Eglises d'Asie

DOCUMENT ANNEXE – LE CHRISTIANISME EST PERÇU COMME UNE RELIGION ÉTRANGÈRE

Publié le 18/03/2010




une interview de l’archevêque d’Osaka, Mgr Leo Ikenaga Jun

Ucanews : Votre appel à l’envoi de missionnaires asiatiques au Japon est inédit. Pourquoi l’avez-vous lancé ? 

Mgr Leo Ikenaga Jun : Le nombre des catholiques au Japon est très, très faible. Si l’on prend le cas de mon diocèse, l’archidiocèse d’Osaka, il n’y a que 45 000 fidèles et les catholiques d’Osaka représentent un dixième de tous les catholiques du Japon. Seulement 0,35 % des 127 millions de Japonais sont catholiques, ce qui représente un nombre de 444 500 fidèles. 

Tous les catholiques au Japon ne sont pas des Japonais ? 

C’est exact. Il y a environ trente ans, des étrangers ont commencé à s’installer au Japon et on trouve de nombreux catholiques parmi eux. Mais bon nombre d’entre eux n’ont pas de titre de séjour. Ils sont toujours là, travaillent sans papiers et ne sont donc pas recensés. C’est à leur présence que l’Eglise doit d’avoir vu le nombre de ses fidèles doubler, même si le chiffre de 444 500 catholiques inclut une petite part d’étrangers qui fréquentent une paroisse régulièrement et sont enregistrés auprès d’une paroisse. 

Pourquoi constate-t-on que le nombre des catholiques au Japon n’a pas augmenté au cours de ces dernières décennies ? 

La propagation de la foi est une chose difficile. On peut penser que des éléments culturels rentrent en ligne de compte, de même que le fait que les enfants se font rares dans les familles japonaises. Le taux de fécondité moyen est de 1,3 enfant par femme en âge de procréer. C’est là une des raisons qui font que l’Eglise a tant de mal à trouver des vocations. 

Culturellement parlant, comment la foi chrétienne est-elle perçue au Japon ? 

Il y a eu le synode des évêques pour l’Asie à Rome, au printemps 1998, et environ 180 évêques asiatiques s’y sont réunis. Tous, à l’exception des Philippins, ont estimé que la propagation de la foi était quelque chose de difficile en Asie. Dans d’autres pays d’Asie, ce qui est difficile est de baptiser les gens. 

Pourquoi cela ? 

Prenez le cas de l’Inde. Saint Thomas y est venu il y a 2 000 ans et il y a des signes à voir. Mais, en Inde, à ce jour, la communauté catholique reste d’une taille très modeste. Chaque pays est difficile. A propos des mentalités d’Asie ou orientales, les psychologues s’accordent à dire que les Asiatiques ont une manière de penser que l’on peut qualifier de maternelle, là où les Européens et les Américains ont une tournure d’esprit paternelle. Ainsi, la plupart des missionnaires ont souligné l’immensité de l’image de Dieu, le séparant presque à l’infini des êtres humains, insistant sur le fait que nous, les humains, sommes tout, tout petits. Mais Dieu est si grand. Si nous péchons contre la volonté de Dieu, Il nous condamnera avec force. Les missionnaires, qui, de manière générale, ont mené à bien un travail considérable, ont apporté avec eux cette façon de penser au Japon. Aujourd’hui, cependant, des Japonais disent : « Nous ne pouvons pas accepter ce type d’image de Dieu. Pour un esprit oriental, Dieu est au contraire très, très proche de nous. Plus encore, Dieu vit en nous. Et le propre de Dieu est aussi d’être plein d’amour pour chacun. Il est très gentil. Si nous disons avec sincérité à Dieu le péché qui est en nous, Dieu nous acceptera. » Ce type d’image, celle d’un Dieu gentil, parle plus à un Japonais, et, plus largement, aux peuples orientaux. 

Y a-t-il un concept maternel, féminin de Dieu ? 

