Eglises d'Asie

LES FEMMES DANS LA SOCIÉTÉ ET DANS L’EGLISE AU TAMIL NADU

Publié le 18/03/2010




Introduction

Nous sommes l’Eglise. Si notre destin est d’être le peuple unique de Dieu, nous devons nous demander ce que signifie être l’Eglise dans notre société contemporaine. La société contemporaine est fragmentée par des discriminations de castes, de principes, de sexes, et par encore bien d’autres facteurs. Dieu nous a créés à son image ; il nous a dotés de capacités propres de façon à ce que nous devenions ce que nous sommes appelés à devenir. En tant que peuple unique de Dieu, il est de notre devoir de construire une communauté dénuée de telles discriminations. La discrimination des sexes, au cours des dernières années, est devenue un sujet d’inquiétude et, à ce sujet, il existe de nombreux problèmes à des niveaux différents. Cette étude est une humble tentative d’aborder ce sujet dans le contexte de l’Eglise du Tamil Nadu.

La représentation divine n’est ni mâle ou femelle, ni blanche ou noire, ni riche ni pauvre, de haute caste ou de basse caste, mais multicolore, multi-genre, et plus encore. Nous, les humains, sommes les représentants visibles de Dieu. Ainsi créés à l’image divine, nous sommes tous égaux. Nous sommes parties intégrantes du corps du Christ. Nos ministères sont liés à la plénitude du désir de Dieu de révéler la gloire de Dieu en nous, en tant qu’être unique. Comme chaque membre du corps du Christ permet d’exprimer un visage de la manifestation du Christ, la présence divine sera révélée (Haubert 1993 : 1). Puisque les femmes sont, elles aussi, enracinées dans la divinité de Dieu, elles ont besoin de participer activement à la construction de l’Eglise. Le pape Jean Paul II avait exprimé le besoin d’une plus grande participation féminine dans l’Eglise, et avait ainsi affirmé la dignité et les droits des femmes à la lumière de la Parole de Dieu (JP II 1995).

C’est à la lumière de ces déclarations que j’ai choisi d’entreprendre cette étude sur la participation des femmes dans la société et dans la mission de l’Eglise au Tamil Nadu. Il est essentiel, toutefois, de dresser un tableau de la situation des femmes au Tamil Nadu pour pouvoir comprendre cette étude.

Portrait géographique du Tamil Nadu

Le Tamil Nadu est un Etat du sud de l’Inde, avec au nord l’Andhra Pradesh, au nord-ouest le Karnataka, à l’ouest le Kerala, à l’est le golfe du Bengale et au sud l’océan Indien. Le Tamil Nadu est situé au sud-est de la péninsule indienne et représente une surface de 1 030 058 km2. La capitale du Tamil Nadu est Chennai, autrefois appelée Madras, et compte une population de 55,85 millions d’habitants. L’Etat du Tamil Nadu est composé de 30 districts administratifs, eux-mêmes divisés en divisions et subdivisions incluant au total 17 272 villages. Le Parlement comprend 235 sièges. Au niveau fédéral, le Tamil Nadu est représenté par 57 députés. Le taux d’alphabétisation du Tamil Nadu est de 63,72 %. Les gens y parlent le tamoul, qui est l’une des plus anciennes langues en Inde. L’agriculture est la source principale de richesse. La côte, qui s’étire sur 1 000 km, et le climat équatorial permettent la pêche et la pisciculture tout au long de l’année (Gajiwala 2004). Le peuple du Tamil Nadu vit une vie relativement détendue.

Le Tamil Nadu : une société patriarcale

La société tamoule, dans l’ancienne Inde, est depuis des siècles une société patriarcale, pluraliste et séculière, mais, aujourd’hui, elle est devenue une société patriarcale dans laquelle les femmes ont une position ambiguë (Selvanayagam 1996 :3). Elles sont décrites comme Penkal veettin kankal, ce qui signifie « les femmes sont les yeux de la maison ». D’un côté, ceci révèle l’importante place qu’elles occupent dans la maison, mais, d’un autre côté, cela semble les cantonner à un rôle domestique.

