Eglises d'Asie – Divers Horizons
Document N° 10 D/2007 : Les défis des Eglises d’Asie aujourd’hui
Publié le 18/03/2010
Ma compétence – si je peux prétendre en avoir une – résul-te de vingt-deux ans de présence au Bureau asiatique de l’Institut de missiologie de Missio à Aix-la-Chapelle, en Allemagne. J’ai pu y observer le développement des Eglises d’Asie dans l’optique des théologies contextuelles, de la théologie des religions et du dialogue interreligieux dans la théologie asiatique, pour le journal bibliographique de l’Institut Theology in Context. Pendant plus de dix ans, j’ai pris part aux réunions annuelles de la Commission de Conseil théologique, appelée maintenant le Bureau des Questions théologiques de la Fédération des Conférences épiscopales d’Asie (FABC), d’abord comme observateur, puis comme participant. Mes nombreux voyages en Asie m’ont mis en contact, même brièvement, avec la plupart des pays asiatiques et avec leurs Eglises catholiques.
Brièvement, la structure de mon exposé, qui relève du thème général des études de l’East Asian Pastoral Institute (EAPI) : 40 ans après Vatican II, sera la suivante :
Je commencerai par revenir dans une première partie sur La situation des Eglises d’Asie avant Vatican II, en donnant rapidement les caractéristiques de la situation générale de l’Eglise dans quelques pays asiatiques ainsi que l’état de leur théologie à l’époque.
Je traiterai dans une deuxième partie de La signification de Vatican II pour les Eglises d’Asie, en citant quelques contributions d’évêques asiatiques à Vatican II et en évoquant la création de la FABC ainsi que la mise en place de Vatican II dans quelques pays asiatiques.
Je ferai, dans une troisième partie, une rapide description de Quelques caractéristiques des Eglises catholiques en Asie.
Une quatrième partie abordera le sujet proprement dit de mon exposé, à savoir : Les défis posés aux Eglises d’Asie, en présentant quelques figures charismatiques et prophétiques de ces Eglises.
Enfin, une cinquième partie résumera Les défis théologiques de la modernité aujourd’hui.
1.) La situation des Eglises d’Asie avant Vatican II Un rapide survol de quelques pays asiatiques
Vatican II a marqué une rupture dans l’histoire de l’Eglise. Pour les Eglises d’Asie, ce concile a été le commencement d’une nouvelle manière d’être de l’Eglise, d’une nouvelle liturgie, d’une nouvelle théologie, tout simplement d’une nouvelle façon de vivre la foi. Avant le concile, les Eglises d’Asie étaient encore pour la plupart des « territoires de mission » aux mains de différents ordres missionnaires étrangers ou de différentes congrégations, mais elles n’étaient pas vraiment des Eglises locales de plein droit. Si nous regardons maintenant la situation de l’Eglise catholique dans différents pays d’Asie, nous constatons un certain nombre de traits communs.
Le premier est l’effort déployé pour répondre aux changements politiques, économiques, culturels et sociaux qui se sont produits à la fin de la guerre du Pacifique en 1945, marquant la défaite du Japon impérial, mais également la fin de l’entreprise coloniale des nations européennes à la suite de l’émergence de pays indépendants. Pour les missions catholiques, de nouvelles perspectives s’ouvraient dans quelques pays, alors que de nouveaux obstacles et de nouveaux dangers apparaissaient dans d’autres.
Dans les premières années après la guerre et la défaite du Japon, l’Asie est apparue comme un territoire de mission prometteur et des milliers de missionnaires européens et américains sont accourus pour y construire des écoles et des universités, ainsi que pour se livrer à toute sorte d’actions sociales qui gagneraient des convertis au christianisme. Le grand attrait qu’eut le christianisme au Japon ne dura guère et le nombre des baptêmes y décrut très vite.
En 1949, alors qu’en Chine, les missionnaires étrangers sont expulsés après la victoire communiste de Mao Zedong dans la guerre civile qui l’oppose aux forces du Guomindang, sous le commandement de Jiang Jieshi (Tchang Kai-shek), l’Eglise catholique se retrouve isolée, sans lien avec Rome et le pape. Les évêques chinois ne sont pas non plus autorisés à prendre part aux préparations ni aux sessions du concile. Les catholiques de Chine continentale devront attendre les années 1990 pour connaître les nombreux changements qu’ont apportés Vatican II. C’est alors seulement qu’ils arrêtèrent de célébrer la messe en latin, au profit du chinois.
Durant la guerre civile en Corée (1950-1953), l’Eglise catholique de Corée du Nord fut complètement détruite, alors que le nombre des chrétiens, catholiques et protestants, s’est considérablement accru en Corée du Sud.
Le Vietnam, également touché par la guerre civile, a vu la plupart des catholiques fuir le Nord du pays, région sous contrôle communiste, pour s’installer dans le Sud, où l’Eglise catholique, sous la protection du président catholique Ngo Dinh Diem (1955-1963), était en position de force.
Dans le sous-continent indien, l’Eglise catholique a connu la tourmente et les violences qui ont accompagné la partition du pays. Les catholiques tentèrent, dans l’Union indienne qui venait d’être créée, comme dans le nouvel Etat du Pakistan, de faire oublier les stigmates de leur allégeance aux anciens maîtres coloniaux et de se montrer des citoyens patriotiques et loyaux.
Au Sri Lanka devenu indépendant, l’Eglise catholique a été mêlée au conflit avec le gouvernement et s’est vue confisquer toutes ses écoles.
L’état de la théologie en Asie avant Vatican II
Avant Vatican II, dans tous les pays missionnaires asiatiques, la théologie catholique était enseignée uniquement dans les grands séminaires diocésains et dans les centres de formations des ordres religieux. Les professeurs enseignant dans ces institutions étaient recrutés, pour la plupart, parmi les missionnaires européens ou américains. La théologie était souvent enseignée en latin et rarement dans la langue du pays. Elle consistait essentiellement en la lecture de traductions de traités de théologie scholastique, en vogue à l’époque. Elle ne faisait aucune référence au contexte spécifique religieux ou culturel du pays. Les premiers essais timides de prise en compte de ce contexte dans la réflexion théologique étaient encore appelés « accommodation », terme technique que les missionnaires jésuites avaient introduit en Inde et en Chine aux XVIIème et XVIIIème siècles, mais qui avait été rejetés par les autorités romaines après la fameuse et infamante Controverses des rites.
