Eglises d'Asie

COREE DU SUD – COREE DU NORD : “ENSEMBLE, AVEC UN SEUL COUR” – une interview du conseiller de l’administrateur apostolique du diocèse de Pyongyang –

Publié le 18/03/2010




Ucanews : En quoi consiste votre nouvelle mission, en tant que conseiller de l’administrateur apostolique de Pyongyang ?

P. Gerard Hammond : Cette nomination est là pour rappeler que la réconciliation du Nord et du Sud est au cour de nos préoccupations. Que ce soit par des contacts ou un travail de pénitence intérieure dans nos propres vies, nous avons besoin sans cesse de rappeler que nous avons des frères et des sours au Nord. L’attention du cardinal Nicholas Cheong se porte bien entendu sur le diocèse de Pyongyang, mais également sur tout le territoire de la Corée du Nord. Le regard du cardinal se porte aussi vers la Chine et il rappelle toujours que la première Eglise en Corée, au XVIIIe siècle, a été fondée par des laïcs coréens qui avaient reçu une aide et une formation de la part de l’Eglise de Pékin. Par analogie, mon rôle, en quelque sorte, est semblable à celui de ce premier groupe de personnes qui est allé à Pékin. Je souhaiterais être les yeux et les oreilles du cardinal. A partir de mon expérience, je me dois de le tenir informé de la manière dont l’aide humanitaire et, de façon plus générale, la relation entre Caritas Corea et ses partenaires nord-coréens évoluent. Si une telle comparaison est possible, je suis un peu comme saint Jean-Baptiste qui prépare le chemin pour Jésus. Un jour, j’espère que le cardinal et l’Eglise de Corée pourront faire ce que je fais aujourd’hui.

Cette année marquera le 80e anniversaire de la fonda-tion du diocèse de Pyongyang. Vous êtes le supérieur des Maryknoll en Corée, institut qui a été étroitement lié à l’histoire du diocèse de Pyongyang. Avez-vous des projets pour ce diocèse ?

Des Maryknoll sont arrivés à Pyongyang en 1923 et cela explique pourquoi, aujourd’hui, nous nous intéressons à la Corée du Nord, même si beaucoup d’entre nous n’ont jamais été dans ce pays. Les Maryknoll en Corée ont commencé dans ce diocèse et j’espère qu’un jour, nous pourrons y retourner. L’important est de leur faire savoir que le Saint-Père et l’Eglise se soucient réellement d’eux. Le fait est qu’ils ont besoin d’aides. Là où il y a la souffrance, là est la place du Christ. Je souhaite donc être en union avec ceux qui souffrent au Nord ainsi qu’avec ceux qui aident le Nord par le dialogue et la réconciliation.

Comment êtes-vous entré en contact avec la Corée ?

Au séminaire, j’ai fait la connaissance d’un jeune Coréen du nom de John Chang Yik, l’évêque actuel de Chunchon et président de la Conférence des évêques de Corée. Etudiants, nous avons partagé bien des moments. Ce sont ses encouragements qui m’ont incité à me rendre en Corée. J’ai passé jusqu’à présent toute ma vie dans ce pays et chaque jour que Dieu fait, je me lève et prie : “Jésus, aide-moi à faire que je sois un peu plus comme les Coréens !” Je ne peux changer mon corps, mon visage, la façon dont je bouge, tout ce qui fait ce que je suis. Je serai toujours un étranger ici, mais j’aimerais mourir dans ce pays. Mon rêve est de m’installer en Corée du Nord pour ma retraite, mais je sais aussi que les rêves ne se réalisent pas tous. Cependant, rêver est un signe de bonne santé. Peut-être serai-je en mesure d’ouvrir quelques chemins vers le Nord. C’est là le chemin qui s’ouvre pour les jours qui me restent à vivre.

Quelles sont vos motivations pour travailler avec les Nord-Coréens ?

