Eglises d'Asie

FOI CHRETIENNE ET CULTURE AU VIETNAM

Publié le 18/03/2010




Introduction

La culture est une toile tissée de coutumes, de rites, de mythes, de festivals, de symboles, de langages, d’expériences spirituelles, d’art, de nourriture et de vêtements, qui développent et affinent la manière de vivre d’un groupe humain dans son environnement. C’est dans ces différentes cultures de peuples que la Parole de Dieu se transmet dans une interaction inévitable. Dans l’Ancien Testament, la mission de Dieu s’est incarnée dans la culture juive. Dans le Nouveau Testament, le Royaume de Dieu, la mission principale de Jésus, a été réalisé en Palestine, région influencée par les cultures helléniques et romaines. Après sa mort et sa résurrection, comme un acte prévu par Dieu, la mission de Jésus a commencé à se répandre à toutes les nations, par les communautés des disciples du Christ. La mission, par conséquent, doit être confrontée et mise au défi des cultures pour semer les graines de la foi. Du point de vue des fidèles qui reçoivent la Bonne Nouvelle, la culture est leur berceau, leur maison pour une vie humaine et chrétienne. C’est seulement à travers et à l’intérieur de cette culture qu’ils peuvent vivre leur foi et réaliser pleinement leur identité humaine et religieuse. En outre, l’évangélisation leur demande d’accepter, de purifier et d’enrichir l’héritage chrétien dans leur propre culture.

La culture devient donc un pilier important de la mission et du travail pastoral. Afin d’être présent de manière créative à la culture, il est important d’approfondir la relation entre foi chrétienne et culture vietnamienne : qu’est-il arrivé, que peut-on apprendre du passé et comment la mission de Jésus peut-elle être réalisée dans le contexte d’un dialogue interreligieux entre bouddhistes et chrétiens ?

La terre et le peuple vietnamien

Le Vietnam est situé sur la côte est du Sud-Est asiatique. Géographiquement, c’est une longue et étroite langue de terre qui forme un “S” d’environ 330 000 km2. Ce pays a souvent été vu de l’extérieur comme “une nation, un peuple, un Etat et une culture mais en réalité, c’est une nation multiethnique, dont 54 minorités ethniques sont officiellement reconnues.

La majorité des minorités ethniques (près de 14 millions de personnes) vivent sur les hauts plateaux. Chaque groupe a son propre système de gestion des terres, ses institutions, ses connaissances et ses traditions locales. La plus grande partie de la population vietnamienne est appelée Kinh, ou “peuple de la capitale”. Elle représente la plus grande majorité des Vietnamiens, à savoir près de 66 millions pour une population totale de 80 millions. Les Kinh vivent partout dans le pays, mais surtout dans le delta du Mékong et dans les plaines. L’analyse suivante fait uniquement référence au peuple Kinh.

La composition culturelle vietnamienne

Les Vietnamiens disent que leur culture date de plus de 4 000 ans. De 110 avant J.-C. jusqu’à 938 après J.-C., ce jeune pays des “descendants de dragons et de fées” a été conquis par les Chinois qui y ont importé leur culture et leurs religions. Dès les premières années d’occupation et jusqu’en 1887, le pays a été gouverné par différentes dynasties vietnamiennes. C’est à partir de ce mélange historique de peuples que la culture vietnamienne s’est formée. Les Vietnamiens sont très sensibles à la nature, à la famille et la vie en communauté. Ces réalités méritent d’être étudiées car même les esprits et les ancêtres ouvrent dans l’univers dans lequel nous vivons aujourd’hui. La culture vietnamienne, traditionnellement agricole, est liée de manière fondamentale à la nature et aime vivre en bonne relation avec celle-ci. L’harmonie est une discipline essentielle pour entretenir de bonnes relations au sein de la communauté. Bien que les Vietnamiens apprécient la raison et la logique, ils préfèrent l’affection et les sentiments. Ces différents éléments nécessitent beaucoup de flexibilité et d’adaptation pour être intégrés et développés dans les personnalités. La structure familiale et la vie communautaire sont relativement solides ; le peuple est très conscient de faire partie d’une lignée ancestrale, d’une communauté, où existent des obligations mutuelles à vie. ‘Le vivre ensemble’ est très estimé, contrairement à l’individualisme.