Oui, et il existerait plus sûrement qu’un concept paternel de Dieu. La plupart des évêques qui étaient réunis à Rome en 1998 sont tombés d’accord pour dire qu’il n’existait pas d’enseignement nuancé à l’attention des peuples orientaux. Si quelqu’un croit en Dieu du fait de la prédication et des actions menées par les missionnaires, peu à peu, petit à petit, au fil du temps, il développera le sentiment que cette religion reçue des missionnaires ne s’accorde pas avec sa compréhension de la vie ou sa psychologie. 

Combien comptez-vous de vocations dans votre diocèse ? 

Très peu. A ce jour, il n’y a que trois scolastiques pour les six années que compte le scolasticat. Seulement trois. Il y a 84 paroisses et les prêtres vieillissent. Beaucoup sont déjà morts. 

Qu’avez-vous à l’esprit lorsque vous pensez au sacerdoce du prêtre dans votre diocèse ? 

Osaka compte 51 prêtres diocésains et 127 prêtres appartenant à des congrégations religieuses ou des ordres missionnaires. L’âge moyen de tous ces prêtres est de 63 ans. Quant aux 96 prêtres actifs en paroisse, leur âge moyen est de 61 ans. Mais, au fil du temps, les missionnaires décèdent, de même que les prêtres diocésains. De janvier à juin 2007, sept sont morts. Comment pouvons-nous faire face ? 

Sachant cela, que faites-vous ? 

Dans la partie sud du diocèse, on trouve cinq églises, autant de paroisses et seulement deux prêtres. C’est la situation actuelle. Dans la partie est, les chiffres sont identiques : cinq paroisses et deux prêtres seulement. Il nous est impossible de donner un prêtre à chacune de nos paroisses. 

Avez-vous un plan d’action ? 

Non, je n’en ai pas. Mais la raison qui m’a fait me déplacer jusqu’ici, en Thaïlande, c’est qu’il est temps que les évêques en Asie mettent sur pied, au sein de chacune des Conférences épiscopales, un programme systématique pour identifier et réunir les candidats à la mission, pour s’engager à être missionnaire pour l’Asie. 

Particulièrement pour le Japon ? 

Bien entendu. (rire) 

Mais comment cela peut-il fonctionner ? Sans évoquer les différences linguistiques, vous avez cité des conceptions différentes de Dieu et des cultures qui sont diverses. 

Peut-être qu’en restant au sein des pays asiatiques, cela peut-il fonctionner. Les missionnaires venus d’autres pays asiatiques sont peut-être plus proches de notre culture, de nos traits de caractère. Nous sommes probablement plus proches les uns des autres que nous ne le sommes avec les missionnaires européens. A titre d’exemple, de part et d’autre, on doit se montrer très respectueux de l’autre, et très humble face à l’autre. 

Vous comprenez-vous mutuellement de manière plus aisée ? 

Un petit peu mieux car les problèmes à surmonter sont sans doute moindres. Nos frères taïwanais disent toutefois qu’ils acceptent des missionnaires venus d’autres pays, y compris de pays asiatiques, mais que les cultures sont différentes et que la difficulté de propager la foi demeure. 

Pensez-vous que votre appel à envoyer des missionnaires asiatiques en Asie sera entendu par les Eglises d’Asie ? 

Je ne sais pas, mais j’ai bon espoir. 

Etant donné votre situation, quel bilan faites-vous du travail pastoral effectué dans votre diocèse ? 

Les gens connaissent cette difficulté du manque de vocations. En ce moment, nous contribuons à la formation d’une équipe de laïcs qui seront amenés à assumer la responsabilité de classes de catéchisme et à rejoindre les catéchumènes pour les préparer au baptême. Je vais de paroisse en paroisse pour promouvoir cette idée. Nous avons aussi traduit les manuels de l’Institut de missiologie de Lumko (en Afrique du Sud). Ils ont réalisé un manuel de catéchisme très bien fait et nous l’avons traduit en japonais. Les gens l’acceptent très bien. Ce catéchisme ne fait pas appel à une personne qui donnerait la bonne parole à une autre personne, qui serait enseignée. Non. Tout d’abord, quelqu’un choisit deux ou trois versets de la Bible et il y a un partage avec des non-catholiques ; l’idée est d’établir un lien entre l’Ecriture et la vie de chacun ou la perception qu’il a de sa vie. Ainsi, même des catholiques peuvent apprendre de non-catholiques. Mais faire tout un parcours catéchétique ainsi n’est pas aisé. Les rencontres sont organisées sur un rythme hebdomadaire et, après un an et demi, un cycle de cours est achevé. Après quatre années et demie, les fondamentaux de la doctrine catholique ont été vus. 