Des efforts importants pour développer de nouvelles conceptions dans la catéchèse et la liturgie après Vatican II furent réalisés par le P. Johannes Hofinger, s.j., ancien missionnaire en Chine, qui ouvrit un centre catéchétique à Manille, ensuite développé par l’East Asian Pastoral Institute. Dans les années qui ont suivi Vatican II, le P. Hofinger a organisé des semaines d’études catéchétiques et liturgiques à Nimègue (1959) à Eichstätt (1960), à Bangkok (1962), à Katigondo (1964) et, après le concile, à Manille (1967) et à Medellin (1968).
Dans les années qui ont suivi Vatican II, l’œcuménisme – c’est-à-dire le travail de rassemblement dans l’unité des Eglises chrétiennes et de celles d’autres dénominations – n’était pas encore un problème important dans les Eglises missionnaires asiatiques. Après tout, l’activité missionnaire des groupes de missions protestantes était plutôt considérée comme une gêne qui perturbait le travail de l’Eglise catholique. Les antagonismes entre les différentes Eglises chrétiennes étaient si profonds que, même aujourd’hui, en Chine et dans d’autres pays asiatiques, catholicisme et protestantisme sont officiellement traités comme deux religions complètement différentes.
A cette époque, les autres traditions religieuses étaient vues d’entrée comme des ennemis des missions chrétiennes et elles devaient être contenues, sinon combattues. Les autres religions elles-mêmes devaient être plutôt jugées comme destinées à être remplacées par le christianisme. Le but de toute activité missionnaire était défini comme plantatio ecclesia, c’est-à-dire, la mise en place des structures de l’Eglise. C’était donc une entreprise centrée sur l’Eglise elle-même.
2.) La signification de Vatican II pour les Eglises d’Asie Les contributions des évêques asiatiques à Vatican II
Les évêques des Eglises missionnaires d’Asie, ou des jeunes Eglises comme on les appelait alors, ne participèrent guère aux travaux préparatoires, ni aux sessions du concile Vatican II (1962-1965). La majorité des évêques d’Asie venaient des sociétés missionnaires étrangères, mais pas encore du clergé local. Les Pères conciliaires des Eglises d’Asie, des Eglises minoritaires, ne se connaissaient pas ; ils ne connaissaient pas non plus la situation des Eglises catholiques des autres pays d’Asie. Les quatre sessions du Concile furent donc une occasion extraordinaire pour eux de faire connaissance et de découvrir ce que les chrétiens d’Asie avaient en commun, notamment en matière pastorale, théologique et sociale. Ce fut durant ces sessions que naquit l’idée de créer la FABC. La contribution des évêques asiatiques aux différents documents de Vatican II concernait plus particulièrement les domaines suivants :
– la liturgie (pour le choix des langues vernaculaires) ;
– l’œcuménisme (pour déplorer le scandale de la division des chrétiens dans l’œuvre missionnaire) ;
– la missiologie (pour insister sur l’importance primordiale de l’activité missionnaire dans chaque Eglise locale) ;
– la théologie des religions (pour postuler que le concile devrait traiter du judaïsme, de même que de l’attitude générale envers les autres traditions religieuses, ouvrant ainsi la voie à la déclaration Nostra Aetate).
Les caractéristiques résumées des enseignements de l’hindouisme, du bouddhisme et de l’islam dans Nostra Aetate furent préparées par des experts, Joseph Neuner, s.j., pour l’hindouisme, Heinrich Dumoulin, s.j., pour le bouddhisme et Georges Anawati, o.p., pour l’islam.
Les évêques des pays de mission d’Asie et d’Afrique furent également très actifs dans les discussions menant au « Décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise » (Ad Gentes). Les Pères conciliaires d’Asie, Mgr Geise, évêque de Bogor, Mgr Cordeiro, évêque (puis cardinal) de Karachi, et Mgr Yupin, archevêque (puis cardinal) de Nankin, résidant à Taipei, tous insistèrent sur le fait que l’activité missionnaire restait une « question de vie ou de mort », même si l’Eglise adoptait une attitude nouvelle envers les autres traditions religieuses. L’engagement de l’Eglise dans l’amélioration du niveau de vie des pays en développement, de même que son attitude envers les autres religions, ne devaient pas diminuer l’accent à porter sur son activité missionnaire. Même si l’on admet que l’Esprit Saint agissait avant l’arrivée des missionnaires et qu’il continue d’agir dans les autres religions, l’Eglise devait rester la seule voie du Salut. Ce n’était que dans l’Eglise, « sacrement universel du Salut », que se trouvait le Salut. A l’époque, les Pères conciliaires n’avaient pas trouvé de réponse convaincante, d’un point de vue théologique, au dilemme opposant la nécessité de la mission au nouvel éclairage théologique sur la fonction salvatrice des autres traditions religieuses. Le Décret sur la mission (AG 7) stipule seulement : « Ainsi donc, bien que Dieu puisse mener à la foi, par des voies connues de Lui seul, ceux qui en toute bonne foi ignorent l’Evangile – ce qui, en soi, fait qu’il est impossible de Lui plaire (Hb, 11, 6) –, il n’en demeure pas moins que l’Eglise (cf. 1 Co 9, 16) a le devoir sacré de prêcher l’Evangile. D’où il ressort que l’activité missionnaire conserve aujourd’hui encore son pouvoir et sa nécessité. »
La création de la FABC – « le fruit » le plus important de Vatican II pour les Eglises d’Asie
Ce qu’ont appris les évêques asiatiques durant les sessions du concile a conduit à une forme de coopération respective sur le continent asiatique, qui a finalement donné naissance à la FABC. Les évêques asiatiques ont réalisé que seule une collaboration continue entre eux pouvait permettre de relever les nombreux défis que posaient les nouvelles perspectives de Vatican II, pour leurs minuscules Eglises dispersées sur une immense partie de la terre. L’Assemblée plénière des évêques latino-américains à Medellin, en 1968, qui a abouti à la création de la Conferencia latino-americana a servi de modèle. Deux ans plus tard, en 1970, les évêques d’Asie prirent prétexte de la visite du pape Paul VI à Manille pour créer la FABC. Bien que Rome n’ait pas encouragé la collaboration entre les Eglises d’un même continent, la FABC a développé pendant ses 35 années d’existence une organisation efficace d’une grande importance pour ses membres et ses associés des Eglises d’Asie. Les assemblées plénières et les nombreux programmes d’études pour les évêques dans les domaines de l’apostolat social, du dialogue interreligieux, de l’apostolat laïque, de la réflexion théologique et autres ont permis aux Eglises d’Asie de trouver des terrains communs pour leurs activités pastorales et leurs orientations théologiques.
