Eglises d'Asie

DOSSIER – LES ÉVÊQUES CATHOLIQUES DU JAPON ET LA SÉPARATION DE L’ETAT ET DE LA RELIGION AU JAPON

Publié le 18/03/2010




Dossiers et documents N° 6/2007
EDA 465
Juin 2007
Dossier
Document N° 6/2007

 

 

JAPON

 

POSITION DE L’EGLISE CATHOLIQUE DU JAPON AVANT, PENDANT ET APRÈS LA GUERRE

 

– Réflexion sur la directive de 1936 de la Sacrée Congrégation de la Propagation de la Foi : « Devoirs d’un chrétien envers la patrie »

 

par Mgr Okada Takeo, archevêque de Tôkyô

octobre 2006

 

Introduction

 

Promulgation et développement postérieur de la directive pontificale : « Les devoirs d’un chrétien envers la patrie »

 

Aujourd’hui, le peuple japonais et l’Eglise catholique sont confrontés au problème de la séparation de la religion et de l’Etat. Il y a soixante-dix ans, en 1936, la Sacrée Congrégation de la propagation de la foi, l’actuelle Congrégation pour l’évangélisation des peuples, envoyait à l’Eglise catholique du Japon une directive intitulée : « Les devoirs d’un chrétien envers la patrie ». C’était une directive importante qui devait servir de référence en réponse à la question qui se posait à l’Eglise sur cette séparation.

 

En 1931, cinq ans avant cette directive, se produisit en effet l’incident de Mandchourie. L’année suivante, en 1932, le Japon proclamait la création de l’Etat du Mandchoukouo. En 1933, le Japon se retirait de la Société des Nations. Brusquement se fut la guerre en Asie de l’Est. L’Eglise catholique, en tant que religion étrangère, fut regardée avec suspicion, mise à l’écart et persécutée. C’est dans cette ambiance, qu’en 1932, à l’occasion de ce qu’on appelle « L’incident du refus de la visite au temple de Yasukuni », se posa à l’Eglise un grave problème : celui du bien fondé des visites fortement recommandées au temple shintô de Yasukuni.

 

A l’époque, même dans les écoles catholiques, il était demandé en effet aux élèves des jardins d’enfants, des écoles primaires, des collèges et des lycées, dans le cadre de leurs activités scolaires, de faire une visite au temple shintô de Yasukuni. Ce qui posa un problème de conscience aux chrétiens parce que cela contrevenait au premier commandement de Dieu : « Tu n’auras pas d’autres dieux que Moi » (Ex 20,2-5). C’est alors que les responsables de l’Eglise posèrent la question au ministère de l’Education nationale sur la signification de cette visite, sollicitèrent l’opinion de personnalités éclairées et en informèrent la Sacrée Congrégation de la propagation de la foi, demandant conseil et décision.

 

La Sacrée Congrégation, en réponse, promulgua la directive que nous venons d’évoquer : « Les devoirs d’un chrétien envers la patrie ». « Les visites à une cérémonie faites dans le temple shintô de Yasukuni sont autorisées », fut la réponse. Nous citons ci-dessous la conclusion de cette directive :

 

« Ci-joint, ce que les évêques de l’Empire du Japon devront enseigner aux chrétiens :
Les cérémonies qui sont organisées habituellement dans le temple du shintô national par le gouvernement, (comme nous le savons avec certitude par les déclarations multiples du gouvernement lui-même), d’après les autorités de la nation elles-mêmes, doivent être vues comme de simples signes de patriotisme, c’est-à-dire des signes de respect à l’égard de la famille impériale et des bienfaiteurs de la nation. C’est également l’opinion commune des gens de haute culture. Donc, puisque ces cérémonies n’ont qu’une simple signification sociale, il est permis aux catholiques d’y participer et de s’y comporter comme tout citoyen. »

 

Le problème qui avait commencé à se poser parmi les élèves des écoles catholiques sur le bien-fondé d’une participation en groupe à ces cérémonies au temple deviendra celui d’une simple démarche individuelle. En outre, dans la traduction japonaise du texte romain, l’avis de la Sacrée Congrégation disant : « Il est permis aux catholiques d’y participer et de s’y comporter comme tout citoyen », se transformera pour l’Eglise du Japon en : « Il est demandé aux catholiques d’y participer » (1).

 

La directive de 1936 : « Les devoirs d’un chrétien envers la patrie » répondait aux demandes de l’Eglise du Japon il y a soixante-dix ans, à une époque terriblement difficile. Depuis, l’Eglise catholique et le Japon ont connu de grands changements et la directive n’est plus applicable tel quel à l’Eglise d’aujourd’hui. C’est pourquoi nous allons ici aborder un certain nombre de questions et les examiner.

 

1.) Religion d’Etat (le shintô) et la liberté religieuse

 

a.) L’évolution avant, pendant et après la guerre

 

Avant la seconde guerre mondiale, la religion d’Etat était le shintô et, afin d’observer le devoir de tout chrétien envers la patrie, il y a soixante-dix ans, les catholiques étaient donc autorisés à participer au cérémonial shintô. Or, il n’y a plus de religion d’Etat au Japon. La Constitution actuelle n’en connaît pas l’existence ; au contraire, elle institue la séparation entre politique et religion, pour sauvegarder la liberté de cette dernière. Cette religion d’Etat était une violation des droits de l’homme en matière de la liberté religieuse, ce que l’Eglise d’alors n’avait pas su ou pu exprimer. En soixante-dix ans, la conception de l’Eglise catholique sur la religion d’Etat a évolué et la « Déclaration sur la liberté religieuse » (Dignitatis Humanæ, 1965) du concile Vatican II a fait progresser grandement la reconnaissance du droit à la liberté religieuse et sa compréhension.

 

« L’Eglise déclare (…) que la vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance. » (Déclaration sur la liberté religieuse, § 1)
« (L’homme) ne doit pas être empêché d’agir selon sa conscience, surtout en matière religieuse » (ibid., § 3)
« ’Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu’ (Mat 22,21). Par ces paroles, le Christ reconnaît le pouvoir civil et ses droits, ordonnant de payer le tribut à César, mais en rappelant que les droits supérieurs de Dieu doivent être respectés. » (ibid., § 11)
« Saint Paul ordonne que ‘chacun se soumette aux autorités en charge’ (Rm 13,1-2), mais, en même temps, il ne faut pas craindre de contredire le pouvoir public qui s’oppose à la sainte volonté de Dieu : ‘Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes’ (Ac 5,29) » (ibid., § 11)

 

Ainsi la liberté religieuse, l’Eglise catholique l’a toujours enseignée. Il s’agit du droit fondamental de l’homme à la liberté et à sa dignité. Pourtant, cette compréhension et sa mise en pratique n’ont pas été exemplaires et la « Déclaration sur la liberté religieuse » le reconnaît (§ 12). L’Eglise a évolué et le concile Vatican II a mis les choses au point sur cette question (Cf. « Déclaration Dignitatis Humanæ sur la liberté religieuse », 1965).

