Eglises d'Asie

Supplément EDA 1/2008 : Les défis de l’Eglise catholique à Tokyo

Publié le 10/09/2010




Né en 1955, ordonné prêtre en 1985, consacré évêque auxiliaire de Tokyo le 19 février 2005, Mgr James Koda Kazuo a accompli un travail essentiellement pastoral depuis son ordination le 3 mars 1984. Interviewé par Daniel Horgan, pour le Japan Mission Journal (vol 61, n°1, printemps 2007), il explique ici les principaux défis auxquels fait face l’Eglise catholique au Japon, en particulier dans la région de Tokyo. La traduction française est de la rédaction d’Eglises d’Asie.

Mgr Koda, deux ans se sont écoulés depuis que vous avez été ordonné évêque auxiliaire de Tokyo. Quels sont les problèmes les plus pressants auxquels fait face l’archidiocèse ?

Il existe beaucoup de problèmes. Essayer de les résoudre demande beaucoup d’énergie. L’Eglise au Japon, y compris l’Eglise de Tokyo, s’est faite après la guerre. Nos bâtiments ont 40 ou 50 ans et leur entretien pose problème. Un autre problème touche les jardins d’enfants qui sont contigus à nos églises. Le prêtre en est le directeur et des paroissiens catholiques les enseignants. Aujourd’hui, le personnel est vieillissant et il s’avère difficile d’assurer la relève. Les besoins de la société ont changé. Nous nous interrogeons. Nous recherchons des forces vives qualifiées, et, aujourd’hui, nous ne les trouvons plus dans nos paroisses. Il faut donc que le diocèse prenne en main la situation et renouvelle son personnel.

Le nombre des enfants diminue, comme celui des prêtres. Nous nous demandons ce qu’il adviendra des jardins d’enfants dirigés par l’Eglise. Le nombre des enfants diminue plus particulièrement dans les campagnes, pas tellement à Tokyo. Si un jardin d’enfants est bien géré, les parents y inscrivent leurs enfants. Mais le problème majeur réside dans le fait que de nombreux jardins d’enfants sont des organisations religieuses (shukyohojin), un statut juridique bien précis. Or, le gouvernement voudrait que tous les jardins d’enfants soient enregistrés comme des organisations éducatives (gakkohojin), un autre statut juridique, et il diminue progressivement les subventions. Donc, même avec suffisamment d’enfants inscrits, mener un jardin d’enfants devient de plus en plus difficile. Par conséquent, si les directives de l’administration doivent être respectées, nous aurons à créer les structures juridiques ad hoc pour nos écoles. Aujourd’hui, nos écoles sont de modestes établissements situés autour de l’église et il s’avère très difficile de séparer le religieux de l’éducatif.

Concernant la liturgie et la doctrine de l’Eglise au Japon, on entend dire qu’elles sont trop occidentalisées. Certains prêtres ou théologiens souhaiteraient un style liturgique plus japonais. Qu’en pensez-vous ? Croyez-vous que ce soit le désir des catholiques japonais ?

Qu’entendons-nous par liturgie ‘de style japonais’ ? Cela signifie-t-il y inclure des passages du Nô japonais (1) ou de la cérémonie du thé, qui se déroule sur un tatami ? J’entends ce genre de suggestions et je m’interroge. Les gens de ma génération auraient plutôt tendance à résister à de pareils changements. Dans la vie quotidienne, les gens ne vivent pas sur un tatami ; la plupart du temps, ils n’ont aucun contact avec le Nô ou la cérémonie du thé. S’ils les trouvaient à la messe, c’est cette situation-là qui ne serait pas naturelle. Je ne suis donc pas favorable à choisir quelques éléments de la culture japonaise pour les intégrer artificiellement dans la liturgie.

Qu’en est-il de la liturgie actuelle ? Pensez-vous qu’elle soit adaptée ?

Je ne pense pas qu’on puisse se satisfaire de son état actuel, mais plutôt que d’essayer d’y inclure artificiellement quelques aspects de la culture japonaise, je pense que nous devrions essayer, sur une longue période, de créer une liturgie qui exprime l’expérience de foi des Japonais. Le problème de la langue est un sérieux problème. Le japonais est très différent du latin. Essayer d’exprimer notre expérience de foi dans la liturgie demande beaucoup de temps, de patience, mais j’estime que c’est essentiel.

