Eglises d'Asie

Le débat sur l’interdiction de la polygamie transcende les lignes de division habituelles

Publié le 18/03/2010




Abdullah Gymniastar, 44 ans, est un des prédicateurs les plus populaires, sinon le plus populaire, d’Indonésie. Lors de ses prêches radio- et télé-diffusés, celui qui est connu sous l’appellation familière d’A’a Gym (‘Grand frère’) évite soigneusement les questions qui divisent l’Indonésie musulmane entre traditionalistes, conservateurs et fondamentalistes et son message fait rêver les classes moyennes urbanisées, notamment les femmes, en leur inspirant espoir et confiance. Récemment, il a cependant choisi de surprendre, au risque de choquer, en décidant d’exercer son droit à prendre plus qu’une seule épouse. Marié depuis de nombreuses années à Teteh Nini, A’a Gym a épousé il y a trois mois un ancien mannequin de Bandung, Alfarini Eridani, âgée de 37 ans. Divorcée et mère de trois enfants, sa deuxième épouse travaille dans un département spécialisé en opérations bancaires conformes à la charia dans une grande banque locale.

La nouvelle a fait grand bruit en Indonésie et est tombée à un moment où le débat sur l’interdiction de la polygamie a été relancé par une déclaration, le 5 décembre dernier, de Meutia Farida Hatta Swasono, ministre d’Etat pour l’amélioration de la condition féminine. La ministre a déclaré que le gouvernement étudiait la possibilité d’étendre l’interdiction de la polygamie, qui s’applique aujourd’hui aux seuls fonctionnaires, à l’ensemble de la fonction publique, notamment aux soldats, aux gouverneurs de province et jusqu’aux députés et aux ministres.

La loi interdisant aux fonctionnaires de prendre plusieurs épouses remonte à 1983 et, dit-on, a été votée à l’époque sous la pression de Siti Hartinah, épouse de l’ex-dictateur Suharto. Elle n’interdisait en fait pas la polygamie, mais en encadrait l’exercice, un fonctionnaire ne pouvait convoler une deuxième fois qu’avec le consentement de sa première épouse et l’accord de son supérieur hiérarchique. Pour les non-fonctionnaires, c’est la loi sur le mariage de 1974 qui a cours et elle autorise les hommes à prendre une deuxième épouse uniquement au cas où leur première épouse est stérile, handicapée ou atteinte d’une maladie en phase terminale. De fait, la loi n’est pas appliquée dans la mesure où ses prescriptions sont rarement vérifiées et, même si les statistiques sur le sujet font défaut, la polygamie est une pratique répandue dans le pays, y compris dans certaines régions majoritairement chrétiennes comme au Timor occidental (1).

Du côté des militants de la cause des femmes, l’annonce de la ministre d’Etat a suscité des réactions contrastées. Certains ont dit que la mesure allait dans le bon sens et devait être soutenue car elle permettrait d’améliorer le statut des femmes dans la société. D’autres ont exprimé des réserves. Ainsi, Kamala Chandrakirana, présidente de la Commission nationale sur les violences faites aux femmes, a déclaré qu’il serait plus judicieux de veiller à la bonne application de la loi de 1974. “Cela permettrait d’être certain que la première épouse donne effectivement sa permission lorsque son mari prend une autre femme a-t-elle expliqué.

Du côté des milieux islamiques, les tenants d’un islam ouvert à la modernité ont apporté leur soutien à la proposition du gouvernement. Ainsi, Azyumardi Azra, professeur à l’université islamique d’Etat de Djakarta et intellectuel reconnu, a déclaré que l’interdiction de la polygamie était contenue dans la loi de 1974 et que son application permettrait un réel progrès. Cela aurait pour conséquence, a-t-il fait valoir, que moins de fonctionnaires de sexe masculin se laisseraient corrompre pour gagner de l’argent facile et entretenir ainsi leurs épouses. “Si la polygamie était vraiment interdite, cela provoquerait une amélioration de la condition des femmes et de leurs enfants car ils seraient mieux protégés et défendus a-t-il déclaré.

L’opposition à la proposition du gouvernement a aussi soulevé de vives résistances au sein des milieux islamiques. Un des responsables de la Nahdlatul Ulama, Masdar Farid Mas’udi, a déclaré que l’homme était par nature polygame. Pour la députée Yoyoh Yusroh, du Parti de la Justice et de la Prospérité (PKS), parti islamiste, la polygamie est permise par l’islam car c’est une solution à certains problèmes de société. “La polygamie est préférable à l’infidélité. Prenez le cas d’une veuve âgée de 25 ans. Elle aura besoin d’un mari pour payer l’éducation de ses enfants. Si la polygamie est interdite, sa situation empirera a-t-elle écrit sur un forum de discussion du portail Internet detikcom (2).

Pour Din Syamsuddin, président de la Muhammadiyah, la seconde plus importante organisation musulmane de masse après la Nahdlatul Ulama, le pays fait face à des problèmes plus importants que l’interdiction ou non de la polygamie. “La polygamie est une question d’interprétation religieuse. Le gouvernement ne devrait pas en faire un sujet politique et les responsables religieux ne devraient pas nourrir le débat a-t-il déclaré au Jakarta Post. En écho à ces propos, le président de la République, Susilo Bambang Yudhoyono, a déclaré le 7 décembre devant l’Association des épouses de fonctionnaires que la polémique était allée trop loin : “Regardons les choses en face. Nous ne devrions pas consacrer plus d’énergie qu’il n’en faut à ce sujet car un grand nombre d’autres problèmes appellent des solutions. Je ne veux pas que le débat s’envenime de manière malsaine sur cette question.”