasteur – au moins, comme celui de quelqu’un qui a été pasteur – et dont l’activité pastorale a coïncidé avec les années post-conciliaires. Dans ses tenants et aboutissants, cette vie de prêtre n’a jamais, depuis le début, cessé de se débattre avec les idées du Concile.
“Se débattre avec les idées C’est probablement une bonne façon de résumer ce qui s’est passé ces dernières vingt années pour beaucoup d’entre nous. Parce que Vatican II était essentiellement une idée – ou des idées. Un aggiornamento, une ouverture au monde moderne, une réforme, etc., de quelque façon qu’on souhaite appeler ce que le pape Jean XXIII s’était fixé comme tâche – l’idée de départ a généré au cours du Concile et dans ses conséquences des idées les unes après les autres, pas toujours de façon ordonnée, ni dans une suite logique, mais toujours liées les unes aux autres. C’est de ce fait qu’est née la grande clarté, mais aussi, paradoxalement, la non moins grande confusion qui a marqué l’Eglise post-conciliaire. Ce phénomène de clarté/confusion peut, bien sûr, être expliqué d’autres façons, et la méfiance avec laquelle on acceptait ou on rejetait le Concile, avant même de s’être sérieusement préoccupé de ses idées, a été pour beaucoup la seule explication.
Ce débat avec les idées, au moins pour ceux qui dans leur tâche pastorale les ont prises au sérieux, n’a pas consisté à spéculer sur la signification ou les implications des idées du Concile, mais bien plutôt à les travailler pour les mettre en ouvre, dans une pratique pastorale. Les spéculations les plus stériles peuvent se révéler les plus prolifiques et les plus utiles quand la logique des idées est mise à l’épreuve de la pratique. Il n’a pas non plus fallu le faire dans son coin, mais avec les autres, avec la communauté apostolique entière, depuis les communautés jusqu’aux diocèses, voire les régions. Il est tout à fait étonnant de voir comme la réflexion et l’action en commun sont différentes en quantité et en qualité de la réflexion et de l’action individuelles. Ce débat, conduit en communauté et sous l’angle de la pratique, est étrangement, non une simple réflexion sur ce qu’est Vatican II, mais bien sûr l’apport de Vatican II à l’Eglise.
C’est la raison pour laquelle nous allons évaluer l’impact de Vatican II sur l’Eglise d’Asie de cette façon. Nous n’allons pas nous demander ce qu’est objectivement l’idée principale, ou ce que sont les idées principales de Vatican II, non plus que ce qu’ont fait les théologiens asiatiques de ces idées, de leur développement, de leur enrichissement. Nous négligerons les annonces ou les conférences des évêques, l’ensemble de la FABC (Fédération des Conférences épiscopales d’Asie), sur les initiatives du Concile. Je ne doute pas que l’évaluation que nous recherchons ne puisse être faite par ces moyens ou d’autres, que je n’ai pas cités, mais je propose une approche plus simple, centrée sur deux questions : 1.) Quelle seule et unique idée de Vatican II a amené le changement le plus radical dans le travail pastoral de l’Eglise ? Et 2.) Comment se situe l’Eglise d’Asie par rapport à cette seule idée ?
Sans doute, peut-on avancer beaucoup d’arguments – et de bons arguments – quant au choix de ces deux questions et à ce qu’elles impliquent comme mode de travail. Mais je les propose ici, au moins pour commencer, comme de simples questions heuristiques, un tremplin qui, je l’espère, lancera de nouvelles questions et amènera de nouvelles réponses.
L’idée pastorale clé
Si je devais choisir parmi toutes les riches idées de Vatican II, comme je viens de le dire et sur le plan de la pratique pastorale, je n’hésiterai pas à avancer l’idée de “participation A partir de cette idée, je définirai une des initiatives les plus créatives et effectives sortant de Vatican II, en termes de construction d’une Eglise plus participante. Une idée majeure parmi de nombreuses idées ? Ou bien l’idée clé dont dépendent toutes les autres ? La réponse à ces questions n’importe pas vraiment dès lors que ces idées n’en restent pas au plan conceptuel, mais sont mises en pratique dans la vie de l’Eglise. Car, c’est seulement dans cette dernière acception que leur interconnexion apparaîtra à l’évidence et de façon vivante et alors il importera peu de savoir par quelle idée on a commencé et si c’était l’idée clé. L’inculturation, la collégialité, la co-responsabilité, le renouveau liturgique, la mise à niveau théologique, le dialogue, etc., ces idées et beaucoup d’autres issues du Concile conduiront, par leur logique propre, de l’une à l’autre.
Si l’idée de participation est prise comme une somme de l’enseignement de Vatican II, c’est du fait d’un parti pris pastoral qui ne voit ce qui arrive que par les idées ou les événements ou l’action d’autrui. D’où la question : Qu’arrive-t-il quand l’Eglise institutionnelle commence à participer plus activement à la vie des fidèles et – c’est l’envers de la médaille – quand les fidèles de la même façon participent aussi pleinement à la vie de l’Eglise ? Beaucoup de choses arrivent – et de façon tout à fait inévitable. Cinq conséquences évidentes sont relevées ci après.
1.) Un changement d’optique
Quand l’éthique de la participation s’empare d’une communauté d’Eglise, il se produit un changement d’optique qui passe de la direction hiérarchique à l’attention aux fidèles, de l’institution aux membres qui la composent, des préoccupations canoniques aux problèmes de la vie des fidèles. Cela ne signifie pas que la hiérarchie, ni les institutions, ni la loi ecclésiale aient perdu de leur importance. Elles sont toujours là. Mais comme le sabbat, elles sont mises en perspective pour ce à quoi elles sont destinées : le service des fidèles. Il n’y a pas de moyen de sortir de là. C’est ce “glissement du paradigme qui plus que tout autre chose a apporté le plus grand changement dans l’Eglise au cours de ces vingt dernières années. C’est aussi le changement le plus difficile à réaliser car il s’attaque à l’ordre ancien des choses là où il est le plus enraciné et où il se mesure en termes de pouvoir plus qu’en termes de service. La logique du changement résultant de ce glissement est simple. Elle fait que le peuple – les laïcs, dont le rôle dans la société ecclésiale, par rapport à la hiérarchie et à la direction religieuse, a été pendant longtemps défini en terme de relations maître/élève, sont appelés à participer pleinement à la vie de l’Eglise et, prenant leur place légitime dans cette Eglise, ils élargissent leurs vues et le cercle de leurs activités dans la mission d’évangélisation de l’Eglise.
2.) Transformation sociale
Ce glissement qui vient d’être décrit conduit à un autre : l’acceptation du pouvoir de transformation de l’Evangile, non plus seulement pour les individus, mais pour la communauté, la société tout entière. En d’autres termes, la conversion acquiert une dimension à la fois personnelle et sociale. De nouveau, cette logique découle de l’archétype de l’idée de participation. Quand l’ensemble des fidèles de l’Eglise est amené à prendre part activement à la tâche d’évangélisation de l’Eglise, il réalise d’un coup que l’Evangile n’est pas seulement destiné à la sphère de la vie spirituelle, mais bien à la totalité de la vie, la vie politique, économique, culturelle et sociale, etc. Et l’Evangile doit être annoncé à ces autres sphères, pour les transformer, les changer, les sublimer de telle façon qu’en vérité la vie tout entière devienne vraiment chrétienne. Cette tâche est à voir comme une mission personnelle mais aussi comme une mission communautaire. Non seulement le chrétien, mais la communauté entière des croyants, doit s’attacher à se transformer et à transformer le monde qui l’entoure pour qu’il devienne le Royaume du Christ.
