Eglises d'Asie

LE PENTECÔTISME EN ASIE

Publié le 18/03/2010




Depuis un demi-siècle, la vitalité des religions en Asie ne se dément pas. Réveillées à la faveur des mouvements politiques qui ont vu les pays de l’Asie accéder à l’indépendance, embarquées dans le décollage et le développement économique que connaît cette région du monde, parties prenante de la mondialisation qui a cours, les religions en Asie sont bien vivantes. A cet égard, le christianisme en Asie n’est pas différent…

des autres religions « de l’Asie » et force est de constater que, parmi les expressions du christianisme qui connaissent le développement le plus marqué, figure le pentecôtisme. Le singulier est ici mal choisi et c’est bien de pentecôtismes dont il faut parler pour désigner ces multiples Eglises enracinées localement en Asie qui ont pour trait commun d’avoir investi un pan des cultures de l’Asie délaissé par les grandes dénominations, la guérison et la possession par les esprits. L’essai dont nous publions ici la traduction en français est issu d’un travail mené à l’occasion d’un colloque organisé en juin 2006 à Yogyakarta, en Indonésie, par le Conseil pontifical pour la culture. Son auteur, prêtre du Verbe divin, le P. John Mansford Prior, missionnaire à Florès, en Indonésie, depuis 1973, est consulteur de ce Conseil et mène depuis de longues années des recherches sur les liens entre culture et religion. Le présent essai, intitulé : Jésus-Christ chemin vers le Père – le défi des pentecôtistes, a été publié dans la série des FABC Papers (n° 119, octobre 2006). Dans son introduction, le P. Prior souligne que la Fédération des Conférences épiscopales d’Asie (FABC) a centré sa réflexion sur un triple dialogue – dialogue avec les cultures, dialogue avec les religions, dialogue avec les pauvres –, négligeant jusqu’à récemment de s’interroger sur l’essor du pentecôtisme en Asie. Pour le Jubilé de l’an 2000, un document de la FABC a bien appelé à un rapprochement entre les communautés ecclésiales de base et les mouvements charismatiques/pentecôtistes, mais rien n’était dit sur le comment de ce rapprochement. Le P. Prior explique ici la complexité de cette question, les mouvements charismatiques et les communautés ecclésiales de base ayant souvent une lecture différente du Concile Vatican II. Afin de mieux comprendre les défis posés à l’Eglise catholique par l’essor du pentecôtisme, le P. Prior s’attache, dans une première partie, à décrire le développement des mouvements pentecôtistes et charismatiques dans cinq pays d’Asie où les catholiques forment des communautés d’une certaine importance. Dans un deuxième temps, à travers une étude des documents du Vatican et de la FABC, il expose quelles ont été les réponses de l’Eglise à cet essor du pentecôtisme. La traduction est de la rédaction d’Eglises d’Asie.

 

I – LES MOUVEMENTS PENTECÔTISTES EN ASIE
Contextes et caractéristiques

Le spectaculaire essor du pentecôtisme, qui représentait très peu de chose il y a un demi-siècle pour devenir un phénomène majeur dans l’Asie d’aujourd’hui et dans toute la chrétienté, pose des questions théologiques fondamentales, en même temps qu’il représente un apport culturel significatif. C’est non seulement le catholicisme, mais toute la chrétienté, qui connait un formidable transfert, une véritable translation du Nord et de l’Ouest vers le Sud et l’Est, où vivent désormais plus de 60 % des chrétiens du monde entier. Cette évolution traduit le mouvement du christianisme, traditionnel, spirituel, théologique et éthique, du centre vers la périphérie (Matthey 2004 : 163). Et les pentecôtistes sont une composante majeure de ce phénomène.

Le pentecôtisme représente une fracture structurelle décisive avec les cultures religieuses catholiques, syriaques, orthodoxes et réformées. Dans le même temps, le développement de mouvements charismatiques à l’intérieur des Eglises catholiques et protestantes crée une diversification sociale, une non-conformité religieuse et un pluralisme culturel à l’intérieur des paroisses, et par conséquent, virtuellement dans tous les diocèses. Cette coupure est autant culturelle que théologique ; les mouvements pentecôtistes et charismatiques s’épanouissent dans les cultures orales, narratives et incluent de nombreux apports, alors que le christianisme conventionnel s’appuie fermement sur des traditions écrites, conceptuelles et exclusives.

Les années qui ont ouvert le XXe siècle ont vu se développer une série de mouvements indépendants de renouveau chez les protestants, qui ont conduit au mouvement pentecôtiste (Hwa Yung 2003 : 65-82 ; 2005). Des mouvements de renouveau pentecôtistes sont signalés en Corée dès 1903, en Inde en 1905, en Mandchourie en 1908, et de façon tout à fait spectaculaire à la Mission de l’Azusa Street à Los Angeles, aux Etats-Unis, en 1906-1909 (Blumhofer 2006 : 59-64). A ses débuts, le pentecôtisme était un mouvement pacifiste, multiracial, passionné de problèmes sociaux et de féminisme. Dès ses origines, il était aussi missionnaire (1). Les premiers missionnaires pentecôtistes se sont aventurés à l’étranger sans beaucoup de moyens, sans grande préparation et presque sans aucune connaissance des langues, ni de la culture des peuples qu’ils partaient évangéliser. Le pentecôtisme s’est répandu sans aucune institution, grandement aidé par les facilités de transport et les mouvements migratoires, comme le retour aux pays des Philippins et des Coréens venant des Etats-Unis. Le mouvement s’est rapidement adapté aux différentes cultures et est apparu comme une manifestation de modernité et de mobilisation religieuse des minorités culturelles.

Sans doctrine particulière, mais avec un dynamisme spirituel remarquable, les pentecôtistes de toutes nuances ont célébré des liturgies de la parole, proclamé une théologie du témoignage, susciter une participation maximale, introduit des rêves et des visions dans l’adoration publique ou privée et, enfin, ils ont renouvelé les relations entre l’homme et le surnaturel par la guérison (Hollenweger 1997 : 18-24 ; 1999 : 2) (2).

Les différentes sources du pentecôtisme ont été largement décrites par Walter Hollenweger. Il en a défini les différentes racines, noires, catholiques, évangéliques et œcuméniques.

Trois vagues de pentecôtisme

La première vague, ou pentecôtisme classique, se développe lentement durant la première moitié du XXe siècle. La seconde vague, ou mouvement charismatique à l’intérieur de la chrétienté, date des années 1960. La troisième vague, ou néo-pentecôtisme, est composée de groupes indépendants plus récents, et d’Eglises particulières comme les Eglises domestiques en Chine. Ces Eglises sont plus œcuméniques, plus expérimentales et plus orientées vers la pneumatologie que celles du pentecôtisme classique (Anderson 2000 : 129-132). Elles sont ‘contextualisées de l’intérieur’ et utilisent les catégories et les métaphores des cultures locales (Ma 2003). Leurs pasteurs ont peu de formation théologique, sinon aucune. Il y a dans le monde environ vingt mille Eglises pentecôtistes post-dénominationelles, indépendantes et locales, qui constituent maintenant la majorité du mouvement pentecôtiste/charismatique.

Caractéristiques

Caractérisés par une grande exubérance dans l’expression des dévotions, avec un fort accent mis sur les expériences religieuses personnelles et les dons de l’Esprit, les mouvements pentecôtistes et charismatiques parlent le langage de la spiritualité dont ils ont l’expérience et par laquelle ils vivent la volonté de Dieu dans la vie de tous les jours. Cette spiritualité ‘intuitive’, ‘immédiate’, ‘littérale’ est ‘l’essence’ même du pentecôtisme (Land 1993 ; Villafane 1993). Le mouvement pentecôtiste/charismatique est avant tout centré sur l’expérience du travail de l’Esprit Saint et sur la pratique des dons de l’Esprit (Anderson 2004 b : 14). Mettant l’accent sur le surnaturel, engageant un combat spirituel, exorcisant les démons et rencontrant le divin dans des rêves, des visions, des paroles de sagesse, des langues et l’interprétation des langues, les pentecôtistes acquièrent le sens de la proximité divine. Ils sont guidés par elle dans une piété intense conduite par l’Esprit Saint. Le pentecôtisme génère un sentiment de valeur et de puissance qui offre à ses fidèles un extraordinaire élan pour affronter l’avenir.