 

b.) L’Eglise elle-même a approfondi la compréhension qu’elle avait de la « liberté religieuse »

 

Le pape Jean-Paul II a abordé le problème de la responsabilité de l’Eglise quant à la violation dans le passé de la « liberté de conscience » et de la « liberté religieuse ». Il l’a fait dans sa lettre apostolique Tertio Millennio Adveniente (‘A l’aube du troisième millénaire’), de novembre 1994 :

 

« Il y a un autre chapitre douloureux sur lequel les fils de l’Eglise ne peuvent pas ne pas revenir en esprit de repentir : le consentement donné, surtout en certains siècles, à des méthodes d’intolérance et même de violence dans le service de la vérité. Il est vrai que pour juger correctement l’histoire, on ne peut se dispenser de prendre attentivement en considération les conditionnements culturels de l’époque. Sous leur influence, beaucoup ont pu considérer en toute bonne foi que, pour porter authentiquement témoignage à la vérité, il fallait réduire au silence l’opinion d’autrui ou au moins la marginaliser. De multiples motifs concouraient souvent à la création d’un terrain favorable à l’intolérance, alimentant un climat passionnel auquel seuls de grands esprits vraiment libres et pleins de Dieu réussissaient d’une certaine manière à se soustraire. Mais la considération des circonstances atténuantes ne dispense pas l’Eglise du devoir de regretter profondément les faiblesses de tant de ses fils qui ont défiguré son visage et l’ont empêchée de refléter pleinement l’image de son Seigneur crucifié, témoin insurpassable d’amour patient et d’humble douceur. De ces attitudes douloureuses du passé ressort pour l’avenir une leçon qui doit inciter tout chrétien à s’en tenir fermement à la règle d’or définie par le Concile : « La vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même, qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance. » (Tertio Millennio Adveniente, § 35).

 

Depuis 1935, en soixante-dix ans, la conception de l’enseignement de l’Eglise sur la liberté de religion a beaucoup progressé et s’est approfondie. Il nous faut reconnaître avec franchise notre compréhension immature de ces questions de « liberté de conscience » et de « liberté religieuse », parties intégrantes des droits de l’homme. En nous appuyant sur cette prise de conscience et en suivant l’enseignement de l’Eglise, il nous faut admettre qu’une religion d’Etat, de par l’autorité de l’Etat lui-même, violait la liberté religieuse ou la restreignait.

 

2.) Relations entre l’Etat et l’Eglise

 

a.) L’évolution avant, pendant et après la guerre

 

Avant et pendant la guerre, l’Eglise catholique du Japon était considérée avec mépris comme une religion étrangère, objet de répression et de persécutions. C’est pourquoi les responsables ecclésiastiques de l’époque, pour tenter de surmonter ces préjugés, avaient demandé aux chrétiens d’aimer leur pays et d’être loyaux envers leur souverain.

 

Il était pénible aux soldats japonais chrétiens de faire la guerre et d’avoir à tuer un soldat ennemi qui, comme lui, croyait au même Dieu. Quand il s’agit d’un peuple ennemi catholique, ce n’est pas seulement quelque chose de grave quand ont été enseignés aux uns et aux autres l’amour de la patrie et la fidélité. Pourtant le Christ Jésus a dit : « Aimez votre ennemi, travaillez pour bâtir la paix ».

 

Le peuple n’est pas là pour la nation, c’est la nation qui existe pour lui. Le concile de Vatican II reconnaît l’autorité de la nation mais enseigne que cette autorité est faite pour sauvegarder le bien commun et le droit fondamental des hommes qui forment cette nation (2).

 

 « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22,21). Ces paroles du Christ n’enseignent pas une obéissance exempte de critiques à l’égard des autorités. Comme l’a dit St Pierre : « Plutôt que d’obéir aux hommes, c’est à Dieu qu’il faut obéir », (Ac 5,29). On peut croire que les responsables de l’Eglise Catholique, avant et pendant la guerre, au Japon comme au Vatican, n’avaient pas réalisé que « la guerre pour une grande Asie » était une guerre d’invasion. S’ils l’avaient pensé, ils auraient rappelé l’obéissance au cinquième commandement : « Tu ne tueras pas ». Dans une guerre juste, ce cinquième commandement ne s’applique pas. Mais on pensait que « la guerre de la grande Asie » était juste et même sainte.

 

b.) L’Eglise catholique a reconnu ses erreurs du passé

 

Dans sa lettre apostolique Tertio Millennio Adveniente (‘A l’aube du troisième millénaire’), le pape Jean-Paul II déplorait les violations du droit fondamental de l’homme par les pouvoirs politiques totalitaires.

 

« Du point de vue de l’Eglise pourquoi, ne pas déplorer notre manque de discernement ? Quelquefois, dans une approbation tacite, beaucoup de chrétiens, ont toléré la violation des droits fondamentaux de l’homme par le pouvoir totalitaire. » (Tertio Millennio Adveniente, § 35)

 

Le droit d’origine divine de la lignée impériale désigné par la Constitution de Meiji sous les termes : « Le sacré est inviolable », fut abrogé en 1945. Ce droit d’origine divine de la lignée impériale, l’Eglise catholique s’y est conformée et les catholiques respectant l’empereur, agirent en sujets loyaux. Option initiale qui satisfaisait le cœur de Dieu sans s’opposer pour autant à son règne certes, mais que l’invasion de la zone du Pacifique démentira quelques années plus tard.

 

3.) Séparation de l’Etat et de la religion et cérémonie publique : sens des cérémonies publiques pour les chrétiens d’aujourd’hui et le culte du temple de Yasukuni

 

On a vu que la directive de la Sacrée Congrégation de la Propagation de la foi de 1936 « Devoirs d’un chrétiens envers la patrie », quelle que soit la religion, autorisait la participation des chrétiens à des cérémonies publiques patriotiques en signe de politesse et de respect, tant qu’il ne s’agissait pas de choses contraires à la foi et aux mœurs.

 

Aujourd’hui, le shintô religion d’Etat n’existe plus et la visite d’un temple shintô n’est plus un devoir pour la population. Mais alors, pour les catholiques d’aujourd’hui, que signifie une visite au temple de Yasukuni ? Pour des chrétiens, prier pour le repos de l’âme des morts de la guerre et les morts au champ d’honneur est un devoir. Mais que penser des catholiques qui offriraient des prières pour les morts par une cérémonie shintô au temple de Yasukuni ?

 

Yasukuni est le temple shintô consacré uniquement à honorer ceux qui ont offert leur vie pour l’em-pereur. Les autres morts à la guerre, les autres morts au champ d’honneur n’y sont pas honorés. Une visite à Yasukuni ne signifie-t-elle pas une approbation et une idéalisation de la guerre ? N’est-ce pas, pour le moins, donner ce genre d’impression aux peuples des pays qui ont subi l’invasion des armées japonaises ? Avant tout, que pensent les pays d’Asie d’un temple shintô comme celui de Yasukuni ?

 

En tant que catholiques, il nous faut réfléchir à ces questions. Les visites à Yasukuni inquiètent parce qu’elles sont liées à la renaissance d’un temple qui appartient au shintôisme, religion d’Etat. Ignorant cette crainte, faire une visite en tant que disciples du Christ, est-ce un acte approprié ou non, n’est-ce pas une question à se poser à soi-même ? Il est bon qu’un catholique, en un acte de foi personnel, prie pour les morts et renouvelle son ferme engagement en faveur de la paix. Il n’y a rien de répréhensible à prier pour le repos des défunts en participant à une cérémonie religieuse d’une religion différente en tant que cérémonie publique.