3.) Discernement
La tâche de l’Eglise ainsi comprise ne va pas se faire sans réflexion ni consultation à toutes les étapes. Chacun dans la communauté a quelque chose à apporter à cette tâche. Mais la nature de cette contribution, la façon dont elle doit être faite, tout cela doit être recherché dans un processus continu d’analyse et de réflexion qui implique chacun et la communauté tout entière et, au-delà de l’analyse et de la réflexion, doit se développer le discernement de la foi qui vient de la prière. On ne mettra jamais assez l’accent sur le discernement que donne la foi d’une Eglise qui partage ses tâches, ni sur le caractère primordial des valeurs de la foi comme critère ultime de discernement. Si cela venait à manquer, comme les expériences sur le terrain le montrent sans cesse, la communauté de foi deviendrait une simple entité sociologique et son discernement, une simple “analyse de la situation” et ses critères de jugement seraient dictés par des considérations idéologiques ou politiques. Ceux qui participent au processus de discernement sont d’abord et avant tout des hommes et des femmes de foi, dont le discernement est un effort en conscience pour lire les signes du temps avec et dans l’Esprit du Christ. Une Eglise emplie de l’Esprit – une Eglise profondément engagée – sera le résultat d’un tel discernement.
4.) Inculturation
Un développement très significatif dans la plupart des Eglises du Tiers Monde, né des idées du Concile relatives à la réforme et au renouveau, a été une préoccupation forte des problèmes de l’inculturation – c’est-à-dire les efforts déployés pour exprimer et vivre la foi dans des termes et avec des moyens les mieux adaptés aux symboles et aux traditions d’un peuple. Là où se développent des mouvements puissants pour arriver à une Eglise participante, le processus d’inculturation est très avancé. La forte corrélation entre les deux phénomènes est aisée à découvrir. Quand les fidèles peuvent participer pleinement à la vie de l’Eglise en tant que membres actifs, ils le font, comme ils sont, c’est-à-dire comme représentants d’une culture particulière. Cela signifie qu’ils apportent avec leur participation les façons de penser et d’agir qui leur viennent de leur héritage culturel, ils expriment leur foi en restant cohérents avec leur tradition culturelle. Cela n’a pas toujours été le cas dans le passé, quand la pensée et les agissements dans l’Eglise restaient le monopole des dirigeants ecclésiastiques élevés dans la tradition culturelle occidentale. Dans le processus d’inculturation, la base la plus solide vient de l’existence d’Eglises locales véritables.
5.) Une nouvelle façon d’être l’Eglise
L’idée d’une Eglise locale – l’Eglise non dans, mais d’un pays et d’un peuple – est une idée nouvelle, au moins pour notre génération. L’Eglise devient locale, pratiquement inévitablement, toujours pour la seule raison de la participation des fidèles à sa vie. Ils ajoutent à ses préoccupations celles de leur vie de tous les jours. L’effet produit est l’élargissement et le rétrécissement de la vision pastorale de l’Eglise, l’élargissement au-delà de ses problèmes spirituels explicites et le rétrécissement aux spécificités de la vie des fidèles, comme ils la voient et essayent de la vivre de façon chrétienne, en tant que peuple et non comme chrétiens en général. Ce qui arrive en fin de compte dans une Eglise qui pratique réellement la participation et le discernement est une nouvelle façon d’être Eglise, compte tenu du changement d’optique et de l’acceptation de la transformation sociale et de l’inculturation comme tâches dominantes de l’Eglise. A partir de la simple idée de participation, des questions surgissent sur la nature de l’Eglise qui ne se seraient jamais posées auparavant, sauf à des théologiens spécialisés. Et, à partir des questions sur la nature de l’Eglise, d’autres se présentent sur la spiritualité – quelles valeurs de l’Evangile mettre en avant dans la nouvelle confiance instaurée, comment les rendre compréhensibles dans leur ensemble pour donner aux chrétiens une direction dans leur travail en Eglise. Toutes ces questions sur la spiritualité et l’ecclésiologie sont ensuite renvoyées aux fidèles pour qu’ils y réfléchissent, qu’ils les développent, les discutent, les améliorent, dans un processus de discernement participatif.
En 1982, à l’Assemblée générale de la FABC, cette nouvelle façon d’être Eglise était abordée, en termes d’Eglise, comme étant la Communion. Quoi que disent les théologiens de ce modèle particulier d’Eglise, d’un point de vue pastoral et avec ses programmes pastoraux spécifiques, il se ramène à ce que l’on appelle une Eglise participante. La marque distinctive d’une telle Eglise est, comme on s’en rend compte très vite, le partage et le partage est un nom différent pour la charité, le message essentiel de l’Evangile du Christ et le lien effectif de l’unité dans la communion de l’Eglise. Une Eglise qui est pleinement participante est ainsi le sacrement le plus puissant et le plus vivant de la charité chrétienne agissante.
Stratégie du changement
Le choix du partage comme idée maîtresse de Vatican II est dicté non pas seulement par une bonne pratique pastorale, mais également par une bonne science sociale – au moins la branche de cette science qui traite du changement de la société. Le changement social est un phénomène complexe, mais, pour le simplifier un peu, on peut dire qu’il y a deux aspects de la société, auxquels les agents de changement apportent une attention particulière, dans leur effort pour provoquer un changement holistique : les valeurs culturelles et les structures sociales. Elles se soutiennent l’une l’autre et, théoriquement, tout changement dans les unes apportera un changement dans les autres, et dans la mesure où elles se complètent et se soutiennent mutuellement, le changement résultant ne sera pas trop perturbant pour la société – au moins par rapport à ce qui pourrait être provoqué de façon radicale par des méthodes révolutionnaires.
Si l’on considère la création d’une Eglise plus participante comme un phénomène de changement social dans l’Eglise, nous ne pouvons que souligner sa validité en tant que processus de changement. Quand la participation et les valeurs qui s’y rapportent (transformation sociale, coresponsabilité, dialogue, discernement communautaire, dignité humaine, pouvoir moral des croyants qui agissent, etc.) sont effectivement intériorisées, elles aboutissent à une restructuration du tissu social de l’Eglise. De la même façon, quand les structures de participation (communautés de base, conseils de paroisse, conciles pastoraux, synodes, etc.) deviennent opérationnelles, en tant que parties de l’Eglise institutionnelle, elles renforcent les nouvelles valeurs sous entendues dans l’expression “Eglise participante
En fin de compte, la pléthore des idées offertes par Vatican II – toutes des idées révolutionnaires et dynamiques, qu’elles soient prises séparément ou ensemble – serait grandement inefficace sans l’acceptation complète de l’idée fondamentale de participation. Cette conclusion peut sembler cavalière et partant peu valable, comme toutes les grandes généralisations. Mais elle est fondée sur le principe général – et elle est valable dans la mesure où ce principe l’est – que tout changement socioculturel (changement impliquant un peuple entier) ne se produira pas sans qu’il ait été compris, décidé, mis en pratique, en un mot partagé, par un nombre aussi grand que possible des membres qui le vivent. C’est pour cette raison que la notion – et la pratique – d’une Eglise toujours plus participante est ressentie comme l’idée la plus révolutionnaire venant de Vatican II, et en conséquence, le point de référence utilisé pour évaluer les changements – partout – dans l’Eglise post-conciliaire. J’aimerais retenir ce point de référence dans ce petit essai pour juger de l’Eglise asiatique d’aujourd’hui.
