Eglises d'Asie

MISSIONNAIRE EN INDONÉSIE :EXPÉRIENCES, RÉFLEXIONS ET PERSPECTIVES

Publié le 18/03/2010




Introduction<br />En f&eacute;vrier 2005, Andian Husseini, un jeune militant du Comit&eacute; indon&eacute;sien pour la solidarit&eacute; islamique (KISDI), organisation islamiste consid&eacute;r&eacute;e comme extr&eacute;miste, m&rsquo;a rendu visite. Je ne connaissais Andian Husseini que par ses articles, toujours tr&egrave;s durs mais objectifs, publi&eacute;s dans le journal islamiste Republica. A l&rsquo;&eacute;poque, il r&eacute;alisait, &agrave; Kuala Lumpur, une &eacute;tude sur le Concile Vatican II. Ses deux interrogations principales &eacute;taient les suivantes : l&rsquo;Eglise catholique prend-elle au s&eacute;rieux ce qui est annonc&eacute; dans ce concile, &agrave; savoir : &laquo; Est-ce que les non-baptis&eacute;s peuvent &ecirc;tre sauv&eacute;s et doivent-ils respecter l&rsquo;islam ? &raquo; (2) Deuxi&egrave;mement, comment cette annonce se concilie-t-elle avec l&rsquo;&oelig;uvre missionnaire de l&rsquo;Eglise catholique que le Concile Vatican II a clairement renouvel&eacute;e ?<br />Evidemment, chaque pr&ecirc;tre missionnaire et chaque religieuse missionnaire devraient se poser les questions d&rsquo;Andian Husseini &agrave; la lumi&egrave;re de Lumen Gentium, Nostra Aetate et Dignitatis Humanae (3). Par exemple, comment r&eacute;pondre &agrave; la premi&egrave;re question d&rsquo;Andian Husseini quand on se r&eacute;f&egrave;re &agrave; la loi sur l&rsquo;&eacute;cole de 2003, &eacute;dict&eacute;e par le gouvernement indon&eacute;sien, et qui, apr&egrave;s des ann&eacute;es d&rsquo;un rapprochement continu entre les chr&eacute;tiens et les musulmans (4) en Indon&eacute;sie, a conduit &agrave; une crise des relations. Ce texte (qui, entretemps, a pris force de loi mais n&rsquo;est pas appliqu&eacute; ; NdT : voir EDA 380 et 407) pr&eacute;voit de rendre obligatoire des cours d&rsquo;enseignement religieux selon la religion de l&rsquo;&eacute;l&egrave;ve, par un professeur de m&ecirc;me confession. Cela signifie que les &eacute;coles chr&eacute;tiennes (priv&eacute;es), mais aussi les &eacute;coles islamiques, hindoues et bouddhistes devront donner des cours d&rsquo;enseignement religieux dans les diff&eacute;rentes religions qui sont celles de leurs &eacute;l&egrave;ves. Ce contre quoi ont protest&eacute; les chr&eacute;tiens, en organisant &agrave; Djakarta et ailleurs des manifestations rassemblant plusieurs milliers de personnes et en menant campagne dans la presse. Leur argument est que l&rsquo;Etat n&rsquo;a pas le droit, en mati&egrave;re de religion, de prescrire quelque chose qui contrevient &agrave; la loi sur la libert&eacute; religieuse. Selon eux, le seul but de la loi de 2003 est la poursuite de la longue lutte pour l&rsquo;introduction des cours d&rsquo;islam pour les &eacute;l&egrave;ves musulmans, jusque et y compris dans les &eacute;coles priv&eacute;es. Dans ce conflit, les chr&eacute;tiens ont &eacute;t&eacute; compl&egrave;tement isol&eacute;s et ont, de ce fait, perdu leur campagne. Les bouddhistes et les hindous, qui partagent avec les chr&eacute;tiens de grandes craintes en ce qui concerne l&rsquo;islam, ont malgr&eacute; tout soutenu la loi. La raison de l&rsquo;isolement des chr&eacute;tiens a &eacute;t&eacute; qu&rsquo;ils n&rsquo;ont pas souffl&eacute; mot du fait que, dans leurs &eacute;coles (&agrave; l&rsquo;exception de la partie catholique), tous les &eacute;l&egrave;ves participent &agrave; des cours d&rsquo;enseignement religieux chr&eacute;tien et, dans certaines &eacute;coles, ils doivent m&ecirc;me assister &agrave; la messe le vendredi. De plus, le reproche d&rsquo;atteinte &agrave; la libert&eacute; religieuse, fait par les chr&eacute;tiens, est rejet&eacute; parce qu&rsquo;il leur est oppos&eacute; la demande qu&rsquo;ils font aux parents d&rsquo;enfants non chr&eacute;tiens de donner express&eacute;ment et par &eacute;crit leur accord sur les cours d&rsquo;enseignement religieux. En outre, on souligne le fait que les enfants, dont les parents n&rsquo;ont pas donn&eacute; leur accord, sont refus&eacute;s par ces &eacute;coles. (A l&rsquo;&eacute;vidence, il a &eacute;chapp&eacute; aux deux parties que Dignitatis Humanae (n&deg; 5) indique clairement que ce sont les parents qui sont les responsables de l&rsquo;&eacute;ducation religieuse donn&eacute;e &agrave; leurs enfants.)<br />Je voudrais dans cet article apporter une r&eacute;flexion personnelle aux questions pos&eacute;es, qui me concernent directement. Cet article n&rsquo;apporte donc pas de nouveaut&eacute;s th&eacute;ologiques, mais il est plut&ocirc;t le partage d&rsquo;un missionnaire croyant qui essaye de se d&eacute;brouiller dans la situation actuelle de la mission, red&eacute;finie par le Concile, dans un pays qui compte 85 % de musulmans. Comme, par ailleurs, ces questions complexes n&rsquo;ont certainement pas encore &eacute;t&eacute; discut&eacute;es, cet article peut servir de base de discussion. Que le 500e anniversaire de la naissance de saint Fran&ccedil;ois Xavier (1506-1552) cette ann&eacute;e, qui a &eacute;galement &eacute;t&eacute; missionnaire en Indon&eacute;sie, soit l&rsquo;occasion de nous rappeler le mod&egrave;le qu&rsquo;il doit &ecirc;tre pour nous.