Eglises d'Asie – Divers Horizons
LES MARIAGES MIXTES DANS LES SOCIETES MULTICULTURELLES
Publié le 18/03/2010
Mon rôle sera ici d’essayer, en termes sociologiques, de développer des hypothèses qui pourraient conduire à l’élaboration d’une théorie scientifique charpentée. Dans le langage ordinaire de tous les jours, développer des hypothèses veut dire simplement poser des questions. Je propose donc d’aborder notre sujet sous un angle sociologique et anthropologique et, dans un deuxième temps, d’analyser, toujours sous ce même angle, les problèmes qui peuvent surgir, puis, dans un troisième temps, je tenterai de voir quelles solutions sont possibles à ces problèmes, et enfin, je dirai quelques mots de ce que je crois être les questions les plus pertinentes auxquelles il faut répondre.
A.) Considérations sociologiques et anthropologiques
Mariages mixtes
Deux personnes de religions différentes se marient. C’est une réalité sociale que l’on rencontre partout. Un tel mariage dans lequel un des deux conjoints est catholique – c’est le genre de mariage que nous étudierons ici – est un mariage mixte selon les termes de la pastorale canonique. Inutile de dire qu’il comporte un grand nombre d’implications théologiques, canoniques et pastorales – qui seront traitées par d’autres intervenants au cours de cette conférence. J’étudierai de tels mariages uniquement d’un point de vue anthropologique – ce qui en langage de tous les jours signifie : selon le sens commun !
Sociétés multiculturelles
Elles sont la réalité sociologique de notre monde globalisé d’aujourd’hui : ce sont des personnes de races, de religions, de cultures, d’opinions politiques, de milieux différents, etc. qui vivent ensemble, communiquent les unes avec les autres dans une forme de relation stable et permanente de communauté. Elles seront, dans la plupart des sociétés de notre époque et dans le contexte asiatique, de races différentes et de cultures différentes. Nous savons que les deux termes de race et de culture ne sont pas interchangeables. Deux personnes de la même culture peuvent appartenir à deux races différentes et vice versa, deux personnes de même race peuvent appartenir à deux cultures différentes. Si nous ajoutons la religion, comme autre facteur important des sociétés multiculturelles, la situation devient encore plus compliquée, car la religion n’est pas, elle non plus, en relation directe avec la race ou la culture. Mais pour simplifier un peu les choses, nous prendrons le terme de multiculturel comme synonyme, pour des raisons pratiques, de pluriculturel, parce que je pense que c’est la culture, plus que la race en tant que telle, qui pose problème dans les sociétés multiculturelles. De plus, la culture, dans son acception anthropologique, comprend tous les aspects du mode de vie des gens : religieux, politique, économique, social, etc.
Tel sera le contexte de notre étude des mariages mixtes : des sociétés multiculturelles, c’est-à-dire comprenant des gens de traditions culturelles différentes vivant ensemble et communiquant entre eux malgré leurs différences. Et si, en même temps que ces différences, se trouve présent le sentiment d’une culture nationale, nous considèrerons ces différences comme les traditions d’une sous-culture à l’intérieur d’une culture plus large.
Nous pouvons discerner dans ce contexte un joli nombre de complications : a.) un couple marié de religions différentes mais de même culture (mono culturel), b.) un mari et une femme de deux religions différentes et de deux cultures différentes et c.) un couple vivant dans une société multiculturelle, dans laquelle l’une ou l’autre des deux cultures (du mari ou de la femme) est, soit, dominante, soit, une sous-culture dans une culture plus large, etc. Tous ces cas composent des catégories différentes de “problèmes” que nous verrons dans le paragraphe suivant.
Ces complications culturelles dans ces sociétés multiculturelles nous conduisent à souligner un certain nombre de traits sous-jacents. En premier lieu, les cultures au plus profond d’elles-mêmes sont des systèmes de valeurs coexistants ensemble, mais différents les uns des autres, pouvant entrer en conflit ou pouvant s’agréger plus ou moins dans un ensemble visible, etc. Les religions sont également des systèmes de valeurs et elles sont généralement intégrées à une culture donnée, au point qu’une religion soit pratiquement synonyme d’une culture, ou qu’une certaine forme d’inculturation ait eu lieu. Mais ce n’est pas toujours le cas, comme nous l’avons déjà noté. Ainsi, dans un mariage mixte, même si le couple appartient à la même culture, les valeurs religieuses du mari et de la femme seront différentes.