L’Eglise d’Asie
Pour autant qu’il est possible de l’appréhender comme une entité, l’Eglise d’Asie n’est pas ce seau d’eau, que nous évoquions au début de cet article, mais bien un océan. Donc, dire quelque chose à son sujet qui ne soit pas une banale généralité ne vaudrait pas la peine, sauf à souligner que le trait dominant de cette Eglise dans toute l’Asie, avant Vatican II (comme d’ailleurs dans le monde entier) était d’être une Eglise institutionnelle. Il y a donc là un point de départ commun à partir duquel on peut porter un jugement. Si l’on prend la participation comme point de référence, il est possible de dire quelque chose au moins sur la température de ce vaste océan qu’est l’Eglise d’Asie. Trois domaines de jugement se présentent d’eux mêmes – vagues pour la plupart, réels, et pas encore entièrement dénués de sens -, à savoir : l’ampleur de l’acceptation du modèle de la participation, le rôle des laïcs dans la direction de l’Eglise et les obstacles à surmonter.
1.) L’étendue de la participation
Le meilleur critère pour juger jusqu’à quel point l’éthique de la participation a pénétré une Eglise est de voir si et comment le concept de la CEB – la Communauté ecclésiale de base – a été accepté dans la pratique pastorale. Si l’on se sert ici de ce critère de CEB, c’est parce que la participation à tous les niveaux et dans tous les domaines de la vie communautaire est l’essence même de la CEB. Elle est en contraste marqué avec la paroisse traditionnelle, qui est, par définition, hiérarchique dans sa structure et dans son fonctionnement et plutôt minimaliste quant à la participation laïque. On est donc en présence de deux sortes d’Eglise qui sont pour nous des bases de comparaison idéales.
La paroisse traditionnelle, avec tout ce qu’elle représente, est encore le modèle de l’Eglise dans toute l’Asie. Si les idées et les pratiques de Vatican II y ont été introduites, leurs effets ne semblent pas encore avoir eu un grand impact sur les vieilles habitudes et les structures existantes. Le plus souvent, par exemple, les ministres laïcs, s’ils sont acceptés, les laïcs ordonnés, les conciles pastoraux, quand ils existent, sont menés strictement comme des organes consultatifs (ce qui, il faut bien le dire, est le rôle que leur attribue le Droit canon) ; toute possibilité d’évolution vers une activité délibérative est soigneusement découragée, les associations de laïcs sont du type “organisations sous mandat ne s’intéressant la plupart du temps qu’à de petits problèmes ecclésiaux et enfin les mouvements spirituels comme le cursillo, ou les groupes du Renouveau sont orientés dans leur majorité vers la sanctification personnelle.
Néanmoins, l’Eglise de type CEB gagne du terrain. De nombreux pays du continent y voient un grand intérêt et parmi certains son développement est très avancé. Bien évidemment, la CEB peut avoir de nombreuses formes selon la nature et l’étendue de la participation qu’elle laisse aux laïcs. Dans sa forme la plus simple, elle est essentiellement une communauté liturgique dans laquelle la participation active des laïcs apparaît comme un droit fondamental et non comme une concession qui leur serait faite, même si son intérêt demeure leur conversion personnelle et leur sanctification. Dans les autres formes de CEB, l’implication sociale de l’Evangile reçoit une attention particulière, plus importante que celle donnée au développement spirituel personnel et à la sainteté. La prière de la communauté comme la vie pastorale reflètent alors plus largement cette vision de l’Eglise et de sa mission. C’est également dans ces dernières formes de CEB qu’on trouve le discernement le plus authentique, et où l’inculturation est plus que le début d’un succès.
D’un point de vue purement quantitatif, le développement de la CEB en Asie n’en n’est qu’à ses débuts, mais à voir l’intérêt bouillonnant qu’elle suscite dans pratiquement tous les pays d’Asie, tous les espoirs sont permis. Si cet intérêt croissant a un sens, c’est bien que l’idée qu’une Eglise participative est un principe largement accepté et que, partout, on recherche un moyen de la développer. Ce jugement est d’ailleurs conforté par le dernier domaine de jugement – l’intérêt pour le leadership laïc.
2.) Le leadership laïc
Le dernier outil crée par la FABC est le Bureau des laïcs. Il a été jusqu’à présent centré sur la formation et a réalisé les trois premiers instituts régionaux pour la formation du leadership laïc. Ce qui pour nous a le plus d’importance n’est pas tant les instituts eux-mêmes et leur efficacité, que la création d’un Comité qui soit centré sur la formation au leadership. Parce que, comme nous l’avons déjà noté, il soutient un mouvement qui gagne de la force et qu’il est orienté vers une plus grande place accordé aux laïcs pour participer plus activement au travail d’évangélisation de l’Eglise.
Si, à l’heure actuelle, les efforts sont concentrés sur la formation de dirigeants laïcs, c’est qu’on a bien compris – peut-être sans le dire, mais de façon certaine – qu’on ne peut pas stimuler une communauté participative sans une direction laïque. Un nouveau type de leadership dans l’Eglise, en d’autres termes, et peut-être mieux dit, une nouvelle façon d’exercer un leadership (non seulement par les laïcs, mais par toute la hiérarchie du clergé) est créé volontairement avec comme objectif d’encourager la participation de tous les chrétiens, au-delà de leur assistance passive ou de leur soutien financier aux programmes pastoraux. Ce fait est bien compris dans les diocèses et les paroisses qui ont fait de la formation des communautés de type CEB la cible de leurs priorités pastorales. Leur expérience est de plus en plus largement étudiée. Déjà, dans un certain nombre de diocèses, on ressent que la notion de leader laïc ne s’arrête pas, ou ne se réduit pas à celle d’un ministère laïc. Le domaine de ce dernier est, en effet, la liturgie – donner les sacrements, conduire les prières, annoncer la Parole de Dieu – alors que celui du dirigeant laïc va bien au-delà dans les autres domaines de la vie de la communauté chrétienne – le développement économique, la justice sociale, les problèmes de bien-être au sens large et l’intégration de la foi et de la vie. Mais, dans ce changement et ce renouveau de la vie de l’Eglise, comme dans les autres changements, des obstacles, qui ne sont pas minces, sont à surmonter.
3.) Les obstacles au changement
Je ne suis pas certain que les obstacles à la création d’une Eglise plus participative soient tellement différents en Asie – sauf peut-être quelques aspects de nature culturelle propres aux peuples asiatiques. La plus grande entrave, à laquelle il a déjà été fait allusion, est le concept profondément enraciné d’une Eglise institutionnelle (dans sa forme occidentale). C’est, pour des raisons pratiques, le seul modèle d’Eglise que nous connaissions, avec tous ses avantages, mais ce n’est pas celui qui convient à une Eglise en développement, qui souhaite encourager la participation au maximum et permettre son déploiement dans toute sa structure interne. Si, comme on l’a déjà noté, un changement d’ensemble nécessite une attention particulière aux valeurs comme aux structures d’une société pour s’assurer de leur renforcement réciproque dans le processus même de changement, ce changement intégral sera très difficile sans trop de conflit là où les valeurs et les structures de l’ordre ancien sont fermement ancrés et la où la résistance à toute menace et à tout danger d’interrompre la continuité est importante.
La difficulté est accrue quand, comme en Asie, le respect traditionnel des anciens est transféré sur les chefs ecclésiastiques et quand l’éthique de la participation est interprétée comme une érosion de leur autorité et de leur pouvoir. Ces difficultés sont réelles et il serait irréaliste de croire qu’elles peuvent être surmontées du jour au lendemain. Mais l’espoir demeure que partout en Asie aujourd’hui on rencontre les premiers signes – une sorte de frémissement – d’idées ou de préoccupations qui n’étaient pas là avant Vatican II et qui sont centrées précisément sur le concept d’une Eglise plus participative. Si le discernement sur ce concept et les idées appropriées continue d’être porté par de plus larges couches de l’Eglise, ce même discernement sera le commencement de l’Eglise participative que nous avons identifiée à l’Eglise selon Vatican II.
