Eglises d'Asie

Des évêques catholiques mettent en garde contre les dérives possibles liées à l’application de la récente loi antiterroriste

Publié le 18/03/2010




Plusieurs évêques catholiques ont souligné les dérives possibles de la loi antiterroriste, signée le 6 mars dernier par la présidente des Philippines, Gloria Macapagal Arroyo. Cette nouvelle loi vise essentiellement à venir à bout du groupe terroriste Abou Sayyaf, actif dans le sud de l’archipel. Selon des prélats catholiques, l’application de cette loi pourrait, sous prétexte de lutter contre le terrorisme, entraîner des violations des droits de l’homme, dans un contexte où les droits fondamentaux sont déjà fortement mis à mal depuis plusieurs années, notamment avec la multiplication des assassinats extrajudiciaires (1).

Pour Mgr Martin Jumoad, vicaire apostolique de la préfecture d’Isabela, sur l’île de Basilan, non loin de Jolo, le décret (de la nouvelle loi) sur les droits de l’homme est une bonne chose en ce sens qu’il va permettre de “stabiliser la paix et remettre de l’ordre” à Basilan, où des groupes terroristes ont installé certains de leurs camps d’entraînement. En revanche, le prélat reste circonspect quant à certains autres aspects de la loi, qui, selon lui, risquent de dévier sur des violations des droits de l’homme sous prétexte de luttes antiterroristes. C’est pourquoi il préconise la création d’“un organe civil chargé d’évaluer et de vérifier la manière dont la loi sera appliquée sur le terrain 

Selon la nouvelle législation en vigueur, un acte terroriste est l’action qui “sème” ou “crée” un “climat de panique ou de peur de grande envergure” afin de “contraindre le gouvernement à répondre à une demande illégale La loi antiterroriste prévoit de pouvoir garder des suspects en détention préventive pendant 72 heures, sans qu’il y ait eu de plainte ou de mandat d’amener déposés contre eux. Les personnes arrêtées par erreur ou faussement accusées de terrorisme toucheront une indemnité compensatoire de 500 000 pesos (près de 7 800 euros). Le ministère de la Justice pourra, quant à lui, condamner sans jugement tout individu ou groupe se livrant à des activités terroristes, ces derniers ayant toutefois la possibilité d’organiser leur défense. La peine maximale prévue pour des actes terroristes est de 40 ans d’emprisonnement.

Mgr Antonio Tobias, évêque de Novaliches, au nord-est de Manille, a fait circuler un rapport du Kilusang Makabansang Ekonomiya (KME, Mouvement pour une économie patriotique) (2), qui définit la nouvelle loi comme “despotique et tyrannique la définition du terrorisme étant si vague que des citoyens “exprimant légitimement leurs mécontentements” pourraient ne plus être protégés contre de possibles dérives gouvernementales. Le KME reproche également l’absence de précisions quant au rôle donné à l’armée dans la mise en application de la loi antiterroriste, car les forces armées – elles ont récemment été mises en cause pour leur participation dans des assassinats extrajudiciaires (3) – “ne sont pas formées pour devenir un organe habilité à mener des enquêtes 

Cherchant à apaiser les craintes des personnes hostiles à la loi antiterroriste, la présidente des Philippines a déclaré que “ceux qui respectent les lois philippines n’ont rien à craindre, car cette loi est une arme qui sera utilisée contre les terroristes et non contre les protestataires. Notre souhait est que notre pays soit une société démocratique solide, guidée par des principes de liberté dans un Etat de droit et qu’il ne soit plus le refuge de terroristes internationaux Selon le ministère de la Défense, au moins 358 Philippins sont morts “entre les mains des terroristes” dans 120 attentats depuis l’an 2000.

Les Etats-Unis, qui font pression depuis longtemps sur les Philippines pour que soient prises des dispositions législatives contre le groupe Abou Sayyaf – qui, selon eux, a noué des liens avec la Jemaah Islamiyah, organisation terroriste indonésienne -, ont accueilli la nouvelle loi comme “un pas en avant dans la lutte internationale contre le terrorisme Il y a une dizaine d’années, des projets de loi similaires avaient été présentés à plusieurs reprises devant le Sénat philippin, mais celui-ci les avait toujours rejetés, estimant qu’ils représentaient une menace pour les libertés, regagnées en 1986 avec la chute de la dictature de Ferdinand Marcos.