Eglises d'Asie

Une commission fédérale a récemment recommandé l’extension aux chrétiens et aux musulmans des mesures de discrimination positive inscrites dans la Constitution

Publié le 18/03/2010




« Une lueur d’espoir », « L’aube d’une nouvelle ère ». Tels sont quelques-uns des commentaires entendus dans la bouche de responsables chrétiens après que, le 21 mai dernier, la Commission nationale pour les minorités religieuses et linguistiques a recommandé que soient étendus aux chrétiens et aux musulmans les bénéfices, inscrits dans la Constitution, prévus pour la promotion humaine et sociale des pauvres.

Afin de remédier aux injustices de la naissance, dans un pays marqué par une organisation sociale stratifiée par l’appartenance de castes, la Constitution de 1950 prévoit la mise en place d’une politique de discrimination positive en faveur des populations les plus marginalisées du pays. Si les castes ont été officiellement abolies dans l’Inde indépendante d’après 1947, le système mis en place donne des droits à ces populations, « intouchables », basses castes et aborigènes : accès gratuit à l’éducation, quotas dans les écoles et les universités et dans la fonction publique ainsi qu’un nombre déterminé de sièges dans les assemblées législatives. En 1950, un décret présidentiel a réservé le bénéfice de ces quotas aux hindous, une mesure élargie, plus tard et en deux temps, aux bouddhistes et aux sikhs.

Une telle mesure en faveur des chrétiens et des musulmans a toujours été refusée par les différents gouvernements qui se sont succédé au pouvoir, au motif que ces deux religions ne connaissent pas le système des castes. Tout au long de ces cinq dernières décennies, des groupes appartenant à ces deux religions, dans les milieux chrétiens surtout, ont réclamé l’extension du principe de discrimination positive aux « intouchables », basses castes et aborigènes de religion chrétienne ou musulmane. Cédant à ces demandes, le ministère fédéral pour la Justice sociale et la promotion humaine a accepté, en 2004, de réunir une commission chargée de définir les critères permettant d’identifier les personnes économiquement et sociologiquement « arriérées » (1) au sein des populations appartenant aux minorités religieuses et linguistiques du pays. La commission avait également pour mission de suggérer des mesures pour améliorer le sort de ces populations.

C’est cette commission, forte de cinq membres et présidée par le juge Ranganath Misra, qui vient de rendre ses conclusions. Parmi elles, on peut noter qu’il est suggéré que 10 % des emplois de la fonction publique soient réservés aux musulmans et 5 % aux membres des autres minorités religieuses (notamment chrétiennes). La commission a aussi recommandé que cette mesure soit étendue à tous les dalits (les « intouchables »), quelle que soit leur appartenance religieuse.

Le jésuite Joe Antony, rédacteur en chef du bimensuel catholique The New Leader, a exprimé sa vive satisfaction à voir « recommandé ce que la communauté catholique en Inde demandait depuis des années ». Si le christianisme est incompatible avec le système des castes, on ne peut ignorer les handicaps socio-économiques dont les chrétiens issus des basses castes souffrent, a-t-il souligné. Selon les statistiques disponibles, au moins 60 % des 24 millions de chrétiens indiens appartiennent aux populations « intouchables », aborigènes ou de basses castes et leur appartenance à la religion chrétienne n’a pas pour autant changé leur situation socio-économique.

Pour le P. Cosmon Arokiaraj, secrétaire de la Commission pour les basses castes et les aborigènes de la Conférence des évêques catholiques de l’Inde, le système des castes est « une réalité sociale dans l’Eglise en Inde » et c’est là un fait que ni l’Eglise ni le gouvernement ne peuvent ignorer. A Mumbai, le P. Rocky Banz, directeur du Centre d’action sociale de l’archidiocèse de Bombay, voit dans la re-commandation de la commission « une lueur d’espoir » pour l’Eglise et « une opportunité unique » pour des millions de pauvres en Inde. Au Maharashtra, le vice-président de la Commission de l’Etat pour les minorités, a déclaré que les recommandations de la commission marquaient « l’aube d’une nouvelle ère ». Au Maharashtra, 90 % du 1,05 million de chrétiens appartiennent à des groupes défavorisés.

Au Tamil Nadu, où le gouvernement de l’Etat a instauré, en avril dernier, des quotas dans les institutions éducatives et la fonction publique en faveur des chrétiens et des musulmans (2), le porte-parole de l’épiscopat local a déclaré qu’une délégation allait être envoyée à New Delhi pour presser le gouvernement fédéral d’accepter les recommandations de la commission.

Le rédacteur en chef de The New Leader a toutefois mis en garde contre tout excès d’optimisme : « Les opposants (aux recommandations de la commission) seront là, répétant le sempiternel argument selon lequel le christianisme ne connaît pas le système des castes. »

Pour leur part, des organisations musulmanes ont salué la décision de la commission. Le Conseil de la minorité musulmane a adressé une lettre ouverte aux médias pour dire son « approbation » des conclusions de la commission et demander « sans tarder leur mise en pratique ».