En ce qui concerne l’expérience de l’au-delà, les Vietnamiens ne sont pas nés athées. Consciemment où inconsciemment, ils ont “affaire” à un “Etre supérieur” ou au “Révérend Ciel Ong Troi, c’est-à-dire la cause immanente, le détenteur de la vie et de la mort, de tout ce qui se passe sur la terre. Le Ciel est puissant et miséricordieux. Le peuple demande au Ciel de compatir à ses souffrances et de venir à son aide. Mais le Ciel est aussi un Dieu juste, qui punit les péchés et récompense les bonnes actions. Les Vietnamiens croient en la présence des “esprits” comme un pouvoir surnaturel. Les esprits vivent dans cet univers, dans les arbres, dans la cuisine et dans les montagnes.

Une dévotion très populaire est le “culte des ancêtres”. Pour la plus grande majorité des Vietnamiens, les ancêtres continuent de faire partie de la famille. Ils les consultent, les appellent et ils considèrent qu’ils ont des pouvoirs surnaturels. Pour beaucoup, le culte des ancêtres est, en un sens, une religion d’adoration des ancêtres (Dao Ong Bà). Ils croient en la survie et la présence réelle des ancêtres dans les tablettes funéraires. Le jour de commémoration des ancêtres, les tombes sont décorées et tous les membres de la famille doivent se rassembler dans la maison ancestrale pour montrer leur gratitude et renforcer le lien familial par le partage d’un repas. A minuit, la veille du Nouvel An, on assiste à la cérémonie la plus solennelle du culte des ancêtres.

L’arrivée de religions

A travers les siècles, différentes religions sont parvenues au Vietnam et ont joué un rôle important dans la construction de la culture vietnamienne. Premièrement, le confucianisme, originaire de Chine, a apporté des bases solides avec des règles d’obligations et de devoirs nécessaires à la construction d’un système politique et familial aux relations harmonieuses fortes jusqu’à ce que, “des quatre mers, tous les peuples deviennent frères”. Le roi de la nation, le maître d’école et le père de famille sont les trois protagonistes qui maintiennent la stabilité et la sécurité de la société. Il existe cinq relations primordiales qui doivent être maintenues dans un respect mutuel : souverain et sujet, mari et femme, parent et enfant, grand frère et petit frère, ami et ami. L’homme idéal est un quan tu (kiun-tse, gentilhomme) ayant cinq vertus, Ngu Thuong : nhân (humanité, amour du prochain), nghia (devoirs), le (les rites), tri (intelligence), tin (confiance et loyauté). Les quatre vertus pour la femme sont : công (travail), dung (grâces), ngôn (comportement), hanh (bonne conduite).

Le taoïsme, une autre religion chinoise, a pour principe de base l’honnêteté. Il valorise absolument la vertu du wu-wei, qu’on traduit par “action comme non-action l’action d’éclaircissement spirituelle où le peuple devient un avec le Tao, libéré de toute fixation humaine de langage, concepts et préjudices. Le taoïsme vise à pénétrer la liberté intérieure et le silence sans interférer avec les affaires mondaines et le cycle “gloire – profit”. Les valeurs les plus hautes sont le détachement, la pauvreté, la simplicité, l’humilité, le silence, la renonciation et l’harmonie, qui préparent une bonne terre pour une vie contemplative.

Le bouddhisme, venu d’Inde, est arrivé au Vietnam au Ier siècle après J.-C. et de Chine au IVe et Ve siècle après J.-C. Son âge d’or concerne la période où il est devenu religion d’Etat au Vietnam sous les dynasties Ly (1010-1225) et Tran (1225-1400). Pour le bouddhisme, toute existence implique des souffrances (dukha) ; la vie humaine est un océan de souffrances et finit dans une sorte de frustration existentielle. La racine de la souffrance est le désir (tanha) ; un désir brûlant qu’on ne peut pas satisfaire. Lorsqu’on atteint l’éclaircissement de la cessation du désir (nirvana), on est libéré de la souffrance. Le bouddhisme fournit les chemins du nirvana par la tranquillité de l’âme (upeka), la bienveillance, la charité (maitri), la compassion (karuna) et la joie compatissante (mudita). L’amour compatissant, la paix et la non-violence sont les principaux chemins pour réaliser une transformation sociale et culturelle.