Conversions œcuméniques

Le désir de contacts œcuméniques a rencontré l’opposition des pentecôtistes et également des principales Eglises. Le responsable britannique des Assemblées de Dieu, Donald Gee, a encouragé les contacts avec le mouvement œcuménique en expliquant : « La vraie réponse au modernisme n’est pas le fondamentalisme, mais le pentecôtisme dans toute sa plénitude. » (Anderson 2004 a : 491). Ces dix dernières années, les Eglises pentecôtistes ont manifesté un intérêt croissant pour le mouvement œcuménique et, dans le même temps, le mouvement œcuménique s’est montré de plus en plus conscient de l’existence et de l’importance des pentecôtistes.

Le pentecôtiste sud-africain David J. du Plessis a pris l’initiative de rencontrer le cardinal Bea en 1960 et a assisté à la troisième session de Vatican II au titre des observateurs pentecôtistes (du Plessis 1977 : 199-247). Cela a conduit à un dialogue formel, qui, depuis 1972, s’est matérialisé par cinq quinquennats (1972-1976 ; 1977-1982 ; 1985-1989 ; 1990-1994 ; 1998-) (3). Walter Hollenweger a, dans sa vie académique, poussé au dialogue œcuménique avec le Conseil œcuménique des Eglises, ainsi qu’avec l’Eglise catholique et des Eglises indépendantes (Hollenweger 1997 ; Jongeneel 1992). Les relations œcuméniques entre les pentecôtistes et les catholiques n’ont pas progressé de façon uniforme, pas plus qu’elles n’ont réussi à faire disparaître toute une suite de « disputes territoriales et d’escarmouches de frontières » (Hollenweger 1996 : 182-216) (4). Dans la période entre 1972 et 1997, le dialogue international entre les catholiques et les pentecôtistes n’a concerné que les pentecôtistes classiques. Ainsi, Hollenweger a suggéré que davantage de progrès pourrait résulter d’un dialogue formel si les représentants des Eglises classiques nord-américaines s’adjoignaient les pentecôtistes du tiers monde et si un programme définissait les positions des minorités dans les deux Eglises : « Peut être n’est-il pas nécessaire de maintenir les partenaires d’un dialogue sur des positions qui peuvent être « officielles », mais qui n’ont plus de sens dans aucune des deux communautés » (p. 211). Depuis 1998, Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens encourage les contacts en Europe entre les catholiques charismatiques et les pentecôtistes.

Jusqu’en 1996, le seul dialogue œcuménique que les pentecôtistes ont mené au plan international l’a été avec l’Eglise catholique. La première fois où des membres de mouvements pentecôtistes a assisté en nombre significatif à une conférence du Conseil œcuménique des Eglises remonte à 2005 (à Athènes) (5). Cette ouverture du Conseil œcuménique des Eglises au pentecôtisme a provoqué certains remous (Athyal 2005 : 535-545 ; Grundmann 2005 :546-556). En Asie, des Eglises de style pentecôtiste sont en contact avec les Conseils nationaux des Eglises.

Une compréhension intuitive de la Bible

Les pentecôtistes respectent l’autorité des Ecritures, en tant que texte inspiré, même s’ils ont été autrefois assez libéraux dans ce domaine. Mais aujourd’hui, beaucoup de pentecôtistes asiatiques mettent l’accent sur une compréhension intuitive des Ecritures plutôt que sur une lecture rigidement fondamentaliste. Cela les amène à porter un intérêt particulier aux éléments surnaturels des Ecritures, comme les miracles, les visions et les guérisons, et à une croyance dans le pouvoir continu de la prophétie.

Expérimentant un sens de la fragilité et du caractère transitoire des choses dans un monde incertain, les chrétiens asiatiques peuvent s’identifier parfaitement avec des passages de la Bible qui ne disent pas grand chose aux croyants occidentaux, tels les passages sur la guérison et le combat spirituel, les passages apocalyptiques et ceux qui font état d’une forte mise en cause de l’état du monde. En Asie, ces passages traduisent la réalité quotidienne. La Bible a également trouvé une place de choix dans les communautés asiatiques qui se retrouvent dans les dures réalités sociales et économiques que dépeignent l’Ancien et le Nouveau Testaments. La Bible est devenue une source d’autorité apaisante et un guide pour la vie de tous les jours (6).

Cette compréhension intuitive ne doit pas nécessairement être identifiée à une lecture fondamentaliste ou littérale, qui a été la seule jugée ‘dangereuse’ par la Commission biblique pontificale lorsqu’elle a passé en revue plus d’une douzaine d’approches de la Bible (7). Le pentecôtisme fondamentaliste est en fait très confiné – mais pas complètement – dans les classes moyennes de « l’Evangile de la prospérité » des blancs nord-américains. Ailleurs, l’approche fondamentaliste a évolué vers davantage d’intuition. Les chercheurs occidentaux opposent la contre-culture pentecôtiste au courant principal de la culture de l’Eglise, en la jugeant plus « extatique que technique », plus « holistique qu’analytique », plus « soumise qu’active », plutôt « sûre de son intuition qu’ouverte au pluralisme » (Coleman 1983 : viii).

En Asie, en Afrique et en Amérique latine, la majorité des pentecôtistes charismatiques appartiennent aux mouvements de base et sont ainsi devenus un « puissant mouvement des pauvres… riche d’un potentiel de transformation de la société » (Johns 1993 : 78).

Dans la ligne de Dei verbum comme de Gaudium et spes, les catholiques conciliaires lisent la Bible à la lumière des réalités asiatiques, qui les poussent à mettre leur foi au service de la pauvreté, contre les injustices sociales et la corruption politique et pour la réconciliation et la vie en communauté, et qui les pousse également à faire face au problème du pluralisme religieux. En principe, cette approche conceptuelle ne dénie pas la valeur de l’émotion, ni celle de l’intuition, aussi longtemps que cette dernière ne se réduit pas à des sentiments personnels qui brouillent la pensée critique ou la piété personnelle en la privant de conscience sociale.

L’ASIE

Dans cette partie du monde, le pentecôtisme a établi ses plus solides fondations dans les minorités ethniques et dans les classes sociales sans pouvoir politique, ni idéologique (8). Certains de ces groupes sont sans impact économique, comme peuvent l’être les membres des Eglises domestiques en Chine, en revanche, d’autres, comme ceux des classes professionnelles en Inde, ou comme les commerçants en Asie du Sud-Est, sont prospères. Les réseaux nationaux en Asie sont formés de congrégations très autonomes, qui sont capables de mobiliser un grand nombre de fidèles pour réaliser des actions de développement communautaire, de service social ou de pression politique. Les trente dernières années ont vu le pentecôtisme asiatique passer de la marginalité à une quasi domination, en d’autres termes, passer de l’état de ‘troisième force’ dans les communautés chrétiennes asiatiques à celui de ‘première force’, dépassant par sa croissance les chrétiens catholiques ou protestants. Depuis 1950, la croissance du pentecôtisme a été beaucoup plus rapide que celle de toutes les autres branches du christianisme. Pendant la seule période de 1970 à 1990, le nombre des pentecôtistes a triplé. Désormais, près de 43 % des chrétiens asiatiques sont des pentecôtistes/charismatiques (Ma 2005 : 496) (9).

Comme la majorité des Eglises pentecôtistes asiatiques ont moins de deux générations, elles traversent une « sérieuse crise de jeunesse » (Ma 2005 : 504-505), c’est-à-dire qu’elles essayent encore de se différencier de la culture environnante. En fait, le phénomène pentecôtiste est, pour beaucoup, marqué par ses liens avec la religiosité populaire et les pratiques chamanistes. Chargés de « retrouver ceux qui sont perdus », ils ne sont pas encore prêts au dialogue interreligieux, même si des recherches sur le pluralisme interreligieux et le dialogue sont effectuées par de jeunes chercheurs pentecôtistes, comme, par exemple, Yong 2003, 2005).