En deuxième lieu, les valeurs sont transmises aux enfants par le processus de socialisation, qu’est l’éducation des enfants et qui les fait s’imprégner des valeurs de la culture. Les transmetteurs de ces valeurs sont nombreux, essentiellement la famille, la communauté (religieuse ou civile), l’école, les institutions qui se consacrent à l’enseignement des enfants dans leur comportement d’êtres humains (dans la mesure où la culture définit l’être humain). Nous voyons là où se trouve le problème fondamental qui concerne l’éducation des enfants : les valeurs (au moins les valeurs religieuses) du mari et de la femme dans un mariage mixte peuvent être différentes ; les valeurs résultantes (possiblement en conflit avec les précédentes) dans une société multiculturelle peuvent très bien être différentes aussi, de même que celles qui sont enseignées à l’école (dans la plupart des cas des valeurs “modernes Comment un enfant assimile-t-il toutes ces valeurs, pour ne pas dire comment les réconcilie-t-il, si elles sont conflictuelles ? C’est le problème au cour de notre sujet.
En troisième lieu, des différents transmetteurs de valeurs que nous avons mentionnés, la famille tient et joue un rôle primordial dans la plupart, sinon dans toutes les sociétés connues. Et les principaux éducateurs, ceux qui amènent l’enfant à la vie sociale, sont par la force des choses les parents, et plus particulièrement la mère. Ce rôle particulier de la famille par rapport à l’enfant est l’aspect majeur que nous examinerons dans les mariages mixtes. Dans les études anthropologiques modernes, on voit se développer une littérature abondante sur l’éducation des enfants dans les différentes sociétés. L’idée sous-jacente à cette littérature est le fait que l’on comprend mieux la culture d’une société donnée si l’on sait comment y sont élevés les enfants. En voyant ce que les membres de cette culture jugent suffisamment important à leur transmettre, en voyant les règles de conduite qu’ils adoptent pour guider leurs rapports avec les autres, ce qu’ils doivent vouloir et faire s’ils veulent être des membres admis dans cette société, etc., on aura un aperçu exact des aspects importants de cette culture et particulièrement de ses valeurs et des définitions culturelles du bien qu’il faut atteindre.
En dernier lieu, les enfants sont plus malléables dans leurs jeunes années, ce sont des exemples parfaits de ce qu’on entend, je pense, par table rase. Les années pendant lesquelles les enfants sont les plus réceptifs à la formation sont, selon les psychologues de l’enfance, celles de deux à six ans. D’où l’importance des pratiques de l’éducation : elles montrent non seulement quelles valeurs sont enseignées aux enfants, mais, ce qui est encore plus important, comment les enfants les apprennent. Ce qui me laisse à penser que le jardin d’enfants pourrait être plus crucial que l’université !
Ceci me fait penser à une autre chose, à savoir qu’il est possible dans les familles aisées, que le premier processus de socialisation, durant les années les réceptives de l’enfant, soit confié à une employée de maison et non à une mère. S’il en est ainsi, ce seront les valeurs de la personne en charge de l’enfant qui seront transmises dans cette période de réceptivité. Et, dans ce cas, on peut se demander ce que seront ces valeurs – disons pour des enfants arabes élevés par des chrétiens, ou à la limite par des servantes non musulmanes. Il y a beaucoup de yayas des Philippines (servantes, amahs, ayahs) employées ainsi dans des milliers de foyers au Moyen-Orient et on nous a cité l’exemple de parents arabes se plaignant de ce que leurs enfants connaissaient des prières comme le Notre Père ou le Je vous Salue Marie et pas les prières du Coran ! Est-ce que l’éducation de ces enfants aux mains d’employées de maison chrétiennes et étrangères aura une incidence sur leur façon de penser et de se conduire dans leur vie d’adulte ?
B.) Les problèmes
Le principal problème est la présence d’un nombre trop élevé de possibilités de mariages mixtes dans les sociétés multiculturelles, c’est-à-dire toutes les complications auxquelles nous venons de faire allusion. Il existe un très grand nombre de combinaisons ou d’oppositions entre la foi d’un côté et la culture de l’autre au sein d’une même famille ; et ces éléments sont encore aggravées par les myriades de possibilités de l’environnement social et des différentes influences qui s’exercent dans une société plurielle.
