Eglises d'Asie – Divers Horizons
“LE CHEMIN A PARCOURIR EST LONG, MAIS IL Y A DES RAISONS D’ESPERER” – un entretien avec le président de la FABC à la suite du Congrès missionnaire asiatique –
Publié le 18/03/2010
Mgr Orlando Quevedo : Dans les pays de l’Asie, les fidèles auront moins peur de leur identité de chrétiens, de “petit troupeau”. J’espère qu’ils seront moins sur la défensive et que, dans le respect, l’humilité et le courage, ils pourront mener leur vie de chrétiens au milieu de croyants d’autres religions, tout en travaillant avec tous pour le bien de la justice et des valeurs du Royaume. Ensuite, la conscience de la mission a grandi et cela vaut au-delà de l’Asie. Enfin, la compréhension de ce qu’est la mission, dans tous ses aspects, a crû, notamment le fait que la mission par le témoignage de vie est ce qu’il y a de plus important. Il y a une meilleure compréhension du fait que la mission n’est pas simplement d’aller en-dehors, à l’étranger notamment, mais peut être vécue dans la réalité de son propre pays. Le temps présent appelle à un dialogue accru avec les croyants des autres religions et, en même temps, à une meilleure prise de conscience et une confiance accrue en sa propre identité.
Comment qualifieriez-vous ce temps présent que vous évoquez ?
Je veux dire par là la confrontation entre les cultures, entre les religions, la suspicion. Le terrorisme peut être un révélateur mais il ne s’agit pas que de cela. J’ai à l’esprit le changement qui est cours dans les mentalités au sujet de la religion, des religions. Le rôle et la place que les religions ont dans les sociétés modernes qui sont sécularisées, sont l’objet de débats. En Occident, les chrétiens évangéliques et les protestants, ce que l’on appelle “la majorité morale” ou la droite morale, sont désormais présents dans l’espace public et ils pèsent sur la scène politique car ils votent selon ce qu’ils décrivent comme des critères de choix moral.
Comment la FABC peut-elle promouvoir la mission ?
Au sein de la FABC, les grands thèmes de l’inculturation, du dialogue interreligieux et du dialogue avec les peuples, tout particulièrement les pauvres, sont autant de lignes directrices. Il est du ressort des conférences épiscopales de mettre en ouvre ou de suivre les recommandations émises par les différentes assemblées plénières (de la FABC). Toutefois, on constate que l’impact de la FABC, tel qu’il a pu être évalué pour l’évaluation préparée en vue de l’assemblée plénière tenue à Manille en 1995, n’est significatif qu’au niveau des évêques et, éventuellement, à celui des prêtres. Il n’y a pas eu de véritable impact à la base.
A Mindanao, dans le sud philippin où je suis évêque, l’impact de la FABC en ce qui concerne le dialogue interreligieux ou les autres thèmes liés à l’inculturation et au dialogue avec les pauvres, est réel. Il peut même être qualifié de fort là où les Communautés ecclésiales de base (BECs) et les communautés humaines de base ont pris racine et se sont développées, à Sulu notamment (à l’extrême sud de la province). Les documents de Vatican II y sont utilisés et il en est de même, peu à peu, avec ceux produits par la FABC. Sur place, de nombreux responsables connaissent le contenu des messages issus des assemblées plénières.
Dans son ensemble, l’Eglise aux Philippines et sans doute dans un certain nombre d’autres pays n’est pas allée aussi loin. Au sein de la FABC, nous avons encore beaucoup de travail pour faire connaître et rendre vivant au niveau de la base l’ensemble des directives au sujet du dialogue interreligieux et de l’inculturation, par exemple. Toutefois, les règles de fonctionnement de la FABC n’autorisent un contact qu’avec les seules conférences épiscopales. Il n’est pas possible d’agir directement au niveau des diocèses avec des programmes concrets, à moins d’y être invité pour un séminaire ou une action concrète et précise.
Quelles sont les bases sur lesquelles la FABC étaye son travail en ce qui concerne le dialogue dans la mission ?
Au chapitre IV in Asia, sur lequel s’est appuyé ce congrès missionnaire asiatique, le pape Jean-Paul II écrit que la compréhension de la vérité se fait de manière graduelle. Il évoque un style d’évangélisation qui évoque plutôt qu’il ne provoque, un style progressif et graduel. On peut évangéliser en racontant la vie de grandes figures de la foi. On peut évangéliser par son propre style de vie. On peut évangéliser par un partage de foi en racontant des histoires et ceux qui appartiennent à d’autres religions racontent leurs propres histoires, liées à leur propre croyance. Pour l’Asie, le pape lui-même (Jean-Paul II) disait que la proclamation du Seigneur Jésus n’est pas la seule manière possible d’évangéliser ou d’annoncer le Christ. De fait, dans de nombreuses régions d’Asie, cela se fait ainsi. Le dialogue interreligieux est une manière d’évangéliser, de partager la foi, sa foi et d’annoncer notre croyance personnelle en Christ.
Les tensions apparaissent lorsque vous pensez sans cesse l’évangélisation en termes de proclamation explicite et qu’il n’y a pas place pour un autre style d’évangélisation, qui passe par l’évocation. C’est là un extrême. L’autre extrême serait de mener un dialogue interreligieux uniquement comme une manière de se faire des amis, sans aucun partage de conviction. Mais lorsque vous considérez le dialogue interreligieux comme une voie d’évangélisation, je ne vois aucune tension. C’est ainsi que j’observe ce qui se passe en Asie. On doit entendre ce que dit un théologien lorsqu’il dit que nous avons à proclamer Jésus comme Seigneur et Sauveur. C’est là un rappel du fait que vous ne pouvez délaisser vos convictions.
