Eglises d'Asie

KIOSQUE – Jésus asiatique

Publié le 18/03/2010




P. Michael Amaladoss traduit de l’anglais par Anaïs Boutot Presses de la Renaissance, juin 2007, 284 pages

« Jésus est né, a vécu, a prêché et est mort en Asie. Cependant, on le considère souvent comme un Occidental. » Les toutes premières lignes du livre montrent bien quel est l’objectif de l’auteur : « redonner à Jésus un visage asiatique », selon l’expression maintes fois entendue lors du Synode des évêques pour l’Asie, qui s’est tenu à Rome au printemps 1998. Michael Amaladoss suggère l’utilisation d’images ou de symboles empruntés aux cultures asiatiques. Il cite Paul Ricœur, selon lequel « les symboles font naître la pensée » (p. 15), et lui-même estime que les « images ne contredisent pas les dogmes mais les complètent à un niveau différent » (p. 22).

 

Indien, il ne cache pas être plus familier avec le milieu culturel et religieux de l’Inde, mais il écrit à l’attention des chrétiens d’Asie, au-delà des frontières de l’Inde. Son livre s’adresse « au chrétien asiatique ordinaire et croyant, familiarisé avec l’histoire de Jésus telle qu’elle nous est contée par les quatre Evangiles » (p. 22). Il ne s’agit donc pas de proposer au lecteur un exposé systématique sur la vie et l’enseignement de Jésus, mais de voir si l’usage de certaines images n’aiderait pas les Asiatiques à mieux percevoir ce que Jésus peut leur apporter, et à en parler plus facilement autour d’eux.

 

Tout d’abord, il constate que des Asiatiques, partant de leurs propres traditions, ont déjà utilisé diverses images ou titres pour désigner Jésus. Raja Ram Moham Roy voyait en lui « un grand maître moral ». Pour S. Radhakishna, Jésus pouvait être considéré comme l’advaitin, celui dans lequel humanité et divinité sont complètement liées, « l’exemple d’un homme qui est devenu Dieu et personne ne peut dire où finit son humanité et où commence son humanité » (p. 53). Des bouddhistes ont considéré que Jésus était un bodhisattva, « une âme libérée qui montre la vie de la libération aux autres humains » (p. 56).

 

Michael Amaladoss, quant à lui, explore la possibilité d’utiliser neuf images. Certaines ne sont pas inattendues pour quiconque est familier avec le patrimoine chrétien. Même un chrétien occidental ne sera nullement dérouté lorsque l’auteur voit en Jésus le sage, la voie, le serviteur, le compatissant ou même le gourou. En revanche, il peut être perplexe lorsqu’on lui propose de voir en Jésus le satyagrahi, l’avatar, le danseur ou encore le pèlerin.

 

 

Précisons que l’auteur, théologien jésuite, ne présente pas Jésus comme un sage parmi les autres ou un gourou parmi d’autres. Après avoir établi que de telles images sont très présentes dans les religions et cultures asiatiques, il s’efforce de faire ressortir comment Jésus a assumé ces rôles de telle façon qu’on peut parler d’un maître à nul autre semblable, d’un « gourou spécial… qui peut inspirer d’autres gourous » (p. 149). Jésus peut certes être considéré comme « la voie », mais l’auteur n’oublie pas que, lorsque « Jésus dit qu’il est la voie, la vérité et la vie, ce ne sont pas trois choses différentes » (p. 117). Il montre également comment « Jésus le compatissant devient Jésus le sauveur » (p. 242). De même, s’appuyant abondamment sur St Paul, il présente l’image de Jésus le serviteur « comme un symbole riche qui résonne à un niveau moral, spirituel et même métaphysique » (p. 216). Bien qu’il n’ait pas voulu faire une « étude comparative », il introduit ici et là des distinctions qui vont en ce sens. Par exemple : « Alors qu’un bouddhiste fait l’expérience du vide, un hindou fait l’expérience de la non-dualité, et un chrétien fait l’expérience de la plénitude de Dieu » (p. 120).

 

L’image du satyagrahi est empruntée à Mahatma Gandhi. Le mot signifie « s’attacher à la Vérité ». Pour Gandhi s’attacher à la Vérité, c’est s’attacher à Dieu. Sans s’attarder sur une comparaison entre Jésus et Gandhi, l’auteur montre comment Jésus s’est battu à la fois pour la liberté, la vérité et la justice pendant sa vie, comment « la vérité devient la victime » lors de son dialogue avec Pilate (p. 161) et comment la Croix devient un « signe de victoire de la Vérité » (p. 170).

 

L’avatar est une image très présente dans la tradition religieuse indienne. Il s’agit habituellement d’une intervention de la divinité (Vishnou) sous une forme humaine ou animale « pour la protection des bons et la destruction des méchants » (p. 179). Cependant, l’auteur préfère retenir un sens plus général de ce mot, à savoir « manifestation divine » – ce qui lui permettra d’écrire que « l’avatar est une catégorie plus inclusive que l’incarnation » (p. 206). Rappelant l’enseignement du Concile de Chalcédoine, l’auteur s’aventure alors dans des considérations qui risquent de surprendre. Par exemple lorsqu’il écrit : « Je pense que l’approche indienne peut échapper à l’approche grecque, qui est dichotomique, qui sépare Dieu de l’humain et qui ensuite ne sait pas comment les rassembler. Non pas qu’elle rendrait plus facile la compréhension du mystère de Jésus-Christ, le divin-humain. Mais elle permet au moins de jeter un autre regard sur lui » (p. 197).

 

C’est sans doute l’image de « Jésus le Danseur » qui est la plus inattendue. On lit avec intérêt ce que l’auteur dit sur le sens de la danse en général et sur la danse indienne en particulier. On peut apprécier également les réflexions de l’artiste chrétien indien Jyothi ou de Sara Grant sur ce sujet (p. 253), mais on peut aussi se sentir mal à l’aise en lisant que « Jésus danse non seulement lors de sa résurrection mais aussi sur la croix » (p. 261).

 

L’auteur ne verse pas dans le syncrétisme. Il ne met pas en doute l’unicité du Christ sauveur. Au fil des pages, on peut lire de remarquables portraits de Jésus qui dénotent à la fois de longues études ou méditations et un très profond attachement au Christ. On pourrait lui reprocher quelques généralisations qui demanderaient à être nuancées. Par exemple : « La communauté chrétienne aujourd’hui est structurée sur le modèle de groupes politiques des anciens Romains. La hiérarchie et le pouvoir semblent plus importants à cette communauté que le service » (p. 222). Mais on peut aussi considérer que de telles remarques reflètent la souffrance de quelqu’un qui est très profondément épris de l’enseignement du Christ et qui déplore certaines infidélités.

 

Le P. Michael Amaladoss réussit-il à donner à Jésus un visage asiatique ? La réponse appartient aux Asiatiques. Mais comment ne pas voir dans ce livre une contribution aux efforts que doit faire l’Eglise « pour s’insérer dans les cultures des peuples », comme l’écrivait Jean-Paul II, en 1991, dans son encyclique sur la Mission. Il parlait d’un « processus qui demande beaucoup de temps (…), un processus profond et global (…), un processus difficile… », grâce auquel « l’Eglise universelle elle-même s’enrichit d’expressions et de valeurs nouvelles (…) ; elle connaît et exprime mieux le mystère du Christ » (Redemptoris Missio, n° 52).