<br />1.) Deux d&eacute;clarations fondamentales du Concile<br />Le point de d&eacute;part des r&eacute;flexions qui vont suivre peut &ecirc;tre formul&eacute; ainsi : si l&rsquo;Eglise catholique reprend son activit&eacute; missionnaire, comme le Concile de Vatican II le lui a redemand&eacute; (Ad Gentes 7), alors elle doit comprendre cette &oelig;uvre missionnaire avec les deux d&eacute;clarations fondamentales que lui a adjoint ce m&ecirc;me Concile : premi&egrave;rement, les non-baptis&eacute;s peuvent &ecirc;tre sauv&eacute;s s&rsquo;ils vivent selon leur conscience (5) ; deuxi&egrave;mement, les chr&eacute;tiens sont exhort&eacute;s &agrave; reconna&icirc;tre les valeurs que renferment les religions non chr&eacute;tiennes. C&rsquo;est une des raisons pour lesquelles le Concile a parl&eacute; des musulmans avec une grande consid&eacute;ration (6). Les d&eacute;clarations de Nostra Aetate peuvent m&ecirc;me &ecirc;tre extrapol&eacute;es dans le sens o&ugrave; le Concile va jusqu&rsquo;&agrave; reconna&icirc;tre qu&rsquo;il y a de vraies valeurs religieuses dans les autres religions. Par les termes de &laquo; vraies valeurs religieuses &raquo;, je comprends : porteur de valeurs, dans le sens o&ugrave; l&rsquo;utilisait Scheler, &agrave; savoir comme les rites, les pri&egrave;res, la doctrine, les commandements, qui ont &laquo; une valeur &raquo; ou qui aspirent &agrave; une valeur attirante, parce qu&rsquo;ils rapprochent les hommes de Dieu ou des divinit&eacute;s. Ainsi, cela doit r&eacute;ellement signifier que ces valeurs n&rsquo;existent pas seulement dans les religions o&ugrave; l&rsquo;on croit &laquo; effectivement &raquo; au religieux, mais &eacute;galement l&agrave; o&ugrave; elles ne sont pas r&eacute;elles.<br />La deuxi&egrave;me d&eacute;claration qui annonce qu&rsquo;il existe une vraie valeur religieuse dans les autres religions est en fait la vraie cassure. L&rsquo;Eglise catholique a bien &eacute;videmment et depuis longtemps explor&eacute; les voies th&eacute;ologiques pour ne pas devoir interpr&eacute;ter le &laquo; en dehors de l&rsquo;Eglise, point de salut &raquo; du Concile de Florence (1438-1445) (7), comme si Dieu devait simplement envoyer en enfer les hommes qui n&rsquo;ont pas &eacute;t&eacute; baptis&eacute;s (8). Cette opinion contredit trop directement la croyance en la bont&eacute;, voire m&ecirc;me en la justice de Dieu (9). A partir de cela, on peut donc penser que les &laquo; bons &raquo; non-baptis&eacute;s pourraient aussi &ecirc;tre sauv&eacute;s, et m&ecirc;me en d&eacute;pit de leur &laquo; fausse &raquo; religion. C&rsquo;est justement ce que le Concile Vatican II semble avoir raviv&eacute;. Et ce, avec un profond respect, non seulement pour les fid&egrave;les des autres religions, mais aussi pour ceux, dont la valeur religieuse de leur religion est reconnue. Est-ce que cela revient &agrave; dire que l&rsquo;Eglise catholique croit que la religiosit&eacute; des autres religions joue un r&ocirc;le positif dans le cheminement de leurs fid&egrave;les vers Dieu ? Je voudrais r&eacute;sumer cette r&eacute;flexion dans l&rsquo;id&eacute;e que nous ne pouvons pas exclure que le Concile, dans Nostra Aetate, a attribu&eacute; une valeur sacr&eacute;e (certainement limit&eacute;e) aux religions non chr&eacute;tiennes (10).<br />2.) Un d&eacute;fi pour l&rsquo;Eglise missionnaire <br />Le d&eacute;fi de ces deux d&eacute;clarations pour la mission de l&rsquo;Eglise, comprise dans son sens traditionnel, est parfaitement &eacute;vident : si chacun, aussi bien qu&rsquo;il puisse le faire, s&rsquo;efforce de vivre selon les pr&eacute;ceptes de sa propre religion, et que cela suffit &agrave; son salut, pourquoi ne laisse-t-on pas chacun &ecirc;tre heureux &agrave; sa fa&ccedil;on ? Et surtout, pourquoi existerait-il encore une activit&eacute; missionnaire ? Et si les autres religions rev&ecirc;tent dans tous les cas un sens sacr&eacute;, o&ugrave; se trouve le caract&egrave;re unique du christianisme ? Est-ce que ce n&rsquo;est pas de l&agrave; que provient le peu de distance qui nous s&eacute;pare du concept du &laquo; pluralisme &raquo;, selon lequel aucune religion ne peut pr&eacute;tendre &agrave; l&rsquo;absolu et dans lequel toutes les religions seraient plus ou moins les formes d&rsquo;expression du sens religieux de l&rsquo;humanit&eacute; ? Dans cette acception, toutes les religions sont des moyens qui permettent &agrave; l&rsquo;humanit&eacute; d&rsquo;exprimer, toujours et encore, son sens de la divinit&eacute;. Toutes les religions permettent d&rsquo;exprimer l&rsquo;indicible d&rsquo;une fa&ccedil;on ou d&rsquo;une autre. Pour cette raison, aucune ne peut &ecirc;tre absolue. Mais cela implique aussi que Dieu, qui pour nous s&rsquo;est r&eacute;v&eacute;l&eacute; dans J&eacute;sus, l&rsquo;a &eacute;galement fait &agrave; travers beaucoup d&rsquo;autres hommes connus, comme Bouddha ou le proph&egrave;te de La Mecque, mais aussi pour beaucoup qui ne sont connus que localement (11). C&rsquo;est exactement comme si le Concile Vatican II avait retir&eacute; le tapis de dessous les pieds de l&rsquo;Eglise &ndash; dans sa mission (12) &ndash; et, tout particuli&egrave;rement, de dessous les n&ocirc;tres, &laquo; missionnaires au sens strict &raquo;, envoy&eacute;s pour faire conna&icirc;tre J&eacute;sus dans un monde plong&eacute; dans d&rsquo;autres religions (13).<br />3.) Un pluralisme des religions ?