Le dialogue de la foi chrétienne avec les cultures

Le christianisme est arrivé au Vietnam à la fin du XVIe siècle avec les missionnaires européens venus de France, du Portugal et d’Espagne, dans une rencontre entre l’Occident et l’Orient. Ceci a provoqué un conflit de valeurs des cultures ; les valeurs orientales qui mettent en valeur la cordialité humaine, la non-intrusion, l’absence d’égoïsme, la compassion et la modération, ont été confrontées aux valeurs occidentales des lumières qui insistent sur l’importance de la science, de la raison, de l’organisation, de la richesse et de la technologie. Le christianisme a offert une expérience alternative de l’au-delà : Dieu fait homme en la personne de Jésus-Christ. Une expérience qui inclut des croyances s’attaquant aux fondations morales du confucianisme et défiant les structures féodales et corrompues de la société. Le système mandarinal condamna alors la nouvelle religion comme une doctrine purement subversive. La relation entre foi chrétienne et culture provoqua des conflits religieux et politiques traumatisants. Le christianisme était considéré comme une “fausse religion” et commença alors une longue période de deux cents ans de persécution, pendant laquelle 130 000 personnes furent martyrisées. Récemment, 117 d’entre elles ont été canonisées, et une a été béatifiée par le pape Jean-Paul II.

Le dialogue avec le communisme

Nous ne pouvons continuer notre réflexion sur la relation entre foi et culture sans mentionner la rencontre de la foi et du communisme. Le communisme est arrivé au Vietnam dans les années 1930 avec pour objectif de fournir une réponse systématique aux questions fondamentales de la vie. Dans les écoles, la littérature, les médias, le communisme – modifié par les communistes vietnamiens – a été enseigné et diffusé, d’abord au nord du Vietnam à partir de 1954, puis partout dans le pays depuis 1975.

Le communisme se soucie de la condition humaine à travers des analyses marxistes et il espère résoudre les problèmes sociaux par le travail et la lutte des classes. Il a accepté sans conditions l’athéisme, le matérialisme ainsi que le caractère superficiel des connaissances scientifiques, mais il ne reconnaît l’existence ou l’influence d’aucune entité divine ou surnaturelle sur la vie humaine. Croire en l’existence de forces ou d’êtres surnaturels est considéré comme le produit d’un système féodal. Cette croyance est un obstacle au progrès car il rend les gens passifs, sans compréhension des racines de la souffrance. Ce ne sont ni le Ciel ni les esprits qui sont les maîtres de notre destin, mais l’homme lui-même qui doit maîtriser son destin, son histoire. Dans son aspect positif, le communisme est un des facteurs qui purifie l’expérience traditionnelle, la gardant en contact avec le message d’origine de l’Evangile tout en le préservant de la superstition. La liberté de religion fait partie intégrante de la première Constitution, celle de 1946, mais il existe à certains endroits des malentendus, voir même une opposition à la religion. Après une période de contrôle restrictif sur les activités religieuses, les communistes vietnamiens ont progressivement changé pour devenir plus ouverts et plus humains, particulièrement depuis 1986, le temps de la rénovation (doi moi).

L’Eglise se soucie-t-elle uniquement du salut des âmes ? Se limite-t-elle seulement au domaine sacramentel et religieux, préférant ne pas être impliquée dans les problèmes sociaux du peuple ? Cette image de l’Eglise a probablement conforté les communistes dans l’idée que la religion était l’opium du peuple, qu’elle faisait partie du mécanisme oppressif de la bourgeoisie, abandonnant le monde et promettant un bonheur illusoire au paradis. Il est dit que si nous n’apprenons pas de nos erreurs passées, nous les répèterons. Il serait utile de s’arrêter un moment et de réfléchir sur la relation entre foi chrétienne et communisme dans le passé et d’en tenir compte pour la situation actuelle. Suite à la lettre pastorale de 1980 des évêques du Vietnam, l’Eglise au Vietnam a, depuis lors, vécu l’Evangile au cour du pays, en dialoguant et en collaborant avec les communistes pour faire face aux problèmes sociaux du pays.

La leçon du passé

Le christianisme, en arrivant au Vietnam, a trouvé dans la culture vietnamienne beaucoup de valeurs spirituelles, comme la croyance de l’existence d’un “au-delà” et d’un monde spirituel, l’importance des relations harmonieuses, un esprit commun, le sens de la famille, l’amour et le respect de la vie, la vénération des ancêtres, un sens de la solidarité et de la communauté ainsi que le sens du sacré. La culture vietnamienne a découvert, à travers le christianisme, un chemin menant à “l’au-delà”, plongeant de plus en plus profondément dans le mystère de la vie, du monde et de la personne humaine. Cependant, le christianisme vietnamien a été défié par le communisme en ce qui concerne son engagement envers les pauvres, son implication sociale et sa collaboration avec tout le peuple pour résoudre les problèmes sociaux.