Conclusion
Il y aurait encore beaucoup à dire sur l’Eglise d’Asie et sur les changements qui ont – ou qui n’ont pas – eu lieu à la suite de Vatican II. Nous ne sommes pas rentrés dans le détail des facteurs de diversité et de forces culturelles de l’Asie et de ses grandes traditions avec – jusqu’à aujourd’hui – leur imperméabilité au christianisme, non plus que nous n’avons pris en considération le statut de minorité de l’Eglise dans la plupart des pays asiatiques et ce qui nécessiterait, de ce fait, une présence plus visible, telle que souhaitée par Vatican II. Nous avons également omis les nombreuses initiatives prises par la FABC dans ses différentes réalisations, ainsi que leur impact sur l’Eglise en général ou en particulier (tel est le cas des institutions qui englobent toute l’Asie, comme Asian Pastoral Institute) et leur apport au renouveau de l’Eglise d’Asie. Mais aussi cruciaux que ces facteurs – et d’autres – puissent être, leur importance ici ne peut être que suggérée. Leur évaluation et les actions en résultant ne peuvent être conduites qu’au niveau de chaque Eglise locale. C’est à ce niveau que la responsabilité se trouve.
Cette dernière affirmation n’est pas aussi innocente qu’elle peut paraître. Parce qu’en faisant de la participation le standard selon lequel juger ce qui est advenu de Vatican II dans l’Eglise d’Asie, nous avons posé la question, avec toute sa réalité, de savoir si elle était capable d’apprécier et de réguler elle même les changements que représente Vatican II, de savoir quel mécanismes elle créerait pour le discernement et l’action communautaires et, enfin, quels réels efforts elle avait déployés et continuerait de déployer pour tendre à ces fins. Néanmoins, même sans avoir cherché une réponse à ces questions, nous ne pouvons nous empêcher de conclure qu’il y une vitalité des Eglises d’Asie qui est déjà manifeste et cette vitalité existe parce que l’éthique de la participation de Vatican II commence à apparaître.
Rétrospective
Le document ci-dessus a été écrit il y a vingt ans en 1985. En le relisant après ces vingt ans – quarante ans, en gros, après Vatican II -, j’arrive à la conclusion qu’il est toujours d’actualité en ce qui concerne les efforts de l’Eglise d’Asie pour devenir une Eglise plus participante. Ces efforts ont en fait redoublé et se sont renforcés en de nombreux endroits. Trois évènements ou trois développements viennent confirmer ma conclusion : le premier est local, le PCP II (le second Concile plénier des Philippines) en 1991, le second est au niveau de l’Asie, le Synode des évêques pour l’Asie de 1998 et, reliant les deux, se trouve l’acceptation générale de l’AsIPA (Approche pastorale intégrale asiatique) par toutes les Eglises d’Asie. Un court commentaire sur chacun d’eux.
1.) Le second Concile plénier des Philippines (PCP II)
Le PCP II s’est tenu à Manille du 20 janvier au 18 février 1991 (le premier à être tenu selon le Canon révisé gouvernant les Conciles). Son impulsion est venue du renouveau de l’Eglise des Philippines – renouveau qu’il faut regarder comme celui des Eglises locales des Philippines. Une priorité pastorale majeure décidée par le Concile concernait les communautés ecclésiales de base. Quand on voit l’élan de ce texte et la richesse de ses résolutions, la conclusion n’est pas difficile à tirer sur l’importance accordée par le Concile aux CEB. Ce texte conduit à leur formation (là où elles n’existent pas encore) et à leur renforcement (là où elles existent déjà). Dans un sens parfaitement concret, le PCP II a été l’accueil officiel de Vatican II par l’Eglise des Philippines. Ce Concile était spécifique aux Philippines, mais les échanges qui ont eu lieu au niveau de la FABC, particulièrement au niveau de ses commissions communes, ont montré que l’expérience de chaque pays avait une influence sur les autres Eglises d’Asie. Si la CEB est en fait le foyer et le véhicule du renouveau, une communauté participante par excellence, son choix comme priorité pastorale majeure par le Concile plénier ne peut que signifier l’adhésion totale de l’Eglise des Philippines à l’idéal à atteindre de l’Eglise participante.
2.) Le Synode des évêques pour l’Asie
Le Synode spécial pour l’Asie s’est tenu à Rome du 18 avril au 16 mai 1998. Les évêques délégués des pays de la FABC étaient tous animés de la même volonté de promouvoir les idées auxquelles adhérait la Fédération depuis des années – le triple dialogue avec les cultures, les religions et les pauvres. Ce triple dialogue avait été continuellement évoqué lors des assemblées de la Fédération, et fortement soutenu par la FABC depuis sa reconnaissance en tant que Fédération à Manille en 1970. Dans ses concepts et ses pratiques, il impliquait des aspects dans lesquels Rome n’était pas très à l’aise, mais il fut néanmoins vigoureusement soutenu au Synode. Des idées étroitement liées au dialogue – l’inculturation, l’église locale, la justice sociale, etc. – furent longuement discutées et sans cesse présentées comme des problèmes à résoudre par toutes les Eglises d’Asie. La répétition continuelle sous diverses formes de ces problèmes contribua à modifier quelque peu le rappel permanent que Rome avait la charge depuis toujours de prêcher le Christ pour faire aboutir une réelle évangélisation. Les évêques asiatiques soulignèrent calmement que le silence témoignant des valeurs de l’Evangile était une façon valable d’évangéliser de façon explicite et dans certaines situations sur le continent la seule façon. Dans cette insistance, les évêques ne firent que montrer leur foi dans ce que le Concile leur avait enseigné sur le dialogue que l’Eglise doit entamer avec les peuples et avec leur monde, dialogue qui ne peut pas être authentique en dehors du contexte d’une Eglise participante. Et le modèle d’une telle Eglise était encore et encore celui des communautés de base comme les CEB.
3.) L’AsIPA
S’il y a quelque chose qui s’est fortement développé dans les Eglises d’Asie pour consolider l’accueil du triple dialogue avec les cultures, les religions et les pauvres et par là même le développement d’une Eglise plus participante, c’est bien, à mon avis, l’AsIPA – l’Approche pastorale intégrale asiatique – et l’accueil très largement positif qu’elle a reçu, au moins parmi les Eglises membres de la FABC. On pourrait l’appeler une méthodologie d’évangélisation. Son composant principal est la clairvoyance dans les problèmes de la vie et dans les situations fondées sur la prière et la réflexion, sur l’Ecriture et l’action planifiée sur les fruits du discernement dans un cycle continu de discernement et d’action à partir de la foi, par une communauté tout entière. La méthodologie est en fait celle des CEB et, en vérité, une méthodologie qui aboutira à la formation et au développement des communautés de type CEB. Elle n’a rien de spécifiquement asiatique, sinon qu’elle a été intégrée dans les Eglises d’Asie – ou au moins dans les équipes pastorales par des hommes qui en ont fait leur unique manière d’évangéliser. Cette méthodologie demande la participation de tous les membres de la communauté. Elle est par là même source de dialogue, d’abord entre les membres, puis avec les autres, qui ne sont pas de la même foi, mais auxquels ce dialogue s’adresse, mais avant tout avec l’Esprit, dans un processus de discernement, qui est une part essentielle de leur activité et de leur être en tant qu’Eglise. Elle demande aussi un fort engagement social de la communauté. Mais ce qui est de loin le plus important, c’est qu’elle développe une spiritualité du discernement, qui dépend essentiellement de la prière et de la réflexion sur les Ecritures. Tout cela signifie que l’Eglise d’Asie, en adoptant l’AsIPA comme méthodologie pastorale, est en train de devenir une Eglise qui est de plus en plus l’image d’une authentique Eglise selon Vatican II.