<br />Je viens l&agrave; d&rsquo;extrapoler sans autorisation. Le Concile nous apprend de fa&ccedil;on formelle que &laquo; le Christ est la seule voie qui conduit &agrave; la saintet&eacute; &raquo; et aussi, que seuls ceux qui croient en Lui seront sauv&eacute;s (14). D&rsquo;apr&egrave;s les Evangiles, J&eacute;sus n&rsquo;est pas le d&eacute;passement de Dieu, qui, par sa saintet&eacute;, a &eacute;t&eacute; pr&eacute;par&eacute; pour Isra&euml;l. J&eacute;sus est la manifestation de Dieu. Il est &laquo; le chemin, la v&eacute;rit&eacute;, la vie &raquo; (Jean 14,6) (et, en aucune fa&ccedil;on, une voie, m&ecirc;me si elle est bonne, et non pas seulement une v&eacute;rit&eacute;, une de celles qui peuplent la vie de l&rsquo;humanit&eacute;. C&rsquo;est pourquoi, Pierre, rempli de l&rsquo;Esprit Saint, affirme &laquo; &agrave; la face du haut conseil des juifs &agrave; J&eacute;rusalem &raquo; qu&rsquo;on ne peut trouver de Salut&nbsp; dans aucun autre nom, &laquo; que dans celui de J&eacute;sus-Christ &raquo; (Ac 4,8-11).<br />Il appara&icirc;t aujourd&rsquo;hui &agrave; beaucoup de personnes, par pr&eacute;tention ou par manque de tol&eacute;rance, que le christianisme est la seule vraie religion. Et grandes sont les r&eacute;ticences vis-&agrave;-vis de la mission chr&eacute;tienne. Mais est-ce vrai du manque de tol&eacute;rance ? La v&eacute;ritable tol&eacute;rance ne demande pas qu&rsquo;on relativise ses convictions. La tol&eacute;rance positive n&rsquo;est pas simplement le fait de &laquo; tol&eacute;rer &raquo; les autres de mani&egrave;re d&eacute;sobligeante, ce n&rsquo;est pas non plus une disposition qui am&egrave;nerait &agrave; ne pas critiquer, ou &agrave; ne pas chasser ou d&eacute;truire les autres du fait de leurs diff&eacute;rences. La tol&eacute;rance positive conc&egrave;de volontiers aux autres, et avec joie, qu&rsquo;ils puissent &ecirc;tre eux-m&ecirc;mes. Elle consid&egrave;re les autres hommes dans leur identit&eacute;, avec les convictions et les valeurs qui leur appartiennent. La tol&eacute;rance ne signifie donc nullement qu&rsquo;on dise qu&rsquo;on aurait au fond la m&ecirc;me opinion ! La tol&eacute;rance exige qu&rsquo;on reconnaisse les autres dans leur diff&eacute;rence, m&ecirc;me si on ne partage pas leurs convictions religieuses (15). En revanche, si on partage la m&ecirc;me croyance, il n&rsquo;y a plus besoin de tol&eacute;rance. Les musulmans comprennent cela fort bien. L&rsquo;aphorisme selon lequel &laquo; nous croirions au fond &agrave; la m&ecirc;me chose &raquo; est tr&egrave;s d&eacute;plaisant. On dirait plut&ocirc;t que nos deux religions, malgr&eacute; de nombreuses similitudes sur des points importants, ne s&rsquo;accordent pas l&rsquo;une l&rsquo;autre, mais malgr&eacute; cela nous nous respecterions et n&rsquo;essaierions pas d&rsquo;imposer notre propre religion. Dieu saura finalement avec s&ucirc;ret&eacute; comment tout cela doit &ecirc;tre d&eacute;m&ecirc;l&eacute;. C&rsquo;est ce sur quoi on peut &ecirc;tre largement d&rsquo;accord. C&rsquo;est beaucoup plus que de n&rsquo;&ecirc;tre &laquo; d&rsquo;accord que sur notre d&eacute;saccord &raquo;. Derri&egrave;re une telle disposition &ndash; de se reconna&icirc;tre r&eacute;ciproquement &ndash; se trouve le profond respect de Dieu, sans la volont&eacute; de qui il n&rsquo;y aurait pas des religions diff&eacute;rentes (16).<br />Mais n&rsquo;est-il pas pr&eacute;tentieux de croire que, parmi les nombreuses religions existantes, une seule est vraie ? Ce qui me semble pr&eacute;tentieux et r&eacute;pr&eacute;hensible serait de qualifier les autres religions ou convictions religieuses &agrave; la l&eacute;g&egrave;re ou de les consid&eacute;rer comme fausses. Si le Concile Vatican II accorde aux autres religions une signification religieuse, le terme de &laquo; fausse &raquo; religion doit &ecirc;tre utilis&eacute; avec la plus grande circonspection. Manifestement, l&rsquo;Esprit de Dieu ne souffle pas uniquement dans l&rsquo;Eglise (et encore pas toujours, ni partout). La mis&eacute;ricorde de Dieu ne conna&icirc;t pas de fronti&egrave;res.<br />Si nous lisons des exp&eacute;riences de t&eacute;moins mystiques, comme dans la litt&eacute;rature classique javanaise ou dans le soufisme, il appara&icirc;t tr&egrave;s difficile de contester qu&rsquo;on y trouve bien une r&eacute;elle mystique de Dieu. Parfois, nous rencontrons &eacute;galement des hommes d&rsquo;autres religions qui laissent transpara&icirc;tre la marque de Dieu. Le r&egrave;gne de Dieu est &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre partout, et encore plus s&ucirc;rement dans les religions. Si, au contraire, nous, chr&eacute;tiens, sommes conscients de notre manque d&rsquo;objectivit&eacute;, de nos contradictions, de nos manquements &agrave; l&rsquo;Esprit, de nos pr&eacute;jug&eacute;s et de notre morgue, il vaut beaucoup mieux que nous restions modestes.