Le manuel vient d’Afrique ? 

Oui, il a été traduit dans un grand nombre de langues. Soixante, ai-je entendu dire. Publié pour la première fois il y a 13 ans, il a très vite été traduit et diffusé dans de nombreux pays à travers le monde. Les illustrations utilisées étaient africaines, nous avons donc dû les changer pour qu’elles soient adaptées à notre culture. 

Que diriez-vous être votre principal souci aujourd’hui ? 

Il est difficile d’obtenir de nouveaux missionnaires et le nombre des prêtres va en décroissant très rapidement. Nous avons aussi un programme de regroupement paroissial, qui regroupe en une nouvelle entité trois à cinq paroisses. Mais si, dans ces nouvelles entités, un prêtre vient à mourir, nous ne pouvons le remplacer et les prêtres alentour doivent assumer des charges supplémentaires. En même temps, nous ne pouvons ignorer le fait que de trop nombreuses églises ont été bâties dans l’immédiat après-seconde guerre mondiale. Les bâtiments ont vieilli. Nous devons reconstruire ou rénover, mais l’argent manque. Souvent, les seules dépenses d’entretien sont trop lourdes. Les paroissiens se réunissent longuement et à de multiples reprises pour savoir que faire de ces structures. 

Que font-ils des églises qui restent inoccupées ?

La situation n’est pas excellente. Les paroissiens peuvent décider de vendre le terrain et le bâtiment à des sociétés immobilières, pour choisir de ne plus se réunir que dans un seul lieu. 

Qu’en est-il des instituts religieux féminins ? 

Les religieuses vieillissent elles aussi et n’ont plus de vocations. Le nombre de jeunes religieuses est très faible. 

Quelles sont les raisons à cette faiblesse des vocations sacerdotales ou religieuses ? 

La principale raison que je vois est que notre pays est devenu, économiquement, un pays hyper-développé. La conséquence est que bien des gens sont uniquement tournés vers les biens matériels – et leur niveau de vie reflète ce matérialisme. La dimension spirituelle de l’existence ne leur dit rien. La compétition est très forte pour entrer dans une bonne université afin, ensuite, de trouver un emploi dans une grande entreprise. C’est cela qui motive les gens. On trouve cet esprit jusque dans les écoles élémentaires ou secondaires : le centre d’intérêt des jeunes n’est pas spirituel et ne concerne pas la foi catholique. Dans ce contexte, choisir la vie de prêtre ou de religieuse est de l’ordre de l’impensable.  

Avez-vous un programme pour les vocations ? 

 Oui, nous organisons des retraites « choix de vie » pour les vocations, pour rendre les vocations sacerdotales et religieuses plus accessibles aux jeunes. Nous abordons beaucoup ce sujet, mais pour un résultat proche de zéro. Nous sommes fatigués. 

Et vous avez besoin de missionnaires ? 

Oui et c’est la raison pour laquelle je pense qu’il n’y a personne à cette rencontre qui vient de Taiwan. De Hongkong, une seule personne a fait le déplacement. Ils ont essayé, tout essayé, ils ont déployé des initiatives pour la promotion des vocations comme nous l’avons fait au Japon. Ils ont tenté et tenté à nouveau. Mais ils en ont assez. Ils sont fatigués de ne récolter aucun résultat. S’agissant des baptêmes, la situation est similaire au Japon, à Hongkong et à Taiwan. Très peu de gens demandent le baptême.  Le christianisme est essentiellement perçu comme étant une religion étrangère. Vous connaissez sans doute le romancier catholique japonais Endo Shusaku. C’est une personnalité qui, assurément, a contribué à l’inculturation de la foi catholique au Japon. En musique, le compositeur Takata Saburo a lui aussi fait œuvre en matière d’inculturation. Par eux, par d’autres encore, nous, les catholiques, parlons un petit mieux à l’esprit japonais.