Ce qui a eu le plus d’importance pour la pastorale et la théologie a été la formule du « triple dialogue » :
– Dialogue avec les cultures dans le travail d’inculturation ;
– Dialogue avec les religions dans le développement d’une théologie des religions ;
– Dialogue avec les pauvres dans l’apostolat social pour leur intégration.
La Commission de conseil en théologie (TAC, Theological Advisory Commission), aujourd’hui le Bureau des Questions théologiques (OTC, Office of Theological Concerns), a joué un rôle important dans le développement d’une approche spécifiquement asiatique de la méthodologie théologique et de la théologie de l’harmonie.
La mise en œuvre de Vatican II dans les Eglises d’Asie
Vatican II représentait, pour les Eglises missionnaires et celles minoritaires en Asie, une formidable incitation à la mise en œuvre des nouvelles perspectives théologiques de la mission de l’Eglise dans le monde moderne, en interprétant « les signes des temps » dans les différentes activités pastorales, missionnaires, œcuméniques, interreligieuses et sociales.
Pour les autres Eglises d’Asie, l’Eglise de l’Inde a été exemplaire dans mise en œuvre de Vatican II. Sous la direction de son fondateur, D.S. Amalorpavadass (1932-1990), le National Biblibal Liturgical and Catechetical Center de Bangalore (NBCLC), fondé en 1966, est devenu le catalyseur du renouveau dans l’Eglise de l’Inde. Les nombreux séminaires, où les études se poursuivaient sur de nombreuses années, ont offert aux évêques, aux prêtres, aux religieux et aux laïcs de nouveaux aperçus sur la Bible, la catéchèse et la liturgie. Le développement d’une messe à l’indienne (Indian anaphora), avec l’utilisation de lampes à huile à la place des bougies, l’usage des danses, fleurs, gestes, chants et instruments de musique provenant des traditions hindoues, fut une importante contribution à l’inculturation de la liturgie chrétienne en Inde. L’opposition de certains fidèles autochtones et l’intervention des autorités de Rome mirent toutefois fin à de nouveaux développements. En mars 1969, le All India Seminar for a Church in India Today, qui s’est tenu à Bangalore, fut probablement l’événement le plus important de l’histoire récente de l’Eglise en Inde, car il donna un élan extraordinaire à l’acceptation du concile.
Au Sri Lanka, en 1975, Mgr Leo Nayakkara, évêque de Badulla, créa avec le P. Michael Rodrigo, OMI, un grand séminaire alternatif qui adopta des méthodes de formation non conventionnelles consistant à envoyer les séminaristes vivre dans les villages et suivre, en plus des cours traditionnels de philosophie et de théologie, des conférences de sociologie, de management et d’anthropologie. Cette expérience de formation alternative prit fin avec la mort prématurée de l’évêque, en 1985. Le P. Michael Rodrigo développa alors un nouveau concept de « Dialogue de vie au village » entre chrétiens et bouddhistes. Son engagement social pour les paysans pauvres irrita les grands propriétaires terriens, qui organisèrent son assassinat le 10 novembre 1987, pendant la célébration de la messe, parce qu’il avait refusé de retirer son soutien aux paysans pauvres.
Une autre figure pionnière du dialogue entre chrétiens et bouddhistes est le jésuite Aloysius Pieris, directeur du Centre d’études et de dialogue de Tulana. Par sa contribution à la christologie, à l’ecclésiologie, à la théologie des religions et à la théologie de la libération, le P. Pieris a eu une influence décisive sur la théologie asiatique.
Au Pakistan, l’Institut pastoral des frères dominicains, à Multan, créé en 1970, a fortement contribué à l’acceptation de Vatican II.
Pour l’Eglise catholique en Malaisie, Vatican II a apporté une nouvelle compréhension du rôle des laïcs dans la mission de l’Eglise. En 1976, les évêques de Malaisie ont passé un mois de réflexion pastorale, connu sous le nom d’« Aggiornamento 1976 ». Tous les prêtres du pays ont pris part à une retraite de trente jours pour analyser la situation pastorale du pays afin de développer un plan pastoral national. Pendant ce temps, les laïcs étaient laissés à eux-mêmes pour organiser la vie des paroisses et tenir les offices du dimanche.
Les évêques indonésiens ont pris en compte les perspectives du concile en mettant en place un Bureau national de la Conférence des évêques, avec des sections spécialisées pour la liturgie, le dialogue, l’apostolat social et les autres domaines. Le Congrès catholique indonésien qui s’est tenu à Djakarta, en 1972, a donné un élan puissant à l’engagement des catholiques en matière de développement. Les tentatives répétées des évêques indonésiens d’obtenir l’accord de Rome pour l’ordination à la prêtrise de catéchistes (viri probati) ont, toutefois, été constamment repoussées.
Aux Philippines, l’Eglise catholique a joué un rôle majeur dans le domaine de l’apostolat social. Fondé en 1966, le Secrétariat national pour l’action sociale (NASSA), avec ses différents départements, a exercé une grande influence, par ses programmes d’actions, ses cours de formation et sa documentation. Des évêques, mais surtout aussi des membres de congrégations religieuses ont pris l’initiative de travailler pour une « Eglise des pauvres ». Un rôle important a été joué par les Communautés chrétiennes de base, qui s’étaient développées dans tout le pays. Un rôle prophétique a été tenu par la Mindanao-Sulu-Pastoral Conference, qui, tous les trois ans depuis 1971, a réuni des évêques, des prêtres, des religieux et des laïcs des diocèses de Mindanao et de Sulu, pour discuter des problèmes pastoraux communs et développer de nouvelles stratégies.
