Eglises d'Asie

Le Vendredi Saint, les crucifixions ont continué malgré l’opposition de l’Eglise

Publié le 18/03/2010




Rodolfo Tanael est âgé de 30 ans. Instituteur d’école primaire reconverti dans l’entretien de jardins, il attend la Semaine Sainte avec une attention toute particulière. Dès le dimanche des Rameaux, son « pèlerinage » commence par un périple de 16 km au cours duquel il porte une lourde croix de bois. Le Vendredi Saint, il achève son parcours par un crucifiement pendant lequel il reste une quinzaine de minutes suspendu au bois de la croix, les mains transpercées d’imposants clous préalablement désinfectés à l’alcool. « C’est Dieu qui me demande cet acte sacré », affirme-t-il, tandis que des milliers de personnes regardent la scène, à une centaine de kilomètres au nord de Manille (1).

Juan Cristobal, maire de Kapitangan, explique que depuis vingt ans, le jardin de la chapelle du village est utilisé pour le « sacrifice suprême du crucifiement ». Une quinzaine d’hommes y sont crucifiés chaque Vendredi Saint. Les anciens de Kapitangan disent que son nom vient de kapit tangan, ‘empoigner fortement’. Ils affirment qu’il y a plusieurs siècles, une inondation massive a submergé le village et que les seuls survivants furent ceux qui s’étaient accrochés à une grande croix de bois flottant sur les eaux. Depuis vingt ans, les « Kristos » – c’est ainsi que l’on nomme ces crucifiés – ont acquis une grande popularité dans le pays et à l’étranger, au point que des touristes assistent à ces scènes.

Avant chaque période pascale, le P. Luciano Balagtas, curé de la paroisse rappelle que ces crucifixions sont déconseillées par l’Eglise catholique. Il s’agit là d’« une méthode aberrante » pour consolider sa foi. Ce n’est qu’une « mise en scène outrancière de sa foi » et l’expression d’un « christianisme folklorique », explique-t-il, avant d’ajouter que les gens affluent à Kapitangan pour « regarder » plutôt que pour prier et se repentir.

Mgr Pedro Quitorio, porte-parole de la Conférence épiscopale des Philippines, est plus direct dans sa condamnation. L’Eglise les dénonce, a-t-il rappelé le 1er avril dernier, comme un rite « contestable » et « risqué ». « Contestable car la vraie foi nous enseigne que le Christ a été crucifié pour nous sauver et que nous ne pouvons reproduire cela, et risqué car des personnes mettent inutilement leur santé en danger. » Mgr Quitorio parle de simple « spectacle », ces crucifixions étant « l’expression de croyances plus superstitieuses que chrétiennes ». Si les croyants veulent faire pénitence, ils peuvent le faire dans la ligne de l’enseignement de l’Eglise, à travers l’aumône, le jeûne, l’abstinence et la prière, met-il en avant.

Pour Rodolfo Tanael, ces condamnations sont de peu de poids face à ce qu’il pense être sa « vocation ». Il a abandonné son métier d’enseignant pour sa « nouvelle mission », qu’il dit être de « rappeler aux gens les souffrances du Christ ». En 1989, encore enfant, il dit avoir reçu en songe« des messages de Jésus-Christ ». En 2000, un homme, qui jouait le rôle du « chef des Juifs » lors des crucifixions a vu lui aussi Jésus dans ses rêves et a convaincu Rodolfo Tanael d’accepter d’être crucifié. Plus tard, quand une femme a rêvé que Dieu lui demandait d’acheter du bon bois et d’en faire une croix pour Rodolfo Tanael, il fut convaincu. La première crucifixion de l’ancien instituteur date de 2001. Depuis, il a été crucifié à cinq reprises. En 2004 et en 2005, son emploi du temps de jardinier ne lui a pas laissé le loisir de participer aux crucifixions.

Lors de la Semaine Sainte, le P. Balagtas a expliqué dans ses homélies que le sens réel de Pâques était « de renouveller sa foi » et non de se faire clouer sur une croix. Il a aussi critiqué « le mercantilisme » et « la commercialisation » de la Semaine Sainte, en particulier les étals des vendeurs tout au long de la route qui conduit à la chapelle.