Dans la société tamoule antique, on identifiait la femme à une déesse mère très respectée (Selvanayagam, 3, voir aussi Schneiders 1991 : 84), car les femmes participent spirituellement et physiquement au travail divin de donner et nourrir la vie (Schneiders, 85). Elles étaient les véritables chefs et dirigeantes de la communauté et étaient considérées à cette époque comme des divinités.

La culture a sauvegardé cette croyance. Mais, dans la société tamoule contemporaine, ce respect pour les femmes s’est perdu. Aujourd’hui, dans la société et dans l’Eglise « les femmes sont des victimes » (Selvanayagam, 3). Beaucoup d’entre elles souffrent de discrimination quotidiennement. Le père de la nation, le Mahatma Gandhi, ainsi que d’autre responsables et penseurs indiens tels que Jothirao Paboole, Periyar, et Bharathiyar ont joué un rôle important dans l’avènement des femmes dans la vie publique. Ils étaient les rares hommes à être sensibles aux besoins des femmes. A ce jour, les femmes au Tamil Nadu continuent à faire face à toutes sortes d’obstacles et travaillent dans des conditions difficiles et désavantageuses.

Il y a, aujourd’hui, une réelle conscience du besoin d’établir une relation plus égalitaire entre les hommes et les femmes au Tamil Nadu. Les racines de cette prise de conscience reposent sur la conception moderne des individus et du public. Si l’avenir promet une meilleure situation pour les femmes, le processus va être difficile car dans beaucoup de cas, elles sont encore vues comme des subordonnées.

Le Tamil Nadu est considéré comme l’un des Etats de l’Inde qui se développe le plus rapidement. La majorité de la population est hindoue (89 %). Les musulmans et les chrétiens représentent environ 30 % de la population totale. Du point de vue éducatif, le Tamil Nadu connaît un taux d’alphabétisation de 63,72 %. Le gouvernement est responsable de l’enseignement primaire, secondaire et supérieur (Krishnamoorthi et al. 2005 : 231). Le recensement de 2001 a montré que l’alphabétisation des femmes atteint 73,5 % au Tamil Nadu (id., 232).

Culturellement sans voix et politiquement sans pouvoir

Bien qu’il y ait une relative participation des femmes dans certaines activités au Tamil Nadu, C.V Mathew, dans son article diffusé sur Internet : « Le rôle de l’Eglise dans la construction d’une nation », affirme que les femmes impliquées dans la construction d’une nation devraient participer en profondeur aux aspects fondamentaux que sont les valeurs et les idées (2005). Alors même que la Constitution accorde aux femmes l’égalité avec les hommes, il existe un système patriarcal fort qui dénie ces droits aux femmes. Les lois écrites sont devenues inutiles, face à des pratiques et coutumes profondément enracinées qui visent à supprimer et à opprimer les femmes. Ces coutumes et ces normes culturelles font d’elles des citoyennes de deuxième classe (TNCDW 2006). Le traitement que subissent les femmes dans les sphères publiques comme privées est affreux, inhumain et cruel. Les hommes veulent pouvoir occuper toutes les positions importantes dans la société. Les femmes sont systématiquement marginalisées. Elles n’ont aucune ressource économique, pas de pouvoir politique, ne se font pas entendre sur le plan culturel et n’ont aucune protection sur le plan social. Elles représentent la dernière colonie dans laquelle les hommes seraient les colonisateurs qui auraient conquis et subordonné les femmes pour servir leurs propres intérêts.

Quoiqu’il en soit, on ne peut pas nier le fait que le gouvernement a lancé à un niveau populaire plusieurs programmes et projets pour les femmes, dans le but de faciliter leur participation dans la prise de décision et leur habilitation a être autonome et à produire des revenus (Norohna 2002 :44). Barbara Harris-White, dans son article « Le nettoyage des genres », explique les deux plans du gouvernement destinés à protéger les femmes, tels que les programmes spéciaux de conscientisation, conçus pour les adolescentes, comme « le plan berceau » (1) et « le plan de protection des filles » (2). La meilleure réussite du gouvernement est d’avoir mis les femmes au premier plan dans les groupes d’Etat d’« initiative personnelle » (3) (Harris-White 1999 : 148). Les femmes commencent à réaliser leur force collective et elles s’organisent. Elles progressent sur leur lieu de travail, dans leur vie privée et sociale. Cependant, en comparaison des hommes, elles rencontrent encore de nombreux problèmes. En plus de leur participation à la force de travail, elles doivent remplir les tâches ménagères, leur mari les aidant rarement. Tout cela empêche les femmes de participer pleinement aux activités politiques et sociales (Tan 2002 : 27).

