Eglises d'Asie

Aceh : selon la Commission nationale contre les violences faites aux femmes, l’application de la charia dans cette province a des conséquences néfastes pour les femmes

Publié le 18/03/2010




Le 24 janvier dernier, à Djakarta, un membre de la Commission nationale contre les violences faites aux femmes a rendu public un rapport dont les conclusions indiquent que l’application, dans le droit en vigueur à Aceh, de dispositions directement inspirées de la charia a des conséquences néfastes pour les femmes. Samsidar, qui siège à la Commission et, à ce titre, suit la situation d’Aceh, a rendu compte devant une assemblée de 200 personnes – des hauts fonctionnaires, des députés et des représentants d’ONG – du rapport de 55 pages intitulé : “Des femmes à Aceh en quête de justice – Témoignages”.

Selon Samsidar, l’application de la charia à Aceh, province musulmane dans sa quasi-totalité et où est pratiqué un islam rigoriste, a des conséquences négatives pour les femmes, à la fois par le contenu même de cette loi et par les sanctions inhumaines qu’elle entraîne. A partir de l’étude de 113 affaires impliquant des femmes et ayant trait à des délits tombant sous le coup de la charia, que ce soit le code vestimentaire, l’adultère ou la consommation d’alcool, les auteurs du rapport dégagent deux “fortes caractéristiques”. La première est que les sanctions sont appliquées avant même que les affaires en question soient jugées ; autrement dit, “le principe de la présomption d’innocence est bafoué”. La seconde est que “des peines cruelles ou inhabituelles sont appliquées et font que les femmes continuent d’être punies longtemps après que la peine initiale a été administrée”.

Ainsi, selon le rapport, en 2000, quelque quarante femmes ont été prises à partie par des groupes de jeunes qui leur reprochaient une tenue vestimentaire inappropriée ; ces femmes ont vu leur chevelure coupée, leur tête maculée de peinture et certaines d’entre elles ont été agressées sexuellement. Une de ces femmes a confié qu’il était inutile de chercher l’aide de la police car une telle démarche est “mal perçue, les policiers et la population locale considérant que nous avons agi de manière contraire à la charia ». De manière générale, “les femmes, considérées comme des êtres immoraux, sont vues comme étant à la source du problème. Elles deviennent ainsi ‘les seuls agents’ responsables des conduites immorales peut-on encore lire dans le rapport.

Le rapport cite le cas d’une mère de famille qui a participé à des jeux d’argent – des paris – pour tenter d’améliorer la situation économique désespérée des siens ; dénoncée, elle a été flagellée en public. “La flagellation en public revient à tatouer sur le front d’une personne son immoralité supposée. La personne ainsi accusée reste marquée pour le restant de ses jours, lit-on dans le rapport. Une femme ainsi accusée puis flagellée a quitté sa famille ainsi que la province car elle ne pouvait supporter l’opprobre.” Les femmes dont le nom apparaît dans une affaire d’adultère sont tout particulièrement victimes de ce phénomène. Même si elles ne sont pas reconnues coupables et flagellées, la sanction sociale se révèle encore plus lourde qu’un éventuel châtiment corporel. “Parce que j’ai été flagellée, les gens me traitent de criminelle et de pècheresse. Mes amis ne me rendent plus visite. Ils m’évitent comme si j’étais une criminelle qui pourrait les mettre en danger témoigne une femme dans le rapport.

Le problème, explique le rapport, ne tient pas tant dans l’application de la charia elle-même que dans le fait qu’elle soit mise sur le même plan que les enseignements de la religion : toute critique ou remarque au sujet de son application est considérée comme une remise en cause de loi de Dieu. “A Aceh, la charia est comme Dieu. Personne ne peut élever de protestation au sujet d’une interprétation erronée ou d’une ambiguïté de la charia. Remettre en question son contenu revient à remettre en question l’existence de Dieu, même si la justice est rendue par des êtres humains analyse une personne citée dans le rapport.

Après avoir dénoncé ces atteintes aux droits de la personne, la Commission a recommandé à l’Assemblée législative d’Aceh d’étudier à nouveau la manière dont la charia est appliquée dans la province, de prévoir une procédure pour évaluer régulièrement son application et de se pencher sur l’opportunité de conserver la pratique de la flagellation en public. Des dispositions devraient également être mises en place de manière à garantir la protection des droits de l’homme, telle qu’elle est inscrite dans la Constitution de 1945. Lors de la discussion qui a suivi la divulgation du rapport, un parlementaire d’Aceh, Farlan Hamid, a reconnu qu’à Aceh, les femmes pouvaient facilement avoir à répondre des dispositions de la charia. Il a cité le cas de sa propre fille, interpellée pour être sortie tête nue.

Depuis la mise en place, en 1999, sous la présidence Habibie, puis, en 2001, sous la présidence d’Abduhrrahman Wahid, de certaines dispositions de la charia dans la province d’Aceh, les institutions propres à cette province font débat en Indonésie. Théâtre d’une guérilla meurtrière jusqu’en 2005, opposant le mouvement sécessionniste du GAM à l’armée indonésienne, la province connaît la paix. Toutefois, les institutions n’y sont pas totalement stabilisées ; reste en suspens la question du champ d’application de la charia (application aux seuls musulmans ou extension à tous les habitants d’Aceh) (2).