<br />Mais reconna&icirc;tre que, dans les autres religions, se rencontrent une v&eacute;ritable exp&eacute;rience de Dieu et un v&eacute;ritable culte n&rsquo;implique en aucune fa&ccedil;on une reconnaissance d&rsquo;un relativisme religieux. Si je crois v&eacute;ritablement, je ne peux pas faire autre chose que d&rsquo;&ecirc;tre convaincu de la v&eacute;rit&eacute; &agrave; laquelle je crois. Croire en J&eacute;sus n&rsquo;est pas adopter une opinion philosophique qu&rsquo;on ne devrait jamais mettre effectivement en question. Cela signifie, par contre, que quelqu&rsquo;un lui est apparu comme une v&eacute;rit&eacute; premi&egrave;re de sa vie et qu&rsquo;il s&rsquo;est mis en route &agrave; sa suite. C&rsquo;est pourquoi il ne faut pas rejeter les croyances des autres. Croire en l&rsquo;Eglise est un peu comme si on croyait en quelqu&rsquo;un. C&rsquo;est quelque chose d&rsquo;absolu, m&ecirc;me s&rsquo;il venait &agrave; l&rsquo;esprit qu&rsquo;on ait peut-&ecirc;tre pu se tromper (17). Il n&rsquo;y a aucune pr&eacute;tention &agrave; s&rsquo;attacher &agrave; sa croyance. En revanche, il est tout &agrave; fait pr&eacute;tentieux d&rsquo;exiger des pr&eacute;tendus adeptes du pluralisme qu&rsquo;ils relativisent ce dont ils sont convaincus et sur lequel ils ont b&acirc;ti leur vie.<br />Mais il y a plus. Si je vis, par exemple, comme missionnaire parmi des musulmans, ce n&rsquo;est pas un voyage &agrave; sens unique, comme si j&rsquo;arrivais seul avec la pl&eacute;nitude de la foi, pour la leur distribuer, &agrave; eux qui ont les mains vides. Etre missionnaire, c&rsquo;est faire un continuel voyage spirituel. J&rsquo;apprends, dans mes contacts avec les musulmans, &agrave; voir ma foi avec des yeux nouveaux. Je partage, avec les hommes aupr&egrave;s de qui je vis et qui m&rsquo;ont accueilli, des exp&eacute;riences religieuses que je ne peux pas toujours vivre dans ma propre religion. J&rsquo;ai particip&eacute; &agrave; un jeu d&rsquo;ombres javanais &ndash; Wayang &ndash; dans lequel une soci&eacute;t&eacute; d&eacute;sunie par des conflits devait &ecirc;tre remise en harmonie avec ses divinit&eacute;s et j&rsquo;ai &eacute;t&eacute; impressionn&eacute; par les Kiais musulmans &ndash; des hommes religieux. En tant que participant et non comme spectateur sympathisant. Il s&rsquo;est produit une sorte d&rsquo;osmose spirituelle, une empathie r&eacute;elle, un sentiment d&rsquo;&ecirc;tre emport&eacute; dans d&rsquo;autres lieux que des divinit&eacute;s auraient occup&eacute;s. Naturellement, je peux dire que j&rsquo;am&egrave;ne J&eacute;sus avec moi. Les missionnaires sont ainsi embarqu&eacute;s dans un p&egrave;lerinage spirituel sur des terres inconnues, avec leur foi, mais jamais comme des personnes croyant avoir r&eacute;ponse &agrave; tout. Et puis, comment puis-je donner aux autres un t&eacute;moignage de ma foi, alors que je ne connais rien de leurs croyances et comment pourraient-ils en profiter ?<br />Pluralisme des religions ? (19) Oui, en ce sens o&ugrave; les autres religions et traditions religieuses ont connu des exp&eacute;riences religieuses, qui ne sont pas tr&egrave;s &eacute;loign&eacute;es de Dieu. Mais, non, si le pluralisme conteste que, selon la foi chr&eacute;tienne, le juif J&eacute;sus de l&rsquo;histoire est entr&eacute; dans notre humanit&eacute; avec la pl&eacute;nitude de Dieu. On peut peut-&ecirc;tre dire : beaucoup d&rsquo;hommes vont leur chemin, que Dieu conduit de l&rsquo;int&eacute;rieur, qu&rsquo;ils soient baptis&eacute;s ou non, alors qu&rsquo;&agrave; l&rsquo;inverse, le baptis&eacute; est toujours en danger de s&rsquo;&eacute;loigner du chemin. Beaucoup d&rsquo;hommes se laissent conduire par leur religion sur un chemin o&ugrave; ils sentent la saintet&eacute; de Dieu les guider, o&ugrave; ils ressentent la bont&eacute; de Dieu, qu&rsquo;ils soient juifs, musulmans et o&ugrave; ils ont trouv&eacute; la foi. Mais m&ecirc;me s&rsquo;ils ne le savent pas, ce salut d&eacute;borde J&eacute;sus, les hommes, la Parole dans laquelle Dieu se r&eacute;v&egrave;le, et il est la foi dans ce J&eacute;sus. Il entra&icirc;ne ceux qui le suivent vers l&rsquo;acceptation de ce salut d&eacute;finitif de Dieu. C&rsquo;est pourquoi on doit supporter cette tension et ne pas vouloir la supprimer : tenir ferme &agrave; J&eacute;sus, l&rsquo;insurpassable Parole de Dieu, et reconna&icirc;tre en m&ecirc;me temps que Dieu am&egrave;ne aussi &agrave; lui les hommes des autres religions (20).<br />4.) Mais pourquoi la mission ?<br />Jusqu&rsquo;&agrave; pr&eacute;sent, nous n&rsquo;avons pas encore r&eacute;pondu &agrave; la question de savoir pourquoi l&rsquo;Eglise doit continuer &agrave; avoir une activit&eacute; missionnaire si, en fin de compte, tout le monde peut &ecirc;tre sauv&eacute;, m&ecirc;me sans &ecirc;tre baptis&eacute;. A l&rsquo;inverse, d&rsquo;apr&egrave;s l&rsquo;enseignement catholique, le bapt&ecirc;me ne garantit pas du tout le salut et l&rsquo;homme apr&egrave;s son bapt&ecirc;me peut toujours tomber dans le p&eacute;ch&eacute; et la mort. Est-ce qu&rsquo;il ne vaudrait pas mieux, comme beaucoup nous le recommande, d&rsquo;&oelig;uvrer pour que les musulmans deviennent de meilleurs musulmans, les hindous de meilleurs hindous, etc. ? Ind&eacute;pendamment du renoncement que cela repr&eacute;sente, un tel but me para&icirc;t extr&ecirc;mement paternaliste et pr&eacute;tentieux, il ne peut en aucun cas &ecirc;tre une t&acirc;che prioritaire.