En Corée, l’influence de Vatican II a été particulièrement décisive dans le domaine de l’apostolat social et dans la défense des droits de l’homme, face à la dictature militaire du pays (1961-1979). Les Membres des ouvriers catholiques et l’Organisation des paysans catholiques furent le fer de lance de la résistance. Trois figures prophétiques jouèrent, à l’époque, un rôle important : Mgr Daniel Tji Hak-Soun (1921-1993), évêque de Wonju, Mgr Stephen Kim Sou-Hwan, cardinal-archevêque de Séoul, et le poète catholique Kim Chi-Ha. Ce furent les voix les plus fortes qui s’élevèrent dans le pays pour critiquer la situation politique et les violations des droits de l’homme dans le pays. Quand en 1974, Mgr Tji Hak-Soun fut arrêté et détenu pendant sept mois, un réveil politique de l’Eglise catholique se produisit dans tout le pays. Les poèmes, les pièces de théâtre et les sketches du poète catholique Kim Chi-Ha critiquèrent sévèrement et ridiculisèrent même la politique du régime militaire. La publicité faite autour de son œuvre littéraire conféra à Kim Chi-Ha l’aura d’une figure nationale de la résistance au régime et il devint une menace pour le gouvernement. Les écrits de Kim Chi-Ha devinrent également source d’inspiration de la « Théologie Minjung », l’équivalent coréen de la théologie de la libération.
Au Japon, les impulsions de Vatican II se firent moins sentir dans le domaine théologique. En revanche, elles conduisirent à de nouveaux développements dans le domaine du dialogue interreligieux. Sous la direction de missionnaires étrangers comme Heinrich Dumoulin et Hugo Enomiya-Lassalle, différents prêtres catholiques, religieux et laïcs furent formés dans des monastères au bouddhisme Zen et inventèrent de nouvelles formes de méditation chrétienne sur la base du Zen. Au Japon, fut créé le mouvement « Intermonastic Dialogue », qui rassemblait des chrétiens, des moines et des moniales bouddhistes qui partagèrent la vie monastique de l’autre tradition pendant un certain temps.
3.) Quelques caractéristiques des Eglises catholiques en Asie
1.) L’image d’un « produit étranger importé ». Cette caractéristique résulte du fait que les Eglises d’Asie sont nées de l’activité missionnaire de l’Europe ou des Etats-Unis. Au cours du XIXème siècle, durant l’expansion coloniale et impérialiste des puissances occidentales dans plusieurs pays d’Asie, l’entreprise missionnaire fut à son apogée. Ainsi que l’a admis le pape Jean-Paul II, dans une reconnaissance, par ailleurs assez rare, des fautes commises par l’Eglise, les missionnaires étaient assez proches des puissances coloniales, sinon de connivence avec elles. Jusqu’à présent, les Eglises catholiques de quelques pays d’Asie – comme par exemple la République populaire de Chine, le Vietnam et l’Inde – sont encombrées de ce fardeau colonialiste, qui est devenu évident quand le pape a canonisé des martyrs de Chine et du Vietnam, qui avaient perdu la vie lors de soulèvements anticoloniaux des XVIIIème et XIXème siècles.
Une autre caractéristique, observée dans certains pays d’Asie, est que la majorité des catholiques qui y vivent n’appartiennent pas à la population locale, mais proviennent de l’émigration de pays voisins. C’est le cas de la Thaïlande, de la Malaisie, du Cambodge et plus récemment du Japon. En Thaïlande, la majorité des catholiques sont d’origine chinoise ou vietnamienne. En Malaisie, le groupe ethnique le plus important parmi les catholiques est de descendance chinoise. L’Eglise catholique du Cambodge est principalement composée d’immigrés vietnamiens qui vivent dans le pays depuis plus ou moins longtemps. Au Japon, l’Eglise catholique a connu un certain afflux de catholiques étrangers venant du Brésil, des Philippines ou d’autres pays, en qualité de « travailleurs étrangers ». Actuellement, le nombre de ces catholiques a dépassé celui des fidèles originaires du Japon.
2.) En Asie, la plupart des communautés catholiques sont très minoritaires ; elles vivent et travaillent dans des sociétés multiculturelles et pluri-religieuses, exception faite des Philippines et du Timor-Oriental. Les chrétiens d’Asie ont donc une responsabilité particulière dans la création de nouvelles formes de vie commune avec leurs frères et sœurs d’autres religions.
3.) En Asie, les divisions entre chrétiens sont profondément ressenties comme des obstacles à une image crédible de l’Evangile. Les divergences confessionnelles des entreprises missionnaires des Eglises chrétiennes ont de facto provoqué « l’exportation des divisions », qui perpétue et amplifie le scandale de la division des chrétiens, qui s’est produit au XVIe siècle, mais est toujours vivace aujourd’hui.
4.) Un autre point commun des Eglises d’Asie est celui de leur dépendance vis-à-vis des Eglises mères d’Europe. Elles sont financièrement dépendantes des allocations annuelles qui leur sont versées pour faire fonctionner leurs différentes institutions. Encore plus important est la dépendance dans laquelle elles se trouvent par rapport aux autorités de Rome qui contrôlent la plupart de leurs activités et insistent sur l’uniformité de leur travail selon des règlements centralisateurs élaborés par la curie.
5.) Une autre caractéristique de l’Eglise catholique en Asie est sa grande dépendance vis-à-vis des institutions éducatives et sociales, comme les écoles, les hôpitaux, les orphelinats et les centres sociaux. Pour les hindous et les bouddhistes, l’accent mis sur les actions sociales par les Eglises chrétiennes soulève la question de savoir si le christianisme est réellement une religion ou plutôt un mouvement d’entraide sociale (1).