 

Mais, quand un catholique, même individuellement, participe à une cérémonie à Yasukuni, le sens est différent. On ne peut pas dire qu’il s’agit d’une démarche liée à une simple démarche profane. En cette circonstance, c’est quelque chose de tout à fait différent que d’assister à un enterrement dans une autre religion que la sienne. La visite au temple de Yasukuni par un chrétien représente plus qu’une démarche profane. Elle risque de s’assimiler à la même erreur dans laquelle est tombée l’Eglise d’avant et de pendant la guerre. On ne peut absolument pas dire que la visite d’un chrétien à Yasukuni soit un acte approprié dans la ligne de la directive de 1936. Sans parler d’une visite à Yasukuni, un catholique, même s’il s’agit d’une cérémonie profane, se doit de vérifier et de voir si elle est conforme à l’esprit de l’Evangile (3).

 

4.) L’Eglise catholique du Japon a-t-elle une responsabilité dans cette guerre ?

 

L’Eglise catholique du Japon a déjà fait des déclarations publiques quant à sa responsabilité dans la guerre. En 1986, pour la première fois, pendant l’assemblée générale de la FABC (Fédération des conférences épiscopales catholiques d’Asie) au Japon, le président de la Conférence épiscopale du Japon, le cardinal Shirayanagi Seiichi, a demandé pardon aux peuples d’Asie. Cette demande de pardon a été formulée avant que s’ouvre l’assemblée générale de la FABC à Tôkyô, la Conférence épiscopale du Japon étant hôte de cette assemblée annuelle organisée chaque année. Le texte avait été discuté et approuvé au préalable par l’ensemble des évêques japonais.

 

« Il nous faut reconnaître aujourd’hui que, quand le Japon nationaliste envoya ses soldats en Asie et dans le Pacifique, l’Eglise catholique ne se préoccupa pas de ce qu’il y avait d’inhumain et d’anti-évangélique dans cette idéologie. Elle n’a pas su discerner la mission prophétique qui était la sienne de faire respecter la vie humaine si précieuse aux yeux de Dieu. Il nous faut aujourd’hui le reconnaître sincèrement et demander pardon à Dieu et aux nombreuses victimes de cette guerre et accomplir notre devoir de réparation. »

 

En 1995, la Conférence épiscopale catholique a publié : « Résolution pour la paix à l’occasion du 50ème anniversaire de la fin de la guerre » (4). La même année, la Commission ‘Justice et Paix’ a publié de son côté : « Pour un nouveau départ à l’occasion du 50ème anniversaire de la fin de la guerre », estimant nécessaire d’analyser et d’expliquer la responsabilité dans cette guerre.

 

Dans la continuité, un message de la Conférence épiscopale catholique du Japon a paru en 2005 : « Sans violence, un chemin vers la paix ». Ce texte parle ouvertement du problème des visites à Yasukuni. Là aussi, les évêques déclarent à nouveau tolérer les visites à Yasukuni en tant que démarches profanes mais expliquent leur vive appréhension devant la tentative d’effacement du principe de séparation de l’Etat et de la religion.

 

5.) Le point de vue de l’Eglise catholique du Japon sur la séparation de la religion et de l’Etat

 

a.) Sauvegarde de la séparation de la religion et de l’Etat

 

Le Conférence épiscopale catholique du Japon, à plusieurs reprises, a demandé au gouvernement le respect du principe de séparation de l’Etat et de la religion. En 1989, quand nous sommes passés de l’ère Shôwa à l’ère Heisei, après la mort de l’empereur et la cérémonie d’avènement de son successeur, elle avait demandé que soient respectée la liberté religieuse garantie pas la Constitution du Japon (article 20) et le principe de séparation de l’Etat et de la religion (l’article 89). La religion d’Etat, comme l’était le shintôisme d’avant la guerre, a été supprimée. Pour éviter sa résurgence et assurer la neutralité du pouvoir exécutif à l’égard de toute organisation religieuse, quelle qu’elle soit, l’article sur la séparation de la religion et de l’Etat est inscrit dans la Constitution. C’est pourquoi, qu’il s’agisse de cérémonies officielles et de manifestations populaires traditionnelles, ce principe de séparation doit être appliqué rigoureusement (5).

 

Il y a souvent des malentendus. Il faut bien comprendre que séparation de la religion et de l’Etat n’est pas une simple séparation entre religion et politique. Quand on parle d’Etat, on vise le pouvoir exécutif de l’Etat et les organes détenteurs de ce pouvoir politique. Quant à la religion, il faut comprendre qu’il s’agit d’une personne morale dotée de droits et de devoirs et d’organismes exécutifs responsables.

 

Comme nous l’avons déjà dit, la parole du Christ « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22,21), n’enseigne pas la séparation de la religion et de la politique, ni la non-intervention de la religion dans les affaires politiques. Il est indéniable que chacun dans la sphère qui est la sienne, individuellement ou collectivement, avec l’individualité et l’indépendance qui lui sont propres, exécute en toute responsabilité les charges qui lui ont été confiées. C’est ce qui doit être respecté, enseigne le Christ. Mais tous sont sous le regard de Dieu et ne doivent jamais oublier la responsabilité qui est la leur à son égard.

 

La volonté de séparer l’Etat et la religion s’applique également à la relation entre l’Eglise catholique et l’autorité de l’Etat. Les responsables ecclésiastiques doivent garder leurs distances vis-à-vis de la puissance de l’Etat. Il n’est pas bon que des évêques ou des prêtres soient amenés à exercer une charge civile. « Il est interdit aux clercs de remplir les charges publiques qui comportent une participation à l’exercice du pouvoir civil » (Code de droit canon, 185/3).

 

b.) Patriotisme et respect des cultures populaires traditionnelles

 

L’Eglise catholique enseigne le respect des religions comme celui des manifestations populaires traditionnelles. Tout le monde fait grand cas du lieu où il a été éduqué. Ce qui devrait nous pousser à ne pas lier haine et exclusion quand il s’agit des autres nations mais nous invite à l’entraide et à la reconnaissance de la différence des autres. Nous reconnaissons dans toute culture l’œuvre créatrice de Dieu, qu’il faut purifier certes et faire qu’elle réponde à l’esprit de l’Evangile. C’est là un des signes de l’universalité de l’Eglise.

 

L’Eglise catholique ne renie pas le patriotisme. Ce serait comme renier l’amour de soi. « Aime ton prochain comme toi-même » (Mt 22,39). A partir de quoi on peut dire également : « Aime le pays qui est ton voisin comme le tien propre. » Il est dangereux de prétendre faire une distinction entre l’amour de son pays et le souci qu’on doit avoir de son voisin. Le véritable patriotisme tend à faire coexister dans l’harmonie son propre pays avec les autres nations. Pour un respect positif à leur égard et pour ne pas que mépris et antagonisme se lient contre eux, il est nécessaire de faire attention à l’expression de notre patriotisme.

 

Ainsi, en tant qu’Eglise catholique faisant un retour sur le passé, devant l’avant-projet de la nouvelle Constitution présenté par le Parti libéral démocrate qui veut édulcorer le principe de la séparation de la religion et de l’Etat et exempter de ce principe fondamental les cérémonies officielles et les célébrations populaires traditionnelles, nous devons manifester notre grande appréhension et notre crainte que ce mouvement ne soit lié à un nationalisme exclusif au mépris des autres nations (6).