<br />Si la motivation de l&rsquo;activit&eacute; missionnaire ne devait &ecirc;tre que la conviction selon laquelle seuls peuvent aller au ciel ceux qui sont baptis&eacute;s, alors, le Concile Vatican II aurait bien fait dispara&icirc;tre le sol sous les pieds de la mission. Mais cette crainte n&rsquo;a jamais &eacute;t&eacute; le motif d&eacute;terminant de la mission. Ce qui a pouss&eacute; les ap&ocirc;tres &agrave; la proclamation autour de Pierre, jusqu&rsquo;&agrave; saint Fran&ccedil;ois et jusqu&rsquo;&agrave; nous, c&rsquo;est la beaut&eacute; et la v&eacute;rit&eacute; du message que nous avons re&ccedil;u. Cette merveilleuse lumi&egrave;re qui nous &eacute;claire, nous ne devons pas la mettre sous le boisseau, nous devons la laisser illuminer les hommes. En d&rsquo;autres termes, l&rsquo;Eglise, c&rsquo;est-&agrave;-dire nous, proclame le message de la joie, parce que c&rsquo;est un message joyeux et le propager fait partie de cette joie. L&rsquo;Eglise proclame J&eacute;sus et son message divin parce qu&rsquo;elle croit et qu&rsquo;elle conna&icirc;t J&eacute;sus, qu&rsquo;elle a &eacute;t&eacute; prise par lui, qu&rsquo;elle le suit et qu&rsquo;elle peut le faire passer aux hommes. C&rsquo;est exactement pour cela que J&eacute;sus a envoy&eacute; ses disciples. C&rsquo;est &eacute;galement ce qu&rsquo;a fait Fran&ccedil;ois Xavier il y a presque 500 ans &agrave; ceux qui l&rsquo;&eacute;coutaient en Inde, aux Moluques et au Japon.<br />Il convient &agrave; ce propos de faire un court rappel de la m&eacute;thode missionnaire de saint Fran&ccedil;ois Xavier. Elle nous fait peut-&ecirc;tre aujourd&rsquo;hui dresser les cheveux sur la t&ecirc;te. Son grand biographe, Georg Schurhammer, l&rsquo;a parfaitement d&eacute;crite : d&rsquo;abord, il rassemblait les gens avec une petite cloche et il leur lisait le Notre P&egrave;re, le Credo et d&rsquo;autres textes du cat&eacute;chisme, dans leur langue &ndash; qu&rsquo;il comprenait &agrave; peine &ndash;, et ceux qui l&rsquo;&eacute;coutaient devaient les r&eacute;p&eacute;ter &agrave; haute voix, puis il leur demandait &agrave; quoi ils croyaient et s&rsquo;ils voulaient recevoir le bapt&ecirc;me. S&rsquo;ils &eacute;taient d&rsquo;accord, alors il les baptisait (21).<br />L&rsquo;aspect d&eacute;cisif de la m&eacute;thode missionnaire de Fran&ccedil;ois Xavier est qu&rsquo;elle &eacute;tait couronn&eacute;e de succ&egrave;s, au meilleur sens du terme : &agrave; ces baptis&eacute;s, il donnait la force de la foi de l&rsquo;Eglise au Kerala. Et les conversions &eacute;taient r&eacute;elles. Comment peut-on l&rsquo;expliquer ? Probablement parce que ces hommes avaient ressenti directement, d&rsquo;une mani&egrave;re ou d&rsquo;une autre, que Fran&ccedil;ois Xavier &eacute;tait un saint homme &agrave; travers lequel ils pouvaient voir la proximit&eacute; de Dieu, ils sentaient qu&rsquo;irradiaient de lui la gr&acirc;ce et le salut. Les gens font confiance &agrave; un tel homme et font ce qu&rsquo;il dit, croient ce qu&rsquo;il leur enseigne de croire ; m&ecirc;me si, vraisemblablement, ils comprenaient mal ses paroles et ses textes, ils comprenaient avant tout les rites et ils en ressentaient une r&eacute;elle proximit&eacute; de Dieu. Dans cette ambiance sacr&eacute;e, ils &eacute;taient touch&eacute;s par Dieu et ensuite tous croyaient et faisaient ce que l&rsquo;homme de Dieu disait. Je ne doute pas que cela existe encore, en substance, aujourd&rsquo;hui en Asie, ou peut-&ecirc;tre partout o&ugrave; les hommes ne sont pas encha&icirc;n&eacute;s par l&rsquo;id&eacute;ologie ou asphyxi&eacute;s par la consommation. Les disciples de saint Fran&ccedil;ois, les j&eacute;suites en Inde et en Chine appliqu&egrave;rent ces m&eacute;thodes missionnaires m&ucirc;rement r&eacute;fl&eacute;chies ; ils avaient compris l&rsquo;importance de l&rsquo;inculturation de l&rsquo;Evangile. Mais, aujourd&rsquo;hui, le c&oelig;ur du probl&egrave;me est le suivant : le message de l&rsquo;Evangile arrive &agrave; destination si, et seulement si, ceux qui &eacute;coutent les pr&ecirc;tres missionnaires et les religieuses missionnaires et toute l&rsquo;Eglise en tant que communaut&eacute; des croyants apprennent la v&eacute;rit&eacute; qui est annonc&eacute;e ; ce qui ne signifie pas autre chose que le fait qu&rsquo;ils doivent pouvoir apprendre Dieu lui-m&ecirc;me par l&rsquo;Eglise, par les pr&ecirc;tres missionnaires et par les religieuses missionnaires. En d&rsquo;autres termes, la force spirituelle, ce qui filtre de l&rsquo;Esprit de Dieu, ouvre les c&oelig;urs &agrave; l&rsquo;Evangile. En ce sens, les m&eacute;thodes missionnaires de saint Fran&ccedil;ois Xavier sont toujours totalement efficaces.<br />Pour moi-m&ecirc;me et pour beaucoup de missionnaires que je connais, les d&eacute;clarations du Concile Vatican II sur la possibilit&eacute; de salut des non-baptis&eacute;s sont une grande lib&eacute;ration. Une lib&eacute;ration de la pression &ndash; le succ&egrave;s mesur&eacute; par le nombre des baptis&eacute;s &ndash; et de la d&eacute;prime &agrave; l&rsquo;id&eacute;e &eacute;pouvantable du nombre d&rsquo;hommes pour qui le ciel demeure ferm&eacute;. Nous nous r&eacute;jouissons quand les gens viennent recevoir le bapt&ecirc;me, mais nous laissons agir l&rsquo;Esprit Saint sur ceux auxquels nous essayons d&rsquo;enseigner l&rsquo;Evangile et qu&rsquo;Il veut bien conduire &agrave; l&rsquo;Eglise. Pour beaucoup, cette franchise de l&rsquo;Eglise catholique (22) est une condition imp&eacute;rative de leur aptitude &agrave; une croyance religieuse. Pour beaucoup de chr&eacute;tiens javanais (23), une religion ne serait pas digne de foi en soi si elle n&rsquo;affirmait pas que leurs parents ou leurs grands-parents, n&rsquo;appartenant pas &agrave; cette religion, n&rsquo;avaient aucune chance d&rsquo;aller au ciel. Annoncer un Dieu qui traiterait les choses de fa&ccedil;on bureaucratique, &eacute;triqu&eacute;e ou simplement injuste, appara&icirc;trait ipso facto aux yeux des Javanais comme une religion qui n&rsquo;a rien compris &agrave; Dieu. Une pareille annonce serait d&eacute;masqu&eacute;e comme ne venant que des hommes. A l&rsquo;inverse, est authentique l&rsquo;annonce d&rsquo;un Dieu bon qui accueille &eacute;galement dans sa magnificence ceux qui, sans aucune faute, n&rsquo;ont pas fait ce qui &eacute;tait juste, tout comme ceux qui ont suivi l&rsquo;enseignement de son Evangile (24).