Eglises d'Asie

Dans la vallée de la Cordillera, les défunts inhumés dans l’enclos de la maison familiale des aborigènes catholiques Ibaloi font partie intégrante de la vie quotidienne

Publié le 18/03/2010




A Baguio, la capitale d’été blottie dans la vallée de la Cordillera, à 1 500 mètres d’altitude, la maison de Corazon Binay-an est entourée des tombes de quatre membres de sa famille, celles de son beau-père, de sa belle-mère, de son beau-frère et de son fils. Cette femme de 44 ans, catholique, fait partie de la tribu aborigène des Ibaloi, majoritaires dans la province de Benguet, dans le nord de l’île de Luzon. Les migrants ont accaparé la plus grande partie des terres des aborigènes, mais une grande partie du district Camp 7 constitue encore une enclave Ibaloi.

Pour les Ibaloi et la plupart des autres aborigènes de la Cordillera du nord des Philippines, réunis sous l’appellation Igorot, les défunts des familles doivent être inhumés dans le périmètre de leur propriété. C’est, disent-ils, une manière de garder les morts proches des vivants (1). Ainsi, Corazon Binay-an et ses voisins catholiques ne célèbrent pas la Toussaint le 1er novembre, ni la commémoration des défunts le jour suivant, comme le font traditionnellement la plupart des chrétiens. Interviewée par l’agence Ucanews, le 1er novembre, Corazon a expliqué que son beau-père avait exprimé à ses enfants le souhait d’être inhumé devant sa maison après sa mort. Son mari a respecté la volonté de son père dont la dalle en ciment est visible devant la maison familiale. “Ma belle-mère est morte en 1976 raconte Corazon. Comme la construction de la maison n’était pas terminée, ils l’ont d’abord enterrée au cimetière Loakan de Baguio. Quand la maison a été terminée, cinq ans plus tard, ils ont transporté ses restes sous la maison. Quand le couple l’a rénovée en 1997, ils les ont de nouveau transportés et inhumés à côté de la tombe du beau-frère de Corazon et de son fils, sous l’escalier extérieur.

D’après Isikias Picpican, conservateur du musée de l’Université Saint-Louis de Baguio, les Igorot honorent leurs morts “tous les jours mais sans date déterminée ». La Toussaint et le Jour des défunts, célébrés avec ferveur partout dans le pays, “n’appartiennent pas au calendrier des aborigènes”. Le peuple Igorot “attache une grande importance à ses morts a continué Isikias Picpican, soulignant combien les rites funéraires dans la Cordillera représentaient les rites aborigènes “les plus importants, les plus compliqués et les plus coûteux qui soient Différents rituels sont pratiqués, généralement pendant l’année qui suit la mort de la personne, et “la famille endeuillée sera très attentive aux signes que lui transmettra le défunt”.

Un de ces “signes” peut se manifester par un oiseau volant à l’intérieur de la maison du défunt ou par un membre de la famille rencontrant un serpent. Isikias Picpican explique que ces “signes” doivent être portés à la connaissance du clan des anciens et s’ils persistent et “affectent l’équilibre psychologique d’un parent, il faut agir”.

Morie Shodang, 66 ans, est un Ibaloi catholique habitant à Pias. Il explique qu’en 2002, sa famille a dû abattre trois vaches et huit porcs pour “apaiser les esprits de ses défunts après un signe évident de sa mère, décédée en 1993 et enterrée derrière la maison familiale. “En 2002, ma plus jeune sour qui travaille en Irlande a rêvé de notre mère. Elle nous a appelé et raconté son rêve. Nous avons ouvert sa tombe et découvert que ses ossement étaient mangés par des vers.” Lui, ses frères et ses neveux ont décidé d’exhumer les corps de leurs défunts et de deux autres membres de la famille qu’ils ont enveloppés dans des “tapis une toile traditionnelle de coton tissé. “Nous avions acheté un nouveau “tapis” dont nous nous sommes servis pour envelopper les restes de ma mère avant de l’inhumer sous la cuisine familiale a raconté Shodang. Sa famille ensuite, fidèle à la tradition dite canao, a festoyé et danser la tayaw, une dance Igorot, pendant deux jours avec de la famille venue de Baguio.

De son côté, un autre catholique, Felipe Mandiit, 70 ans, a expliqué que la célébration de la Toussaint et de la commémoration des défunts n’appartenait pas à la tradition des Applai de Bauko, capitale de la Mountain Province qui touche celle de Benguet. Trois mois après la mort de sa mère en 1987, sa famille a tué des porcs parce que les anciens croient qu’après ce laps de temps, l’esprit de la défunte “part pour un autre monde Il a rappelé que, durant cette période, les membres de la famille proche ne pouvaient ni voyager ni manger des fruits de mer. Etant catholique, sa famille avait demandé au prêtre de célébrer les funérailles de sa mère, tandis que des parents l’avaient déjà devancé en observant des rites coutumiers. Au premier anniversaire de sa mort, un nouvel abattage de vaches et de porcs par la famille a marqué “le signal d’un nouveau départ celui où la famille est de nouveau libre “de voyager, de trouver du travail et de manger sans interdit alimentaire”.