Eglises d'Asie

Dans différentes municipalités où des principes de la charia sont appliqués, des non-musulmans témoignent des pressions exercées contre eux

Publié le 18/03/2010




Depuis 2002, une vingtaine de municipalités et districts à travers le pays ont pris des décrets et ordonnances inspirés de la charia. Passés à la faveur de la décentralisation, ces textes criminalisent des conduites prohibées par la loi islamique, telle que l’adultère, la consommation d’alcool ou encore la prostitution ; d’autres textes imposent le port du voile islamique à toute personne de sexe féminin. Censés être applicables aux seuls musulmans, ces derniers textes s’imposent en fait à tous et provoquent un certain malaise au sein des communautés non musulmanes.

A Padang, chef-lieu de la province de Sumatra-Ouest, une enquête a ainsi été réalisée par le Centre d’études intercommunautaires. D’avril à octobre 2006, les jeunes filles non musulmanes de six districts et municipalités scolarisées dans des établissements publics ont été interrogées. Il ressort de leurs réponses que, même là où les prescriptions en matière vestimentaire ne sont applicables qu’aux seuls musulmans, dans la pratique, le port du voile s’est imposé à elles (1).

Scolarisée dans le district de Pesisir Selatan, Nova Hungliot Simarmata, lycéenne catholique, explique ainsi que le règlement de son établissement public a été amendé en 2005, pour rendre obligatoire le port du voile aux élèves de sexe féminin. La jeune fille et ses parents ont, dans un premier temps, refusé de s’y conformer. Mais un des enseignants demandait sans cesse à Nova pourquoi elle ne portait pas le jilbab. « Il n’y a rien de mal à observer les décisions des autorités locales », faisait valoir l’enseignant. « J’étais si gênée lorsque j’ai porté le voile pour la première fois. Je me sentais si bizarre. Les gens pouvait penser que j’étais musulmane puisque je portais ce vêtement, explique la jeune fille. Que pensez-vous qu’une catholique puisse ressentir à porter le jilbab, qui identifie à l’islam ? Je n’ai tout simplement pas le choix et je dois obéir au règlement de mon école. »

A Padang, ville où le maire a rendu obligatoire le port du voile pour toutes les élèves musulmanes de l’école élémentaire au lycée, Stefanus Prayoga Ismu Rahardi, un père de famille catholique, a deux de ses trois filles scolarisées dans des écoles publiques. « La première fois que je les ai vues avec le jilbab, j’ai ressenti comme un malaise, témoigne-t-il. Elles ne savaient pas comment le porter et elles en étaient irritées. » En juillet, lors de la rentrée scolaire, ses filles ne portaient pas le voile et des enseignants leur demandaient souvent pourquoi elles allaient ainsi, tête nue. « Je leur ai suggéré de porter le voile afin de ne plus être importunées et de n’y voir qu’un ‘accessoire’ », raconte leur père, dont les filles ont abandonné jupes et chemises à manches courtes pour les robes longues et à manches longues caractéristiques des habits portés par les musulmanes. Il ajoute qu’il n’est pas heureux de cette solution car « si une non-musulmane porte le jilbab, qu’elle le veuille ou non, elle est identifiée à l’islam ».

Pour Bonifasius Bakti Sirergar, membre du Bureau pour l’enseignement catholique de Sumatra-Ouest, il est évident que les prescriptions vestimentaires prises au nom d’une certaine idée de l’islam ont un fort impact sur les élèves non musulmanes, qui, si elles ne s’y conforment pas, se singulariseront de leurs condisciples de religion musulmane. Il a constaté que, dans bien des cas, les jeunes filles non musulmanes se résolvent à porter le jilbab, mais s’y sentent contraintes et ne sont scolarisées dans ces écoles que parce qu’elles ne peuvent pas être scolarisées dans des établissements gérés par des catholiques ou des protestants.

Selon Netty Anggraini, chercheur, de religion musulmane, au Centre d’études intercommunautaires, l’étude menée dans les districts où de telles dispositions ont été prises indique que les droits des groupes minoritaires ne sont pas garantis. « Les élèves non musulmans, qui forment un petit groupe, ne sont pas en mesure de s’y opposer. Ils doivent s’y conformer, ne serait-ce que pour ne pas se distinguer ou se singulariser des autres élèves, musulmans », explique-t-elle.