Les présentations qui suivent ne se veulent en aucune manière exhaustives. Elles visent à donner l’image de l’étendue du défi que devront relever les catholiques quand les communautés pentecôtistes deviendront une force majeure en Chine, en Corée, aux Philippines, en Indonésie et en Inde.

LA CHINE

Les premiers pentecôtistes sont arrivés en Chine en 1907, espérant renouveler la totalité de l’entreprise missionnaire (10). Cependant, dès 1915, ils cessèrent de fonder des agences et des institutions séparées, tout comme les autres cultes, bien qu’un bon nombre de missionnaires soient restés indépendants, sans aucune affiliation à une quelconque organisation (Bays et Johnson 2002 : 58-64). Dans le renouveau de 1930-1932 au Shandong, les baptistes et les presbytériens qui étaient baptisés dans l’Esprit étaient jetés à terre et soumis au « rire sacré ». Ils se développèrent rapidement en dépit s’une sévère opposition (Anderson 2004b : 133).

Les mouvements locaux

Le pentecôtisme en Chine est un mouvement de la base, prospérant dans la tradition orale, avec une forte emprise charismatique, une mentalité tournée vers la volonté de changement et l’action pratique (Bays 1993 :167-179). L’accent sur le côté miraculeux et surnaturel convient mieux au sentiment religieux du peuple chinois que ne le faisaient les anciennes missions qui continuaient de s’institutionnaliser. Les pentecôtistes étaient alors beaucoup moins structurés et centralisés que ne l’étaient les autres missions et ils donnaient plus de latitude à leurs talentueux collaborateurs chinois pour prendre des responsabilités et aller de l’avant. La nature du pentecôtisme, avec son souci égalitaire dans la révélation directe et dramatique de Dieu à tous, faisait que tout fidèle chinois avait le même accès à Dieu et aux dons de l’Esprit que les missionnaires étrangers. L’accent était mis sur la piété spirituelle intimement mêlée à la religiosité populaire (Yong 2005 : 53 ; Anderson 2000 :118-123).

L’Eglise pentecôtiste chinoise la plus importante du XXe siècle est l’Assemblée internationale de l’Eglise du Vrai Jésus, violemment nationaliste et rigidement exclusiviste. Elle a été fondée par (Paul) Wei Enbo à Pékin entre 1917 et 1919 et est indépendante de toute influence étrangère (Bays 1995 : 124-143). A la fin des années 1940, l’Eglise du Vrai Jésus comptait plus de cent mille fidèles. En 1958, elle a été interdite par le gouvernement communiste, comme contre-révolutionnaire, et ses dirigeants ont été emprisonnés. Mais elle avait eu le temps de s’établir à Taiwan et elle a, à l’heure actuelle, des établissements dans la diaspora du monde entier. Depuis 1980, l’Eglise du Vrai Jésus a réapparu en Chine et est devenue assez forte pour avoir gagné d’y être reconnue, avec probablement plus de trois millions de fidèles. Toutes les pratiques pentecôtistes ont cours dans ce mouvement, l’expression en langues, les transes, les chants et les danses dans l’Esprit (Bays et Johnson 2002 : 63 ; Anderson 2004b 134). Ce mouvement est local dans sa cosmologie surnaturelle, son accent sur la piété filiale (dérivée de la piété de Jésus) et sa symbiose entre l’esprit de possession et le baptême dans l’Esprit (Bays 1995 : 132-137 ; Anderson 2000 : 115-132 ; Yong 2005 :53).

Le mouvement des Eglises domestiques (11)

Dès 1949, le mouvement pentecôtiste a atteint plus de cinq cent mille fidèles, mais, durant les vingt premières années de la dictature de Mao, il était revenu à cent cinquante mille. Un développement inattendu mais très significatif du christianisme chinois a été l’apparition du mouvement des Eglises domestiques (Anderson et Tang 2005 : 411-488). Ces groupes de cellules mettaient l’accent sur la spontanéité, l’informalité et l’expérience personnelle de l’Evangile. Ils restèrent tranquillement actifs après 1949 et s’avérèrent mieux préparés à la répression de la Révolution culturelle (1966-1976). Les réunions dans les maisons étaient très dangereuses et les groupes devaient rester très petits pour éviter de se faire découvrir (Wesley 2004 : 123). Aujourd’hui, les Eglises des minorités ethniques ont plus d’un million de fidèles. Mais on serait dans l’erreur si l’on croyait que toutes les Eglises domestiques sont pentecôtistes ou charismatiques.

Après la Révolution culturelle, qui a interdit la pratique religieuse publique, et jusqu’en 1995, les Eglises chinoises sont passées de moins de deux millions de fidèles à quelque chose entre 40 et 80 millions. Dès l’an 2000, la Chine avait plus de pentecôtistes et de charismatiques que tout autres pays dans le monde, à l’exception du Brésil et des Etats-Unis. Les charismatiques catholiques se chiffrent à plus d’un million (sur peut-être 12 millions de catholiques en Chine) et ils se trouvent dans les églises reconnues ou non par le gouvernement. Aujourd’hui, le pentecôtisme chinois reste égalitaire et très mal formé du point de vue théologique. L’accent mis sur le côté miraculeux et les autres aspects surnaturels du christianisme lui permet de se tenir à l’écart des Eglises reconnues par le gouvernement (Tang 2005 :472 ; Yong 2005 : 52).

La Chine pourrait probablement, dans les années à venir du XXIe siècle, se vanter d’avoir le plus grand nombre de chrétiens de tous les pays d’Asie et aussi, le plus grand nombre de pentecôtistes, de charismatiques et de néo-pentecôtistes du monde (12).

LA CORÉE
Le contexte

Depuis son introduction en 1884, le christianisme protestant a réussi à devenir la plus grande religion nationale, avec un cinquième de la population totale du pays (13). Depuis 1910, la première année de l’occupation japonaise, le protestantisme a doublé tous les dix ans. Le christianisme catholique a été introduit en Corée en 1784 par un groupe d’intellectuels laïques. Après une série de sévères persécutions qui ont duré presque un siècle (avec plus de quatre vingt mille martyrs, soit le quart de la population catholique, durant les seules années 1866-1867), le catholicisme a cru de façon constante pour arriver à quatre millions de fidèles et représenter la troisième religion, après le protestantisme et le bouddhisme.

Kim Byong-suh (Kim 1985 : 60-64) définit trois périodes de croissance du protestantisme en Corée : la première fondée sur une volonté d’émancipation (1884-1910), la seconde caractérisée par l’esprit pionnier (1906-1930), et la troisième, celle des factions sectaires (1940-1960).

Le christianisme a été le principal facteur de la modernisation économique, politique et sociale en Corée du Sud. En même temps, les principaux aspects des croyances religieuses locales étaient absorbés par le christianisme protestant et catho-lique. Le christianisme a introduit plusieurs valeurs fondamentales de la modernité, telles la liberté, les droits de l’homme, la démocratie et l’égalité. Le christianisme n’a pas seulement été un moyen d’entrer dans la modernité, mais il a été aussi l’accès à ce que l’on croyait être une civilisation plus avancée, une vision de la façon dont les choses pouvaient – ou devaient – être. Les chrétiens ont été à l’avant-garde des luttes pour l’indépendance et des mouvements démocratiques du XXe siècle. La conversion au christianisme en était arrivée à être une illumination (Kim 2000 : 112-119).

Hollenweger, suivant en cela Yoo (1988), divise le pentecôtisme en trois courants : le pentecôtisme fondamentaliste (à partir de 1900), le pentecôtisme mystique (depuis 1930) et le pentecôtisme Minjung (depuis les années 1970) (Hollenweger 1997 : 99-105).