Lorsque je suis arrivé en Corée pour la première fois, les réfugiés étaient nombreux (c’était peu après la guerre de Corée, 1950-1953) et, économiquement, ce n’était pas la prospérité. Lorsque je me suis rendu en Corée du Nord pour la première fois, j’ai ressenti un peu la même impression. Je me suis alors demandé ce que je pouvais faire pour aider les Nord-Coréens. “L’amour inconditionnel”, c’est en cela que je crois. Les racines des Maryknoll en Corée sont là-bas. Nous souhaitons donc retourner là où nos frères et sours Maryknoll ont ouvré. Il y a donc un sentiment d’urgence à aider les gens qui ont besoin d’aides et, en même temps, à retourner là où sont nos racines.

Quelles ont été vos actions pour venir en aide aux Nord-Coréens ?

Depuis 1996, j’ai organisé des transferts de matériel médical et de médicaments contre la tuberculose, par exemple. Apporter une aide médicale ne peut être assimilé à une action politique. A la base, c’est seulement se soucier des gens, quelle que soient leurs croyances ou leurs pensées. Par ailleurs, nous avons travaillé à des programmes de vaccination et d’aide pour les femmes enceintes et les nourrissons. A l’intention des personnes âgées, nous apportons des vitamines et des programmes de formation. Nos actions prennent peu à peu de l’ampleur. Nous apportons des dons, des tracteurs, des serres, des pelles mécaniques, des semences, des bicyclettes et d’autres choses encore. Ils ne reçoivent donc pas seulement des médicaments, mais aussi des matériaux et des outils afin de pouvoir cultiver les denrées alimentaires dont ils ont besoin.

Cela fait dix ans que vous vous rendez en Corée du Nord. Quels changements avez-vous noté ?

On pourrait résumer ainsi : “Deux pas en avant, un pas en arrière”. Economiquement, on note des changements. Il y a des marchés libres et, fait notable, on remarque que des usines redémarrent. La Chine a envoyé de nombreux camions. Chaque année, toutefois, leur plus grand souci est la famine, même si, là encore, on note des progrès. Les Nord-Coréens sont des gens très industrieux, tout comme les Sud-Coréens.

Avez-vous rencontré des Nord-Coréens en privé ?

J’en rencontre beaucoup et cela va des enfants à des directeurs d’hôpitaux, des infirmiers, des patients ou bien encore des agriculteurs. Je me sens aussi à l’aise en Corée du Nord qu’en Corée du Sud. Je parle le coréen et les similarités entre le Nord et le Sud sont grandes. Ce sont tous des Coréens. L’idéologie peut être différente, à la base, ce sont les mêmes personnes. J’ai aussi rencontré des gens qui disent être chrétiens et catholiques. On entend dire que les catholiques au Nord ne sont pas de “véritables catholiques”. Mais il leur a été impossible durant des années de pratiquer leur religion. Aux catholiques que je rencontre, je dis toujours que l’Eglise ne les a jamais oubliés et que les catholiques au Sud viendront les retrouver. Avec un peu d’espoir, un jour, nous serons réunis. Lorsque les deux pays seront unis, il sera temps de savoir combien ils sont et quelles sortes de personnes ils sont.

Caritas Corea assume désormais la direction du Groupe de pays pour la Corée du Nord, au sein de Caritas Internationalis. Quelle est votre analyse de ce changement ?

Caritas Corea a reçu ce mandat de Caritas Internationalis en novembre dernier. Ce changement est très important. Et il est très significatif pour le Sud car le Nord et le Sud partagent beaucoup de choses. De plus, la partie sud-coréenne est financièrement capable. Auparavant, Caritas Corea apportait déjà une importante contribution à l’aide à la Corée du Nord, mais cela passait via Caritas Hongkong. Désormais, les contacts se font directement avec le Nord.

Pourquoi la communauté internationale doit-elle aider la Corée du Nord ?