 

Conclusion

 

Quand nous revenons sur le parcours plein de difficultés et sur les problèmes auxquels a été affrontée l’Eglise catholique du Japon comme celui du symbolique « refus de vénérer le temple de Yasukuni » (7), nous pensons aux souffrances des responsables ecclésiastiques de l’époque. Ils avaient non seulement la mission de sauvegarder et de faire connaître la parole de Dieu, tout en respectant la culture, les traditions du pays et loyauté envers le gouvernement, mais ils devaient aussi veiller fidèlement à protéger les chrétiens.

 

Nous devons adorer le Dieu unique (premier commandement). Mais il nous faut aussi respecter la liberté de conscience et la liberté religieuse de tous. C’et par là que la dignité de l’homme est respectée et là où se fonde l’amour du prochain. C’est là aussi que l’autorité de l’Etat est reconnue et ses décrets suivis, (quatrième commandement). Mais, dans le cas où les décrets de l’autorité publique s’opposent à la loi de Dieu, plutôt qu’aux hommes, c’est à Dieu qu’il faut obéir. On ne peut pas ôter la vie à quiconque (cinquième commandement).

 

A ce sujet, avant et pendant la guerre on parlait beaucoup de « guerre juste » et de « guerre sainte ». L’Eglise catholique avait depuis longtemps décrété que la guerre, quant elle était juste, ne relevait pas de ce cinquième commandement. C’est pour cette raison que l’on peut penser que les responsables de l’Eglise d’alors, face à une situation complexe et difficile faite d’innombrables décrets et exigences, ont été acculés à des accommodements et à des décisions précises.

 

Depuis 1936, soixante-dix ans ont passé et les conditions ont complètement changé. Mais le devoir d’observer l’ensemble des commandements de Dieu, lui, n’a pas changé. A l’âge de la guerre nucléaire et suite au concile Vatican II, l’Eglise d’aujourd’hui impose une limite sévère aux débats sur la guerre juste.

 

Les directives de la Sacrée Congrégation de la Propagation de la foi : « Devoir des chrétiens envers la mère patrie » étaient une réponse du Vatican à un problème concret dans les conditions données de l’époque. Les circonstances de cette directive non seulement ont complètement changé, mais aujourd’hui ces directives ne peuvent plus être appliqués telles quelles à l’Eglise du Japon moderne. En réexaminant leur contenu et avec les yeux de l’Eglise actuelle, il y a des points à retenir pour les catholiques d’aujourd’hui.

1.) L’Etat ne peut imposer à la nation une religion déterminée.

2.) Ne peuvent être admises la tenue de cérémonies publiques ou des manifestations populaires traditionnelles qui risqueraient d’être interprétées comme une approbation ou une tentative d’approbation ou d’apologie de la guerre, de même leur organisation ou leur assistance par l’Etat et les corps constitués.

3.) L’Eglise n’exclue ni ne désapprouve les religions, la culture, les cérémonies officielles et les manifestations populaires traditionnelles des régions où elle travaille. Elle apprécie et respecte leurs valeurs et tout ce qu’elles comportent de vrai, de bien et de beau.

4.) Cependant, elle ne peut approuver tout leur contenu sans discernement et sans faire le tri de ce qui va à l’encontre de l’homme et de l’Evangile.

5.) L’Eglise s’efforce de collaborer avec tous pour que toutes manifestations populaires traditionnelles, cérémonies, cultures et religions soient purifiées, sanctifiées et deviennent conformes à l’esprit de l’Evangile.

 

 

Notes (Les notes sont de la rédaction d’Eglises d’Asie.)

 

(1)     Voir EDA 435 (Dossier : « L’Eglise catholique du Japon a-t-elle soutenu le régime impérial dans ses guerres d’expansion ? », p.12. Mgr Okada fait souvent référence à ce document, qui donne, pour la période 1868-1945, l’essentiel des archives historiques concernant l’Eglise catholiques pendant cette période. Sans doute pas discrétion, l’évêque ne souligne pas l’erreur de traduction du journal catholique qui a transformé une ‘permission’ en un ‘devoir’.
(2)     Voir dans le même document, p. 13 : Appel du pape Pie XI contre le communisme retransmis par l’hebdomadaire catholique du 16 octobre 1937.
(3)     D’après ce qu’écrit Mgr Okada, il semblerait que certains catholiques n’aient pas encore bien saisi l’enjeu de cette ambiguïté entre patriotisme et shintôisme, religion d’Etat de facto, et savamment entretenue par les ultranationalistes japonais.
(4)     Voir le texte de ces déclarations EDA 435 (Dossier : « L’Eglise catholique du Japon a-t-elle soutenu le régime impérial dans ses guerres d’expansion ? », p.18, annexe 4)
(5)    D’origine pourtant religieuse, d’anciens usages conventionnels ancrés dans le quotidien populaire sont prisés du public comme certaines décorations à la porte des maisons pour le Nouvel An ou le sapin de Noël. Même si des politiques les observent, il ne s’agit pas, bien sûr, d’une violation de principe de la séparation.
(6)     Dans la Constitution actuelle, on lit article 20, paragraphe 3 : « L’Etat ou ses services ne peuvent se livrer à des activités religieuses ou d’éducation religieuse. » Dans la nouvelle Constitution proposée par le Parti libéral démocrate, on peut lire : « L’Etat et ses services, à part la sphère des cérémonies publiques et de manifestations conventionnelles populaires, ne peut se livrer à des activités religieuses ou d’éducation religieuses. »
(7)     Voir EDA 435 (Dossier : « L’Eglise catholique du Japon a-t-elle soutenu le régime impérial dans ses guerres d’expansion ? »), p. 9

 

(EDA, Mgr Okada Takeo, juin 2007)

 

 

 

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JAPON

 

RAISON D’ETAT ET PERSÉCUTIONS

– Quelques considérations sur l’histoire –

 

par Mgr Misobe Osamu, évêque de Takamatsu

novembre 2006

 

[NDLR – Après « L’Eglise catholique avant, pendant et après la guerre », texte de l’archevêque de Tôkyô qui s’attache à montrer l’oppression dont les chrétiens ont été les victimes et les violations de la liberté religieuse commises au Japon avant 1945, nous présentons ici la traduction du texte de l’évêque de Takamatsu, Mgr Misobe Osamu : « Raison d’Etat et persécutions ». Pour l’évêque, c’est la conception traditionnelle qu’ont les Japonais de l’Etat qui est en cause. C’est pour des raisons d’Etat que des milliers chrétiens ont été martyrisés depuis le milieu du XVIème siècle, les derniers en 1870. Dans son étude, Mgr Misobe analyse la genèse de cette conception japonaise de l’Etat et de la nation. Pour mettre fin à plus d’un siècle de guerres féodales, les trois grands chefs de guerre et grands unificateurs du pays, Oda Nobunaga, Toyotomi Hideyoshi et Tokugawa Ieyasu, maîtres d’une force militaire redoutable, n’avaient pas négligés pour autant l’action psychologique à l’aide de deux slogans : « Le Japon, pays des dieux » pour l’intégration politique et « Trois religions en une » pour l’intégration religieuse. Dans ce contexte historique dont est imprégnée la culture japonaise, le monothéisme n’avait pas et n’a toujours pas sa place, même s’il est toléré au XXIème siècle. Pour l’évêque de Takamatsu, face à cet avant-projet d’une nouvelle Constitution, la question essentielle est donc : « Quel Etat voulons-nous ? » La traduction française est du P. Pierre Dunoyer, MEP.]