Si de tels programmes existent dans les villes, ils sont pratiquement inexistants dans les villages. On ne trouve pratiquement aucun soutien de l’Etat pour la promotion de programmes en faveur des femmes, des enfants ou des nourrissons, en zones rurales. Les femmes vivant à la campagne continuent, à cause des dots et de beaucoup d’autres problèmes sociaux, à être victimes d’infanticide, de mariages forcés, d’exploitation sexuelle, de kidnapping, d’humiliation et de suicide.

La mondialisation a également eu des effets défavorables sur les femmes au Tamil Nadu. Elles représentent, sur le marché mondial, les consommateurs et les producteurs. En tant que consommatrices, et dans une société de consommation qui les réduit au simple statut de marchandises, les femmes sont une cible pour beaucoup de produits dangereux. En tant que productrices, elles sont exposées à l’exploitation et à des risques élevés. La mondialisation de la culture promeut une image de la femme discriminatoire, oppressante et qui s’adresse aux hommes.

Israel Selvanayagam explique, dans son livre Tamil Nadu, que les femmes sont des victimes dans la société et également au sein de l’Eglise. En effet, leurs souffrances et luttes sont passées sous silence au nom des normes et des valeurs. Elles remplissent des fonctions importantes telles qu’élever les enfants, préparer à manger, veiller sur la famille, entretenir la maison et organiser les événements familiaux. Néanmoins, elles sont souvent réduites à de simples objets aux mains des hommes. Une fille est presque une esclave pour son père dans la maison parentale. Quand elle grandit, elle est achetée contre une dot pour épouser un homme qui la traitera sûrement moins bien qu’une esclave. Quand son mari meurt, elle finit sa vie telle un fantôme. Elle n’a pas le droit de sortir de la maison pour participer aux fêtes familiales et religieuses importantes. Dans beaucoup d’endroits, dès que le mari meurt, la veuve doit s’habiller de saris blancs, on lui retire tout accessoire esthétique et elle est forcée de vivre isolée, comme dans une agonie. On lui dit d’accepter cette condition pitoyable comme quelque chose d’inévitable et fatidique. Ceci montre que les femmes sont utiles tant que les hommes sont là pour les protéger mais qu’elles deviennent inutiles et sont mises au rebut lorsque leur mari meurt. La discussion qui va suivre éclaire davantage la situation sur certains problèmes spécifiques des femmes dans la société actuelle du Tamil Nadu.

La société contemporaine du Tamil Nadu considère les femmes comme des citoyens de seconde classe. Le rapport rendu par la Tamil Nadu Corporation for Development of Women le confirme. La soumission des femmes est résumée de manière précise dans la fameuse injonction du code de Manu (4), où il est dit qu’une femme ne devrait jamais être indépendante ; en d’autres termes, une fille ou une femme est une marchandise ou une possession : fille, elle est sous la surveillance de son père, femme, sous celle de son mari. En tant que veuve, sous celle de son fils, de ses parents, ou d’un homme de la famille. Une femme est toujours vue comme la sœur, la fille ou la femme de quelqu’un, mais jamais comme un citoyen à part entière, qui mérite de vivre dans la dignité et le respect de soi (TNCDW). Dans la plupart des familles tamoules d’aujourd’hui, une fille est considérée comme une dette et est élevée dans la croyance qu’elle est inférieure et moins importante que les hommes dans la société. Les fils sont idéalisés et célébrés. De plus, les femmes ne sont pas libres de vivre comme elles le souhaitent ; elles sont toujours sous le contrôle de quelqu’un. Par exemple, quand une femme rit en public, les gens font des commentaires tels que : « Une femme qui rit en public se défigure telle une feuille de tabac qui se déplie » (Selvanayagam, 3). Quand un mari et sa femme ont des problèmes, la voix de la femme est toujours passée sous silence. Finalement, la voix de l’homme est la voix de la société et la voix de la femme reste inaudible.