Conclusion
Le point de vue que j’ai donné dans l’article de 1985, et qui est exposé ci-dessus, était incontestablement le fruit de mes impressions Et dans les vingt années qui ont suivi, ces impressions sont devenues de plus en plus une réalité. La direction prise par la FABC depuis le début de son existence est restée celle que ses Eglises membres s’efforcent de suivre fidèlement. Cela incite fortement à conclure que l’Eglise d’Asie, en dépit de tous ses défauts et de tous ses problèmes, est une Eglise qui a de grand cour adopté l’élan de renouveau et de réforme de Vatican II. Ses efforts continus pour devenir une telle Eglise contribuent à lui donner une vie active, engagée et pleine d’espoirs.
Mgr Francisco F. Claver est vicaire apostolique émérite du vicariat de Bontoc-Lagawe (Philippines). Il est aussi ancien président da la Commission pour les peuples autochtones de la Conférence des évêques catholiques des Philippines.
(1)Ce texte est daté du 4 octobre 1985. Il est suivi d’une rétrospective du même auteur, datée du 22 août 2005.
(EDA, FABC Papers, octobre 2006)
Dossiers et documents N° 8/2006
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Octobre 2006
Dossier
Document N° 8/2006
DE DIVERS HORIZONS
LA VIE CONSACREE EN ASIE
QUARANTE ANS APRES VATICAN II
– Réalités et défis –
par Sr. Julma C. Neo, D.C.
Introduction
Tout essai de réflexion sur la vie consacrée en Asie après Vatican II doit nécessairement commencer par une prise de conscience de l’évolution du continent asiatique et des Eglises sur les dernières décennies. La vie consacrée est une vie d’Eglise et elle a été profondément affectée par les changements qui s’y sont produits – ces changements qui sont eux-mêmes une réponse à l’évolution de la société et du monde. La vie consacrée, l’Eglise et le monde sont des réalités qu’on ne peut séparer.
L’Asie : un continent aux mille visages
Examinant de près le continent, peu après le Concile Vatican II, la Fédération des Conférences épiscopales d’Asie (FABC) remarquait que l’Asie avait de multiples visages. Celui d’une masse humaine représentant les deux tiers de près de six milliards d’hommes, en majorité des jeunes. Celui de millions de pauvres vivant dans la pauvreté et la misère, à côté de zones de richesses dans de nombreux pays. Celui de la grande diversité de cultures et de religions. L’Asie accueille 85 % des fidèles des plus grandes religions non chrétiennes du monde, ainsi que ceux d’autres traditions religieuses. Elle est, de même, le berceau de plusieurs civilisations anciennes antérieures au christianisme.
Durant les dernières décennies, ce visage a subi des transformations rapides et impressionnantes qui ont changé son profil et transformé la vie de ses habitants. Par certains côtés, l’Asie reflète la grande diversité et les contrastes qu’on trouve dans le monde : un développement rapide et le sous-développement, le traditionnel et le moderne, l’ancien et le nouveau, les mégalopoles et les villages, des sociétés rapides et des sociétés lentes (sur le plan technologique), des démocraties, des monarchies, du socialisme et des gouvernements de transition. On y rencontre un fossé croissant entre les riches et les pauvres, l’injustice sociale, l’urbanisation, la modernisation et la mondialisation, avec leur cortège de problèmes sociaux et culturels. La pollution de l’environnement ainsi que la dislocation culturelle sont devenues les caractéristiques permanentes de la plupart des sociétés asiatiques. Des sociétés relativement pacifiques côtoient des sociétés déchirées par des conflits et des guerres. Le fondamentalisme religieux apparaît dans de nombreux pays, constituant une menace à bien des niveaux – religieux, social et politique.
Clairement, l’Asie est un continent perpétuellement pris dans un jeu de contrastes de lumières et d’ombres, dans le dynamisme de forces de vie et de mort, plein de défis et d’attentes, plein de vie et d’espoir.
Les réalités de l’Eglise
L’Eglise en Asie reproduit la grande diversité qui caractérise le continent. Les chrétiens sont présents dans tout le continent à des degrés divers. La plupart vivent dans un milieu largement non chrétien, sauf aux Philippines et au Timor-Oriental, dont les populations sont majoritairement chrétiennes. Il y a des Eglises qui vivent dans des conditions précaires dans les pays socialistes, où la persécution religieuse existe encore. D’autres bénéficient d’un environnement politiquement plus stable, leur accordant une plus grande liberté. De nombreuses Eglises doivent lutter contre des gouvernements répressifs ou fondamentalistes, hostiles aux chrétiens. D’autres sont intégrées dans des milieux économiquement développés. On trouve dans l’ouest et dans le sud de l’Asie de nombreuses Eglises orientales avec leurs rites propres. Il y a, enfin, des Eglises “pluri-centenaires” et d’autres qui viennent de “naître
Les Eglises d’Asie sont à des étapes différentes du renouveau lancé par Vatican II. Ce renouveau a été lent dans certains endroits, par manque de matériels conciliaires traduits dans leur langue, ou, en général, par résistance au changement. Dans d’autres cas, particulièrement dans les pays sous régime socialiste, des facteurs politiques ont rendu ce renouveau pratiquement impossible, jusqu’à très récemment. Dans d’autres encore, des avancées vers des formes plus organisées de renouveau ont pris plus ou moins de temps au gré de la diligence des autorités ecclésiastiques.
A cause, en partie, d’un passé colonial et d’un soutien financier extérieur continu, l’Eglise a, dans de nombreux pays d’Asie, l’image d’une “Eglise étrangère De plus, dans l’esprit de nombreux Asiatiques, être chrétien c’est être coupé de ses racines et avoir perdu son identité nationale. Cette image reste aujourd’hui une pierre d’achoppement à l’évangélisation (cf. IL : SA 13 ; EA 21).
L’Eglise en Asie est une Eglise paradoxale. En un sens, c’est un “petit troupeau” marginal souffrant du “complexe de minorité Dans un autre sens, elle jouit d’une influence et d’une réputation considérables dans de nombreux pays, du fait de ses liens institutionnels et de son accès aux richesses humaines et matérielles. Cette réalité paradoxale crée des réactions mitigées parmi ses membres et est porteuse de signes ambivalents pour son entourage.
Depuis le début des années 1970, la FABC s’est penchée de façon continue sur ces réalités dans le continent asiatique et elle a élaboré une vision future de l’Eglise en Asie (FAPA III, p. 3ff). Si l’Eglise d’Asie veut être fidèle à sa mission, elle doit devenir une Eglise “incorporée dans le peuple” et “inculturée” (FAPA I, p. 14). Le Synode spécial des évêques pour l’Asie de 1998 a réitéré l’impératif énoncé par la FABC en 1974, à savoir qu’il faut s’engager dans un triple dialogue : dialogue avec les peuples asiatiques, dialogue avec les cultures différentes et dialogue avec les traditions religieuses anciennes (cf. M : SA, 5).