 

 

Les questions de la séparation de la religion et de l’Etat et celle de la liberté religieuse ont fait la une des journaux ces derniers temps. Pourtant, ce n’est pas là un problème nouveau. On peut dire qu’il a toujours existé, lié au christianisme japonais, et dont il en était le thème principal. Je ne peux pas résumer des siècles d’histoire en un simple éditorial de journal. En revanche, je peux parler des relations entre l’Etat et la religion dans un pays comme le Japon, à partir d’exemples tels que les directives du gouvernement dit de la ‘Restauration de Meiji’, les dernières persécutions des catholiques d’Urakami en 1870 et de celles d’Oda Nobunaga, de Toyotomi Hideyoshi et Tokugawa Ieyasu entre le XVIème et le XVIIème siècle.

 

1.) La dernière persécution d’Urakami de 1870

 

En 1868, 114 personnes importantes du village d’Urakami à Nagasaki furent exilées et emprisonnées dans différents fiefs sous la garde du daimyô (seigneur) du lieu. En 1870, c’est toute la population du village, 3 460 personnes, qui fut déportée et répartie dans les prisons d’une vingtaine de fiefs. Près de cinq ans plus tard, ils purent rentrer chez eux (1). Pendant ces cinq ans, il s’était passé beaucoup de choses importantes pour l’Eglise, pour le nouveau gouvernement Meiji comme pour tous les fiefs où les chrétiens d’Urakami avaient été détenus.

 

Le nouveau gouvernement de Meiji, en réaction à la sclérose des Tokugawa, voulait bâtir en effet une nation moderne. Mais, à partir de quels critères réaliser ce projet représentait pour lui un très grave problème puisqu’il s’agissait de quitter la féodalité et de construire une nation. Il lui fallait définir la « raison d’Etat » au nom de laquelle le gouvernement pourrait agir et gouverner. Venaient s’y ajouter les dispositions à prendre à l’égard des chrétiens qu’on ne pouvait ignorer.

 

Il en résulta l’ultime persécution d’Urakami et ses martyrs. Le souci du nouveau gouvernement de Meiji était de faire coïncider « restauration de l’autorité de l’empereur et civilisation moderne ». A l’intérieur du pays, les militaires (samouraïs) demandaient l’expulsion des étrangers et, au dehors, la pression internationale se faisait de plus en plus forte. Entre ces deux forces, le chemin était étroit et le nouveau gouvernement à la peine. Que souhaiter pour un pays tel que le Japon ? Que faire pour le construire à neuf ? Tels étaient les principaux problèmes de l’époque.

 

En 1869, le nouveau gouvernement réforma l’administration et installa un Conseil d’Etat. Visant une nation moderne, il en était le centre. C’est ce qu’aujourd’hui on appelle Cabinet du Premier ministre. Mais plutôt que de juxtaposer ce Conseil d’Etat et l’administration, il les coiffa d’un Bureau gouvernemental des Affaires religieuses (shintô). Il organisait les cérémonies selon les rites shintô, transmettait au peuple les enseignements de l’empereur, tout en assumant la mission de convaincre les chrétiens de se rallier. Tous les temples shintô du pays furent placés sous l’autorité du temple d’Ise, le temple principal du shintô, et devaient assumer la fonction d’organisme principal de l’éducation politique.

 

Le Bureau des Affaires religieuses envoya des émissaires dans tout le pays. Leur tâche consistait à expliquer aux gens ce qu’était le Japon, le pays des dieux, et à les former à cette idée. Si le Japon était le pays des dieux, c’était parce que l’empereur partageait le sang des dieux, ses ancêtres en ligne directe depuis des milliers de générations.

 

C’était là l’expression d’une volonté de construire un nouveau pays avec l’empereur à sa tête. Ceux qu’on appelait les partisans de l’empereur organisaient des manifestations avec pour devise : « Retour au début de la fondation ». Ce « début de la fondation » étant tout simplement le retour à l’âge des dieux, celui de la déesse Amaterasu, la fondatrice mythique du Japon.

 

Le responsable de ce Bureau des Affaires religieuses fut le daimyô de Shimane, Tsuwano Kameikorekane (2), secondé par un conseiller, Fukuba Bisei. Ce sont eux qui poussèrent à faire déporter les chrétiens d’Urakami pour les obliger à se rallier par la force à la nouvelle doctrine. Ils se lancèrent dans la réforme du cérémonial de la cour et, en 1870, à l’occasion de la promulgation du « Décret impérial sur la proclamation de la Doctrine », encouragèrent activement la diffusion de l’idée que l’empereur était le grand prêtre de la nation.

 

L’année suivante, en 1871, fut célébré le « Daijôsai » (3). Le « Daijôsai » est la cérémonie où l’esprit des empereurs qui se sont succédé de génération en génération se perpétue à nouveau dans le nouvel empereur. Le « Naorai », c’est l’empereur qui, après son couronnement, seul, prend son repas en tête à tête avec ses ancêtres qui dont descendre sur lui leur esprit. La distribution des « mochi » bénis (petits gâteaux de riz) qui suit signifie, quant à elle, la participation de tout le peuple aux bienfaits divins. Un rite qui confirme que le Japon dont la tête est l’empereur est bien le pays des dieux et que ses sujets lui appartiennent.

 

En 1870, l’année de la « Proclamation de la doctrine », la 3ème année de l’ère Meiji, ce n’est pas un hasard si les morts parmi les chrétiens déportés furent si nombreux. Ce fut, en effet, l’année où, en plus de la fatigue des marches forcées et beaucoup d’autres souffrances, le gouvernement s’évertua à exhorter les chrétiens à apostasier par le truchement des daimyôs chez qui ils étaient détenus et torturés. L’argument fondamental de ces intimidations, c’était l’empereur, le grand prêtre à qui le peuple de la nation japonaise appartenait. Chez le daimyô Tsuwano, sur les 74 qui refusèrent de se convertir, 32 moururent, soit près de la moitié.

 

Il n’y eut que les chrétiens à ne pas pouvoir admettre que le Japon fut le pays des dieux. Ils n’hésitaient pas à reconnaître et respecter les autorités civiles mais ne pouvaient admettre que cet acte civique puisse être un acte religieux. En d’autres termes, prendre le parti de refuser le principe fondamental du dessein politique du gouvernement Meiji fut le motif premier des persécutions. Selon une expression moderne, la liberté de religion est originellement le droit fondamental de tout homme, son droit à ne pas permettre que quiconque s’immisce dans son for intérieur ni dans sa conscience.

 

En résumé :

1.) La liberté religieuse et la question de la séparation de l’Etat et de la religion sont profondément liées à la nation qu’on a l’intention de construire. Ce qui vaut aussi pour aujourd’hui. Quel Japon voulons-nous construire ? Cherchons-nous en vérité à construire un pays où le peuple se voit confier la souveraineté ?
2.) On peut affirmer que les martyrs d’Urakami ont été martyrisés parce qu’ils ne pouvaient reconnaître l’Etat tel qu’il se présentait sous la restauration de Meiji. Ils se fondaient sur la foi en une nation où règnent la liberté religieuse et la liberté de conscience et non où la religion est au service de l’Etat. Quand on pense aux chrétiens d’Urakami qui ont résisté à l’idée qu’il était normal que la puissance de l’Etat pénètre dans les consciences, nous nous apercevons que c’est à eux, et à quel prix, que nous devons la liberté religieuse dont nous jouissons aujourd’hui. Le martyre ne relève pas seulement d’une simple logique propre à l’Eglise catholique. Bien davantage, il touche au droit fondamental de l’homme.
3.) Pour diriger l’Etat, la garantie d’une liberté religieuse est nécessaire dans la mesure où elle participe au bien national. A ce propos également, rappelons que ceux qui n’ont pas cédé sur le principe fondamental de la liberté religieuse furent les chrétiens d’Urakami. Ils en moururent.