4.) Les défis posés aux Eglises d’Asie : la thèse du guide
La véritable universalité de la foi chrétienne reste encore à découvrir. Dans le passé et encore maintenant, la foi chrétienne s’est répandue sous la forme culturellement et historiquement limitée du christianisme occidental. Celui-ci a marqué un tournant, en ce sens que sa contribution la plus durable a été la naissance de l’Eglise catholique mondiale (Karl Rahner), qui se concrétise dans l’union des Eglises locales. La collégialité entre les évêques et entre les Conférences épiscopales nationales et la collaboration, selon de nouveaux principes, entre les Conférences épiscopales continentales, comme la CELAM pour l’Amérique latine, le Symposium des Conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar (SECAM) pour l’Afrique, signifient de nouvelles façons d’être Eglise et de vivre la communion dans l’Eglise. Les décennies qui ont suivi Vatican II ont toutefois montré un retour à la centralisation de toutes les fonctions ecclésiales par la curie romaine.
Le défi pour les Eglises d’Asie – et pour les mêmes raisons, pour les Eglises d’Amérique latine et d’Afrique – sera de briser les entraves d’un christianisme mono-culturel, de vivre l’Evangile de façon spécifiquement asiatique et d’être l’Eglise. Ce sera une magnifique contribution pour une réelle universalité de la foi dans la communion des Eglises, en vivant les différentes formes de vie chrétienne « dans l’unité dans la diversité ».
« Que celui qui a des oreilles, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Eglises » (Ap 2,7). Pour répondre aux défis posés par la situation politique, économique, sociale, religieuse et culturelle dans les sociétés asiatiques, les évêques, les prêtres, les religieux et les laïcs devront discerner les « signes du temps et les interpréter à la lumière de l’Evangile ». Cette tâche implique que l’Eglise reconnaisse et comprenne le monde dans lequel nous vivons, ses attentes, ses aspirations et ses caractéristiques souvent dramatiques (GS 4).
L’Inde
Pendant longtemps, les chrétiens de l’Inde ont été mis à l’épreuve par Gandhi, fasciné par le Sermon sur la Montagne mais incapable de trouver un Esprit aussi vivant dans les Eglises chrétiennes. Nous avons rencontré Ambedkar, alors qu’il recherchait une solution pour sortir du carcan du système des castes, et qui, s’étant tourné vers le christianisme – où aucune différence n’existe entre hommes et femmes, entre hommes libres et esclaves du fait qu’on soit tous un en Jésus Christ – n’a pas pu trouver, comme Gandhi, cette vérité profonde dans la communauté chrétienne qu’il connaissait.
En Inde, il existe le témoignage de Mère Teresa et de ses sœurs qui vivent de l’amour de servir les opprimés, les faibles, les malades et les mourants. Elles sont critiquées parce qu’en agissant de la sorte, elles ne s’attaquent pas aux causes de la pauvreté, mais donnent, au contraire, des excuses à ceux qui exploitent les gens et qui peuvent penser que tout ne va pas si mal.
En Inde, nous trouvons le réveil des chrétiens dalits, qui constituent la majorité des fidèles de l’Eglise et qui mettent en avant Jésus, qui a choisi de s’abaisser pour devenir l’un des leurs et mourir pour eux sur la Croix. En réponse, les théologiens chrétiens comme Michael Amaladoss, Samuel Rayan, Sebastian Kappen et Felix Wilfed ont développé la théologie du Subalterne.
En Inde également, nous trouvons une unique Eglise catholique, divisée en trois rites – un privilège octroyé par Dieu ou bien un scandale ? Les conflits et les querelles sur la question des rites et sur les structures ecclésiales ont des conséquences négatives sérieuses sur le travail de l’Eglise catholique en Inde et atténuent son témoignage aux yeux du grand public.
Le Sri Lanka
Au Sri Lanka, l’Eglise catholique doit relever le défi d’apporter la paix dans le conflit entre Cinghalais et Tamouls. On trouve des catholiques des deux côtés et par conséquent, ils sont appelés à devenir des « bâtisseurs de ponts ».
Pourquoi donc l’Eglise catholique du Sri Lanka ignore-t-elle pratiquement l’œuvre d’Aloysius Pieris, un théologien connu dans toute l’Asie et au-delà, dont les idées sont de première importance aussi bien dans le domaine d’une théologie spécifique à l’Asie que dans le dialogue entre chrétiens et bouddhistes ? Aloysius Pieris a appris de sa rencontre avec les bouddhistes que l’essence du christianisme repose sur la croyance que « les pauvres sont les vicaires du Christ ». C’est sa contribution spécifique majeure. Le chrétien croit que Dieu, le créateur du ciel et de la terre, s’est abaissé jusqu’à devenir un serviteur (Phil 2, 6-11), jusqu’à mourir sur la Croix, être ressuscité par son Père et vivre pour l’éternité parmi les malades, les captifs, parmi les pauvres et les opprimés de cette terre.
Le Pakistan
Au Pakistan, nous avons l’héritage de Mgr John Joseph, qui mit fin à ses jours sur les marches du tribunal de Lahore le 6 mai 1998 pour s’élever contre le harcèlement juridique continu dont sont victimes les chrétiens, du fait de la législation anti-blasphème. En tant que président de la Commission ‘Justice et Paix’ de la Conférence des évêques du Pakistan, il avait mené avec une grande intensité le combat contre les lois anti-blasphème. Le décès de Mgr John Joseph a été vécu comme un choc et avec perplexité, non seulement au Pakistan, mais dans le monde catholique dans son ensemble. Mgr Joseph restera une personnalité controversée. Sa mort violente s’oppose de façon saisissante à la manière apaisante avec laquelle il menait son combat pour les droits de l’homme. Quel est le défi posé par ce témoin qui, dans son combat contre les lois anti-blasphème, s’est tué par protestation et désespoir profond ? Que peut nous dire l’Esprit Saint dans ce cas ?
Le Bangladesh
La petite communauté catholique du Bangladesh vit sous la pression de groupes islamistes radicaux qui recourent de plus en plus souvent à la terreur et à la violence. Néanmoins, l’Eglise catholique continue ses efforts pour la mise en place de son plan pastoral, qui a été promulgué en 1985 et donne la priorité au dialogue interreligieux.
