Eglises d'Asie

Sur l’île de Jeju, des prêtres catholiques ont entamé une grève de la faim pour protester contre un projet d’implantation d’une base navale

Publié le 18/03/2010




Le 21 mai dernier, sur l’île méridionale de Jeju, une quarantaine de prêtres ont célébré « une messe pour la paix », à l’issue de laquelle dix-huit d’entre eux se sont joint aux quatre prêtres en grève de la faim depuis quatre jours. Les prêtres catholiques entendent ainsi protester contre la récente décision du gouverneur de la province d’autoriser l’implantation d’une base navale sur l’île. Lors de la messe, célébrée en la cathédrale Chungang, l’évêque du diocèse de Cheju (1), Mgr Peter Kang U-il, a lu en chaire la lettre ouverte qu’il a adressée à ce sujet au président de la République, Roh Moo-hyon.

Le projet d’implantation d’une base navale sur l’île de Jeju est défendu avec vigueur par la marine sud-coréenne qui souhaite y stationner ses nouveaux destroyers de classe Aegis, acquis auprès des Etats-Unis, pour patrouiller les eaux de la mer du Japon – ou mer de l’Est (2) – ainsi que celles de la Chine orientale (3). Le 13 avril dernier, le ministre de la Défense, Kim Jang-soo, s’est rendu sur l’île pour assurer la population locale que la base navale « renforcerait la paix et la stabilité » à Jeju. Un mois plus tard, le 14 mai, le gouverneur de la province, Kim Tae-hwan, a annoncé que son administration avait donné son feu vert à la construction de la base, qui devrait couvrir une superficie de 40 hectares.

Le gouverneur appuie sa décision sur un sondage réalisé auprès de 1 500 personnes représentatives de la population locale, et qui indique que 54,3 % des habitants de l’île sont favorables au projet face à 38,2 % qui s’y opposent, les 7,5 % restants se déclarant « neutres » ou « sans opinion ». Pour l’Eglise catholique à Jeju, le gouverneur ne peut pas se prévaloir d’un simple sondage pour entériner le projet de base navale. Le P. John Ko Byeong-soo, directeur de la pastorale pour le diocèse, fait partie des quatre prêtres qui ne s’alimentent plus depuis le 18 mai. Il déclare que sa décision de jeûner a été prise pour signifier au gouverneur son erreur. « Nous nous opposons à la base car elle est néfaste à la paix à Jeju et le gouverneur a pris une mauvaise décision qui ne correspond pas à l’opinion de la population locale », affirme-t-il.

Dans sa lettre ouverte, Mgr Peter Kang en appelle au président de la République et l’enjoint de demander la tenue d’un référendum régional sur le sujet. L’évêque fait référence à plusieurs reprises à l’histoire douloureuse de l’île, notamment à l’incident du 3 avril à qui l’île doit d’avoir été déclarée en 2005, par le président Roh, « île de la paix ». La date du 3 avril renvoie à ce jour de l’année 1948 où des émeutes suscitées par les communistes ont été écrasées dans le sang par la police et l’armée, faisant près de 30 000 victimes, soit plus de 10 % de la population de l’île à l’époque. En 2000, une commission d’enquête officielle a rouvert cette mémoire douloureuse et, en 2003, le président Roh a prononcé des excuses aux victimes et à leurs familles au nom de l’Etat sud-coréen. Mgr Peter Kang renvoie à cette mémoire lorsqu’il insiste pour dire que « la course aux armements est maladie mortelle » dont le prix le plus lourd est payé par les pauvres. « Ce n’est que lorsque nous développerons l’île comme une base pour la paix – et non comme une base militaire – que de nouvelles perspectives s’ouvriront pour édifier des fondations solides d’une paix et d’une sécurité nationale authentique », peut-on lire dans la lettre de l’évêque, reprise par des médias non confessionnels du pays.

Au sein de la société civile de Jeju, les avis sont partagés quant aux perspectives ouvertes par l’implantation de la base navale. « Aujourd’hui, les gens sont divisés et la défiance va croissant, explique le responsable d’un groupe d’action civique. Seul un référendum permettrait que chacun soit clairement informé des enjeux et se prononce en toute connaissance de cause. » Les ONG, les pêcheurs et les femmes qui gagnent leur vie en plongeant pour récolter des fruits de mer sont en grande majorité opposés à l’implantation de la base ; toutefois, quatre villages ont fait acte de candidature pour accueillir cette base, y voyant là des perspectives de développement économique et financier.