La relation entre foi chrétienne et culture a été une occasion d’enrichissement mutuel. Mais nous ne pouvons nier le mutuel malentendu historique. Des missionnaires sont venus avec la pureté de leurs motivations religieuses. Ils ont prêché la Bonne Nouvelle de l’amour, mais ils étaient en relation avec des marchands européens et des partisans. Le christianisme a aussi été condamné comme un envahisseur, voir même comme un ennemi du pays. Il peut être fier d’avoir versé l’eau pure de la spiritualité dans la culture vietnamienne, même si les canaux n’ont pas toujours été transparents. Le christianisme ne s’est pas suffisamment adapté à son nouveau milieu culturel. Beaucoup de valeurs culturelles n’ont pas été prises au sérieux par les missionnaires afin d’être assimilées avec l’Evangile. Par exemple, la vénération des ancêtres était considérée comme une superstition. Peut-être l’eau pure de la brillante spiritualité chrétienne n’était pas buvable, car trop exclusive, occidentalisée et triomphaliste.

Le rapport entre bouddhisme et christianisme a été marqué par une ignorance mutuelle, un air de suspicion, et même, pendant certaines périodes, de malentendus. Pendant très longtemps les chrétiens ont perçu les bouddhistes comme des “étrangers de la religion supposés être en dehors du Salut. Ceux qui vivaient proches de communautés bouddhistes ont adopté une simple attitude de tolérance envers eux.

Derrière tous ces facteurs, on peut détecter un manque d’inculturation. Au XVIIe siècle, Alexandre de Rhodes (1), le fondateur du christianisme vietnamien, à qui on doit la transcription de la langue vietnamienne en caractères latins, écoutait très attentivement les traditions sociopolitiques, culturelles et religieuses du peuple à qui il a annoncé l’Evangile. Il a essayé de les connaître, en utilisant les éléments de la culture locale dans ses missions. Il a réussi à établir un dialogue d’enrichissement mutuel entre les cultures chrétienne et vietnamienne. Toutefois, il est regrettable que l’inculturation, qui était un élément majeur de la stratégie d’évangélisation d’Alexandre de Rhodes, n’ait pas été un souci constant dans l’histoire de la mission au Vietnam. Par conséquent, le christianisme au Vietnam, malgré une présence longue de plusieurs siècles et des efforts apostoliques pour semer le grain de la Bonne Nouvelle et fonder des Eglises locales, a été “dans beaucoup d’endroits, considéré comme étranger à l’Asie, et souvent assimilé aux pouvoirs coloniaux” (2).

Que doit-on-faire ?

La rencontre entre foi et culture fait face, à présent, à de nouveaux défis. Les traditions religieuses millénaires commencent à être brisées par les vagues du consumérisme, du matérialisme, de la mondialisation et de l’industrialisation. La Bonne Nouvelle des Béatitudes qui reconnaît le pauvre, le simple, le docile et les humbles de cour est maintenant défiée par l’attrait, le pouvoir de l’argent et la concurrence du marché libre. Les jeunes, s’ils ne sont pas suffisamment guidés dans la société de consommation d’aujourd’hui, peuvent devenir des victimes pris dans une continuelle guerre de valeurs.

Le problème aujourd’hui est l’évangélisation de la culture en profondeur, afin que l’Evangile s’incarne lui-même dans la culture du peuple pour la transformer de l’intérieur. L’approche pastorale et la mission d’aujourd’hui ont besoin d’une spiritualité intégrée, plus globale et sensible à la culture, qui utilise les symboles culturels afin qu’ils deviennent source d’inspiration pour la vie chrétienne et l’engagement caritatif des fidèles. Dans le contexte de dialogue culturel et interreligieux avec le bouddhisme, il est très important de donner quelques points de repère.

Etre hommes et femmes de foi et de culture

En tant que chrétiens, nous vivons, dialoguons et témoignons au nom de notre foi comme disciples de Jésus. Nous ne pouvons compromettre notre foi. Au contraire, un dialogue vrai nécessite de la franchise, permettant à chacun de vivre librement avec son identité et son appartenance religieuse. En tant que chrétiens, nous devons connaître et pratiquer la foi aussi complètement et authentiquement que possible et montrer que celle-ci a transformé profondément nos vies, que nous vivons dans la joie et la paix. Notre but n’est pas de convertir les autres, mais de vivre la vérité de l’Evangile et d’enrichir la vie de chacun. Tout simplement, nous ne cachons pas notre véritable identité chrétienne, mais nous cherchons les points convergents au-delà des différences religieuses.