Le pentecôtisme fondamentaliste

Les caractéristiques du pentecôtisme, comme les guérisons, les dons de l’Esprit et les miracles surnaturels, se sont manifestées en Corée du Sud un quart de siècle avant l’arrivée du premier missionnaire pentecôtiste en 1928 (14). Le premier renouveau commença à Wonsan en 1903, à Pyongyang et à Séoul en 1905-1906, pour atteindre un apogée avec les réunions de Pyongyang l’année suivante. Il y eu beaucoup de miracles, de guérisons et d’expulsions de démons. A la Conférence missionnaire d’Edimbourg de 1910, il a clairement été établi que « le renouveau coréen… avait été un réel pentecôtisme ». Le peuple de Corée rempli de l’Esprit répandait l’annonce de l’Evangile, en dépit des persécutions sous l’occupation japonaise (Eim 2002 :234-146). La Korea Holyness Church (KHC) pentecôtiste a été fondée en 1910 et est aujourd’hui la troisième organisation protestante en Corée (15).

Avant la libération de 1945, existaient 63 nouvelles organisations religieuses en Corée, selon le rapport du gouverneur général de Corée. Actuellement, 300 sortes de nouvelles religions, y compris de nouvelles religions étrangères, sont en train de se propager (16). Cette ‘explosion’ de nouveaux mouvements religieux s’est produite à la faveur de la conjonction de plusieurs facteurs durant l’occupation, suivie du changement social rapide après l’indépendance. En premier lieu, comme Choi Syn-Duk l’a noté, les nouveaux mouvements religieux apparaissent au moment où le système religieux en place perd sa capacité à satisfaire les différents besoins individuels ou les différents besoins des groupes. En deuxième lieu, l’introduction du christianisme a fait perdre au bouddhisme son monopole, vieux de cinq siècles, de tenant de la moralité et la place s’est libérée. En troisième lieu, la situation politique et économique précaire de l’occupation japonaise avait apporté une certaine confusion dans les esprits. Occupé par une puissance étrangère, le pays cherchait un sauveur dont l’arrivée pourrait résoudre ses problèmes spirituels. En quatrième lieu, le changement social rapide et la mobilité de la population depuis 1950 avaient créé des conflits de cultures, une sorte d’aliénation et de manque spirituel. Les groupes religieux existant, y compris les Eglises, ne pouvaient répondre aux besoins présents, à savoir, premièrement, le besoin d’avoir confiance dans la situation de désespoir, de haine et d’anxiété qui existait, et, deuxièmement, le désir de s’intégrer à l’ordre social. Les Eglises s’intéressaient à leurs propres problèmes d’organisation et au bouddhisme et ignoraient grandement la soif des masses pour trouver une réponse à la quête de leur vie.

L’Eglise du plein Evangile à Yoido

L’Eglise pentecôtiste fondamentaliste la plus importante aujourd’hui est l’Eglise du plein Evangile de (David) Cho Yong-gi. Cho Yong-gi, né en 1936, a reçu du Seigneur l’ordre de la créer après une grave maladie (tuberculose) et après avoir rencontré un missionnaire pentecôtiste. Commencée avec cinq fidèles en 1958, elle en comptait 12 500 en 1973. Entre 1973 et 1975, l’Eglise a augmenté de 83 % le nombre de ses fidèles et de 121 % entre 1975 et 1977. Cho Yong-gi est désormais à la tête de la plus grande paroisse du monde, à Yoido Centre, où près d’un million de fidèles participent à l’adoration chaque samedi (17). La caractéristique principale de la doctrine de l’Eglise du plein Evangile est l’enseignement du triple salut – physique (la santé), spirituel (le pardon), et matériel (la prospérité) – l’accent étant mis sur le pouvoir de l’Esprit (basé sur 3 Jean 2) (18). Des sermons hebdomadaires donne le pouvoir et l’espoir avec des mots d’ordre et des phrases simples et positives, comme : « Penses-le, vois-le, nommes-le et parles-en sans crainte. », ou bien : « En visualisant un rêve, vous pouvez incuber votre avenir et faire éclore les résultats » (19). La raison la plus souvent donnée pour suivre l’Eglise du plein Evangile est d’« être guéri ». La théologie de Cho Yong-gi de la triple bénédiction a produit un puissant mouvement social pour une vie meilleure ; la maladie, la pauvreté et les échecs dans les affaires sont dus au péché et à l’impureté spirituelle (Syn-Duk 1987 : 123 ; Myung 2003 :159-171). Cette méga Eglise a maintenu sa cohésion par l’accent mis sur les groupes de cellules familiales comme centres de l’attention pastorale, de la création de disciples et l’annonce de l’Evangile (Cho 1997). En 1982, l’Eglise du plein Evangile avait 116 missionnaires travaillant dans dix-sept pays (20). Le renouveau de Lee et également l’église Yoido de Cho sont par nature des thérapies.

La moitié, peut-être, des paroissiens ont rejoint l’Eglise du plein Evangile par la persuasion de membres de leur famille ou d’amis, un cinquième l’a fait pour guérir d’une maladie. Une troisième raison, qui ne concerne que seulement 6 % des paroissiens, est de faire l’expérience du pouvoir de l’Esprit. Le nombre des femmes dépasse celui des hommes à raison de deux femmes pour un homme. Les fidèles ont un niveau d’éducation égal ou inférieur à celui du lycée. La classe ouvrière et la classe moyenne y sont prépondérantes. L’Eglise du plein Evangile de Cho insiste beaucoup sur la stabilité de la famille et sur son rôle dans la société. Ses idées conservatrices sur la structure familiale et le rôle des membres de la famille semblent aller à contre-courant de l’évolution de la société en Corée. La base des structures sociales et culturelles coréennes a toujours été l’enseignement de Confucius et le respect des valeurs traditionnelles.

Kim Eungi (Kim 2000 : 112-119) note une affinité possible entre le chamanisme et l’esprit du capitalisme. Ni la passivité, ni le fatalisme ne sont inhérents au chamanisme, dont les fidèles travaillent dur pour réussir à concrétiser leur désir – induit par le chamanisme lui-même – de succès matériel. Ils sont libres de travailler dur, étant certains d’avoir tout fait, pratiquement et spirituellement, pour y arriver. En outre, les Eglises combinent la responsabilité personnelle et l’inventivité, nécessaires l’une comme l’autre dans une économie entrepreneuriale (Cox 1995 : 219). Hollenwegger (1997 : 99-105) a suggéré un lien certain entre la théologie de Cho et le chamanisme coréen, en ajoutant que cette fertilisation croisée pouvait se révéler soit conservatrice, soit radicale.

Il faut souligner, cependant, que la plupart des pentecôtistes coréens rejettent la notion de syncrétisme, leur message est celui du pentecôtisme classique. Par exemple, Kim Dongsoo (1999 : 123-139) ne croit nullement en une influence chamaniste directe. Néanmoins, les deux mouvements sont similaires en ce qu’ils jouent un rôle analogue en supprimant le han, la « blessure du cœur », la peine profonde ressentie par un peuple dont les sentiments et la dignité ont été bafoués par l’occupation, la guerre civile et la pauvreté. Il trouve des parallèles saisissants, non seulement entre le rôle du pentecôtisme et celui du chamanisme dans la vie des gens, mais aussi entre la fonction du pasteur et celle du chaman, ainsi qu’entre les méthodes utilisées par les deux mouvements. De la même façon, Anderson (2003 :85-105) fait beaucoup plus que souligner la similarité entre le pentecôtisme coréen et le chamanisme ; il prétend qu’ils présentent tous les deux une grande continuité avec la Bible, le pentecôtisme biblique ayant beaucoup en commun avec la religiosité primaire (chamanique). Pour Anderson, ce n’est pas une question de syncrétisme, mais plutôt une question de contextualisation créative « pour les besoins ressentis par un peuple » (2003 : 105).

Le pentecôtisme mystique

Le mouvement de la Montagne de la Prière est un mouvement pentecôtiste coréen local. Un pasteur méthodiste, Lee Yong-do (1901-1933), après avoir été diplômé d’un collège biblique en 1928, se rendit sur le mont Kumkang pour prier et jeûner pendant dix jours. Il eut une vision et entendit une voix venant du ciel lui demandant de « chasser les démons ». En 1930, il créa un groupe de prière à Pyongyang. Hautement critique des dirigeants de l’Eglise enfermés dans la théologie des missionnaires, Lee fut interdit de parole par les presbytériens et par sa propre église méthodiste. Il prêchait une spiritualité individuelle internalisée qui impliquait le bien-être spirituel et la piété personnelle (Kim 2006 : 159). Il mourut de tuberculose alors qu’il n’avait que 33 ans.