En 1990, la FABC a continué en explicitant que l’Eglise d’Asie devait être une “Eglise servante” (cf. FAPA I p. 238, 340), une “Eglises des pauvres” (FAPA Ip. 5) accompagnant les peuples d’Asie dans leur recherche d’une vie plus remplie. La mission pour l’Eglise en Asie signifie le partage, à travers l’amour et le service, de la plénitude de la vie que Jésus est venu apporter. Les Eglises en Asie doivent donner en exemple la communion qui est le cour de la vie trinitaire. L’Eglise locale est une communion de communautés qui doivent elles mêmes être en communion entre elles et avec le Saint-Siège. Tout ceci implique une “nouvelle façon d’être l’Eglise” (FAPA I p. 287).
C’est ce réseau complexe de réalités humaines et ecclésiales, qui ne cessent d’évoluer, qui forme en Asie le contexte dans lequel les personnes consacrées ont essayé de renouveler leur vie et leur mission, pendant ces quarante dernières années, selon les orientations de Vatican II.
La réalité de la vie consacrée en Asie
Il y a aujourd’hui plus de 180 000 hommes et femmes consacrés en Asie, qui essayent de vivre fidèlement le charisme de leur fondateur (1). Dans ce chiffre, 145 413 sont des femmes, la plupart engagées dans des institutions d’éducation, d’action sociale ou de santé. Ces personnes sont dans un cadre bien organisé, ce sont des professionnels de haut niveau, comme le veulent les standards d’aujourd’hui (2). Souvent leurs institutions sont parmi les plus renommées des pays où elles sont implantées. La plupart des écoles catholiques ne comptent plus les hommes ni les femmes qui ont franchi leur seuil, venant de croyances différentes et appelés à prendre des responsabilités dans les domaines les plus variés, exerçant par là une influence considérable dans la société. Quelques religieux se consacrent à un travail pastoral et aux nouvelles formes de ministère auprès des pauvres. Les institutions dans les pays socialistes, qui ne sont plus capables d’ouvrer comme elles le faisaient dans le passé, se sont tournées vers le travail pastoral, l’action sociale et les services de santé en dehors de leurs institutions. Plus récemment, néanmoins, quelques unes ont commencé à recouvrer ce qu’elles avaient perdu dans le passé (par exemple, un cadre de travail institutionnel, des propriétés). Cette évolution et sa répercussion sur la vie des institutions pose de nouveaux défis à leurs membres. Toutes ces tâches qui sont entreprises par des femmes et des hommes consacrés conditionnent grandement leur mode de vie en Asie.
La diversité de la vie consacrée sur le continent se reflète dans ses membres. Les institutions, particulièrement dans des pays sous régime socialiste, qui ont commencé à s’ouvrir au monde, connaissent un grand développement. Dans quelques rares pays très développés, par contre, il y a un déclin du recrutement et une population âgée grandissante. Dans beaucoup d’autres pays asiatiques, la vie consacrée est de manière générale stable et dynamique.
Les années qui ont suivi Vatican II ont montré que les personnes consacrées en Asie étaient à différents stades de renouveau, selon généralement l’étendue du renouveau dans l’Eglise locale, le régime politique sous lequel elles vivaient, leur propre exposition aux influences extérieures, leurs occasions de voyage ou d’études à l’étranger et, enfin, selon la “culture de la congrégation qui peut être ouverte ou fermée au changement. Les instituts comptent parmi eux des membres qui ont été à l’avant-garde du renouveau des Eglises locales. En général, les personnes consacrées ont en Asie grandement contribué à étendre la mission de l’Eglise.
Une évolution nouvelle dans l’histoire de la vie consacrée sur le continent est la croissance du nombre de personnes envoyées en mission dans d’autres pays asiatiques ou à l’étranger. Intégrant la nouvelle géographie des vocations dans l’Eglise universelle d’aujourd’hui, de nombreux religieux asiatiques (3) ont assumé la direction d’institutions de niveau international, alors même que la présence de religieux asiatiques servant en Occident continue de grandir. Cette présence asiatique transforme l’image de nombreuses institutions de façon visible et son impact se ressent de plus en plus au plan international.
Les défis
Quarante ans après Vatican II, on peut dire que la vie consacrée en Asie n’est pas en crise, comme elle l’est ailleurs. Mais elle a besoin d’un sérieux “liftingune modification visible de son profil, aussi visible que les profonds changements qui ont transformé les sociétés asiatiques, de telle façon qu’elle puisse être perçue et vue de nouvelle façon par les peuples d’Asie. “Voir” a un impact plus puissant sur les peuples d’Asie, qu’“entendre parler Les images et les symboles véhiculent de façon plus éloquente les messages. Compte tenu de cette caractéristique asiatique et des défis contemporains à la vie consacrée, présenter un “nouveau visage une “nouvelle image” des personnes consacrées qui puisse répondre au désir profond d’une vie mieux remplie parmi leurs semblables, constitue le défi majeur des personnes consacrées en Asie. Une telle image, un tel visage doivent refléter clairement ce qu’ils prétendent être. Les peuples d’Asie attendent désespérément de voir ce “nouveau visage”. Même s’ils ne savent pas définir correctement l’objet de leur désir, ils restent perpétuellement à la recherche de personnes consacrées qui leur révèleront le visage d’un serviteur, qui est à la fois un mystique et un prophète. C’est sur ce visage qu’ils reconnaîtront la “Bonne Nouvelle
Des serviteurs
Pour une personne consacrée, prendre le visage du serviteur, c’est nécessairement être solidaire de millions d’Asiatiques qui sont pauvres. Ces dernières décennies, la solidarité a mis les personnes consacrées au défi de faire leur “la joie et l’espoir, la peine et l’angoisse des hommes de notre temps” (GS 1), de partager la vie des pauvres, de vivre dans leur proximité physique et psychologique, de laisser l’opinion qu’ils ont d’eux influencer plus profondément leur vie. S’engager à travailler avec les pauvres a toujours motivé les personnes consacrées, être leur voix, quand ils étaient sans voix, aider à transformer les structures de la société qui les maintiennent dans la misère (FAPA I, p. 15ff.). La solidarité a continuellement poussé les personnes consacrées en Asie vers “la charité créative” (cf. NMI 50 ; SAC 33,36), vers des efforts ininterrompus pour réviser leur vie et leur action.
Si l’on devait passer en revue les efforts de renouveau des institutions dans cette voie, on pourrait trouver que les signes d’espoir ne manquent pas. La révision de la vie et de l’action de quelques institutions a amené une plus grande simplicité dans le style de vie et dans les nouvelles formes de ministère qui comprennent non seulement l’assistance aux personnes, mais aussi la promotion sociale, le travail pour la justice et la défense légale des individus, la paix et l’intégrité de la création. Cependant, le nombre des institutions qui ont pris cette voie est minime.
Durant les dernières décennies, des religieux ont commencé à repenser leur action au travers de l’attention aux pauvres. Des petites communautés ont vécu et travaillé au milieu d’eux – parfois dans des zones à haut risque – imprégnés d’une nouvelle vision des pauvres, protagonistes de leur propre développement. Leur nouvelle approche des pauvres, et de ceux qui travaillaient avec eux, était marquée par l’égalité et la réciprocité. Bon nombre d’institutions réorientaient leur ministère vers les “nouveaux pauvres victimes du nouvel ordre économique né de la mondialisation. D’autres ont adopté un système fondé sur les communautés comme une alternative à un ministère institutionnel. Ces expériences apostoliques en faveur des pauvres faisaient partie de programmes de formation pour leurs membres et leurs collaborateurs laïcs. Ces signes d’espoir sont le service rendu par les personnes consacrées aux peuples de l’Asie.