Mais, revenons à quelques-unes des complications mentionnées : 1.) Des couples de religions différentes mais qui appartiennent à la même culture. Ainsi, prenons, aux Philippines, le cas d’un membre de ni Kristo, une religion violemment anticatholique, marié à une catholique : l’opposition religieuse du partenaire non catholique sera-t-elle transmise aux enfants d’un tel mariage ? ; 2.) Un mari et une femme de cultures différentes, par exemple un Indonésien et une Japonaise : quelle tradition culturelle dominera dans ce foyer ? ; 3.) La réponse à cette question peut aisément découler de celle des deux traditions qui sera dominante dans la société multiculturelle dans laquelle le mariage s’est produit. ; 4.) Néanmoins, dans une situation multiculturelle donnée, le mariage peut très bien avoir eu lieu dans une société où les deux cultures indonésienne et japonaise sont absentes ; 5.) Il est alors possible que soit la foi, soit la culture de l’un ou l’autre des époux soit la plus forte ; les enfants seraient alors élevés comme s’ils étaient des individus d’une monoculture (au moins à l’intérieur de leur milieu familial) ; 6.) Mais il est également possible que l’une et l’autre foi d’un mariage mixte soit de force égale au sein d’une société multiculturelle (par exemple chiites et sunnites en Irak) et qu’elles soient incompatibles l’une avec l’autre : comment les rapprocher ?
Déroutant ? Certes, mais la complexité vient du sujet tel que nous l’avons posé. Car il y a de nombreuses variantes possibles à un mariage mixte dans la manière dont il est vécu au sein de la famille même. Introduisez ces variantes possibles dans les conditions de vie encore plus compliquées d’une société multiculturelle et elles seront aussi nombreuses et compliquées que le couple peut le vouloir, de même que dans le contexte social de leur mariage. Comme le diraient des sociologues, les variables du problème sont simplement trop nombreuses.
Ici, c’est le couple de religions différentes qui nous intéresse. Le mari et la femme dont les religions sont différentes peuvent appartenir à la même culture ou être de cultures différentes. De plus, ces mariages devront être vécus dans l’environnement d’une société multiculturelle, où toutes les sortes de variations sont possibles entre la foi et la culture.
Dans tous les cas (s’il est possible de tous les définir), se poseront les questions suivantes :
Les valeurs de la foi sont-elles très différentes, semblables ou complémentaires ?
Les valeurs de la société multiculturelle, dans laquelle le mariage a eu lieu, sont-elles contradictoires ou au moins différentes ?
En ce qui concerne le couple, les valeurs de la culture la plus forte inhibent-elles, soutiennent-elles ou coïncident-elles avec les valeurs du mariage mixte ?
Les variantes ci-dessus, inutile de le dire, affectent la manière même dont le couple réagira d’abord l’un à l’autre et ensuite vis-à-vis de l’éducation des enfants.
Comment le mari et la femme réagiront-ils l’un vis-à-vis de l’autre : “L’analyse culturelle un exercice, devenu banal dans les communautés ecclésiales de base (CEB), est un effort fait par leurs membres pour avoir une meilleure compréhension de leur culture afin de mieux l’intégrer dans la foi, un processus d’inculturation de base de la CEB. Là où on analyse deux cultures ou plus, on développe une compréhension ainsi qu’une appréciation des différences qu’elles peuvent avoir avec sa propre culture. La tolérance se fait jour également pour mettre de côté plus aisément les comportements propres à ces autres cultures. Les relations entre mari et femme de milieux culturels différents seront fortement influencées par la compréhension analytique que chacun a de la culture de l’autre. Ce genre de compréhension des différences culturelles est quelque chose dont s’occupent bien peu les pasteurs de nos églises, parce qu’ils acceptent simplement qu’il y ait des différences et qu’ils font confiance à l’amour mutuel que se porte le couple pour résoudre les problèmes qui pourraient en résulter.
La socialisation des enfants : de toutes les situations possibles qui peuvent exister dans la vie pour des mariages mixtes dans des sociétés multiculturelles, le grand problème pour nous, dans l’Eglise, concerne les valeurs. Toutes sortes de possibilités (dangers, complications, occasions ?) existent en ce qui concerne la transmission des valeurs par l’éducation des enfants, d’abord au sein et par la famille elle-même, et ensuite dans et par la société. Ainsi, pour donner quelques exemples :
Dans le choc inévitable de la manière de voir le monde (valeurs, croyances, pratique) transmises aux enfants, de quelles valeurs hériteront-ils ? Si les différentes visions du monde ne sont pas un tant soit peu harmonisées, le danger d’un comportement schizophrène des enfants est bien réel.