Le mouvement de la Montagne de la Prière prit son envol après la libération, en créant des espaces de prières et en pratiquant la méditation et le jeûne. Bien qu’il y ait eu de nombreux temples bouddhistes dans les montagnes, il n’y avait pas de montagne en Corée où les chrétiens pouvaient prier avant l’indépendance. En 1942, Woon Mong-ra créa la communauté Aehyangsook (amour, pays, classe) pour créer un pays de l’amour. L’esprit de l’Aehyangsook s’exprime dans une expression qui comprend cinq phrases : « adorer Dieu absolument, aimer les autres comme soi-même, porter la vérité, communier avec la terre et étudier la vie ». En 1947, des milliers de personnes se rassemblèrent des quatre coins du pays, pour être bénies à cette montagne. Cette cérémonie comprenait la bénédiction qui résout les problèmes de la vie, celle qui guérit les maladies et celles qui chasse la pauvreté. Woon Mong-ra allait de village en village et retournait la montagne Yongmun pour retrouver son pouvoir spirituel dans la prière, la méditation de la Bible et le jeûne. C’est là qu’il connut la présence du Seigneur, reçut le don des langues et de la prophétie. En 1954, quelque dix mille personnes suivirent une cérémonie du renouveau sur la montagne.

Il se créa plus de montagnes de prière dans les années 1980 que pendant tout autre période et plus de la moitié furent crées près de Séoul. Les chrétiens des zones urbaines recherchaient un endroit tranquille où ils pouvaient être avec Dieu personnellement ; à la montagne, on pouvait se concentrer sur la prière. Les chrétiens désiraient avant tout connaître des expériences spirituelles et la montagne intensifiait la dimension spirituelle de la vie chrétienne. Les chrétiens se rendaient aux montagnes de prière pour résoudre leurs problèmes de famille et de travail et les luttes personnelles qu’ils menaient et pour être guéris physiquement et spirituellement. Ce ‘mouvement de la montagne’ a beaucoup de points communs avec les valeurs primordiales de la culture coréenne et il correspond bien au caractère de la religion primaire coréenne (Kim 2006 : 160). La montagne est également devenue un endroit de vacances familiales.

Le pentecôtisme Minjung

L’affinité du christianisme, ou sa convergence, avec les valeurs religieuses essentielles des Coréens, particulièrement avec celles du chamanisme a assuré le développement spectaculaire de cette nouvelle foi. Le christianisme a adopté l’accent mis par le chamanisme sur l’exaucement des vœux de réussite matérielle, par la prière adressée aux esprits ou la communication avec ces mêmes esprits. Reprises par le christianisme, ces tendances matérialistes, et même capitalistes, proviennent du chamanisme (Cox 1995 :229-231). L’acceptation de l’Evangile est souvent considérée comme un moyen d’amélioration du standing social et financier, en obtenant des avantages dans un contexte social étrange et en prenant part à la prospérité nationale (Gallup Korea 1985, 1990). Néanmoins, Yoo Boo-Woong (1998) a le sentiment d’une proximité entre les courants chamaniques, pentecôtistes et la passion de la justice du Minjung (21).

Selon Lee Hong-jung (1999 : 138-160), le mouvement pentecôtiste en Corée a commencé par être une expression de ceux qui étaient économiquement exploités, socialement aliénés et culturellement marginalisés, mais le minjung est rapidement devenu une idéologie, crée par les missionnaires nord-américains, mêlant le capitalisme, le chamanisme et le fondamentalisme religieux. La coupure s’est faite, alors, entre le conservatisme évangélique et le minjung ‘chamaniste’ radical.

Les nouveaux mouvements religieux en Corée, y compris le néo-pentecôtisme, mettent l’accent sur le monde présent aussi bien que sur l’autre monde (Anderson 2000 :123-129). Tous ces mouvements, chrétiens ou autres, en dépit d’un fossé entre les doctrines de base, les organisations, les rites et les relations avec la société sont tous concernés par les bienfaits matériels de la religion, la sainteté de la famille et l’intégrité culturelle de la société coréenne. Ces mouvements allègent la vie des gens en les débarrassant du malaise et de l’incertitude. Ils leur donnent une réponse à leurs questions en tant que fidèles. Ils adhèrent à la culture coréenne traditionnelle et à l’identité ethnique, plutôt que de s’y opposer. Les nouvelles formes du christianisme travaillent à la métamorphose culturelle en se mélangeant à la culture coréenne traditionnelle (Syn-Duk 1987). Harvey Cox (1995 : 213-241) a peu de problème avec la coexistence du chamanisme et du pentecôtisme en Corée ou ailleurs en Asie. Dans le même temps, Yoo soutient (1988) que la théologie de la libération des théologiens professionnels des années 1970 ne s’intéressait qu’à la libération des pauvres, alors que le pentecôtisme minjung représente les pauvres eux-mêmes faisant de la théologie (22).

Les charismatiques catholiques

Miriam Knutas était une infirmière pentecôtiste suédoise. Elle entendit dans sa prière le Seigneur lui demander d’aller en Corée prêcher l’Evangile pentecôtiste aux catholiques. En 1971, elle alla en Corée et travailla comme infirmière au camp de la 8e armée américaine. Plus tard cette même année, le missionnaire Gérald Farrell y revenait après avoir fait parti du mouvement charismatique catholique aux Etats-Unis. Jusqu’alors, ce mouvement était inter-dénominationnel et la plupart de ses membres étaient étrangers, ministres comme religieux. A la fin du XXe siècle, il y avait plus de 700 000 pentecôtistes charismatiques catholiques en Corée (23) (Eim 2002 : 246).

LES PHILIPPINES
Le contexte

Le premier missionnaire pentecôtiste qui arriva aux Philippines fut Joseph Warnick, en 1921, qui, avec un prédicateur local Teodorico Lastimosa, créa l’Eglise philippine de Dieu (Anderson 2004b : 131). Le premier pasteur des Assemblées de Dieu arriva en 1926. Dans les années 1940, les Philippins, qui revenaient chez eux des Etats-Unis, se transformèrent en missionnaires pour leurs propres concitoyens ; ce qui conduisit à la création des grandes Eglises pentecôtistes (Suico 1999 : 11) Les premiers fidèles eurent à endurer le harcèlement dont ils étaient l’objet de la part des catholiques, mais le mouvement progressait par bonds. Les années 1970 et 1980 virent une hausse soudaine des grands groupes pentecôtistes. Cela coïncidait avec l’explosion des adhésions charismatiques dans le pays. Aujourd’hui, il a au moins 18 dénominations ou groupes pentecôtistes ou proches du pentecôtisme parmi les 51 adresses de l’annuaire du Conseil des Eglises évangéliques des Philippines (Ma 2002 : 201-207).

De 1926 à l’occupation japonaise (1941-1944), la croissance du pentecôtisme fut lente. L’activité missionnaire enthousiaste, l’annonce de l’Evangile, la construction d’églises, la prédication par la radio ou la littérature, les meetings du renouveau et les croisades extérieures – tout cela ne commença qu’après la libération. Mais l’époque socialement et politiquement troublée sous Marcos a quand même vu une croissance explosive. Pendant les années 1980, le nombre des églises pentecôtistes a fait plus que tripler. En 1999, les Assemblées de Dieu avaient 2 357 églises, presque le double de ce qu’elles avaient vingt ans auparavant, avec 130 000 fidèles et 3 200 pasteurs et assistants. Cette Eglise a maintenant 35 écoles de formation de pasteurs, y compris une pour les malentendants, et elle a formé et envoyé en mission à l’étranger quinze missionnaires « transculturels ».