Tout simplement parce que la communauté internationale a une obligation envers ceux qui sont les plus pauvres. La Corée du Nord est un pays qui a besoin d’une aide venant de l’extérieur. Mais cela ne doit pas nous empêcher de nous interroger sur le type d’aides que nous apportons. Aujour-d’hui, la Corée du Nord déclare vouloir ce qu’elle appelle une aide au développement. Pourtant, l’Eglise sait que les besoins pour une aide humanitaire de base sont encore bien réels. Ce qui est triste, c’est que l’on constate désormais une forte “fatigue” des donateurs. Les gens donnent depuis si longtemps et les scènes sur lesquelles il faut donner sont si nombreuses, des tremblements de terre en Indonésie au tsunami. Les ressources ne sont pas inépuisables. Il est de notre devoir de maintenir à un niveau élevé l’attention à apporter à la Corée du Nord.

Quel avenir voyez-vous à l’aide internationale à la Corée du Nord ?

Je voudrais être optimiste. Mais le chemin est long et semé d’embûches, même si le fait est que, lorsque la route est ouverte, des pays comme la Chine, la Russie ou le Japon sont prêts à poursuivre les échanges. J’estime que c’est déjà une raison d’espérer. Cela prendra du temps, c’est sûr, mais j’ai bon espoir que les Etats-Unis envoient un officiel de haut rang en Corée du Nord pour approfondir le dialogue. Le dialogue peut aller plus loin dans la mesure où aucune des parties souhaite la guerre dans la péninsule. L’objectif premier est que la paix règne en Corée.

Dès lors qu’il est question d’aider la Corée du Nord, y a-t-il des précautions particulières à prendre ou à avoir à l’esprit ?

Les Nord-Coréens ont ce qu’ils appellent l’idéologie du “juche de l’autosuffisance. Ils sont très sourcilleux quant à leur indépendance et les Nord-Coréens sont un peuple qui a une haute idée de lui-même. De ce fait, il nous est demandé de nous montrer sensibles à ce trait de caractère lorsque nous leur venons en aide. De plus, ils ont une grande méfiance à l’endroit des pays économiquement développés et ils ne veulent pas devenir un réservoir de main-d’ouvre à bon marché pour des pays plus riches qu’eux. Je pense que ce qui est important est de faire des choses “ensemble”. Regardez des bambous, vous verrez que leurs racines s’entremêlent bien que les bambous poussent dans toutes les directions. C’est quelque chose que nous devons avoir à l’esprit dans notre relation entre le Nord et le Sud. A côté de l’Eglise catholique, les bouddhistes et les protestants aident beaucoup la Corée du Nord. L’approche devrait être : “Travaillons main dans la main.” Si nous nous montrons solidaires, beaucoup peut être fait.

Au sujet de la réunification des deux Corée, que doit faire l’Eglise catholique de Corée ? Que doit-elle préparer, garder à l’esprit ?

La réunification adviendra un jour. Mais avant de parvenir à la réunification des deux Corée, nous devons connaître une phase de réconciliation. C’est en ce domaine que je voudrais me montrer utile. L’Eglise catholique se prépare pour la réconciliation et chaque année, l’Eglise consacre un dimanche de prière et de sensibilisation à la réconciliation des deux Corée (1). Deux groupes sont plus spécialement responsables de cette tâche : le Comité épiscopal pour la réconciliation du peuple coréen et Caritas Corea, qui fonctionnent déjà bien et devraient peut-être davantage coordonner leur travail. Quant aux autres groupes, nous devons nous interroger sur ce qui peut être fait concrètement pour aider la Corée du Nord sur un plan matériel.

(1)Cette année, ce dimanche est fixé au 24 juin. La Journée de prière pour l’unité et la réconciliation du peuple coréen est célébrée le dimanche le plus proche de la date du 25 juin, jour anniversaire du début de la guerre de Corée, en 1950.