Mais en harmonie ou non, les enfants peuvent apprendre à être biculturels, voire multiculturels, à savoir s’adapter aux différentes situations dans lesquelles ils vivent. Mais cette flexibilité contribue-t-elle à une véritable maturité ? Ou bien s’ils sont éduqués dans l’ambiance d’une culture alors qu’ils vivent dans un contexte multiculturel, cette culture sera dominante, même s’ils vivent dans un contexte pluriculturel. Est-ce que l’ancrage psychologique sera suffisant pour leur donner une identité claire d’eux-mêmes ? Ces développements appellent des solutions pour résoudre les problèmes complexes qu’ils entraînent dans l’existence.
C.) Les solutions possibles
Quelles que soient les solutions, elles dépendront de trois questions :
– Comment continue-t-on de vivre sa foi dans un mariage mixte ?
– Quelle relation de type religieux a-t-on avec son conjoint dans un tel mariage ?
– Comment sont élevés les enfants dans un mariage mixte ?
Nous avons déjà abordé la seconde et la troisième question, à savoir les relations entre époux et celle de l’éducation des enfants. Probablement, ces trois questions n’en font qu’une : comment le conjoint catholique vit-il (et garde-t-il) sa foi dans un mariage mixte ? Les deux autres questions ne servent qu’à donner une réponse à la première. Parce que si le conjoint catholique dans un mariage mixte vit bien sa foi, son succès pourra largement se mesurer à la façon dont il communique avec son conjoint et dont il élève ses enfants.
Le contexte des mariages mixtes que nous avons pris en considération est celui des sociétés multiculturelles. La raison de ce choix est que de tels mariages, s’ils se produisent dans une société mono-culturelle, poseront beaucoup moins de problèmes au conjoint, au moins à celui qui appartient à la culture du lieu. On attend, en effet, moins de difficultés de la part d’un conjoint chrétien, parce que la société au sens large, si elle est chrétienne, lui apportera son soutien dans la pratique de sa foi. Le problème sera différent quand ces soutiens sont inexistants.
En voyant toutes les alternatives et les complications que nous avons rapidement mentionnées, il n’est peut-être pas possible de donner une réponse qui soit satisfaisante dans tous les cas. Mais il doit y avoir un effort de la part de chaque conjoint pour comprendre la religion et la culture de l’autre. On a rapidement mentionné la nécessité d’une “analyse culturelle” -un terme probablement prétentieux mais qui signifie simplement la tentative de comprendre pourquoi les gens pensent et agissent comme ils le font et la tentative de sympathiser avec eux en dépit de toutes les différences. Cette tentative, menée dans les différentes cultures religieuses des couples de mariage mixte, est une nécessité vitale et la seule chance de succès. Mais, avant tout, il doit y avoir un amour véritable.
Il nous semble donc que la seule vraie réponse est celle qu’a donnée le pape Benoît XVI dans sa première encyclique, Deus caritas est. L’amour, comme il est dit, emporte tout – amor vincit omnia. Le couple, tel que le propose Benoît XVI aux chrétiens, devra faire de gros efforts pour sublimer son eros possessif et égoïste en un agape d’offrande. Parce que le mariage n’est pas simplement le partage de deux corps, mais aussi celui de deux esprits, deux cours, deux âmes pour l’unité ultime d’un homme et d’une femme, dont la Genèse annonce l’arrivée. Quand tout est dit et fait, l’approche, que l’on vient de décrire, est celle que les pasteurs suivent (ceux qui n’essayent pas de parler de différences culturelles, mais conseillent simplement l’amour entre le mari et son épouse dans un mariage mixte) et c’est probablement la meilleure voie pour surmonter toutes les difficultés et les problèmes que nous avons évoquées.
Cette réponse peut paraître trop facile, trop spécieuse. Mais c’est déjà la réponse. Toutefois, alors même que nous le disons, des questions plus fondamentales se posent sur nos manières d’agir au sein de l’Eglise.
Les questions plus fondamentales
Peut-être que les questions que nous allons maintenant poser ne sont pas aussi fondamentales que celles que nous avons déjà posées, si nous ne pouvons, dans notre recherche de solutions, aller au-delà de l’amour, dont parle si bien le pape Benoît XVI. C’est un amour, qui, après tout, n’est pas propre aux catholiques, ni aux chrétiens.