Le Foursquare Gospel a été créé par Vicente Defante, un cuisinier de la marine américaine, dans sa ville natale d’Iloilo City au milieu des années 1930. Des congrégations ont été fondées à Cavite et à Ilocos Norte par des Philippins qui avaient eu des expériences spirituelles à l’Angelus Temple, à Los Angeles (24). En 1949, il y avait treize églises du Foursquare Gospel et, en 1958, l’Eglise fut organisée selon quatre districts : Northern Luzon, Luzon, Mindanao et Visayas. En 1972, on comptait plus de deux cents églises, trois collèges bibliques et deux écoles chrétiennes (Suico 1999 : 12).

Parmi les Eglises pentecôtistes des Philippines, on trouve également les Filipino Assemblies of God of the First Born qui ont été crées en 1941 à Northern Luzon, la Church of God Missions of the Philippines, crée dans la même ville en 1947. Les années 1980 furent une époque de croissance considérable, en réponse au désordre social et politique de la loi martiale. En 1981, il y avait 150 Eglises avec plus de trente mille fidèles, assistés par 450 pasteurs.

L’Universal Pentecostal Church fut fondée par Romeo Doming Corpuz en 1976. Ce groupe pentecôtiste local commença près de Manille en utilisant une chapelle catholique pendant six mois, qui déplaça sa messe au samedi. Aujourd’hui, il y a 113 congrégations locales avec 100 pasteurs, dix centres de soins de jour et une école chrétienne. Cette Eglise fait partie du Philippines for Jesus Movement (PJM). Les trois plus grandes Eglises pentecôtistes sont Jesus is Lord Church, créée en 1978, Jesus Miracle Crusade et Assemblies of God.

George W. Harper (2000 : 225-259) a étudié les statistiques des plus grandes Eglises pentecôtistes et des Eglises locales pentecôtistes des Philippines en comparant et en opposant différentes méthodes de calcul et de projection. Avec un nombre élevé de recoupements, il conclue que « en 1950, 5,1 % des Philippins étaient évangéliques… et qu’en 2000, ils ont atteint 6,5 % de la population pour devenir 8,2 % en 2010… et 17 % en 2040 » (p. 251). Si le plus grand pays catholique d’Asie perdait entre 15 et 20 % de ses fidèles au profit des groupes évangéliques/ pentecôtistes, la situation serait comparable à celle du Chili.

Ma Jungja voit comme raison au succès du pentecôtisme aux Philippines sa similitude avec la spiritualité chamanique des peuples tribaux, qui est centrée sur le concept de puissance. Le message pentecôtiste démontre la suprématie de Dieu sur les esprits (1999 : 194). Les chamans négocient une relation entre les esprits et le peuple en le conseillant, en accomplissant des actions de grâce, en pratiquant des rituels de guérison et en interprétant des présages, des rêves et des visions. Les Philippins ont un système de croyance très fort fondé sur le monde des esprits et sont très attirés par l’accent mis par le pentecôtisme sur le pouvoir de l’Esprit Saint. Les rites de passage comme la naissance, le mariage et la mort sont accomplis par les chamans. Le baptême dans l’Esprit semble correspondre parfaitement aux possessions par les esprits, aux exorcismes jusqu’aux apaisements des esprits dans les tribus. Alors que Julie Ma considère tout ceci comme un syncrétisme (2000a, 2000b), Yong (2002 :110-128 ; 2005 : 46-50) recherche de façon plus positive des corrélations entre la cosmologie pentecôtiste et les concepts primaires du monde.

Les pentecôtistes croient que le changement social n’est possible que dans une conversion personnelle et dans une immersion dans une communauté de foi.

Le changement des structures ne fait pas normalement partie de leur programme social. Comme le dit le rapport de 1997 du Dialogue international pentecôtistes/catholiques : « Le changement social se produit souvent au niveau des communes et des microstructures » (25). Une fois le salut personnel réussi, les effets de la guérison sont visibles dans la vie personnelle et familiale des gens, dans leur santé physique et dans leur bien-être moral. Les pentecôtistes s’attachent à reconstruire la vie familiale dans des communautés déstructurées par les dislocations sociales et économiques. Avec la conversion, une personne acquiert un sens de la valeur, un nouveau sens de la vie, une discipline pour travailler et un modèle pour sa vie de famille. Au tournant de ce siècle, le pentecôtisme philippin était encore largement limité à la famille et aux relations entre les personnes (Suico 1999 : 16, 19).

Les charismatiques catholiques

Le premier groupe de prière charismatique s’est réuni à Manille à La Salle Greenhills en 1969. Un tournant a été pris durant la conférence sur le Plan d’assistance mondiale missionnaire, qui s’est tenue à côté de Manille en 1973. Près de 2 000 pasteurs, prêtres, religieuses, missionnaires et laïcs étaient présents, représentant vingt communautés et groupes différents.

Les fidèles du renouveau charismatique catholique étudient les Ecritures avec zèle. Ils ont adopté plusieurs concepts évangéliques comme celui de la ‘nouvelle naissance’ et ont activement recherché des expériences pentecôtistes, comme le baptême dans l’Esprit, les dons de l’Esprit, spécialement le don de parler en langue et celui de la guérison physique. La richesse émotionnelle et la religiosité des Philippins leur ont fait adopter ces phénomènes pentecôtistes pour exprimer leur spiritualité. D’où les chants joyeux et les prières ferventes, qui sont devenues une partie vitale de ce mouvement.

Les charismatiques enthousiastes tiennent ouvertes leurs maisons, leurs bureaux, leurs usines, restaurants et écoles pour l’étude de la Bible et les réunions de prière. A la différence des pentecôtistes classiques, qui œuvrent dans les couches sociales les plus démunies, ces nouveaux adeptes sont des hommes d’affaires, des professionnels de bonne éducation, des dirigeants ou des cadres de sociétés, des fonctionnaires, des professeurs et des officiers de l’armée, y compris des généraux. Avec le développement rapide de l’étude de la Bible, des salles de bal dans des hôtels ou des grands restaurants ont été louées pour les célébrations du dimanche. Ces endroits neutres plaisent aux catholiques qui ne souhaitent pas être assimilés aux fidèles de la ‘nouvelle naissance’. De la même façon, les catholiques ne s’appellent pas ‘églises’ mais ‘association de compagnons’. Ces fidèles, remplis de l’Esprit, pratiquent entre eux un œcuménisme spontané, quel que soit leur affiliation ecclésiale (Ma 2005 : 502) (26).

Les groupes tournent souvent autour d’un prédicateur ou d’un commentateur de la Bible, ne sortant pas obligatoirement d’une école biblique traditionnelle, ni d’un séminaire (voir ci-dessous El Shaddai). De nombreux chefs autodidactes ont montré une grande capacité directive et fait grand usage des laïcs dans de nombreux ministères. Des professionnels laïques se sont souvent convertis en pasteurs après un entraînement personnel et sont devenus les leaders des congrégations qu’ils créaient.

Donnant une grande importance à l’étude de la Bible et menant une vie engagée, beaucoup de ces leaders de congrégations ont attiré à l’Evangile des hommes d’affaires des classes moyennes. Des groupes ont été créés dans toutes les îles Philippines et dans les communautés philippines à l’étranger, comme à Hongkong, à Singapour, en Malaisie, à Taiwan, en Corée, au Japon et dans les milieux d’affaires européens, et également parmi les immigrés philippins aux Etats-Unis, au Canada et en Australie. Quelques congrégations ont évolué vers des sortes d’églises qui formaient des membres et les envoyaient en mission.

Après deux décennies de consolidation, bien des congrégations charismatiques vivent en connaissant des difficultés avec les paroisses catholiques. La participation aux célébrations des congrégations remplace la messe du dimanche et l’Eglise connaît un exode lent mais continu.

El Shaddai

Le plus grand de ces mouvements indépendants, dirigés par des laïcs catholiques est El Shaddai. Mariano Z. Velarde (« Brother Mike ») a commencé son ministère en 1982, après une guérison miraculeuse. L’année suivante, il acheta une station de radio DWXI et commença à diffuser des programmes évangéliques. Cette station de radio est maintenant la troisième chaîne la plus populaire dans la région de Manille et diffuse des émissions 24 heures sur 24, tous les jours. En 1984, ce ministère par radio devint le mouvement El Shaddai. Il cherche à attirer les catholiques qui ont négligé la pratique chrétienne et ne vont plus à la messe.