Bas salaires

Au Tamil Nadu, les femmes travaillent plus durement que les hommes, et pourtant elles reçoivent un salaire moitié moins élevé. Il existe beaucoup de travailleuses manuelles et d’ouvrières dans le bâtiment qui en font beaucoup plus que les hommes, mais qui sont pourtant sous-payées. La plupart des femmes actives travaillent dans l’agriculture. Dans les zones rurales, le travail des petites filles est courant, en raison des bas salaires pratiqués dans les différentes industries.

Pour Aruna Gnanadason, dans son article « Une mère devenue femme », les femmes occupent des emplois ingrats et pourtant ne perçoivent que la moitié de ce que reçoivent les hommes. Cela se vérifie dans le secteur industriel, où beaucoup de femmes travaillent dans des usines de beedi (NDLR : cigarettes locales) et de briques, dans l’industrie de conditionnement des poissons et de nourriture, de noix de cajou, de coton et d’allumettes. Elles effectuent des travaux de manière intermittente aussi durs que celui des hommes, alors qu’elles sont payées moins cher et qu’elles travaillent de longues heures dans des conditions de travail peu satisfaisantes. De plus, « elles sont souvent victimes d’exploitation sexuelle par des entrepreneurs peu scrupuleux, des propriétaires, et ainsi de suite » (Balasundaram 1991 : 41). A cause de leurs bas salaires, la plupart des femmes souffrent d’un manque de nourriture. Lorsque le budget de la famille diminue, la quantité de nourriture allouée aux femmes baisse et les besoins des femmes sont les premiers à être réduits. Cette pratique indique que les parents suivent des normes culturelles en ce qui concerne la distribution de la nourriture. Les bas salaires des femmes semblent être justifiés par le fait que leurs salaires soient considérés comme complémentaires, alors que les travaux ménagers et la surveillance des enfants sont perçus comme étant la vocation « naturelle » des femmes (Schüssler-Fiorenza 1993 : 217). On attend ainsi des femmes qu’elles suivent des normes institutionnalisées, qu’elles mangent en dernier et qu’elles répondent aux attentes de sacrifice et de frugalité.

Héritage

La société au Tamil Nadu est une société patriarcale. L’héritage se transmet de père en fils. La femme ne connaît pas ses droits juridiques et elle dépend essentiellement de ses frères ou de son mari. Les femmes ont un accès relativement limité aux revenus monétaires et, par tradition, la plupart de leurs dépenses sont contrôlées (Ledgerwood 2002 : 52). Les parents décident de leur mariage (ESCAP 1999 : 131) pour garder leur héritage. D’un autre côté, la société force les femmes à rester avec leur mari, quelle que soit la qualité de leur mariage. Elles endurent parfois des conditions tout à fait inhumaines (Balasundaram, 41). On permet aux hommes de prendre financièrement en charge leurs parents ou leurs frères et sœurs, mais cette pratique est interdite aux femmes. La valeur sociale attribuée aux femmes dans la famille est encore plus basse dans la société tamoule.

L’infanticide des filles

L’infanticide des filles est la mise à mort délibérée des nouveau-nées filles à leur naissance (Sabu 2006). Dans certains villages, on pratique l’infanticide des filles en nourrissant le bébé de lait mis en bouteille par la belle-mère. Le lait est généralement mixé avec du yerukkam paal ou une écorce de grain de riz (5) qui provoque la mort du bébé. En quelques minutes, le bébé devient bleu et meurt (Aravamudan 2006). Beaucoup de nouveau-nées pourraient vivre, mais on leur refuse le droit de vivre, pour la simple raison qu’elles sont de sexe féminin. Cette pratique s’est étendue jusqu’aux districts de Salem, Dharmapuri, North Arcot, Dindigul, et Madurai. Cette coutume est prédominante dans la ville d’Usilampatti, située dans le district de Madurai, depuis près de cinquante ans. Au Tamil Nadu, l’infanticide des filles est appelé pen sisu kolai. Bien que le pen sisu kolai soit illégal, il est encore pratiqué. Mais aujourd’hui, il existe de nouvelles méthodes plus efficaces encore pour tuer (6).