Les questions plus fondamentales qui viennent à l’esprit dérivent de quelques documents de Vatican II, plus particulièrement ceux sur l’ocuménisme (Unitatis Redintegratio), sur le dialogue entre les religions, ou sur les relations avec les religions non chrétiennes (Nostra Aetate), et en fin de compte sur la dignité humaine (Dignitatis Humanae). Chacun de ces documents a un rapport direct avec notre sujet. Tous les trois touchent aux aspects de base de la vie chrétienne et des relations humaines. Mais nous ne les avons guère utilisés explicitement dans l’étude des mariages mixtes. L’ocuménisme et le dialogue entre les religions dans ces mariages : leur rapport est direct, mais qu’en est-il de la dignité humaine ? Cela implique des enjeux auxquels nous n’avons pas encore apporté d’attention.
Voilà quelques points tirés des trois encycliques dans le cadre de notre sujet :
L’ocuménisme
Dans les sociétés multiculturelles d’Asie, les chrétiens sont une minuscule minorité, représentant 100 millions d’hommes dans un continent de plus de trois milliards d’habitants. Néanmoins aussi peu qu’ils soient en nombre relatif, des mariages se font entre des membres de groupes chrétiens différents. Dans ces mariages, les leçons que nous avons apprises du dialogue ocuménique sont d’une grande aide. En effet, c’est dans ces mariages que le dialogue ocuménique doit avoir lieu et probablement avant tout autre dialogue, simplement parce que l’existence humaine commence dans la famille. De plus, le dialogue ocuménique touche des problèmes théologiques (ou des pratiques de l’Eglise), qui, je le crains, n’ont pas été résolus de manière satisfaisante ni approfondis sérieusement.
Prenons un exemple : c’est dans ce type de mariage que nos restrictions mentales sur “l’intercommunion” sont les plus vivement ressenties, voire les plus “douloureusement ressenties “Une famille qui prie ensemble demeure unie” – c’est ce que nous proclamons avec une certaine désinvolture pour les familles catholiques. Mais qu’en est-il des mariages “ocuméniques” ? Je connais des familles qui prient régulièrement – alternativement – dans les Eglises du mari et de l’épouse et reçoivent les sacrements de ces deux Eglises, sans aucun des scrupules que nous avons dans l’Eglise “officielle Je n’ai jamais eu le courage de les décourager et de leur dire – au moins au conjoint catholique – que de telles pratiques allaient à l’encontre de la loi de l’Eglise. Dans un mariage, pouvons-nous nous immiscer dans l’amour qui unit le couple au nom de “la seule vraie manière de glorifier Dieu” (notre credo) ? Du point de vue canonique, on peut répondre à cette question très facilement, mais du point de vue théologique et pastoral ? Est-ce une question hérétique ?
Le dialogue entre les religions
Dans un mariage entre un catholique et un conjoint d’une religion non chrétienne, je peux trouver une complication encore plus grande au problème de la prière commune dont nous venons de parler dans le cas des couples ocuméniques. C’est lorsque l’objet de l’adoration et de la prière est très différent : un Dieu unique, un Dieu personnel ou un Dieu impersonnel, des dieux ou déesses sans nombre, des esprits, des héros traditionnels, des ancêtres. Mais cette différence même est quelque chose que le couple en question doit affronter.
En d’autres termes, le dialogue entre les religions, comme le dialogue ocuménique, dont nous parlions il y a un instant et que nous essayons de promouvoir dans l’Eglise, doit commencer dans la famille elle-même. Pour un mariage mixte en pleine santé, ce dialogue est crucial et nécessaire. Il doit au moins avoir lieu pour la compréhension mutuelle des valeurs et des pratiques religieuses de chaque conjoint. L’absence de cette compréhension ne pourra amener que des tensions, des divisions, des querelles, qui rendront la paix familiale difficile – sinon impossible. Mais une fois encore, il semble, si nous nous référons aux pratiques courantes de l’Eglise, que notre intérêt s’est tourné davantage – voire exclusivement – vers le dialogue en dehors de la famille, c’est-à-dire avec des représentants officiels ou des personnes pratiquantes de ces religions et non pas entre les conjoints d’un couple qui ont à vivre à longueur de journée avec les manifestations d’orientations religieuses différentes.