El Shaddai tient ses propres réunions le dimanche. Un pasteur des prisons et des pasteurs pour soutenir les gens en détresse donnent également des cours bibliques et dirigent des groupes de prière. En 1997, El Shaddai avait plus de 300 000 fidèles inscrits, mais un nombre encore plus important de personnes – jusqu’à six millions – assistaient aux réunions du dimanche dans le pays et dans 62 réunions à l’étranger. La foule du grand Manille se rassemble chaque dimanche au Centre de convention international des Philippines. S’échauffant dans l’après-midi, ces rassemblements nocturnes peuvent attirer 100 000 personnes et dans certaines occasions jusqu’à un demi million. Trois millions de personnes se sont rassemblées pour le onzième anniversaire d’El Shaddai en 1994. Un groupe de 200 000 personnes a même bravé le typhon Mameng et, malgré les vents déchaînés et la pluie, sont restées jusqu’à 4 heures le lendemain matin.

Selon Leonardo Mercado (2005 : 80-81), El Shaddai connaît un énorme succès parce que : a.) il met l’accent sur le rôle de l’Esprit Saint et la redécouverte du discours primitif qui a survécu dans le peuple philippin chrétien ; b.) il pratique une adoration attrayante à laquelle tout le monde participe avec ce penchant philippin pour le drame ; c.) il développe une communication efficace, diffusant 14 heures de télévision par semaine sur des chaînes présentes dans tout le pays ; le mensuel Bagong Liwanak Magazine a un tirage de 300 000 exemplaires et le Miracle Newsletter atteint 150 000 exemplaires par numéro ; d.) le charisme et la méthode de Mike Velarde ainsi que sa maîtrise de la psychologie et son sens du spectacle ; e.) El Shaddai répond aux besoins immédiats de santé et de revenus des gens issus des basses classes de la société ; f.) il fait part d’expériences vécus dans le monde à la lumière de la parole de Dieu ; g.) il donne des pouvoirs aux laïcs dans la ligne d’un catholicisme populaire ; h.) il emploie des symboles philippins et se sert du concept philippin de causalité. Sa culture se développe au niveau physique, social, symbolique et mondial.

El Shaddai utilise le tagalog pour dire les prières et rarement l’anglais. Les énormes réunions avec une atmosphère de fiesta ont une couleur typiquement philippine et les contacts entre les participants restent dans l’esprit des gens. Le style de leader de Mike Velarde, sa relation avec ses collaborateurs, son éloquence, tout en lui correspond au tempérament philippin. L’usage de cette théologie matérielle répond à la philosophie philippine. Tous ces éléments propres aux Philippines contribuent à donner à chacun une impression de communauté d’appartenance, d’espoir et de confiance (Salazar 1994 : 190-205).

Une estimation prudente évalue les différents groupes charismatiques catholiques à près de 30 % de la population catholique des Philippines.

INDONÉSIE
Le contexte

Les deux premiers missionnaires pentecôtistes sont arrivés en Indonésie (à l’époque, les Indes Néerlandaises) en 1921 et ont commencé à travailler à Bali, célébrant des offices évangéliques dans un entrepôt de coprah. Ils traduisirent l’Evangile de saint Luc en balinais. Dix mois plus tard, les autorités hollandaises les expulsèrent de Bali. Surabaya, tout proche dans l’est de Java, devint leur nouvelle base.

Leur église commença avec dix personnes, qui étaient quarante à la fin de l’année. La majorité en était hollandaise, et quelques uns d’origine mélangée, hollandaise et indonésienne. En 1923, les treize premiers furent baptisés par immersion dans l’eau selon la formule « Seul Jésus ». Un groupe de jeunes, convertis entre 1924 et 1926, devint la base du mouvement quand les dirigeants furent internés par les Japonais durant l’occupation de l’île (1942-1945).

Les jeunes évangélistes furent envoyés de la ville Malang, à l’est de Java, dans le nord de Sumatra, dans le nord de Célèbes, à Amboine et au Timor, où des églises pentecôtistes furent installées dès 1930. A la fin des années 1920, des sino-indonésiens influents avaient été convertis et le mouvement devint donc dominé par ces derniers. Il n’y a pas trace de beaucoup de réceptivité du pentecôtisme de la part des Javanais durant cette première période (Lewis 2002 :124-127).

De forts leaders nationaux charismatiques commencèrent d’apparaître quand l’occupation japonaise demanda aux Indonésiens de prendre la direction des affaires tenues jusque là par des Occidentaux. Un renouveau puissant se manifesta après le rejet du gouvernement Sukarno par l’armée en 1965, et ceci, de façon spectaculaire dans l’Eglise presbytérienne du Timor occidental (27).

Au début du XXIe siècle, on compte près de 100 centres d’études évangéliques, dont la plupart ont été fondés ces trente dernières années. Leur force, en dehors la dévotion, réside dans l’esprit évangélique et missionnaire ; mais, leur faiblesse est de ne pas se conformer au système d’éducation nationale.

Leur croissance a été étonnante : en partant d’une église logée dans une maison avec dix personnes en 1921, ils sont devenus une force majeure du christianisme indonésien. Totalisant presque deux millions de fidèles en 1980, ils ont atteint au moins six millions vingt ans après. Aujourd’hui, les congrégations pentecôtistes constituent probablement la moitié de tous les évangélistes en Indonésie (Lewis 2002 ; Anderson 2004b : 130).

Pour les Indonésiens musulmans, la recherche d’une expérience directe de la divinité et de la foi qui guérit a trouvé sa meilleure expression dans les sociétés traditionnelles kebatinan pour l’élite javanaise, et ce, de l’indépendance jusqu’en 1965 (Subagya 1973), et depuis les années 1980, pour la classe moyenne musulmane, dans des mouvements spirituels aux allégeances diverses (Howell 2006). Ces derniers ont beaucoup de point communs avec le pentecôtisme indonésien classique et le mouvement charismatique.

La Gereja Pantekosta di Indonesia (Eglise pentecôtiste en Indonésie) est la plus importante Eglise pentecôtiste avec plus de trois millions de fidèles. Les Jemaat Allah di Indonesia (Assemblées indonésiennes de Dieu) ont 70 000 fidèles avec près de 700 congrégations dans la plupart des provinces indonésiennes. Un des phénomènes dominants du développement des Eglises pentecôtistes en Indonésie est l’intensité de leur puissance de fractionnement qui a donné naissance à près de 100 nouveaux groupes pentecôtistes. Il y a maintenant plus de quarante dénominations pentecôtistes en Indonésie, dont la plupart continuent de se développer (Lewis 2002 : 129-130).

Caractéristiques

Le pentecôtisme indonésien s’est centré sur la prière pour les malades. Cette approche-rencontre de la puissance de l’évangélisme a crée une grande ouverture à l’Evangile. Presque tous les témoignages de ceux qui se sont convertis au christianisme, en venant d’un contexte musulman, font état de miracles, comme des guérisons, des délivrances ou bien des rêves. Depuis la croisade de John Sung en 1939, de grandes foules se sont rassemblées dans des stades de football, des théâtres, des salles de réunion pour écouter les évangélistes pentecôtistes. L’adoration, là comme ailleurs, se fait avec des applaudissements en cadence, de la musique très animée et des chœurs qui chantent une adoration très simple. Cela a amené une nouvelle vie à des congrégations endormies. Les écoles bibliques pentecôtistes n’ont pas donné beaucoup de théologiens, mais elles se sont révélées efficaces pour produire des créateurs d’Eglises et des pasteurs ; l’accent y est mis sur un ministère pragmatique (Lewis 2002).

Alors que certains, comme Yakub Nahuway, un étudiant disciple de David Cho Yonggi de Corée et leader de l’Eglise Mawar Saron, ont adopté la théologie du succès, d’autres ont accompagné la proclamation du Seigneur Jésus Christ d’un sentiment pénétrant de justice sociale. L’accent est mis sur un évangélisme personnel et domestique.