On peut affirmer que les martyrs d’Urakami ont été martyrisés parce qu’ils ne pouvaient reconnaître l’Etat tel qu’il se présentait sous la restauration de Meiji. Ils se fondaient sur la foi en une nation où règnent la liberté religieuse et la liberté de conscience et non où la religion est au service de l’Etat. Quand on pense aux chrétiens d’Urakami qui ont résisté à l’idée qu’il était normal que la puissance de l’Etat pénètre dans les consciences, nous nous apercevons que c’est à eux, et à quel prix, que nous devons la liberté religieuse dont nous jouissons aujourd’hui. Le martyre ne relève pas seulement d’une simple logique propre à l’Eglise catholique. Bien davantage, il touche au droit fondamental de l’homme.

 

2.) Qu’est-ce qui déclencha les terribles persécutions qui mirent fin à l’âge d’or du christianisme au Japon ?

 

Sur les origines politiques des persécutions et l’interdiction du christianisme, nombreux sont les auteurs à avoir écrit. C’est pourquoi je ne veux pas ici aborder cette question (4). Mais je voudrais aller plus loin et approfondir plutôt la véritable cause qui fut à l’origine de ces persécutions et voir ce qu’en pensaient eux-mêmes les missionnaires de l’époque. En 1621, le prêtre Mateus de Couros, jésuite, écrivit que les persécutions d’alors l’étaient « pour raison d’Etat » (5). Pour lui, que signifiait cette raison d’Etat ?

 

Au temps d’Oda Nobunaga (1534-1582) et de Toyotomi Hideyoshi, (1536-1598), « l’Epoque du pays en guerre », ce siècle de guerres intestines entre grands féodaux, était terminée. Ce fut le moment où l’idée du centralisme commença à prendre corps. Ce qui se réalisa définitivement avec les Tokugawa. Pour les gouvernants d’alors, la tâche principale était exactement la même que celle qui s’imposera plus tard au nouveau gouvernement de la restauration de Meiji : « Sur quelle base construire une nouvelle nation ? »

 

Prenant l’exemple de Toyotomi Hideyoshi et de Tokugawa Ieyasu (1543-1616), dont les décrets de persécutions contre les chrétiens sont les plus connus, essayons de comprendre ce que représentait pour eux l’Etat et on verra ce que les missionnaires eux-mêmes en avaient saisi.

 

a.) 1587 : expulsion des missionnaires chrétiens par Toyotomi Hideyoshi

 

Avec le système de division du pays en provinces et districts établi à la fin du VIIème siècle, le « kokugun », les pouvoirs qui avaient été donnés aux grands seigneurs féodaux sur leurs terres n’étaient pas des pouvoirs absolus (6). Ils ne leur étaient confiés que provisoirement. Les vrais pouvoirs appartenaient au pouvoir central que vint renforcer la politique nationale.

 

A l’époque, Toyotomi Hideyoshi s’inquiétait des forces qui bloquaient son projet de centralisation, celles des moines soldats et des sectes bouddhiques Jôdoshû et Jôdo-shinshû, du temple Honganji. Hideyoshi avait été témoin de la peine qu’avait eu Oda Nobunaga, chef de guerre et premier unificateur, pour détruire cette puissance (7). Quand les forces religieuses se regroupèrent, Toyotomi Hideyoshi comprit combien la situation était dangereuse. C’est pourquoi il commença à regarder avec méfiance la religion chrétienne, la puissante de son influence et les daimyôs chrétiens, convertis liés aux missionnaires et aux commerçants portugais étrangers. Avec sa conquête du Kyûshû, quand il découvrit les églises de Nagasaki et de tout l’ouest du pays, ce qu’il ressentit était à prévoir.

 

Le Kyûshû conquis, Hideyoshi pensa avoir réussi son unification. Sûr de lui, il passa d’une politique d’expulsion des religions traditionnelles à une politique de protection. En 1584, il autorisa le rétablissement du temple Enryakuji ; l’année suivante, en 1585, il donna le terrain d’Ôsaka Tenman au temple Honganji, s’orientant ainsi vers une politique de protection du bouddhisme. Par un processus d’unification, il se rallia les forces du shintô et du bouddhisme, distilla une conscience commune à la population, vanta en l’exagérant la réalité de la rupture entre le shintô et le bouddhisme et fit en sorte de présenter comme détestable la religion chrétienne (8).

 

En quoi consistait « le Pays des dieux » imaginé par Hideyoshi ? En 1587, sa pensée n’est pas encore très précise. A ce niveau, il s’oriente vers un « pays des dieux » surtout centré sur les nombreux monastères bouddhistes. « Ainsi, déclara-t-il, les gens qui ne sont pas opposés au bouddhisme pourront-ils librement faire du commerce. »

 

Mais, dans les années 1590, dans l’esprit d’Hideyoshi, le concept de « Pays des dieux » se transforma en « Voie du Ciel ». Quand on ne suit pas la Voie du Ciel, on subit la punition divine mais celui qui agit conformément à la Voie gouverne avec sagesse. Hideyoshi en arriva à être persuadé que le pouvoir politique lui avait été confié par le Ciel. Le concept du Ciel est lié à la Voie des dieux, donc l’homme de pouvoir lui est également lié. Hideyoshi, en tant que protecteur traditionnel de la religion, est le souverain choisi par le Ciel qui lui a confié le devoir d’expulser ceux qui troublent l’ordre des choses.

 

Il en vient ainsi à penser que, unifiés grâce à la Voie du Ciel, le shintô (littéralement ‘la Voie des dieux’), le bouddhisme et le confucianisme sont une seule et même chose. Ils sont l’envers et l’endroit d’une même entité et cette idée s’exprimera pas l’expression : « trois religions en une ». En 1592, dans une lettre adressée au gouverneur général de l’Inde, Hideyoshi écrira : « Ces dieux qui sont en Inde sont appelés ‘Loi du Bouddha’, en Chine, on parle de ‘Loi confucéenne de la bienveillance’, au Japon ils sont dits ‘Voie des dieux’. Quand on connaît la Voie des dieux, on connaît la loi du Bouddha et le confucianisme. » Ainsi, quand Hideyoshi parle du « Pays des dieux » ou de l’« Etat », c’est cette idée de l’unité des trois religions grâce à la Voie du Ciel qu’il exprime.

 

Avancé en âge, Hideyoshi finit par se déifier lui-même. Ayant posé les fondations de l’unité du pays, fait du christianisme une religion perverse et mené une politique de protection des trois religions, il finit par imiter Oda Nobunaga qui s’était fait dieu pour, dans ce monde, disposer de l’autorité religieuse d’un dieu.