<br />C&rsquo;est aussi la raison pour laquelle de nombreux Javanais ont des sentiments mitig&eacute;s vis-&agrave;-vis de leur propre religion, l&rsquo;islam. L&rsquo;islam est venu en Indon&eacute;sie sous une forme de soufisme tol&eacute;rant, qui s&rsquo;est greff&eacute; tr&egrave;s vite sans difficult&eacute; sur les antiques repr&eacute;sentations religieuses hindoues et bouddhiques (25). Mais la pression &eacute;manant des Arabes wahhabites pour une orthodoxie exclusive et puriste a contrecarr&eacute; son adaptation javanaise dans une population qui refusait l&rsquo;exclusivisme. Pour les Javanais, les religions sont moins un but qu&rsquo;une voie, bien que l&rsquo;islam ait chez eux profond&eacute;ment pris racine dans leurs traditions religieuses et culturelles. Une voie vers une vie plus profond&eacute;ment enracin&eacute;e dans le divin. Et les hommes ne doivent pas rendre ces voies absolues. Mais quelle religion est la vraie voie pour quelqu&rsquo;un qui, en fin de compte, ne peut que s&rsquo;accomplir personnellement. C&rsquo;est pourquoi les parents laissent leur fils ou leur fille aller au bapt&ecirc;me, &agrave; condition qu&rsquo;ils aient l&rsquo;impression qu&rsquo;existe chez leur enfant un besoin int&eacute;rieur s&eacute;rieux. La religion n&rsquo;est pas un jeu, mais beaucoup de Javanais repoussent l&rsquo;id&eacute;e que leur propre religion soit un chemin &agrave; parcourir avec un souci fanatique du d&eacute;tail. Bien que les Javanais ne soient pas de purs relativistes, ce sont eux, parmi tous les interlocuteurs musulmans, qui, entendant dire que le Christ est un homme, citent le consolant aphorisme que &laquo; les religions sont toutes semblables &raquo;. Les Javanais voient aussi la religion comme vraie et objective, mais toujours avec la restriction que, pour chacun, la v&eacute;ritable voie est celle qui, int&eacute;rieurement, attire ouvertement son &acirc;me &agrave; Dieu. Nous pouvons ajouter en tant que chr&eacute;tiens que la vraie voie vers Dieu est celle que l&rsquo;Esprit Saint montre &agrave; un homme et cette voie n&rsquo;est pas toujours catholique ni m&ecirc;me chr&eacute;tienne.<br />Il ne s&rsquo;agit pas du tout, pour la mission, de vouloir rendre les gens chr&eacute;tiens, pour leur &eacute;viter l&rsquo;enfer. Le nombre des baptis&eacute;s n&rsquo;est pas le crit&egrave;re du succ&egrave;s de la mission. Naturellement, nous nous r&eacute;jouissons pour celui qui vient &agrave; J&eacute;sus par une foi explicite, qui re&ccedil;oit le bapt&ecirc;me et qui devient un fr&egrave;re ou une s&oelig;ur de l&rsquo;Eglise. Parce qu&rsquo;apprendre &agrave; conna&icirc;tre J&eacute;sus est le plus grand bonheur auquel l&rsquo;homme puisse prendre part, parce qu&rsquo;une telle connaissance nous concerne &ndash; mais Dieu peut suivre d&rsquo;autres voies &ndash; et parce qu&rsquo;elle s&rsquo;ouvre dans la communaut&eacute; de l&rsquo;Eglise, parce qu&rsquo;enfin, l&rsquo;Eglise est, en ce sens, un sacrement o&ugrave; le r&egrave;gne de Dieu est d&eacute;j&agrave; arriv&eacute; et dont on peut en faire l&rsquo;exp&eacute;rience. Nous serons ainsi des hommes qui cherchons la direction pour entrer dans l&rsquo;Eglise.<br />Aujourd&rsquo;hui, la pratique missionnaire ne doit pas seulement tenir compte de la &laquo; stricte interdiction &raquo; du Concile &laquo; d&rsquo;obliger quelqu&rsquo;un &agrave; accepter une croyance ou de l&rsquo;influencer et l&rsquo;attirer par des moyens inconvenants &raquo; (Ad Gentes 13). Elle doit aussi cr&eacute;er une soci&eacute;t&eacute; dans le plus grand respect des traditions culturelles et des convictions religieuses des hommes. Dans une soci&eacute;t&eacute;, comme par exemple la soci&eacute;t&eacute; indon&eacute;sienne, o&ugrave; la plupart des hommes sont profond&eacute;ment religieux &ndash; 85 % sont musulmans &ndash;, cela ne signifie pas seulement l&rsquo;interdiction de toute pression au moyen d&rsquo;avantages mat&eacute;riels, sociaux ou politiques, mais, bien plut&ocirc;t, que je n&rsquo;importune pas quelqu&rsquo;un qui tient &agrave; sa foi, que je n&rsquo;essaye pas de me faire bien voir, que je ne m&rsquo;engage pas dans un discours sur la foi sans y avoir &eacute;t&eacute; au pr&eacute;alable sollicit&eacute;. Aborder une &oelig;uvre missionnaire aupr&egrave;s d&rsquo;hommes qui ne font pas savoir ce qu&rsquo;ils souhaitent, m&rsquo;am&egrave;ne &agrave; prendre en compte, &agrave; due proportion, la dignit&eacute; et l&rsquo;identit&eacute; des personnes consid&eacute;r&eacute;es. Les hommes ont le droit d&rsquo;&ecirc;tre laiss&eacute; en paix dans leurs convictions fondamentales.