Un certain nombre d’évangélistes indonésiens ont été envoyés dans d’autres pays asiatiques, la Malaisie, Singapour, la Thaïlande (28), le Cambodge, Hongkong, Taiwan, le Japon, le Népal, l’Afghanistan et le Pakistan. D’autres ont été en Europe, en Amérique latine, en Afrique dans le but d’y établir de nouvelles Eglises.

Les pentecôtistes se distinguent des autres chrétiens par la vigueur de leur évangélisation et le fait qu’ils essayent de convertir les musulmans (29). Même si d’autres Eglises protestantes sont déjà présentes, ils n’hésitent pas à débuter une congrégation, ou à louer une salle pour y tenir des réunions évangéliques dans le but de créer une nouvelle Eglise (Lewis 2002 : 131). Cependant, depuis les années 1990, des efforts ont été entrepris pour minimiser les tensions et la polarisation. Le dialogue avec les musulmans, fondé sur des relations personnelles, vise à créer des points de contact pour ne pas rejeter ces voisins musulmans (30). Après les attentats du 9 septembre 2001 à New York et à Washington, l’antipathie des évangélistes conservateurs américains risque une fois de plus d’augmenter les tensions.

Les charismatiques catholiques

Pembaharuan Karismatik Katolik (le Renouveau catholique charismatique) a commencé à Djakarta en 1977. Dans les premières années de 1990, seuls deux diocèses n’avaient pas reconnu le mouvement (Subangun 2003). Une étude de 1993 a montré que de nombreux charismatiques ne faisaient que passer par ce mouvement, mais n’y restaient pas. Pas moins de 57,4 % de charismatiques n’ont rejoint le mouvement que pour quelques mois ou quelques années. Certains s’en vont pour rejoindre une Eglise pentecôtiste, d’autres retournent à un catholicisme plus conventionnel. Presque tous les charismatiques catholiques indonésiens se trouvent dans les villes et une majorité (60,2 %) dans les minorités sino-indonésiennes. Leur statut de minorité ethnique, leur éloignement de la politique et leur prospérité économique, joints à une spiritualité très forte pour l’au-delà, tout concourt à faire de ce mouvement un mouvement d’évasion. Les fidèles y montrent beaucoup d’émotion dans les liens qui les unissent. Les groupes charismatiques ont positivement donné du ‘cœur’ à l’observance religieuse rigoriste et formelle (24 %).

Quelques catholiques les ont rejoints après des problèmes personnels (24 %) ou de sérieux désaccords familiaux (22,3 %). Une grande majorité va aux réunions « pour en savoir un peu plus sur le mouvement charismatique » (66 %). Beaucoup y recherchent des bienfaits (25 %), telle que de parler en langue (67,1 %) ou d’être guéris (32,8 %). D’autres veulent y trouver la connaissance du monde (18,6 %) et le don de prophétie (16,9 %). Un cinquième des fidèles les a rejoint parce qu’ils avaient été invités par leur famille ou des amis (22,8 %) (Subangun 2003 : 35-43).

L’étude montre combien les problèmes de lassitude dans la vie et dans l’Eglise ont déclenché, avec la recherche d’émotions, l’entrée dans un groupe charismatique, au moins pour un temps. La justice sociale ne fait pas partie du programme. Un essai de dialogue entre le mouvement et les communautés ecclésiales n’a pas réellement réussi (Prior 2002 : 18-35). En compilant les résultats de cette étude avec les données d’autres rapports, Subangun conclut que le christianisme charismatique peut être compté au nombre des divertissements religieux (Subangun 2003 : 43).

Les charismatiques catholiques sont moins enclins à la tolérance interreligieuse que les non-charismatiques. Quelque 27,1 % des charismatiques ont une attitude positive sans restriction vis-à-vis des musulmans, alors que 35,6 % des non-charismatiques l’ont. Les charismatiques savent qu’ils sont soupçonnés par les autres catholiques ; 22,7 % ont le sentiment que leur famille les soutient, 13 % ont des familles qui les empêchent de se joindre à eux et enfin, 36,6 % ont des familles admiratives.

En 2003, le vicaire épiscopal pour les apostolats de l’archidiocèse de Djakarta, Mgr. B.S. Mardiatmadja, jésuite, a publié une lettre très restrictive avec dix points à respecter pour ce qui concernait le renouveau charismatique catholique. Cette lettre était une réponse à la dérive qui était perçue vers le pentecôtisme.

Komunitas Tritunggal Mahakudus

Komunitas Tritunggal Mahakudus (KTM, ‘la Communauté de la très sainte Trinité’) est un réseau charismatique catholique de petites cellules fondées par Yohannes Indrakusuma O.Carm (Romo Yohannes), en 1997. Ces cellules mettent l’accent sur la relation personnelle avec Dieu et avec les autres et, qui comme les autres communautés charismatiques, sont très actives dans les milieux aisés sino-indonésiens. Romo Yohannes, lui-même, a un statut proche de la vénération de la part de ses fidèles, alors que le réseau dans son ensemble, avec les deux congrégations religieuses que Yohannes a fondées, à savoir Komunitas Suster Putri Karmel (PKarm) et Komunitas Frater Carmelitae Sancti Eliae (CSE), a eu des relations plutôt très tendues avec la hiérarchie. Le profond sentiment d’interdépendance entre Romo Yohannes et les fidèles du KTM, dans lequel chacun se considère comme l’extension de l’autre, reflète bien la situation dans les communautés pentecôtistes. La différence clé réside dans l’acceptation par le KTM de la plus large tradition catholique, alors qu’assez souvent l’horizon d’une congrégation pentecôtiste se limite à celui de son pasteur.

En avril 2006, il y avait 332 cellules adultes et 133 cellules jeunes dans 19 diocèses indonésiens. Il y avait 33 cellules adultes et 46 cellules jeunes à Singapour, en Malaisie, en Australie, aux Etats-Unis, au Canada et aux Pays-Bas. Le plus grand nombre de fidèles (adultes et jeunes) se trouve dans les villes de Surabaya (1 340) et de Djakarta (835) avec un total de 4 900 membres dans toute l’Indonésie. A l’étranger, le groupe le plus important est en Australie, avec 382 membres (31). Bien que, sans doute, de tendance sectaire, tous les fidèles KTM se pensent eux-mêmes comme de solides catholiques, même si leur large générosité ne s’adresse plus aux paroisses locales, mais aux activités KTM.

L’INDE
Le contexte

L’Inde est sans doute le premier pays à avoir connu la déferlante pentecôtiste moderne, certainement celui qui l’a connu le plus tôt en Asie (Anderson 2004b :124). Les mouvements proches du pentecôtisme ont précédé d’au moins quarante ans le développement du pentecôtisme du XXe siècle en Europe (pays de Galles) et en Amérique du Nord (Los Angeles). Durant le XXe siècle, l’Asie s’est développée indépendamment de l’influence des mouvements du renouveau occidental (McGee et Burgess 2002 :118-126).

Les premiers des grands renouveaux ont été marqués par le rétablissement des dons charismatiques et le développement du leadership indigène. On a signalé des renouveaux au Tamil Nadu (1860-1861), d’où il s’est étendu au Kerala une décennie plus tard (1874-1875). Dès le début, le renouveau a pris un tour indigène. Les missionnaires et les fonds de l’Occident n’avaient que très peu, sinon pas du tout d’influence. Les hindous avaient des visions qui leur révélaient les noms de ceux qui devaient être désignés comme apôtres, évangélistes et prophètes, tous, hindous. Les castes étaient ignorées, la musique était composée par les hindous eux-mêmes. Malgré la désapprobation des missionnaires étrangers, ce renouveau a survécu jusqu’au XXe siècle, mais bien diminué.

En 1905-1907, un renouveau est apparu à la Mission Mukti du Pandita Ramabai, à Pune, où de jeunes femmes, baptisées dans l’Esprit, eurent des visions, entrèrent en transe et parlèrent en langue. La même année vit le renouveau des peuples tribaux de Khassia Hills, dans le Nord-Est de l’Inde. Les fidèles commencèrent à confesser leurs péchés, dans un « ouragan de prières », c’est-à-dire dans des prières ferventes à vo