La liberté religieuse
C’est peut-être le problème le plus difficile auquel est confronté le mariage mixte. Les jours sont loin où un conjoint non catholique devait promettre que les enfants seraient élevés dans la religion catholique, pour que l’Eglise autorise son mariage. Aujourd’hui, nous ne pouvons parler que d’un conseil.
Nous avons déjà évoqué le rôle de la famille en tant qu’agent de socialisation des enfants, leur transmettant les valeurs d’une culture de la société dont ils sont les jeunes membres. Quelles sortes de valeurs, spécialement religieuses, sont transmises aux enfants dans un mariage mixte ? Nous avons aussi mentionné le cas des pratiques d’adoration d’une “famille ocuménique” dans les Eglises de deux parents. Nous reposons la question de savoir quelles valeurs religieuses et quelles attitudes se développent dans l’enfant à la suite de telles pratiques ? Une attitude du genre “toutes les religions se valent du relativisme, de l’indifférence ? Est-ce que notre position vis-à-vis de la liberté religieuse s’applique aux enfants ou aux parents qui ne veulent pas mettre la pression sur eux pour le choix de l’une ou l’autre des religions ?
Dans l’exemple que j’ai donné d’un catholique marié à un membre de ni Christo, où ce dernier s’opposait fermement au baptême voulu par le conjoint catholique, il justifiait sa position en affirmant que l’enfant choisirait sa religion à sa majorité. Est-ce que cette position est tellement éloignée de la nôtre sur la liberté religieuse ? Quelle que soit notre réponse à cette question préoccupante, il me semble que le moins qu’on puisse demander, est que le dialogue ocuménique que nous réclamons entre les époux d’un mariage mixte, soit partagé – et de façon active – par les enfants. Ils devraient écouter, discuter avec leurs parents et apprendre d’eux quelles sont les différences entre leurs religions respectives, quelles sont les croyances et les disciplines de chaque religion, etc. Cela demande beaucoup plus que ce que les catholiques peuvent apprendre de leurs cours de catéchisme ou de leur éducation religieuse. Si cela devait être ainsi, il ne nous resterait plus que l’alternative de donner à nos gens ce plus nécessaire du fondement de leur foi !
Conclusion
Je ne suis pas un expert des mariages mixtes. Mais j’ai souhaité poser des questions, des questions d’ordre sociologiques qui demandent des réponses pastorales. Je ne doute pas que, dans un rassemblement comme celui-ci, avec toute la riche expérience pastorale des différents modes de vie des pays qui sont représentés, des réponses jaillissent aux questions posées. Mais quelles que soient ces réponses, je ne doute pas non plus qu’elles entraîneront d’autres questions, comme elles le doivent. Et si elles le font, cela ne voudra dire qu’une seule chose : que l’Eglise d’Asie est bien vivante – en recherche, en mouvement, donc vivante.
Une dernière pensée : au Synode des évêques pour l’Asie de 1998, on a dit que l’image que nous avions donnée, en tant qu’Eglise aux peuples non chrétiens d’Asie, avait été celle d’une institution bien organisée, remarquable dans son engagement social, dirigeant de bonnes écoles et de bons hôpitaux, etc. Une image positive, mais avec un manque : nous ne projetions pas – c’est ce qu’on nous a dit – une image de sainteté et d’ascétisme comme le font les religions plus traditionnelles d’Asie. Nous n’avons pas la tradition du “saint homme” qu’ont, par exemple, les swamis de l’hindouisme ou les moines du bouddhisme. Au vu de cette remarque, les délégués au Synode ont pensé que la notion de disciple, avec sa connotation très forte de témoin, serait un appel plus fort pour les mentalités asiatiques et devrait être travaillée consciencieusement dans nos Eglises.
Si ce jugement est valable, nous ferions bien de nous demander à sa suite : qu’en est-il des familles ? Des familles en tant qu’Eglises domestiques, où le disciple chrétien reçoit la vie et est élevé, où se trouvent l’enseignement et l’ouverture à l’enseignement des uns par les autres, le discernement, le partage de l’expérience et de la vie de la foi ? Et spécialement des familles des mariages mixtes, où le conjoint catholique devrait être un disciple véritable – dialoguant en paroles et en actes, partageant sa foi, non pas tellement par des paroles et des arguments, mais par sa fidélité et sa pratique des valeurs du Royaume ?