<br />Mais qu&rsquo;en est-il de la mission ? Saint Luc peut nous donner la r&eacute;ponse : nous, l&rsquo;Eglise, les missionnaires, sommes envoy&eacute;s pour porter t&eacute;moignage. &laquo; Soyez mes t&eacute;moins ! &raquo; (Lc 24,48) &laquo; Quand l&rsquo;Esprit Saint descendra sur eux, ils recevront la force et seront mes t&eacute;moins &agrave; J&eacute;rusalem, dans toute la Jud&eacute;e et la Samarie et jusqu&rsquo;aux extr&eacute;mit&eacute;s de la terre ! &raquo; (Ac 1,8). Ce que le Concile a d&eacute;fini comme &laquo; la t&acirc;che premi&egrave;re des la&iuml;cs &raquo;, &laquo; le t&eacute;moignage pour le Christ &raquo; (Ad Gentes 21) est la raison primordiale pour laquelle le Christ a envoy&eacute; son Eglise. Ce t&eacute;moignage, les chr&eacute;tiens doivent le donner aux non-chr&eacute;tiens, mais ils doivent aussi se le donner entre eux pour affermir leur propre foi. Porter t&eacute;moignage signifie &laquo; dans sa vie, dans sa famille, dans son travail &raquo;, dans son voisinage, dans ses vacances, comme homme politique, etc., se montrer comme le Christ, comme quelqu&rsquo;un qui Le suit. O&ugrave; qu&rsquo;ils soient, les chr&eacute;tiens doivent aimer le Christ pour les pauvres, pour ceux qui sont dans le besoin et pour les p&eacute;cheurs, et faire rayonner sa positivit&eacute; pure. C&rsquo;est exactement cela, la mission, dans un pays islamique ou ailleurs. Les chr&eacute;tiens, connus comme chr&eacute;tiens, portent t&eacute;moignage de la force de la vie selon l&rsquo;Evangile, par leur vie et leurs actes, dans la soci&eacute;t&eacute;. Ils portent t&eacute;moignage de ce que le pardon est plus fort que la vengeance, la bont&eacute; plus forte que la haine, ils manifestent leur solidarit&eacute; avec les pauvres et les faibles, m&ecirc;me s&rsquo;ils ne doivent en retirer ni puissance ni richesse ; par l&agrave;, ils montrent que l&rsquo;injustice faite &agrave; leur prochain ne les laisse pas de marbre, par l&agrave; ils agissent pour soulager la souffrance et soigner les blessures de leurs propres ennemis. Ainsi, ils portent t&eacute;moignage de la force sacr&eacute;e de la vie par la foi au message de J&eacute;sus, ils t&eacute;moignent du salut de Dieu dans un monde d&eacute;sordonn&eacute;.<br />Ces t&eacute;moignages sont des paroles pleines de puissance et laissent les autres libres. Ils ne s&rsquo;imposent pas &agrave; eux, et, si cela ne les int&eacute;resse pas, ils peuvent porter leur regard ailleurs. Les missionnaires pourront se rendre compte qu&rsquo;un t&eacute;moignage d&eacute;sint&eacute;ress&eacute; &ndash; qui laisse libre &ndash; peut &ecirc;tre un sujet d&rsquo;agacement et entra&icirc;ner de la haine. Cela fait aussi parti du chemin de ceux qui suivent J&eacute;sus. Mais le t&eacute;moignage lui-m&ecirc;me reste pacifique, tout en laissant libre, dans le respect des convictions. C&rsquo;est alors que, comme cela arrive partout dans le monde, les hommes sont interpell&eacute;s et qu&rsquo;ils cherchent la source de ces t&eacute;moignages, le moment est venu de leur annoncer l&rsquo;Evangile.<br />5.) L&rsquo;attrait de l&rsquo;Evangile<br />Qu&rsquo;est-ce qui rend l&rsquo;Evangile attrayant, par exemple pour les Javanais ? (27) Pour les Javanais, il n&rsquo;est pas difficile de r&eacute;aliser que Dieu est venu &agrave; nous comme l&rsquo;un des n&ocirc;tres, qu&rsquo;il a attir&eacute; &agrave; lui les pauvres, les faibles, ceux qui souffrent et sont opprim&eacute;s, que nous avons re&ccedil;u de lui l&rsquo;Esprit et que nous sommes li&eacute;s &agrave; lui par J&eacute;sus comme le sarment sur le cep et que tout sera toujours renouvel&eacute; dans la c&eacute;l&eacute;bration du myst&egrave;re de l&rsquo;Eucharistie. Mais l&rsquo;Evangile annonce aussi un &eacute;tat de chose qui n&rsquo;a peut-&ecirc;tre pas &eacute;t&eacute; suffisamment pris en compte dans les traditions religieuses javanaises et qui peut tout &agrave; fait v&eacute;hiculer une exp&eacute;rience lib&eacute;ratrice : l&rsquo;union avec la gr&acirc;ce divine &ndash; cette gr&acirc;ce est offerte aux p&eacute;cheurs et nous n&rsquo;avons pas besoin de dissimuler le mal pr&eacute;sent en nous &ndash;, ce sont les v&eacute;rit&eacute;s essentielles des hommes, qui ont &eacute;t&eacute; mises de c&ocirc;t&eacute; dans la spiritualit&eacute; javanaise. La Croix est le symbole de la d&eacute;livrance et nous pouvons aller ensemble avec J&eacute;sus sur le chemin du mal. Mais tout discours n&rsquo;aura d&rsquo;effets que si les Javanais prennent connaissance de la r&eacute;alit&eacute; de l&rsquo;Eglise et du fait que la vie avec l&rsquo;Evangile est positive, lib&eacute;ratrice et inspirante, qu&rsquo;elle prot&egrave;ge et soulage. Il y a aussi beaucoup de choses dans la vie de nos communaut&eacute;s qui, pour les Javanais, parlent de Dieu : la pri&egrave;re int&eacute;rieure personnelle, qui n&rsquo;est que peu mise en valeur dans la religion musulmane, la chaleur myst&eacute;rieuse qui invite souvent &agrave; s&rsquo;arr&ecirc;ter dans les &eacute;glises catholiques et quelque chose de la pr&eacute;sence de Dieu que, pour ainsi dire, on peut sentir, le chapelet et les litanies, les signes de croix, l&rsquo;eau b&eacute;nite, l&rsquo;encens, les images saintes et les statues, le chemin de croix et les neuvaines, les p&egrave;lerinages et toute la liturgie, les saints et naturellement la M&egrave;re de Dieu, &laquo; tout ce qui est typiquement catholique &raquo; (28). Il faut bien s&ucirc;r ajouter les pr&ecirc;tres, les religieuses et les moines, que les Javanais voient comme d&eacute;tenteurs d&rsquo;un pouvoir spirituel et d&rsquo;une proximit&eacute; particuli&egrave;re &agrave; Dieu. Mais ce qui est d&eacute;cisif est que, dans la r&eacute;alit&eacute; de la communaut&eacute; de ceux qui croient en J&eacute;sus, les hommes aient pu voir le commandement de l&rsquo;amour et l&rsquo;interdiction absolue de laisser la haine entrer dans leur c&oelig;ur.