Des chercheurs avancent certaines raisons dans la pratique de l’infanticide des filles. Sabu M. George, dans son article « L’infanticide des filles au Tamil Nadu », donne les raisons suivantes pour expliquer son augmentation : bas statut des femmes, diminution de la fécondité (et par conséquent intensification de la préférence pour un garçon, pratique de la dot, révolution verte, marginalisation des femmes dans l’agriculture et changements vers la culture des rapports (Sabu 2006).

La dot

Le mariage est un contrat entre un homme et une femme. Cependant, la plupart des familles ne connaissent pas la valeur du mariage. L’une des raisons réside dans le fait que les mariages sont arrangés par les parents ou les membres masculins de la communauté (Singh 2005 : 143). Arranger les mariages signifie que la famille de la mariée doit payer une dot, directement ou indirectement. C’est pourquoi le mariage d’une fille est un lourd fardeau pour ses parents. C’est ainsi que « les femmes vivent dans des conditions inhumaines » (Balasundaram, 41). Elles souffrent de toutes formes d’abus de la part de leurs maris et de leurs familles, comme par exemple, l’explosion du fourneau (7), lui faire remuer de l’eau bouillante avec ses mains, leur couper les mains, brûler différentes parties de leur corps avec des cigarettes, être enfermée dans une cabane, les brûler vives (Amakwe 2005). Il existe de nombreux cas de torture se terminant en suicide ou en meurtre.

Le « Eve-teasing »

Le « Eve-teasing » signifie le harcèlement et le dénigrement des femmes en public. Dans le district de Kanniyakumari, Saritha et Sabitha, deux collégiennes de 17 ans, se sont fait jeter de l’acide au visage, puis ont été violées après avoir refusé de céder à leurs camarades de classe. Il y a beaucoup de cas similaires. A Chennai et dans d’autres districts, il existe aussi des cas de crimes contre les femmes. Plus de 500 cas de « Eve-teasing » ont été recensés entre janvier et mars 2004 (Amakwe 2006). Ce chiffre démontre bien le nombre important de femmes qui subissent de tels traumatismes dans la société tamoule indienne.

Les autres fléaux sociaux contre les femmes au Tamil Nadu sont le viol, le kidnapping et finalement, le meurtre. De nos jours, cette situation s’est aggravée à cause des médias qui utilisent le corps de la femme comme des objets de marketing. Les femmes sont confrontées au harcèlement économique et sexuel, à la fois sur leur lieu de travail et dans leur propre foyer.

En politique

Dans la vie politique, il existe clairement un manque de parité. Le pourcentage des femmes parlementaires a toujours été inférieur à 8 %, ce qui reflète une position relativement inférieure des femmes dans la société (8). Alors que le gouvernement continue de débattre sur l’égalité de participation des femmes, il ne fait pas grand chose pour atteindre cet objectif. Si les femmes progressistes, les féministes et les hommes qui les soutiennent agissaient ensemble, le statut des femmes tamoules pourrait s’améliorer.

Informations générales sur l’Eglise catholique au Tamil Nadu (Michael 1995 : 59-69)

Selon la tradition, saint Thomas, un des douze apôtres, a introduit le christianisme en Inde en 52 après Jésus-Christ. En 1972, Paul VI déclara saint Thomas, apôtre de l’Inde. Selon les mêmes dires, il vécut et travailla dans le sud de l’Inde et fut martyrisé au Tamil Nadu. En dehors de ces faits, nous ne disposons pas suffisamment de preuves historiques pour pouvoir documenter son activité missionnaire au Tamil Nadu. Toutefois, aux alentours de 1500, on remarque un afflux de missionnaires chrétiens et d’ordres religieux. Après saint Thomas, le plus grand saint qui ait introduit le christianisme au Tamil Nadu fut saint François Xavier. Il se rendit dans de nombreux endroits et prêcha le Christ à la population. Il convertit de nombreuses personnes, surtout celles vivant sur les côtes (Bevans et Schoreder 2005 :184 : 85). Encore aujourd’hui, beaucoup de chrétiens donnent à leurs enfants les noms de saint Thomas et saint Francois Xavier. Après saint Francois, les jésuites (1506-1522) (Neill 1985 : 121-27), les franciscains (1518), et les dominicains (1548) (Neill 1984 :123-33) arrivèrent en grand nombre.