Cependant, les obstacles n’ont pas été négligeables. Etant donné la mentalité institutionnelle et le statut social de classe moyenne que beaucoup de personnes consacrées assumaient en Asie, la solidarité restait toujours un formidable défi et le restera encore dans l’avenir. L’importance du professionnalisme et des compétences qui est ressentie nécessaire par les religieux dans beaucoup de pays d’Asie, aujourd’hui à la veille de la modernisation et de la mondialisation, et particulièrement par les religieux engagés dans des ministères institutionnels, fait que ces personnes consacrées ont une façon de voir les choses “en spécialistes qui les empêche de se retrouver au milieu des gens en étant attentifs à leurs problèmes. Dans de nombreux endroits, un style de vie plutôt rigide, créé ou renforcé par le caractère imposant des structures et des bâtiments qui sont leur cadre de vie, fait qu’ils sont peu adaptés au contexte social, et inaccessibles aux gens et particulièrement aux pauvres. Ils donnent d’eux l’image d’un “îlot de prospérité” dans un “océan de pauvreté
Prendre le visage d’un serviteur implique également pour les personnes consacrées en Asie de promouvoir à l’intérieur et à l’extérieur de leurs institutions religieuses, en ligne avec les orientations de Vatican II et les autres écrits conciliaires (cf. NMI 43 ; VC 46 ; SAC 28). Un échange profond avec la Trinité est une condition indispensable pour ce service de communion. Elle donne les fondations solides de la construction des communautés locales, où les membres peuvent vivre l’unité dans la diversité et collaborer entre eux et avec l’extérieur, même au-delà de l’Eglise (cf. VC 51-52 ; SAC 30-32).
L’harmonie est une valeur asiatique fondamentale, mais elle fait défaut de façon évidente dans certains pays asiatiques. De nombreuses formes de division existent (par exemple éthique et religieuse, économique, politique, socioculturelle et générationnelle) (cf. IL : SA 39). Même les Eglises chrétiennes ne sont pas épargnées. C’est la pierre d’achoppement de leur témoignage d’unité. Ces réalités du continent rendent encore plus impératif de pratiquer l’échange pour les personnes consacrées en Asie.
En Asie, des efforts visibles et conscients sont faits pour promouvoir l’échange en améliorant les relations et la vie dans les communautés locales. Cela signifie encourager une plus grande participation des membres à ce qui concerne leur vie et leur mission, créer des communautés de réconciliation et de guérison, souvent en collaboration avec d’autres institutions et d’autres religions. Au niveau national, l’échange est promu par la collaboration entre les institutions entre les provinces et entre les congrégations des religieux et des religieuses, particulièrement dans les zones de formation, de leadership et de ministère. Beaucoup d’institutions partagent leur spiritualité avec des laïcs. Au niveau du continent, l’échange est facilité par les structures telles que l’Association des supérieurs majeurs du sud-est asiatique (SEAMS), les Rencontres de religieux Asie Pacifique (AMOR) et le Bureau de la vie consacrée de la FABC (FABC : OCL). Au niveau des Eglises locales, il existe des commissions mixtes d’évêques et de supérieurs majeurs, qui fonctionnent avec des degrés d’efficacité divers.
Mais les efforts faits pour l’échange dans l’Eglise locale sont parfois entravés par le manque de plan pastoral. Dans d’autres cas, c’est un manque de compréhension des différents charismes dans l’Eglise qui amène ce genre de difficultés. La mentalité cléricale, hiérarchique et patriarcale qui caractérise beaucoup de structures et de cultures asiatiques rend aussi l’échange difficile dans la pratique (cf. FAPA I, p. 193-194). Cette mentalité est parfois renforcée par l’accent exagéré mis sur certains éléments des cultures traditionnelles asiatiques (par exemple l’excessive dépendance vis-à-vis de l’autorité, la trop grande déférence pour l’âge, la conformité par rapport au groupe, etc.). Avec la “nouvelle culture” qui déferle sur les sociétés asiatiques, la menace sur les familles et sur les communautés religieuses est devenue réelle. Des communautés religieuses sont devenues de simples “pensions de famille” pour “travailleurs religieux Le travail d’équipe est très difficile et l’esprit de compétition a envahi subrepticement des religieux très professionnels. Le multiculturalisme et l’internationalisation dans certaines communautés asiatiques posent problème.
Le dialogue, particulièrement avec les autres religions, est un autre défi pour les personnes consacrées en Asie. Etant donné que, selon pontifical 2004, la population catholique ne représente que 17,2 % de la population mondiale, un avenir sans dialogue interreligieux est impensable. En Asie, où les chrétiens sont moins de 3 % de la population, ce dialogue devient encore plus urgent. La leçon à tirer de l’histoire de l’évangélisation du continent renforce cette nécessité.
Si les personnes consacrées en Asie doivent être les “humbles serviteurs” de leurs frères, le dialogue doit devenir pour eux une deuxième vie, une obligation dans leur relation aux autres : entre les congrégations, entre les Eglises, entre les cultures et les religions et dans la vie sociale. Ce dialogue doit être fondé sur la spiritualité de l’Incarnation et sur la kenosis.
Dans les dernières décennies, l’Eglise d’Asie a tenu en continu plusieurs dialogues entre les religions, un dialogue de vie, un dialogue d’action, un dialogue de conversation et un dialogue d’expérience religieuse. Les personnes consacrées sont très concernées par ces différents niveaux de dialogue et à différents degrés. La plupart le mènent dans leur vie de tous les jours. Beaucoup ouvrent avec des hommes et des femmes d’autres religions pour l’amélioration de la situation des pauvres et des femmes, pour la justice, la paix et l’intégrité de la vie. Dans différents endroits, elles prient en commun et partagent leur expérience de Dieu avec leurs frères et leurs sours d’autres religions et d’autres traditions religieuses ou d’autres dénominations chrétiennes. Il y a un nombre croissant de centres de réflexion théologique et d’étude de la foi qui sont dirigés par des institutions religieuses. L’étude des autres religions fait partie des programmes de formation de quelques institutions.
Il y a cependant beaucoup d’obstacles au dialogue qui restent à surmonter : la peur, l’insécurité, les soupçons de prosélytisme de la part de gouvernements hostiles, des préjugés et des complexes, ainsi qu’un environnement politique antireligieux. Des expériences passées malheureuses constituent d’autres freins. Le dialogue n’est possible que lorsque les personnes en présence font preuve d’un grand sens de l’égalité et du respect. Les structures sociales en place dans les sociétés asiatiques et la mentalité patriarcale et hiérarchique qui les imprègne accroissent encore ces difficultés. Des connaissances insuffisantes, un manque de sens des relations ou de préparation (c’est-à-dire l’absence des qualités nécessaires) font que les religieux sont mal préparés au dialogue entre les religions.
Des mystiques
En Asie, la crédibilité des leaders religieux des différentes religions repose sur leur autorité morale, fruit de leur expérience religieuse (cf. IL : SA 23). Devenir des hommes et des femmes de Dieu, des personnes remplies d’une joie spirituelle, des “icônes de sainteté de saintes gens qui “montrent” plutôt qu’ils ne parlent est un autre défi majeur pour les personnes consacrées en Asie. Les Asiatiques veulent des “religieux humbles, heureux et priants, plutôt que des professionnels, des spécialistes ou des réalisateurs” (4). Les Asiatiques recherchent des mystiques qui les aideront à trouver Dieu, d’abord, parce qu’ils L’ont eux-mêmes rencontré.
Ce défi est en parfaite résonance avec l’injonction de Vatican II demandant aux religieux de lutter pour la sainteté, alors qu’ils ont avec l’Eglise toute entière une vocation à la sainteté (cf. LG 39-42).