 

b.) 1614 : expulsion des missionnaires par Tokugawa Ieyasu

 

Tokugawa Ieyasu, dès sa prise de pouvoir, pensa à séparer la religion et le commerce (9). Plus tard, l’idée d’unir les trois religions ayant pris corps, il pensa que le christianisme n’était pas fait pour le « Pays des dieux ». Le décret d’expulsion de tous les missionnaires de 1614 disait : « Pays des dieux, le Japon honore les dieux, les vénère, se préoccupe exclusivement d’humanité, de justice et de discernement entre le chemin du bien et celui du mal. » Pour Ieyasu, ce qui empêchait le Japon de faire que cette union des trois religions devint « raison d’Etat », c’était le christianisme. Le juste chemin, c’est celui du Japon, lequel se fonde sur la tradition du shintô, du bouddhisme et du confucianisme. Le christianisme qui se permet de les calomnier est une doctrine perverse.

 

Au Moyen Age (10), certains mouvements apparurent pour faire du bouddhisme la religion nationale. Mais étant donné que le bouddhisme fait siennes les caractéristiques nationales du pays où il est enraciné et dont elles sont la sauvegarde, grâce aussi au développement de la doctrine « Honji-suijakusetsu » (11) et à la simplicité du shintô, le bouddhisme et le confucianisme s’associèrent facilement avec lui. La conception d’un « shintô, voie impériale et gouvernement intègre » ne leur offrit pas une résistance sérieuse. Alors que le Japon s’était formé en unifiant les religions anciennes, bouddhisme, confucianisme et shintô, lesquelles s’étaient coulées jusque dans l’inconscient du peuple japonais, le christianisme, la religion venue d’ailleurs, se permit de les calomnier. L’affrontement était inévitable.

 

Cependant, pour Ieyasu, à la différence de Hideyoshi, la teneur du confucianisme lui paraissait plus nette que celle du shintô. La doctrine de Confucius, dont le fondement était l’enseignement de la vertu entre mari et femme, entre père et fils, entre souverain et sujets, Ieyasu l’utilisa pour consolider le système féodal. Cela étant, Ieyasu, qui lui aussi avait conscience d’être un souverain choisi par le ciel, croyait de son devoir de protéger un Japon établi sur cette union des trois religions en une. Les forces qui violeraient ce système devaient être dûment éliminées.

 

c.) Quelle fut la réaction de l’Eglise catholique à cette situation ?

 

L’Eglise du Japon fut une Eglise exemplaire qui fournit un effort pathétique pour s’acculturer en terre japonaise. Le célèbre visiteur de la Compagnie de Jésus au Japon, Alessandro Valignano, fut le grand missionnaire qui poussa à cette acculturation. Comme on peut le lire dans son « Catéchisme japonais », il assimilait les religions du Japon, en expliquait leur contenu, et les réfutait. L’« Abrégé de théologie » de Petro Gomes consacre sa deuxième partie entièrement aux religions du Japon.

 

Parmi les apologistes japonais qui plaidèrent la cause du christianisme, on trouve un frère de la Société de Jésus, Fukansai Fabian (mort vers 1620). Dans son ouvrage « Myôtei Mondô » (‘Dialogue de Myôtei’), la mise en scène d’une religieuse bouddhiste et d’une religieuse catholique conversant en tête-à-tête souligne les contrastes entre les deux religions. On y voit que, malgré toutes les difficultés rencontrées, l’Eglise du Japon enseigne que les dieux du Japon ne sont rien d’autres que des êtres humains, créés par Dieu, et que leur culte n’est que superstition. Une culture difficile à acquérir mais qui, finalement, « ne supporte pas une confrontation décisive avec Dieu – l’Unique ».

 

Fukansai Fabian finit par quitter la Société de Jésus et publia « Ha Deus » (‘Dieu mis en pièces’, 1620), un ouvrage anti-chrétien. Il y affirmait que le Japon est le pays des dieux fondé sur le bienfait de l’union des trois religions en une et que la persécution du christianisme qui s’y oppose est inévitable. Pour Fabian, la religion du Japon enseigne qu’il est important que la vie suive la nature et qu’on ne peut autoriser une religion qui nie la raison naturelle. Il suffit pour la vie d’un homme de vivre selon la raison naturelle. La grâce divine qui la dépasse, ainsi que la révélation, sont inutiles. Le martyre et tout le reste sont absurdes, la confession des péchés comme la vie monastique troublent la vie des gens. Les Japonais sont doués d’une raison droite, sur laquelle s’appuient leur conscience et leur sentiment moral. Tout ce qui est en plus est inutile. Il n’y a pas de raison d’essayer d’envoyer des missionnaires pour la mission. Il n’y a absolument aucune nécessité à convertir les gens au christianisme.

 

Fukansai Fabian affirme que le véritable motif de la confrontation et des persécutions est le monothéisme. « Vénérer Dieu par-dessus tout, c’est vouloir l’honorer plus que ses maîtres et plus que ses parents. Honorer Dieu, ne pas vouloir s’opposer à sa volonté, c’est refuser de leur obéir. Ne pas vouloir épargner sa vie pour Dieu, c’est ruiner la nation, la piller et détruire la loi du Bouddha. »
Pour Fukansai Fabian, la conclusion est que le christianisme, où le chrétien renonce à tout pour suivre Dieu, et la « raison d’Etat » telle que la propose le Japon sont absolument incompatibles. D’autant que pour le christianisme n’avoir la foi que pour soi ne suffit pas. Le christianisme enseigne que, même s’il faut mourir, il est important de témoigner clairement, avec des mots, ce à quoi l’on croit. La confrontation est donc inévitable.

 

En 1621, Mateus de Couros affirme que le fondement de l’enseignement du christianisme, quoiqu’on fasse, ne s’accorde pas avec la conception japonaise de la « raison d’Etat » et conclut que la persécution est inévitable. Par exemple, quand Toyotomi Hideyori, le fils du célèbre Hideyoshi, succéda à son père en 1599 et commença à régner sur le pays comme beaucoup l’avait espéré, si l’Eglise avait osé dire à ce moment-là que son père Hideyoshi n’était pas Dieu mais tout simplement une créature humaine, cela aurait provoqué immédiatement une persécution, écrit Mateus de Couros.

 

A partir de ces considérations, on peut faire plusieurs observations :