Robert de Nobili, jésuite, est aussi un grand nom dans l’histoire de l’Eglise au Tamil Nadu. Il fonda la mission du Madurai en 1606. Il exprima ainsi son but : « De la même façon que Jésus Christ se changea en homme pour sauver les hommes, je veux devenir Indien pour servir les Indiens (Toppo 1997 : 96). Il était très proche des « Brahmans » (9) et les amena à la lumière du Christ. Et bien que le nombre de Brahmans convertis au Christianisme fût faible, Nobili réussit à témoigner de la foi chrétienne devant eux (Bevans et Schroeder, 189-90). On peut dire de Nobili qu’il réussit à élever le statut social de l’Eglise catholique, alors que celle-ci était considérée comme une « religion intouchable » (10).

Plus tard, un autre missionnaire, saint Jean de Britto, un jésuite qui changea son nom pour un nom tamoul, Arul Anandar (‘celui qui se réjouit de la grâce de Dieu’), travailla longtemps dans différentes parties du Tamil Nadu. Son ministère consista à évangéliser ceux qui appartenaient à d’autres castes. Ses vues courageuses lui valurent l’opposition des dirigeants hindous et c’est ainsi qu’il devint martyr le 4 février 1693. Le sable imprégné de son sang à l’endroit de son martyre continue d’exercer une puissante influence sur la force de la foi des chrétiens et d’inspirer des vocations au sacerdoce et à la vie religieuse dans toute la région de son ministère (Toppo, 95. Voir aussi Raj 2002 : 85-114). Constantin Joseph Beschi est un autre grand jésuite du XVIIIe siècle. Lui aussi changea son nom et choisit Veerama Munivar (‘sagesse du courage’). Sa vie fut une rare combinaison de ministère pastoral et de contribution littéraire. Il introduisit beaucoup de changements dans l’écriture tamoule. Sa contribution littéraire à la poésie tamoule, la prose, la grammaire, la lexicographie, la traduction et la médecine siddha le rendit célèbre. Cette médicine était destinée à soulager les pauvres. Tout ceci contribua à accroître son ministère spirituel et il réussit à convertir beaucoup de gens au Christ (Toppo, 96).

Un autre jésuite du nom de James de Rossi, appelé Sinna Saveriar par le peuple (‘petit Xavier’, en l’honneur de saint Francois Xavier), travailla aux côtés de Sarugani vers 1736. Il écrivit de simples livres pieux en tamoul sur la vie des saints et sur les miracles, pour chaque jour de la semaine.

Un laïc, né en 1712 dans une famille de Nair, et connu, à l’époque, sous le nom de Neelakanda Pillai, servit comme chef des armées le roi hindou Marthanda Varma, roi de Travancore. Il entendit parler du christianisme pour la première fois par le conseiller militaire du roi, un étranger. En 1745, Pillai devint catholique et choisit Lazarus comme nom de baptême. Cependant, il en vint à être connu sous le nom de Devasahayam, ce qui signifie « l’aide de Dieu ». Devasahayam fut martyrisé le 14 janvier 1752, à Kattadimalai, dans le district de Kanyakumari. Devasahayam fut tué pour avoir soutenu la foi chrétienne et fut enterré devant l’autel principal de la cathédrale saint François Xavier, à Kottar, au Tamil Nadu. Il est très rare qu’un laïc soit proposé pour la béatification (11).

Ces hommes saints qui en ont inspiré d’autres ont bâti les fondations du christianisme au Tamil Nadu.

La situation actuelle de l’Eglise catholique au Tamil Nadu

Aujourd’hui, l’Eglise catholique au Tamil Nadu compte 17 diocèses répartis dans les trois provinces de Madurai, Madras (Chennai), et Pondichéry. Maduras comprend une population de 20,28 millions d’habitants, parmi lesquels 1,78 millions sont catholiques, ce qui représente 8,81 % de la population totale. Madras a une population de 31,11 millions d’habitants, laquelle comprend 930 000 catholiques, soit 2,99 % de la population totale. Pondichéry et Cuddalore ont une population de 20,39 millions d’habitants, dont 824 000 catholiques, ce qui représente 4,64 % de la population totale. En raison de la longue histoire du christianisme et de la preuve d’engagement que les missionnaires ont apportée dans leur travail, les catholiques comptent pour 5,48 % (3,78 millions) dans l’Etat du Tamil Nadu, alors que, selon le recensement de 2001, dans l’Inde toute entière, l’ensemble des chrétiens ne forme que 2,3 % de la population.