<br />On peut aussi se demander ce qui peut rendre attrayant l&rsquo;Evangile pour les musulmans. Pour eux, Dieu est avant tout &laquo; la cl&eacute;mence et la consolation &raquo; (&laquo; Bismillah &raquo;, premi&egrave;re sourate du Coran). Celui qui s&rsquo;ouvre &agrave; J&eacute;sus conna&icirc;t cette mis&eacute;ricorde d&rsquo;une mani&egrave;re particuli&egrave;re. Une fois renonc&eacute; &agrave; ce qui a &eacute;t&eacute; dit plus haut, notamment sur la forme tr&egrave;s &laquo; catholique &raquo; de la pri&egrave;re, qui s&rsquo;oppose &agrave; l&rsquo;importance de la parole dans l&rsquo;islam sunnite, l&rsquo;invitation sans &eacute;quivoque de J&eacute;sus pourrait probablement &ecirc;tre vue par les musulmans comme acceptable &ndash; ne pas laisser la haine dans un coin de son c&oelig;ur, renoncer absolument &agrave; toute vengeance, &ecirc;tre toujours pr&ecirc;t &agrave; pardonner. Elle repr&eacute;senterait un signe singulier de Dieu. La le&ccedil;on de la croix et l&rsquo;absolue mis&eacute;ricorde du salut pourraient ouvrir aux musulmans les dimensions de Dieu d&rsquo;un point de vue chr&eacute;tien, puisqu&rsquo;ils ne les prennent pas en consid&eacute;ration, du fait du fort attrait qu&rsquo;ont pour eux la victoire et le m&eacute;rite.<br />Vivre &agrave; la suite de J&eacute;sus entra&icirc;ne v&eacute;ritablement l&rsquo;homme et, pour beaucoup d&rsquo;hommes du XXIe si&egrave;cle, pr&eacute;cis&eacute;ment en Asie, Il constitue une profonde attraction. En revanche, c&rsquo;est ce qui peut d&eacute;courager les missionnaires, &eacute;tant donn&eacute; la responsabilit&eacute; qui leur incombe : quelle responsabilit&eacute; avons-nous l&agrave; ! Les hommes doivent, en effet, tout apprendre de nous, du peuple de Dieu, de l&rsquo;Eglise et plus sp&eacute;cifiquement de leurs missionnaires. Or, les discours vides n&rsquo;ont aucune force. Seule l&rsquo;exp&eacute;rience qu&rsquo;il existe v&eacute;ritablement une vie selon J&eacute;sus rend notre t&eacute;moignage plausible. Cette responsabilit&eacute; du t&eacute;moignage de l&rsquo;Evangile ne serait rien &agrave; porter, si nous ne savions pas que J&eacute;sus conna&icirc;t notre insuffisance ; malgr&eacute; cela, il nous a appel&eacute;s ; pour cela, il nous a envoy&eacute; son Esprit. Nous, missionnaires, sommes conscients que, par notre t&eacute;moignage, nous rendons obscur ce qui est &agrave; annoncer, mais nous voulons, malgr&eacute; tout, donner notre confiance &agrave; celui qui nous a dit qu&rsquo;il serait avec nous jusqu&rsquo;&agrave; la fin des temps (Mt. 28,20). Et nous croyons avec saint Paul que, dans notre faiblesse, la force de Dieu nous vient en abondance (2 Cor. 12,9).<br />6.) L&rsquo;avenir de l&rsquo;Eglise<br />Qu&rsquo;en conclusion, quelques r&eacute;flexions sur l&rsquo;Europe me soient permises. Il me semble que 450 ans apr&egrave;s la mort de saint Fran&ccedil;ois d&rsquo;Assise, des t&eacute;moins comme lui nous seraient beaucoup plus n&eacute;cessaires aujourd&rsquo;hui. Les hommes ont plus que jamais besoin du t&eacute;moignage du salut de Dieu, &agrave; la suite de J&eacute;sus. La s&eacute;cularisation quasi totale qui s&rsquo;est empar&eacute;e de l&rsquo;Europe occidentale ne signifie pas autre chose qu&rsquo;une r&eacute;sistance de l&rsquo;Eglise (&agrave; ce ph&eacute;nom&egrave;ne) et ne lui ouvre aucun avenir. Alors qu&rsquo;en fait, l&rsquo;Eglise a un avenir. Elle a un avenir en tant qu&rsquo;Eglise missionnaire effective. L&rsquo;&eacute;panouissement de tout ce qui est possible, jusqu&rsquo;&agrave; des cultes en partie obscurs auxquels pr&eacute;tend la soci&eacute;t&eacute; de consommation, n&rsquo;a pas encore permis, aujourd&rsquo;hui, de r&eacute;pondre &agrave; la question des hommes sur le sens de leur vie. Non seulement la souffrance, la mort, mais aussi l&rsquo;incapacit&eacute; croissante de construire des relations intimes durables, le constant vacillement de la d&eacute;fiance, le sentiment d&rsquo;&laquo; alt&eacute;rit&eacute; &raquo; ou de &laquo; diff&eacute;rence &raquo;, celui d&rsquo;&ecirc;tre livr&eacute; &agrave; des m&eacute;canismes, comme les march&eacute;s financiers mondialis&eacute;s, tout ceci appelle une r&eacute;ponse. De plus, le temps des grandes th&eacute;ories et des grandes id&eacute;ologies, qui, au XXe si&egrave;cle, avaient offert une solution profane, est r&eacute;volu.<br />Il existe une grande demande, cela ne fait aucun doute, pour une Eglise qui, &agrave; nouveau, apprend &agrave; &ecirc;tre le petit troupeau de Dieu, et qui, sciemment, donne le t&eacute;moignage de sa foi. Assur&eacute;ment, l&rsquo;Eglise n&rsquo;est encore qu&rsquo;au milieu d&rsquo;un processus hautement p&eacute;nible et douloureux qui est celui de relever un d&eacute;fi. Mais cela ne devrait pas &ecirc;tre une raison de pessimisme. Saint Fran&ccedil;ois Xavier enthousiasmait les &eacute;tudiants des universit&eacute;s europ&eacute;ennes en leur demandant d&rsquo;&ecirc;tre missionnaires. Quand les chr&eacute;tiens trouveront le courage de faire confiance &agrave; leur propre enthousiasme, l&rsquo;Eglise continuera &agrave; &ecirc;tre missionnaire.<br /><br />