Toutefois, nous sommes également les membres d’une communauté de culture vietnamienne et nous partageons cette culture. Nous prenons à notre compte “tout ce qui est vrai, tout ce qui est noble, tout ce qui est bon et pur, tout ce qu’on aime et honore, et tout ce qu’on pense être vertueux et mériter prière” (Phil 4, 8). Par conséquent, lorsque des Vietnamiens se convertissent au christianisme, ils se rendent compte que leurs valeurs culturelles sont appréciées et développées au maximum. Ils reçoivent, célèbrent, vivent et traduisent leur foi dans leur propre culture, dans un langage vraiment compréhensible pour leurs compatriotes.

Les chrétiens baignent dans leur culture tout en prenant à la fois du recul. Ils sont conscients de la présence de péchés au sein de la culture vietnamienne. Dans ce monde pluriel et en mutation, les cultures elles-mêmes ne sont pas éternelles ; elles sont sujettes au changement et au déclin. Un discernement chrétien constant est utile pour connaître, nommer, critiquer ce qui est contraire à l’Evangile ainsi que ce qui doit être purifié à la lumière et à la force de l’Esprit-Saint. En ce sens, nous devons appréhender la culture de manière pastorale, en prenant en compte ses aspects spirituel, moral, économique, politique, culturel et social. Le discernement chrétien doit également tenir compte de la situation réelle du Vietnam et de ses problèmes sociaux : pauvreté, corruption, système éducatif dégradé, urbanisation et industrialisation, afin d’aller de l’avant.

La vision d’harmonie

La vision d’harmonie (3) est indispensable au dialogue interreligieux. Pour les bouddhistes, l’ignorance et le désir sont les racines des divisions et des conflits. L’octuple chemin passe à travers la compassion universelle, l’écoute des autres et la tolérance. L’harmonie, donc, est cruciale dans la recherche de l’éveil. Les chrétiens croient en un Dieu trinitaire de communion : le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Dieu est le Père de tous les êtres humains, son Fils a été envoyé pour unifier toute l’humanité dans le Saint-Esprit qui travaille dans nos cours et dans les religions. Les chrétiens sont les disciples de Jésus-Christ imitant son chemin de kénose, de compassion et d’offrande de sa vie.

Dans cette perspective, nous, les chrétiens, devons être prêts à l’autocritique et au repentir pour les erreurs, les malentendus et les préjudices commis. Le discernement régulier nous rend sensible au travail mystérieux de l’Esprit-Saint dans les autres religions, et dans la découverte du fait que les personnes rencontrent l’Esprit dans leur propre contexte. Les chrétiens, dans une démarche de dialogue, apprennent à prier et à attendre avec patience et humilité. Sans contourner les étapes, nous continuons humblement, patiemment, sous la conduite progressive de Dieu, en espérant que Dieu donnera à chacun la possibilité de comprendre le Christ en son temps. En attendant, nous sommes présents comme des instruments de Dieu “toujours prêts à donner des explications à quiconque demande une raison d’espérer” (1 P 3,15). Nous reconnaissons que le facteur qui améliore la crédibilité aux yeux des croyants d’autres religions n’est ni la beauté de la doctrine, ni le pouvoir ou l’efficacité de l’Eglise, mais précisément les fruits de l’Esprit, à savoir paix, espérance, joie et charité envers ceux qui sont dans le besoin ou souffrent.

L’atmosphère respectueuse

Toutefois, le dialogue interreligieux n’est pas seulement une discussion sur des systèmes de religion. Les bouddhistes et les chrétiens vivent ensemble et, si c’est possible, ils peuvent partager quelques valeurs spirituelles ou les merveilles que Dieu a faites pour eux. C’est une manière de participer avec reconnaissance au dynamisme spirituel de la révélation de Dieu dans les autres religions. La motivation de leur vie commune et du dialogue sont le désir de la vérité et de la charité, avec l’idée que “seule la vérité peut surmonter les divisions parmi les peuples et que la victoire de la vérité, c’est l’amour” (4).