Si on considère les ressources humaines au service de la population dans ces trois provinces, le Madurai compte 1 067 religieux, 688 prêtres diocésains, 3 934 religieuses. Madras compte 763 religieux, 480 prêtres diocésains, 4 352 religieuses. Pondichéry et Cuddalore rassemblent 282 religieux, 507 prêtres diocésains et 2 649 religieuses. Au vu du grand nombre de catholiques dans l’ensemble de l’Etat, il est clair que tous les religieux et prêtres diocésains ne peuvent pas satisfaire tous les besoins spirituels des fidèles. Il existe un nombre relativement important de religieuses qui pourraient servir davantage si on leur accordait la place et la responsabilité qui leur reviennent dans l’Eglise (Gajiwala, 884-92).

La situation des femmes dans l’Eglise du Tami Nadu

Bien que les femmes n’aient que très peu d’opportunités de participer à la vie et à la mission de l’Eglise au Tamil Nadu, comme nous venons de le voir, il existe beaucoup de vocations religieuses et apostoliques. Malheureusement, l’Eglise ne dispose pas suffisamment de structures officielles pour soutenir et encourager leurs services au sein de l’Eglise.

On doit faire remarquer ici que les religieuses engagées dans la vie apostolique offrent très souvent leurs services en tant qu’employées non rémunérées des institutions de l’Eglise. Il est triste de noter que parfois, elles servent de domestiques, pourvoyant aux besoins personnels des prêtres de paroisse.

Les femmes laïques, impliquées dans des associations pieuses, accomplissent un travail caritatif important qui n’est pas vraiment encouragé par les responsables de l’Eglise. Au contraire, elles sont souvent critiquées au sein de leur apostolat.

Quant aux catéchistes, il existe deux catégories (12) : ceux qui ont suivi une formation et les autodidactes. Jusqu’en l’an 2000, les seuls catéchistes formés étaient des hommes. La Conférence des évêques du Tamil Nadu (Tamil Nadu Bishops’ Conference  TNBC) et le Centre biblique catéchétique et liturgique du Tamil Nadu (Tamil Nadu Biblical Catechetical Liturgical Centre – TNBCLC) ont réalisé qu’ils avaient besoin de la participation des femmes. S’ensuivit donc la décision d’inclure des femmes catéchistes. A présent, le Tamil Nadu compte 25 femmes catéchistes, contre plus de 350 hommes catéchistes. Ceci est certes un pas courageux et encourageant, mais ce n’est qu’une goutte dans l’océan. Il reste à voir comment le nombre de femmes catéchistes augmentera à l’avenir. Le directeur du TNBCLC m’a dit un jour qu’il n’emploierait jamais de femmes catéchistes de sa vie parce qu’elles ne sont pas prêtes pour le travail sur le terrain et que certains prêtres paroissiens n’aiment pas les femmes catéchistes.

D’autres initiatives ont été prises, telles que le TNBCLC à Tindivanam, l’Ecole biblique à Poonthamalle, dans la ville de Chennai, et les Commissions diocésaines, qui forment des femmes à l’enseignement de la Bible et les aident à vivre selon les valeurs évangéliques. Il existe également des filles d’autels dans certaines paroisses, beaucoup de femmes catéchistes et de bénévoles non formées. Ces bénévoles participent à des chorales et, dans seulement quelques cas, elles peuvent faire de la catéchèse.

La situation des femmes dans la société, de manière générale, est pire. Aujourd’hui encore, dans des familles catholiques, il existe des femmes maltraitées par leurs maris à cause des problèmes de dot (13). Les jeunes étudiantes au lycée et à l’université doivent faire face au « Eve-teasing » (14) et beaucoup abandonnent leurs études. Par exemple, en 2004, la presse a rapporté plus de 25 cas de jeunes filles s’étant suicidées à cause du « Eve-teasing », dans l’Etat du Tamil Nadu.