La vie et l’œuvre du P. Bob McCahill, des missionnaires Maryknoll, sont un exemple exceptionnel de « dialogue de vie ». Pendant de nombreuses années, il a vécu dans une petite cabane parmi les pauvres, et leur venait en aide dans leurs problèmes et leurs vicissitudes quotidiennes (McCahill 1996). La motivation pour cette forme d’apostolat chrétien, peu courante et peu conventionnelle venait de Mgr Joaquin Rosario, évêque de Chittagong (décédé en 1996), qui, dans l’exercice de son ministère épiscopal, ouvrit de nombreuses voies pour promouvoir le dialogue interreligieux dans le pays.
L’Indonésie
En cherchant une figure charismatique et prophétique de l’Eglise catholique en Indonésie, j’ai trouvé Jusuf Bilyarta Magunwijaya (1929-1999), qui a combiné sa vocation de prêtre aux métiers d’architecte, de romancier, de travailleur social et de théologien.
Jeune prêtre, il a étudié l’architecture à l’Université technique d’Aix la Chapelle et, à son retour en Indonésie, il a construit plusieurs Eglises dans un style qui incorporait différents éléments de l’architecture javanaise ainsi que des figures de la mythologie. Dans un roman en partie auto-biographique The Weavers Birds (2), Magunwijaya a retracé la période troublée des luttes pour l’indépendance qui ont si fortement marqué l’identité nationale du pays. Dans le domaine de la théologie, « Mangun », comme on l’appelait souvent, a développé des idées originales sur le concept de Dieu et en particulier sur le mystère de la Trinité. Il le fit, non pas comme professeur de théologie dans un grand séminaire, mais en privé, où il ne se heurtait pas aux tabous de l’orthodoxie et où il pouvait donner libre cours à ses idées. « Mangun » devint un personnage très connu du public, surtout par son engagement en faveur des sans-abri et des chômeurs de Yogyakarta. En 1998, il obtint le Prix « Kalyanakaretya », une récompense nationale pour des réalisations exemplaires, qui lui fut décerné par le président Yusuf Habibie en reconnaissance de son travail et de l’action sociale réalisée par la minorité catholique du pays.
Le défi que soulève l’héritage de Mangunwijaya pour l’Eglise catholique d’Indonésie est de s’impliquer totalement dans la vie de la nation et de rendre la foi catholique plus attrayante aux Indonésiens, en respectant leurs coutumes et leurs traditions. En même temps, elle se doit d’être attentive aux besoins des pauvres et des défavorisés en devenant réellement une Eglise des pauvres.
Les Philippines
En abordant les Philippines, je voudrais rappeler la mémoire et l’héritage de trois personnalités qui se sont impliquées dans le dialogue interreligieux et qui y ont sacrifié leur vie (3). Le premier est Mgr Bienvenido Tudtud (1931-1986), le premier évêque de la prélature de Marawi, dont la contribution au dialogue interreligieux et aux relations chrétiens-musulmans est particulièrement importante (4). Je rappellerai ensuite le témoignage de Mgr Benjamin de Jesus, OMI, préfet apostolique de Jolo, qui a été tué sur le parvis de sa cathédrale, le 4 février 1997. Sa mémoire, celle d’un homme qui avait banni la violence de sa vie, reste vivante aujourd’hui et son martyr aussi, comme un signe d’espérance qui portera du fruit dans le dialogue interreligieux et la vie en société. Le 20 mai 1992, le P. Salvatore Carzedda fut abattu au volant de sa voiture, dans le centre de la ville de Zamboanga. Appartenant aux PIME (Institut pontifical des Missions étrangères, à Milan), il était membre influent du mouvement Silsilah, créé en 1984 à Zamboanga par le P. Sebastiano d’Ambra (PIME). Le succès du mouvement Silsilah dans sa recherche de construction de la paix entre communautés chrétiennes et musulmanes n’était pas du goût des groupes radicaux musulmans de Mindanao.
Ces trois personnalités très engagées dans le dialogue interreligieux sont mortes pour cette cause. Elles nous ont laissé le défi de continuer ce travail de dialogue dans le contexte de violence des groupes radicaux qui utilisent la religion pour semer la discorde et la haine. Après tout, il n’existe pas d’alternative au dialogue, si l’on veut apporter la paix et l’harmonie parmi les membres de religions différentes.
Le Japon
La personnalité que j’ai choisie au Japon n’est ni un évêque, ni un théologien, mais Endo Shusaku, écrivain et romancier très connu qui, durant toute sa vie, a lutté pour intégrer dans son identité le fait d’être à la fois japonais et catholique. Dans ses œuvres et en particulier dans son célèbre roman Silence (Hinmoku), il parle du Japon comme d’un « marécage » qui absorbe la semence de l’Evangile et la transforme. Un de ses personnages pose la question dérangeante : « Qui, sur terre, a bien pu donner le droit aux missionnaires de venir au Japon, d’y prêcher l’Evangile et de convertir des Japonais qui, par la suite, furent persécutés par les autorités politiques pour avoir adhéré à une foi étrangère ? Etait-ce vraiment nécessaire de perdre la vie sur une croix ou au bout d’une corde dans des conditions affreuses ? »
Et aujourd’hui ? Quelle est la mission de l’Eglise catholique au Japon ? Est-ce le défi de devenir un groupe minoritaire au sein de la communauté catholique du Japon, où les immigrés catholiques venus travailler au Japon constituent la majorité de la minorité catholique ?
La Mongolie
L’Eglise catholique actuelle en Mongolie est le signe que l’Esprit Saint est à l’œuvre aujourd’hui en Asie, où il réveille des personnes pour s’engager dans l’aventure d’annoncer l’Evangile à un peuple qui n’a pas encore été touché par la Parole, de construire une Eglise complètement nouvelle et d’être au service de la société de ce pays. Quand les missionnaires belges de Scheut (ndt : également appelés Congrégation du Cœur Immaculé de Marie) arrivèrent, il n’existait pas de Mongols parmi les rares catholiques vivant dans le pays, pour la plupart des employés de firmes internationales ou des ambassades. Après un modeste début, le nombre des Mongols, qui vinrent s’instruire puis reçurent le baptême, augmenta constamment. Comme il n’y avait pas d’église, les premières messes et les premières cérémonies religieuses eurent lieu dans une salle de théâtre, louée pour l’occasion. En mai 1976, la première église fut construite à Oulan-Bator pour servir de chapelle au Centre missionnaire. Un centre pour les enfants des rues et un pour les enfants handicapés mentaux furent ensuite ouverts à Oulan-Bator. Plus tard, les Missionnaires de la Charité ouvrirent un centre pour les sans-abri. Actuellement, les sœurs de la Congrégation de Saint Paul de Chartres dirigent une école maternelle et primaire Montessori à Oulan-Bator et à Zun-Mod. En 1988, le P. Wanceslao Padilla, CICM, fut nommé premier préfet apostolique de la mission indépendante (sui iuris) d’Urga (Oulan-Bator). La petite et modeste communauté catholique de Mongolie est bien le signe que l’Esprit Saint atteint aujourd’hui de nouveaux peuples.
