Eglises d'Asie

A Bali, la « Commission pour la vérité et l’amitié » a commencé ses auditions au sujet des violences qui ont accompagné le retrait de l’Indonésie du Timor-Oriental, en 1999

Publié le 18/03/2010




Le 19 février dernier, sur l’île de Bali, la « Commission pour la vérité et l’amitié » (KKP, selon l’acronyme indonésien) a débuté ses auditions. Commission binationale, formée à l’issue d’un accord conclu en 2005 entre le Timor-Oriental et l’Indonésie, elle doit conduire cinq séries d’auditions au cours des six prochains mois pour tenter d’établir les circonstances des violences qui ont eu lieu lors du retrait de l’Indonésie du Timor-Oriental, après le référendum d’août 1999 organisé par l’ONU. Ces violences, commises par l’armée indonésienne et les milices est-timoraises à sa solde, avaient fait près de 1 400 morts et entraîné le déplacement de 250 000 personnes (1). Les conclusions des travaux de la commission n’auront pas de traduction judiciaire, même si la KKP a le pouvoir de recommander l’amnistie pour ceux qui viendront témoigner devant elle.

Co-présidée par un Est-Timorais et un Indonésien, la commission compte dix membres – cinq Indonésiens et cinq Est-Timorais -, issus de la société civile, notamment des secteurs universitaire, juridique, humanitaire et religieux. Parmi les Indonésiens, figure Mgr Petrus Turang, archevêque du diocèse catholique de Kupang. Lors d’une assemblée organisée en janvier à Atambua, au Timor occidental, Mgr Turang avait expliqué à environ deux cents ex-réfugiés est-timorais, désormais installés dans la province et ayant opté pour la nationalité indonésienne, que la commission avait pour objectif « de promouvoir la réconciliation et l’amitié, afin que des événements semblables à ceux de 1999 ne se reproduisent pas ».

Il est prévu que la commission organise des forums en différents lieux de l’Indonésie et du Timor-Oriental, à Denpasar, à Djakarta, à Kupang et à Dili, afin de rencontrer les personnes impliquées dans les événements en question. Des ONG et des organisations issues des milieux formés par les ex-réfugiés seront également chargées de collecter des informations. Enfin, lors des sessions d’auditions, la commission entendra les témoignages de hauts responsables politiques au pouvoir à l’époque des faits, notamment l’ancien président indonésien Habibie et le président est-timorais Gusmao. Lors des auditions du 19 février, tant Jusuf Habibie que ‘Xanana’ Gusmao se sont faits excuser, l’ancien président indonésien étant en déplacement en Allemagne pour raison de santé et le président est-timorais étant retenu à Dili par la préparation des élections présidentielles d’avril prochain. L’ancien évêque de Dili – et prix Nobel de la paix 1996 -, Mgr Belo, n’a pas pu se rendre à Bali pour cette première session. Au fil des auditions, d’autres responsables devraient être entendus, tels l’ancien ministre indonésien des Affaires étrangères, Ali Alatas, l’ex-chef des forces armées indonésiennes, le général Wiranto, ou bien encore des chefs de milices, tel Eurico Guterres, de la milice Aitarak.

En Indonésie comme au Timor-Oriental, le travail, voire la raison même d’être de la commission soulèvent des questions. Ses partisans mettent en avant le fait que le rôle d’une telle instance n’est pas de rendre la justice, mais d’aider « des sociétés en transition à se tourner vers l’avenir en se penchant sur leur passé comme on peut le lire dans une tribune libre du Jakarta Post du 22 février. Des pays comme l’Afrique du Sud, le Guatemala, le Maroc ont su entrer dans un tel processus « de transformation sociale par la réconciliation ». En 2005, le président Gusmao avait déclaré qu’il était nécessaire « de se tourner vers l’avenir avec un cour pur, plutôt que de ressasser le passé avec un cour lourd ».

Pour les adversaires de la commission, celle-ci est une instance inutile dont les conclusions n’aboutiront pas à la réconciliation recherchée et ne serviront qu’à perpétuer l’impunité qui a prévalu jusqu’à ce jour pour les crimes commis lors de l’occupation indonésienne du Timor-Oriental. Depuis l’accession à l’indépendance du Timor-Oriental, la question des crimes commis sous l’occupation indonésienne et lors du processus qui a abouti à la séparation d’avec l’Indonésie a toujours été sensible. En Indonésie, sur dix-huit personnes inculpées de violations des droits de l’homme pour des actes commis au Timor-Oriental en 1999, dix-sept ont été acquittées ; la dix-huitième, Eurico Gutteres, a été condamné à dix années de prison pour crimes contre l’humanité, mais après un recours auprès de la Cour d’appel indonésienne, la condamnation a été levée.

Au Timor-Oriental, l’Unité spéciale pour les crimes, créée par l’UNTAET, l’administration transitoire mise en place par l’ONU, a placé en détention 74 prévenus, mais s’est montrée impuissante à obtenir l’extradition de 300 autres personnes, réfugiées en Indonésie. Etablie en 2002 par l’UNTAET, une « Commission pour la réconciliation et la vérité » avait été chargée d’enquêter sur les atteintes aux droits de l’homme commises au Timor-Oriental entre 1975 et 1999. Son vice-président, un prêtre de l’Eglise catholique, le P. Jovito Rego de Jesus Araujo, avait reproché au président ‘Xanana’ Gusmao d’ouvrer pour la réconciliation plutôt que pour la justice. « Or la réconciliation ne sera pas possible si la justice n’est pas faite avait-il affirmé en 2005 (2).

En janvier dernier, au Timor occidental, le P. Mateus de Jesus, secrétaire de l’évêque du diocèse d’Atambua, Mgr Antonius Pain Ratu, a déclaré que son évêque soutenait le travail de la commission KKP, un travail « qui doit être fondé sur un amour fraternel véritable ». Le prêtre, d’origine est-timoraise, a pris la nationalité indonésienne il y a quelques années.