Quoiqu’il en soit, aujourd’hui, les femmes sont intéressées par la politique, l’économie et elles ont davantage conscience des injustices énormes qu’elles ont subies dans le passé, de par la place qui leur été refusée au sein de la société. D’où la nécessité impérative pour l’Eglise d’avancer au même rythme que cette prise de conscience et de continuer à prendre conscience de la juste place de la femme au sein de la mission de l’Eglise.

Peter C. Phan, un théologien asiatique qui parlait des défis du christianisme en Asie, soutient que seule une « discipline de l’égalité » peut conduire l’Eglise en Asie sur de nouveaux sentiers (Phan, 2000 : 86). Dans l’Eglise, la femme en tant que « signe » est plus que jamais centrale et riche de promesses. S’il en est ainsi, l’Eglise doit alors donner des opportunités égales pour permettre aux femmes d’exercer leurs dons offerts par Dieu dans tous les ministères. En 1988, Jean-Paul II, dans son exhortation aux laïcs sur la vocation et la mission du laïc fidèle, Christifidelis Laici, affirme qu’il est nécessaire que l’Eglise reconnaisse tous les dons des femmes (CL, n° 49).

A un niveau de réflexion théologique, l’égalité des chances pour les femmes ne pourra être atteinte qu’à travers un changement de paradigme dans la théologie qui impliquera nécessairement l’appréciation de la féminité par l’Eglise. Pour le moment, au Tamil Nadu, la plus grande partie de la théologie enseignée dans les séminaires et dans les cours de théologie dispensés aux laïcs est de tendance patriarcale. Et surtout, bien que les femmes soient autorisées à étudier la Bible et à prendre part aux discussions théologiques, il y a comparativement moins de femmes nommées aux postes d’enseignants dans les départements de théologie de la plupart des séminaires catholiques (D’Mello 1999 : 125). Dans certains endroits, « les femmes ont été exclues des études théologiques, et ainsi du corps enseignant » (Balasuriya 2005).

Pauline Chakkalakal, une théologienne du sud de l’Inde, explique que le terme d´orientation féministe représente un engagement authentique de la réalisation de la parité hommes-femmes. Le féminisme ne signifie pas un rejet des hommes ou le remplacement du pouvoir masculin par le pouvoir féminin. Cela signifie remplacer un système de valeurs oppressif et dépassé en insistant sur l’accroissement du partage des responsabilités et du partenariat. Les féministes voient le pouvoir comme une habilitation, non comme un moyen de contrôler les autres (Chakkalakal 1988 : 12). Leonard Swidler explique dans son ouvrage, Biblical Affirmations of Women, qu’« une féministe est une personne qui favorise et promeut l’égalité entre les femmes et les hommes, une personne qui préconise et pratique un traitement des femmes en tant que personnes humaines et transgresse volontiers les coutumes sociales » (Swindler 1979 : 164). D. Migliore fait remarquer que les féministes théologiennes accentuent la vision de Jésus sur l’universalité du Règne de Dieu et la discipline de l’égalité (Migliore 2004 : 210). Elles insistent sur l’humanité de Jésus et puisent dans leur expérience de femme leur source théologique (Gillis 1998 : 83). A travers ces définitions, on voit clairement que la théologie féministe tente de formuler théologiquement l’expérience des femmes en exposant leur histoire et en les considérant comme des personnes humaines ayant une dignité et de la valeur. Cela donne une vision d’une nouvelle communauté, fondée sur les valeurs de mutualité, de réciprocité, et d’unité (Chakkalakal, 12-13).

Un des buts principaux de la théologie féministe est d’exposer l’injustice systématique du système patriarcal. Elle essaie d’accomplir cette tâche en prenant appui sur l’expérience des femmes, en exposant les vues déformées sur les femmes dans les Ecritures, l’histoire de l’Eglise et la théologie chrétienne (Migliore, 209). Les femmes ont expérimenté la plénitude en rencontrant Jésus-Christ. Ces expériences en ont fait des personnes uniques et pleinement dignes. Jésus a confié à ces femmes sa propre mission, les mettant ainsi sur un pied d’égalité dans la compréhension et la réalisation de la vision de Dieu pour l’humanité (Statement of the Indian Theological Association 2004 : 698). Voici le message que nous offrons à l’Eglise du Tamil Nadu.