La République populaire de Chine
Les catholiques de la République populaire de Chine ont donné un exemple merveilleux de survie durant les persécutions les plus sévères, en conservant la foi dans ces circonstances extrêmes. Je voudrais mentionner l’exemple du jésuite Dominic Tang Yiming, administrateur apostolique de Canton, qui, après avoir refusé de collaborer avec l’Association patriotique des catholiques chinois, fut arrêté et emprisonné pendant 22 ans, sans avoir été préalablement accusé ni condamné par un tribunal. Libéré en 1980, Dominic Tang fut réinstallé comme évêque de Canton avec le consentement du gouvernement chinois. Mais lorsque le pape Jean-Paul II le nomma archevêque en 1981, le gouvernement chinois réagit sévèrement en le retirant de son poste. Dominic Tang partit alors en exil à Hongkong, où il passa ses dernières années à travailler pour l’Eglise de Chine continentale, sans ménager sa peine, jusqu’à sa mort en juin 1995 (5).
L’autre « signe des temps » notable est celui de la croissance spectaculaire du christianisme chinois, qui, de manière surprenante, est majoritairement méconnue hors de Chine. Nous entendons régulièrement parler des persécutions dont sont victimes les catholiques de l’Eglise du silence, mais plus rarement on mentionne que les Eglises chrétiennes en Chine connaissent une croissance constante, au point que certains ont même parlé d’une « fièvre du christianisme » que l’on observe aujourd’hui en Chine.
La tâche la plus urgente pour les catholiques chinois aujourd’hui est la réconciliation entre les catholiques de l’Eglise officielle et ceux de l’Eglise du silence. Le défi pour l’Eglise catholique en Chine est de répondre aux attentes de nombreux Chinois, désorientés par le désastre idéologique du Parti communiste et actuellement en quête de sens. Le boom économique actuel laisse beaucoup de personnes de côté qui ne peuvent pas se mesurer avec ceux qui « font de l’argent » (fa-zai) le but de leur vie. Les catholiques peuvent-ils témoigner que la vie signifie autre chose que le succès économique, financier et social ?
5.) Les défis d’aujourd’hui Les défis de la vie laïque
1.) La mondialisation du marché et le développement économique de quelques pays asiatiques posent d’énormes défis à toutes les Eglises d’Asie. La croissance économique, souvent spectaculaire, que l’on observe dans certains pays asiatiques, s’accompagne d’une paupérisation croissante sur une échelle plus large. Que peut apporter l’Eglise catholique pour apaiser ces conséquences dramatiques ? Quelles alternatives, quelles valeurs, quels principes peut-elle présenter à ses fidèles, et, au-delà de son domaine, aux sociétés d’Asie confrontées à l’expansion du matérialisme, de la société de consommation et à l’idolâtrie de Mammon ?
2.) L’autre défi majeur des Eglises d’Asie est qu’elles ont pris au sérieux l’obligation de devenir une Eglise des pauvres, en vivant pour eux et en mettant en pratique le principe de l’option préférentielle pour les pauvres. Or, dans les sociétés asiatiques, comme dans les Eglises, on rencontre d’énormes différences d’attitude vis-à-vis de la pauvreté, de la prospérité économique et de la richesse. Les pays, comme le Sri Lanka ou la Thaïlande, avec le bouddhisme Theravada, ou l’Inde avec la tradition hindoue Sanyasi, ont des traditions monastiques fortes où la pauvreté est une valeur religieuse, choisie librement. En revanche, en Asie orientale, et plus particulièrement en Chine, Corée et Japon, la richesse matérielle est considérée comme une bénédiction et il est louable de faire de son mieux pour l’acquérir. Par contre, la pauvreté et tout particulièrement celle imposée par les circonstances économiques, ou celle librement choisie par des moines ou des nonnes, est déconsidérée, voire parfois méprisée.
3.) Comment répondons-nous à la révolution des moyens de communication, radio, télévision et Internet, qui ont bouleversé la vie sociale, familiale, politique, idéologique, culturelle et religieuse ? Il y a déjà quelques décennies les Eglises catholiques d’Asie avaient créé Radio Veritas. Ucanews couvre également les événements des Eglises. Mais l’immense champ d’Internet reste encore inexploré. Les opportunités offertes par ce nouveau mode de communication pour l’évangélisation peuvent être vues comme une chance à saisir.
4.) Existe également le défi du communautarisme et de la violence fondamentaliste. Au cours de ces dernières années, la violence au nom de la religion, d’une idéologie ou d’une appartenance ethnique s’est répandue dans le monde entier. Dans de nombreux pays d’Asie, l’Eglise catholique s’est trouvée au milieu de luttes provoquées par des idéologies fondamentalistes ou communautaristes. Les Eglises d’Asie, minoritaires, peuvent être perçues comme trop petites pour être d’efficaces médiateurs de paix et de compréhension. Mais en répondant au message évangélique de la réconciliation, les catholiques en Asie sont appelés à s’engager en faveur de la paix et de la compréhension mutuelle dans leur société.
5.) Autre défi : témoigner de sa foi alors qu’il existe des restrictions en matière de liberté religieuse. La liberté religieuse est un des droits de l’homme fondamentaux qui, en Asie, est menacé dans nombre de pays, tels la Corée du Nord, la Chine, le Laos, le Vietnam et d’autres. Beaucoup d’Eglises d’Asie sont fières de l’héritage des martyrs qu’elles ont connu. Vivre et témoigner de l’Evangile en période de persécution reste un des plus grands défis pour beaucoup d’Eglises en Asie.