1.) Le véritable motif des persécutions, c’était donc la différence de point de vue sur ce que doit être un Etat. Pour l’Eglise, c’était la plus grande, la plus importante des questions et qui ne pouvait supporter de compromis. A l’heure actuelle, c’est toujours pour elle la même grande question : « Quel genre d’Etat voulons-nous ? »
2.) Il faut envisager sérieusement le dialogue interreligieux. Mais, en même temps, d’après « Dialogue et Mission » du Conseil pour le dialogue interreligieux de la Congrégation pontificale pour l’évangélisation (publié en 1993 par la Conférence épiscopale du Japon), tout en poursuivant le dialogue, il n’est pas question ni de gauchir l’enseignement que propose l’Eglise, ni de transiger.
3.) Les martyrs, convaincus de l’importance de la « raison d’Etat », agirent pourtant contre. Nous pouvons le démontrer par les multiples témoignages des martyrs eux-mêmes.
4.) Le problème important de notre époque, c’est la sécularisation des esprits et le pluralisme des cultures. L’un et l’autre sont minés par une conception toute relative des valeurs. La religion elle-même s’évanouit au milieu de cette conception toute relative des valeurs. « Il y a deux choses que le Japon ne peut accepter. C’est le communisme et le christianisme. Dans la société japonaise, ils sont comme la droite et la gauche, deux conceptions totalement antagonistes, mais, quand il s’agit de lutter contre elles, on les découvre absolument semblables. L’une et l’autre sont hétérogènes à la civilisation japonaise. Le communisme planté en terre japonaise la détruit du dedans pour en créer une nouvelle. Ce qui ne convient pas à la nature foncière du Japon. De même, le christianisme venu d’ailleurs la perturbe. Ne se saisir que d’une seule vérité ne convient pas au Japon. C’est ressenti comme quelque chose d’hétérogène. Ainsi, même si ces deux conceptions parvenaient à pénétrer au Japon, jamais elles n’auraient droit de cité en terre japonaise» (Maruyama Masao, Ce que pense le Japon, Iwanami-shinsho, 1961) (12).
          « Au Japon, il y a beaucoup de gens qui se disent chrétiens, mais qui, à dire vrai, pour l’instant, ne sont pas toujours des chrétiens mais peuvent être seulement désignés comme étant des fidèles de la religion japonaise appartenant à la secte chrétienne. De même, en Chine. Les gens qui se disent chrétiens sont nombreux, mais en vérité ils ne sont pas des chrétiens mais des chrétiens qui appartiennent à la secte chrétienne du confucianisme » (La vie de Mateo Ricci de Hirakawa Sukehiro, Tôyô-bunko).
          Le fait qu’il n’y ait plus de persécution, c’est peut-être parce que le Japon est complètement submergé par une conception toute relative des valeurs. Mais du jour où il faudrait vraiment proclamer le monothéisme, l’opposition, soit de l’Etat, soit de la religion traditionnelle du Japon, soit de sa culture, est à prévoir.
5.) A l’époque des « kirishitan » (catholiques japonais des origines), on pensait dans l’Eglise qu’il n’y avait qu’une seule méthode pour survivre à ces temps difficiles, c’était de travailler de toutes ses forces à la formation des chrétiens. Actuellement se préparent les cérémonies de béatification de 188 martyrs. Ceux qui les ont choisis parmi des milliers de martyrs sont eux-mêmes des Japonais. Ceux qui ont été choisis étaient convaincus des valeurs du christianisme. Parmi les martyrs, on en trouve qui, en tant que Japonais et en tant que chrétiens, ont eu le courage de témoigner qu’ils choisissaient la mort.

 

 

Notes (Les notes sont de la rédaction d’Eglises d’Asie.)

 

(1)     Cette dernière persécution se produisit après la rencontre des chrétiens cachés et des missionnaires qui, de retour au Japon, avaient construit une chapelle à l’usage des étrangers sur une colline à l’orée du village d’Urakami, en 1865. Le pouvoir des Tokugawa fut aboli le 3 janvier 1868. Ce fut le début de la période dite ‘Restauration de Meiji’. Sur ce sujet voir « Meiji-1868 » de Paul Akamatsu (Calmann-Lévy, 1968). Dernier soubresaut des partisans de l’antique tradition impériale, le nouveau gouverneur de Nagasaki fit appliquer l’ultime rescrit impérial du 29 avril 1868, interdisant « la détestable secte des chrétiens ». S’ensuivirent des tortures pour les faire abjurer et, en 1870, la déportation en masse dans différents fiefs où les daimyos étaient chargés de les faire apostasier. Sous la pression des gouvernements étrangers alertés et celles des partisans d’une modernisation du pays, l’édit du 14 mars 1873 autorisa les déportés survivants à rentrer chez eux. Au départ, ils avaient été 3 404. A la suite des tortures et des privations endurées pendant trois ans, 660 étaient morts.
(2)     Tsuwano Kameikorekane : érudit et philosophe qui fit partie du gouvernement de Meiji au Bureau des Affaires religieuses, où il se fit l’avocat d’une renaissance du shintô. (Le Japon, Louis Frédéric, Robert Laffont, 1996).
(3)     Daijôsai : grande cérémonie célébrée par les empereurs au début de leur règne. Elle fut abandonnée en 1947 avec la nouvelle Constitution et la publication des lois concernant la maison impériale, mais reprise le 22 novembre 1990 après le couronnement officiel de l’actuel empereur Akihito (Le Japon, Louis Frédéric, Robert Laffont, 1996).
(4)     L’âge d’or du christianisme au Japon : St François Xavier débarqua au Japon en 1543. En 1570, on estime le nombre des chrétiens entre 20 000 et 30 000 (chiffres proposés par la Conférence épiscopale du Japon). En 1587, commença la première persécution.
Sur l’histoire du Japon en général, voir en français : Histoire du Japon, de Roger Bershand, Payot, 1958, et Histoire du Japon, de George Sansom, Fayard, 1988. En japonais : Nippon Kirusutokyô-shi, de Gonoi Takashi, Yoshikawakôbunkan, 1990.
(5)     Mateus de Couros : jésuite portugais. Arrivé au Japon en 1571. Déporté aux Philippines en 1614, il mourut en entrant dans le port de Manille.
(6)     Kokugun : ce système de division du pays en provinces et districts (fiefs confiés à des daimyôs) demeurera en vigueur jusqu’à l’époque Meiji où ils devinrent les préfectures actuelles.
(7)     Pour réduire l’opposition des religieux bouddhistes, Oda Nobunaga incendia le temple de Hieizan, écrasa la ligue Ikkô-ikki de Nagajima (Ise), tout en montrant sa constante sympathie à l’égard des missionnaires jésuites, à qui il accorda sa protection. Ce qui donna aux missionnaires et aux chrétiens confiance dans l’avenir et eut une réelle influence sur les nombreuses conversions des daimyôs du Kyûshû.
(8)     Hideyoshi, soupçonnant l’existence d’un complot espagnol soutenu par les missionnaires, promulgua un édit d’interdiction du christianisme et d’expulsion de tous les missionnaires en juillet 1587. Un édit qui ne fut pas appliqué avec rigueur, les intérêts commerciaux prenant le dessus. Mais, en juillet février 1597, devant l’essor continu du christianisme, Hideyoshi décréta l’arrestation et la mort à Nagasaki de six missionnaires franciscains espagnols, de trois frères jésuites japonais et de vingt chrétiens. Hideyoshi mourut en 1598. L’Eglise catholique du Japon estime à 220 000 le nombre des chrétiens en 1613 (chiffres proposés par la Conférence épiscopale du Japon).
(9)     On sait que c’est grâce à l’appui des commerçants portugais chrétiens et de leurs navires que les missionnaires disciples de St François Xavier purent rapidement annoncer l’Evangile au Japon.
(10)   Le Moyen Age japonais couvre les époques de Kamakura et de Muromachi-Momoyama, c’est-à-dire de 1185 à 1567 ou 1603, selon les historiens.
(11)   Honji-suijaku-setsu : syncrétisme religieux selon lequel les dieux du shintô étaient considérés par les sectes bouddhistes comme des émanations des divinités bouddhiques. Les temples bouddhiques prirent l’habitude de réserver dans leurs enceintes une chapelle consacrée au shintô. Popularisée aux IXème et Xème siècles, elle fut observée jusqu’à la séparation du bouddhisme et du shintô au début de l’ère Meiji en 1868.
(12)   Maruyama Masao (1914-1996) : un des représentants les plus connus des intellectuels d’après-guerre. Spécialiste de sciences politiques, professeur à l’université de Tôkyô. A publié une étude en 1946 intitulée : Logique et psychologie de l’ultranationalisme. Le passage cité ici est de toute évidence une charge ironique contre cette sorte de nationalisme.

 

(EDA, Mgr Misobe Osamu, juin 2007)