Les religieux asiatiques, s’ils veulent se démarquer, doivent avoir une spiritualité qui reflète une passion profonde pour le Christ et pour la souffrance de leurs frères et de leurs sours. Cette spiritualité doit naître du choix radical de suivre le Christ, qui est Dieu et en même temps homme, qui s’est fait le frère et le serviteur de tous, qui a prêché la Bonne Nouvelle qui libère de l’oppression et des obstacles et amène à une vie en plénitude. Elle doit être enracinée dans l’expérience du Christ, avec un accent particulier sur la compassion et l’harmonie, le détachement et le vide de soi et, enfin, elle doit être nourrie par la contemplation. Contemplation de Son visage dans la prière et dans l’eucharistie, aussi bien que du visage de l’humanité blessée. Cette spiritualité poussera les personnes consacrées à la solidarité avec les pauvres et les conduira au dialogue avec l’Esprit, présent dans les “signes des temps” et dans les “semences du monde” dans les différentes religions et cultures de l’Asie.
Aujourd’hui, le renouveau continu des personnes consacrées dans une spiritualité réellement évangélique, ecclésiale, missionnaire, intégrale et asiatique (parce qu’elle dérive des ressources spirituelles déjà présentes dans le peuple – dans sa culture et ses traditions religieuses) est un signe d’espoir pour le continent. Dans toute l’Asie, il y a des centres de spiritualité dirigés par des institutions religieuses qui continuent d’offrir un renouveau aux religieux, aux laïcs et au clergé.
Mais les efforts vers un renouveau de la spiritualité ne vont pas sans difficultés. Une certaine religiosité qui met l’accent sur les dévotions et les observances extérieures peut s’avérer inadaptée en face des défis que pose le monde d’aujourd’hui. Cette inadéquation se trouve aussi dans le manque de profondeur et d’engagement aux exigences de la vie consacrée. Elle peut parfois être le résultat d’une foi nourrie dans un cadre traditionnel qui n’intègre pas la spiritualité du religieux. Cela semble être le cas des religieux venant de cultures traditionnelles ou d’institutions qui ont été influencées par la culture moderne ou occidentale et qui ne sont pas parvenus à une heureuse harmonisation de ces deux cultures. Ce manque d’intégration spirituelle – et dans certains cas, le syncrétisme qui en résulte – ne crée pas les fondations solides dont les religieux ont besoin pour faire face aux défis de la modernité qui assaille aujourd’hui beaucoup de pays d’Asie.
L’admission de convertis dans la vie religieuse, sans leur laisser le temps de mûrir leur christianisme, pose également beaucoup de difficultés à la spiritualité des religieux asiatiques. On peut rencontrer chez des religieux une tendance à une sorte de “fondamentalisme” et un retour aux habitudes d’avant Vatican II sous l’influence d’institutions étrangères qui sont venues écumer les “marchés asiatiques” en quête de vocations religieuses. D’un autre côté, les religieux plus exposés aux cultures modernes ou post-modernes courent le risque d’être dépassés par l’éthique individualiste, l’abus du travail, le stress de l’efficacité et le besoin de produire, en quelque sorte, la mentalité de “supermarché spirituel” qui caractérise l’économie mondiale. Tout ceci affecte de la même façon la vie spirituelle des religieux asiatiques et reste un défi à leur effort de mystique.
Face à ces défis, relever celui de l’inculturation foi/charisme est porteur d’espérance. L’inculturation du charisme était un sujet majeur dans les discussions au Synode sur la vie consacrée de 1994 et à celui sur l’Asie en 1998. Un atelier lui a été consacré au Congrès sur la Vie consacrée de 2004 et Jean-Paul II traita ce sujet dans Vita Consecrata et dans Ecclesia in Asia. Mais, malgré tout, les efforts pour l’inculturation foi/charisme par les religieux en Asie “reste timide
Des prophètes
Un défi pour les religieux qui sonne haut et clair est celui d’être des prophètes crédibles et des témoins de la contre-culture. Quarante ans après le renouveau de Vatican II, les religieux en Asie sont dans une position plus favorable pour évaluer leur impact prophétique. Ils ont commencé à comprendre que les personnes consacrées en Asie se sont créé l’image de professionnels adaptés et très compétents, mais pas tellement celle de leaders spirituels pauvres et simples. Dans leur tentative d’adaptation au monde moderne et de recherche de la dimension internationale de la vie religieuse – négligée si longtemps avant Vatican II -, ils ont inconsciemment compromis le caractère de contre-culture de la vie religieuse, en acceptant sans discrimination ce que la modernité et la post-modernité pouvaient offrir. D’un autre côté, certains ont sacralisé la culture asiatique ancienne, à laquelle ils restent attachés, en ignorant toute demande de changement. Ces deux aspects appellent les religieux asiatiques à donner une réponse prophétique.
Les efforts de nombreux religieux, tout de suite après Vatican II, pour revenir à leurs sources bibliques et charismatiques, selon l’exhortation Perfectae Caritatis (PC 2), ont abouti à la redécouverte de l’élément prophétique en tant que dimension essentielle de la vie de Jésus et de celles de leurs fondateurs ou fondatrices. Des institutions, en particulier internationales, se sont efforcées sérieusement et systématiquement à la refondation, qui est le résultat de ce mouvement de “retour aux sources Un renouveau profondément ancré dans l’esprit des fondateurs ou des fondatrices est essentiel aux institutions religieuses pour affronter les défis de la société contemporaine.
Dans de nombreux pays en Asie, “l’alternative de la culture moderne” érode graduellement le caractère religieux inné des peuples asiatiques. Les éléments de la culture asiatique qui ont soutenu avec succès la vie spirituelle des Asiatiques (par exemple, la famille, l’Eglise, les institutions religieuses, la communauté) se sont affaiblis par suite de l’exposition excessive et sans discernement aux cultures modernes et post-modernes de l’Occident. L’idole de la technologie s’est confortablement installée sur les autels de nombreuses communautés religieuses, sans grande difficulté. Souvent, la mission a été employée pour lui donner une excuse facile, bien aidée en cela par les ressources qui s’y trouvaient. Le matérialisme et la sécularisation qui en ont résulté posent de graves problèmes aux religieux en Asie.
En face de ces réalités, les religieux asiatiques sont au défi de montrer clairement la primauté de Dieu et de la spiritualité de leur vie. Ils doivent vivre leur vie consacrée dans la joie – individuellement et en communauté – pour offrir un “nouveau modèle culturel” (cf. VC 80) qui comble le désir de vivre pleinement des peuples asiatiques. Dans le contexte asiatique, une pauvreté qui rende visible où est “leur trésor” et une ascèse qui leur permette de “souffrir avec” leurs frères et leurs sours, sans tomber dans le désespoir ni dans la résignation passive en face de la pauvreté écrasante de millions d’hommes et de l’impuissance qu’elle engendre, est un témoignage prophétique puissant. Ce témoignage prophétique est impossible sans une spiritualité pascale qui permette d’embrasser la croix portée par “les peuples crucifiés de l’Asie tout en gardant les yeux fixés sur la résurrection.
La culture moderne qui déferle sur beaucoup de pays d’Asie a ramené le “modèle de vie idéale” des gens aux cinq C (car, cash, cell phone, credit card and condominium) (voiture, argent, téléphone portable, carte de crédit et appartement). Un sentiment de provisoire domine la génération post-moderne. Face à cela, l’engagement religieux pour une vie entière consacrée à Dieu et aux services des autres offre un témoignage puissant et une alternative à cette fameuse “vie idéale Les religieux peuvent démontrer par leur vie ce que sont la plénitude et le véritable accomplissement de soi et la manière dont on peut les obtenir.
La primauté de Dieu dans la vie des personnes consacrées et la ma