Les défis théologiques
1.) La théologie au service de la justice, de la libération, de l’émancipation et de la construction de la communauté représente l’un des défis majeurs des théologiens chrétiens en Asie. La théologie de l’inculturation a été critiquée et présentée comme une « dépense de force » inutile (Felix Wilfed), parce qu’elle est centrée sur la culture – et pour cette raison, centrée souvent sur la culture des classes dirigeantes – et qu’elle ne comprend pas en compte la réalité du peuple exploité et souffrant. En s’appuyant sur une compréhension plus profonde du mystère de l’incarnation, les théologiens sont mis au défi d’exprimer l’identification du Christ avec les plus petits et les laissés-pour-compte, dans la forme d’une théologie libératrice au service de la justice, qui a jusqu’à présent été traitée de théologie subalterne.
Le travail de développement d’une théologie libératrice comprend également l’émancipation des femmes, qui souffrent encore de discriminations dans de nombreuses sociétés asiatiques. L’émergence de groupes puissants de théologiens féministes est un défi à relever pour la hiérarchie ecclésiale, en leur donnant l’espace nécessaire pour contribuer à de nouvelles manières d’être l’Eglise, et où les femmes ont droit à leurs places et à leurs rôles.
2.) En réponse au pluralisme religieux et idéologique, les théologiens asiatiques sont invités à apporter leurs propres contributions à une théologie des religions et du dialogue interreligieux. Pour cela, ils doivent soulever de nouvelles questions et trouver de nouvelles réponses, grâce à leur expérience du pluralisme religieux et à leur connaissance intime des autres traditions. En déclarant que ces traditions font partie intégrante de leur propre culture et de leur héritage religieux, ils ont une occasion unique d’apporter « de l’intérieur », pour ainsi dire, de nouvelles approches et de nouvelles réponses à la question de la signification salvatrice des autres religions, des autres livres saints et de leurs fondateurs.
3.) Devenir de réelles Eglises locales est le défi de transformer les prétendues « Eglises bonsaï », répliques des modèles d’Eglises occidentales, en de véritables Eglises d’Asie locales. Devant affronter le fondamentalisme et le communautarisme croissant, les Eglises d’Asie doivent perdre leur image d’« implants extérieurs » et devenir des communautés qui se sentent chez elles et qui sont acceptées par les autres communautés du pays dont elles font partie, en tant que membres respectés à part entière.
4.) Développer les Eglises minoritaires et leur mission est probablement le plus grand défi théologique pour la plupart des Eglises d’Asie – les Philippines demeurant un cas à part – avec celui de définir leur mission et leur rôle dans les sociétés asiatiques. Presque toutes les Eglises d’Asie ont en commun d’être de petites minorités, la plupart du temps représentant entre 1 et 3 % de la population (Inde, Pakistan, Bangladesh, Japon, Chine) ou quelquefois légèrement plus (Sri Lanka, Vietnam, Corée du Sud). En évaluant de manière réaliste leur potentiel et en prenant en compte le contexte religieux qui est le leur, elles ne peuvent espérer faire de grandes avancées en matière de conversion dans un avenir proche ou même lointain. La question que Vatican II laisse sans réponse, à savoir comment associer la reconnaissance d’un sens salvateur présent dans les autres religions avec le « grand commandement » d’apporter l’Evangile à toutes les nations, demeure un défi majeur pour les théologiens d’Asie. Quelle est la relation entre le dialogue interreligieux et la mission ? Comment voyons-nous, dans une perspective théologique, le problème des conversions – si délicat dans beaucoup de pays asiatiques pluri-religieux ?
5.) Et enfin, dernier défi que je voudrais citer, mais non le moindre, est celui auquel les théologiens asiatiques doivent répondre pour le bien de l’Eglise universelle, à savoir témoigner du mystère de Dieu en développant de nouvelles formes de théologie négative et donc réagir et corriger la théologie occidentale, qui semble avoir trop confiance dans les concepts dogmatiques pour expliquer le mystère de Dieu. En Asie, nous trouvons partout un sens du mystère extrêmement fort, avec une conscience des limites du langage humain et des concepts philosophiques pour exprimer la profonde réalité d’un Dieu qui s’est fait homme. Ceci se traduit par une crainte et un respect profond du mystère, accompagnés d’une méfiance toute aussi profonde pour toute formulation dogmatique, qui, dans la tradition dogmatique occidentale, s’exprime selon les concepts philosophiques grecs. Les déclarations dogmatiques ont la prétention d’être valables pour tous les peuples et partout. Dans les traditions philosophique et religieuse asiatiques, nous nous trouvons en présence d’une situation où, beaucoup plus modestement, les facultés de l’esprit humain ne sont pas jugées capables de percer le mystère de l’existence divine et humaine. Le taoïsme affirme que « le Tao qui ne peut être désigné n’est pas un véritable Tao ». Et dans la philosophie indienne, nous trouvons la tradition de l’Ecole Advaita qui parle de « ni-ni » (neti… neti) pour exprimer l’impossibilité du langage humain à comprendre l’essence ultime de l’être.
Les théologiens chrétiens asiatiques ont, par conséquent, un sens plus aigu des problèmes herméneutiques des nombreuses langues et cultures que les théologiens occidentaux. Les théologiens asiatiques savent bien d’expérience que certains concepts et terminologies provenant de langues occidentales ne peuvent être traduits correctement en langues asiatiques, non pas parce que les traducteurs en sont incapables, mais parce que certaines structures en langues asiatiques ne permettent pas une traduction adéquates pour les nombreux concepts philosophiques et théologiques provenant des traditions gréco-latines.
Dans la théologie chrétienne en Asie, les catégories de l’expérience (anubhava) jouent un grand rôle. Donner à l’expérience une place primordiale n’a pas, en premier lieu, le même sens qu’une antithèse de l’aspect noétique de la révélation divine. Cela vient véritablement de la tradition de méditation et de l’immersion dans le mystère de l’ultime réalité. L’expérience de l’« illumination » (satori ou samadhi) mène plus profondément au silence et ne s’accommode pas de communication orale. Dans la théologie asiatique, par conséquent, les symboles, les histoires et les mythes sont utilisés pour briser les chaînes des formulations philosophico-dogmatiques de la théologie occidentale.