Eglises d'Asie

Lors des messes célébrées à l’occasion du Nouvel An chinois, la liturgie a fait une large place aux éléments culturels chinois

Publié le 18/03/2010




Sur l’île de Bintan, à Tanjungpinang, chef-lieu de la province de l’archipel des Riau, l’église du Cour Immaculé de la Vierge Marie était parée de plus d’une centaine de ten lung, les lanternes chinoises de couleur rouge. Trois hio, les traditionnels bâtons d’encens d’un mètre de haut, se consumaient devant l’autel drapé de rouge, couleur de la bonne fortune dans le monde chinois. Sur l’autel lui-même, les cierges étaient rouges et deux mandariniers avaient été placés à quelque distance, des ang pao, les enveloppes rouges contenant de l’argent, étant accrochés en nombre à leurs branches. L’assemblée réunie en ce dimanche 18 février résonnait des « gong xi fa cai » (‘félicitations et prospérité’, en mandarin), « sie sie thian kung « kam sia tie kong » (‘rendons grâce au Dieu du Ciel’, en mandarin et en dialecte du Fujian).

Selon William Kho, un paroissien sino-indonésien de la paroisse du Cour Immaculé de la Vierge Marie, seulement deux cents personnes sur le millier de fidèles présents ce matin-là dans l’église étaient des Sino-Indonésiens. Pour lui, c’est la preuve que les Chinois d’Indonésie peuvent désormais vivre leurs traditions au grand jour et qu’ils sont acceptés par les autres composantes de la communauté catholique du pays. Parmi les 3,5 % d’Indonésiens qui sont catholiques, on trouve une proportion notable de Sino-Indonésiens.

Ce dimanche 18 février, à l’occasion du Nouvel An chinois, désigné en Indonésie sous le nom d’« Imlek nombreuses étaient les églises à être pavoisées de rouge et des symboles propres au monde chinois, y compris là où les communautés sino-indonésiennes sont très peu présentes. Pour le P. Lorentius Dihe Sanga, curé de la paroisse de Tanjungpinang, la profusion de décorations rouge et or, couleurs du bonheur et de la promesse d’un avenir meilleur, dans les églises catholiques indique que l’Eglise a le souci de la culture et des traditions de ses fidèles. Célébrée en bahasa indonesia, l’idiome national, la liturgie intégrait des chants en mandarin, tels le Kong Xi Kong Xi ou bien encore le He Xin Nien, typiques du Nouvel An.

Nikodemus Aliong, un paroissien, explique que depuis une décennie, les Sino-Indonésiens fêtent Imlek ouvertement à Tanjungpinang. Auparavant, les messes célébrées pour cette fête ne comportaient aucun signe distinctif de la culture chinoise et seuls les Indonésiens d’origine chinoise y participaient. Les décorations rouges installées pour l’occasion sont apparues en 2003, précise-t-il.

Considérés comme des citoyens de seconde classe sous le régime Suharto, les Sino-Indonésiens sont depuis longtemps l’objet de discriminations en Indonésie. Des lois ségrégationnistes avaient été mises en place du temps de la colonisation hollandaise, faisant de ce groupe, qui représente aujourd’hui environ six millions de personnes (sur une population totale de 220 millions d’Indonésiens), un groupe ethnique à part. Après le coup d’Etat de 1965, la communauté chinoise d’Indonésie avait dû faire profil bas, toutes les manifestations publiques de la culture chinoise ayant été interdites. Les Sino-Indonésiens étaient soupçonnés de soutenir l’idéologie communiste de la Chine populaire et ce n’est qu’en 2000, deux ans après la démission de Suharto, que le Nouvel An chinois a pu être à nouveau fêté (1).

Imlek est devenu un jour chômé dans tout le pays en 2003 (2). Très présente dans le commerce, la communauté sino-indonésienne continue cependant de susciter des jalousies et d’être, à l’occasion, la cible de violences parfois meurtrières, comme cela a été le cas en 1998, année de la chute de Suharto (2). Pour ce Nouvel An lunaire, passage à l’année du cochon, les postes indonésiennes ont lancé une série de timbres, en prenant toutefois garde à ne pas y faire figurer cet animal, considéré comme impur dans la religion musulmane, très majoritaire en Indonésie. Aux côtés des autres animaux du zodiaque chinois, le cochon a été remplacé par un temple chinois.

Au Timor occidental, dans la cathédrale d’Atambua, où l’autel était drapé de rouge, l’évêque du lieu, Mgr Anton Pain Ratu, a souligné que la couleur liturgique du jour était normalement le vert, mais, étant donné que ce dimanche coïncidait avec Imlek, c’est le rouge, « symbole du succès et du bonheur pour les Chinois qui a été choisi. Dans la liturgie catholique, le vert correspond à la couleur du temps ordinaire et le rouge à celle du martyre et du Saint-Esprit. L’évêque a appelé les catholiques d’origine chinoise à aimer par-delà les différences ethniques ou idéologiques. « Les problèmes sociaux sont nombreux dans ce pays. Les gens répondent au meurtre par le meurtre, aux coups par les coups. Le principe fondamental de la vie chrétienne est cependant l’amour et, à la haine, les chrétiens doivent répondre par l’amour a-t-il dit.