Nous, catholiques, sommes-nous trop bruyants en matière de dialogue interreligieux ? Il est peut-être utile de rappeler qu’au cour du dialogue, se trouve le dialogue avec le Très-Haut, qui parle de différentes manières à travers les traditions religieuses. Les partenaires du dialogue interreligieux sont des personnes qui apprennent et sont à l’écoute d’une discipline qui consiste à garder le silence afin que chacun puisse entendre et accepter la voix du sacré. Comme le dialogue dans un temple, tout mot inapproprié peut être un obstacle, tout comme un bruit inattendu viendrait perturber nos pensées. Nulle part ailleurs le silence n’est autant apprécié, sacré et riche de sens que dans un dialogue interreligieux, où les personnes ont besoin de calme et d’une atmosphère paisible pour méditer en paix et sereinement sur la sagesse des vrais maîtres de tous les temps. L’authentique dialogue nous conduit au sanctuaire d’une vie portée par la prière qui ouvre la voie de la contemplation à l’individu et à la communauté. Beaucoup de pionniers se sont investis dans un dialogue intra-religieux, intériorisant l’expérience, la croyance des autres “au-delà des mots, du discours et des concepts” (5).

La christologie contextuelle

La christologie est l’étude de Jésus-Christ, se concentrant sur le Jésus historique et le Christ de la Foi, en décrivant la continuité et la discontinuité entre les deux. “Jésus-Christ est le même hier, aujourd’hui et pour toujours” (He 13,8). Jésus de Nazareth, qui a vécu au Ier siècle, n’est pas un personnage distant du passé ; il est aujourd’hui présent au cour de toutes les communautés chrétiennes. Le but de la christologie n’est pas d’étudier Jésus-Christ comme un simple objet de science, mais de Le connaître dans le contexte biblique, c’est-à-dire de réaliser non seulement une connaissance intellectuelle de sa personne mais également empirique afin de pénétrer dans Son mystère. La façon dont les gens Le comprennent doit être adaptée à certains contextes socio-historiques. Ceux qui font l’expérience de Jésus sont amenés à partager sa vie et son message avec le peuple du contexte culturel actuel. Ceci exige des chrétiens d’être fidèles à l’expérience unique de Jésus-Christ et, en même temps, d’être suffisamment créatifs pour le présenter dans un langage aussi compréhensif que possible à leur auditoire, afin qu’ils soient en mesure de traduire son message dans leur propre vie.

La christologie, présentée au Vietnam jusqu’à présent, était marquée par l’image du Christ comme roi, sauveur des âmes. Faire de la christologie aujourd’hui exige une foi alerte qui va se répercuter sur des opinions héritées du passé et sur la situation actuelle des Vietnamiens. Dans un pays pauvre comme le Vietnam où la culture a besoin de réaffirmer ses valeurs spirituelles, une christologie contextuelle présente Jésus comme le Chemin, la Vérité et la Vie qui nous mènent vers le Père et vers nos voisins dans notre société, où, ensemble, nous mettons en application les valeurs du Royaume. Jésus nous a demandé de vivre avec justice et compassion afin que nous puissions expérimenter l’harmonie dans nos vies et devenir des instruments de dialogue, de réconciliation et d’engagement au sein de notre peuple (5).

Conclusion

Ce bref regard dans une démarche de dialogue entre foi et culture au Vietnam nous amène à reconnaître humblement “ce que nous avons fait et ce que nous n’avons pas réussi à faire” en semant les graines de la Bonne Nouvelle dans la terre fertile du Vietnam. Aujourd’hui, les chrétiens vietnamiens avancent dans la lumière du concile Vatican II, incorporant la foi dans la culture et convaincus qu’“une foi qui ne devient pas culture est une foi qui n’est pas totalement acceptée, entièrement comprise ni fidèlement vécue” (Jean-Paul II).

Notes

(1)Voir Peter C. Phan, Mission and Catechetics, Alexandre de Rhodes and Inculturation in the 17th Century Vietnam (Maryknoll, NY, 1998), p 197.

(2)Ecclesia in Asia, n° 9.

(3)Voir Theological Advisory Commission (TAC) “Asian Christian Perspectives on Harmony”, in Federation of Asian Bishops Conference (FABC), For all the Peoples of Asia, vol 2, édité par Franz-Joseph Eilers, SVD (Quezon City, Phil.; Claretian Publications, 1997). pp. 288-98. Chapter V : “A Life of Harmony”

(4)Saint Augustin, Sermon, 358 P.L. 39/1586, cité dans Secretariatus Pro Non-Christians, Guidelines for a Dialogue between Muslims and Christians (Rome, Edizioni Ancora, 1969), p. 35.

(5)Voir Gregory Perron, OsB, “Radical Openness: Toward a Christian Spirituality of Interreligious Dialogue in Depth”, Monastic Interreligious Dialogue Commissions Bulletin E. 17, 2004/1, pp. 23-27.