Quelles sont les voies concrètes du dialogue en Asie ?
La première occasion de dialogue interreligieux, c’est lorsque les gens, les laïcs, vivent côte à côte, se mêlent et partagent les épreuves de chaque jour avec leurs voisins. Le chrétien agit de telle ou telle manière en fonction de sa foi et de la croyance en ce que le Seigneur Jésus guide sa vie.
La deuxième chose que les laïcs peuvent faire est, lorsqu’ils constatent des difficultés dans leur voisinage, des problèmes très concrets comme des ordures ménagères non ramassées, des pauvres délaissés, ils agissent pour venir en aide à ceux qui sont dans le besoin, lors de catastrophe naturelle par exemple. C’est là un autre stade du dialogue interreligieux : des personnes de religions différentes agissent ensemble pour une action charitable ou travaillent ensemble pour une action de justice. C’est ce qu’on appelle le dialogue de l’action.
Un autre niveau de dialogue interreligieux est lorsque, dans des moments plus calmes, des personnes de religions différentes se regroupent pour un moment de prière ocuménique ou interreligieuse. Elles prient le même Dieu et, de cette prière ensemble, elles peuvent commencer un partage sur leurs croyances respectives. Le chrétien peut dire : “C’est ainsi que nous prions car c’est ainsi que Jésus nous l’a enseigné : ‘Notre Père qui êtes aux cieux..’ » C’est alors – et alors seulement – que ces personnes peuvent partager leurs expériences religieuses. C’est le partage dans la prière.
Les personnes peuvent aussi partager les enseignements de leurs fois respectives, comme nous le faisons, nous évêques des Philippines, qui entretenons à ce genre de dialogue interreligieux avec les protestants et les ustad (responsables religieux musulmans). Une fois, nous avons évoqué comment le Coran parlait de la paix et comment était considéré le développement humain. Un ustad a témoigné et il m’a été demandé de dire comme la Bible parlait de la paix, du développement social et de la promotion humaine. C’est là un dialogue d’enseignements et nous le menons afin que les gens comprennent que ce que nous faisons et ce que nous croyons est issu des Textes sacrés. Ensuite, les théologiens peuvent se réunir pour commencer à débattre de ces choses avec les universitaires musulmans.
Que l’Eglise doit-elle faire pour que le dialogue porte du fruit ?
Je citerais les laïcs car ils sont souvent laissés de côté. Il est nécessaire de développer une catéchèse pour les gens qui vivent parmi des croyants d’autres religions, la manière dont ils doivent respecter les autres religions et en même temps être convaincus de leurs propres croyances, la façon de partager leurs croyances sans se montrer agressif ou militant, que ce soit dans l’action, la vie de tous les jours ou la prière.
Pour les prêtres, il en va de même, mais une approche plus systématique est nécessaire. Très souvent, les prêtres dans les séminaires abordent les questions doctrinales comme quelque chose qui est enseigné uniquement à ceux qui sont croyants, mais la doctrine doit être intériorisée de telle manière que les prêtres soient en mesure de partager leurs convictions de manière humble et respectueuse avec des personnes qui ne partagent pas leur foi.
De ce point de vue, les catholiques peuvent apprendre des évangéliques. Ils connaissent leur foi. Ils peuvent citer la Bible. Mais nous ne devons pas imiter les manières de faire de certains évangéliques qui tiennent un discours agressif, sur un ton militant, et qui a pour conséquence de fermer les gens et de les dresser les uns contre les autres. Il est important que nous trouvions un juste milieu, dans la modération, l’humilité et le respect. Nous devons développer notre capacité à connaître la théologie de la création, la paroisse, la théologie de la mission, nous montrer capable d’intérioriser cela pour être ensuite en mesure de le communiquer de différentes manières.
Selon vous, quels sont les signes concrets d’espérer en matière de dialogue interreligieux en Asie ?
Une raison concrète d’espérer est, par exemple, le dialogue qui existe entre les évêques et les oulémas au sein de la Conférence des évêques et des oulémas. Il y a peu, des évêques et des oulémas indonésiens se sont rendus à Mindanao, aux Philippines, pour observer ce qui se vit au sein de cette conférence.
Un deuxième signe d’espoir pourrait être les initiatives prises dans certains diocèses philippins pour faire descendre ce dialogue interreligieux du niveau des évêques et des oulémas à celui des imams, des ustad et des prêtres. Quelques paroisses à Mindanao entretiennent un tel dialogue au niveau de la base, la paroisse de Pikit par exemple dans l’archidiocèse de Cotabato, où le dialogue interreligieux a permis de bâtir une communauté d’harmonie et de paix. De tels exemples devraient être généralisés partout où des gens appartenant à différentes religions vivent côte à côte. Le chemin à parcourir est long, mais il y a des raisons d’espérer.
Par ailleurs, parmi les évêques récemment nommés en Asie, on trouve de plus en plus souvent des religieux ou des professeurs de séminaire. Bien souvent, la perspective d’un prêtre diocésain est celle de son Eglise locale. La perspective d’un religieux va au-delà de l’Eglise locale et les professeurs de séminaire ont à cour le besoin de formation des prêtres pour répondre aux attentes des temps présents et à celles des âmes qui leur sont confiées. Il y a donc des signes qui indiquent que Rome, par les nominations qui sont faites, se montre attentive à la mission et à la formation continue des prêtres.