Il y a quelques années, j’ai participé à un projet dans lequel des Japonais avaient rédigé eux-mêmes les prières de la messe, comme, par exemple, l’antienne d’ouverture. Ils les avaient composées en fonction du calendrier liturgique des messes dominicales. Ces prières étaient imprimées sur la feuille paroissiale de la messe dominicale et utilisées lors des messes, mais le plus souvent nous avons recours à des traductions littérales du latin. Nous avons tout de même essayé d’écrire des prières fondées sur notre propre expérience de foi. En réalisant ce travail, nous avons essayé d’exprimer ce que nous vivons de notre rencontre avec Dieu, ici au Japon, en des termes qui nous soient propres. La question est de savoir si ces prières seront approuvées par Rome. Personnellement, je ne le pense pas. Cela a déjà été tenté en Europe – en France et en Italie. Des prières en anglais, également inspirées du calendrier liturgique, ont été élaborées, mais suite à de nombreuses réactions négatives, elles n’ont pu être utilisées à la messe.

Ces dernières années, l’Eglise catholique a mis l’accent sur le dialogue interreligieux. Or, au Japon, l’Eglise ne semble pas très active en ce domaine, notamment avec les bouddhistes. Existe-t-il des échanges sur la spiritualité, la réflexion théologique, la pratique pastorale, le domaine social ?

En fait, nous ne disposons pas suffisamment de temps pour mettre en place ce type de démarches. C’est très difficile. Je pense que ce serait bien si ce genre de dialogue existait et s’il y avait des gens pour s’en occuper, mais, personnellement, je n’ai pas suffisamment de temps.

A un colloque organisé par Caritas Japan sur les problèmes de violences, à l’automne dernier, un homme de Chiba, prêtre du Jôdô Shinshû (2), dont les enfants avaient été agressés, fut invité à parler. Son nom était Kashiwami Reiho. Il nous a remerciés de l’avoir invité à prendre la parole dans un symposium catholique. Pour commencer, nous lui avons demandé de nous parler un peu du Jôdô Shinshû, qu’il a décliné en trois éléments principaux. Premièrement, s’examiner soigneusement en tant que personne pour ne pas devenir égoïste, parce que nos cœurs sont remplis de péchés. Une existence humaine qui n’est pas égoïste est appelée karma. Alors, on prend peu à peu conscience de l’existence d’Amitabha Tathagata, qui nous sauve et nous aide. C’est le deuxième élément. Le troisième concerne les relations avec les autres, se préoccuper des gens que nous rencontrons et établir des liens avec eux, vivre avec ces gens au mieux de nos possibilités. Ce sont les trois éléments de la foi Jôdô Shinshû. Quand j’ai entendu cela, j’ai pensé que c’était presque la même chose que ce à quoi nous croyons.

L’Amitabha Tathagata (Amida Buddha) est probablement l’équivalent de Jésus Christ et, particulièrement dans le Jôdô Shinshû et le bouddhisme mahayana, les fidèles sont clairement conscients d’un salut transcendantal, du péché de l’homme et de la conduite d’une vie dominée par l’amour. Je pense que nous partageons fondamentalement ces éléments avec eux. En s’attaquant aux vrais problèmes sociaux, nous pourrions coopérer et mieux comprendre nos fois respectives ; je pense que c’est vraiment important et nous devrions avoir davantage d’activités de la sorte.

Mais cela doit être difficile au niveau paroissial…

Je le suppose. Par exemple, discuter des problèmes sociaux avec les gens du temple local ou du sanctuaire voisin, coopérer aux différentes activités qu’ils mènent et ainsi de suite. J’ai entendu des gens en parler en divers lieux. Par exemple, les protestants pensent faire quelque chose pour aider les sans-abri dans leur localité. Les catholiques pourraient alors coopérer avec eux et les bouddhistes également. Il y aurait ainsi un groupe de croyants qui viendraient en aide aux sans-abri.

Plutôt qu’un dialogue sur la spiritualité ou la théologie, ce serait davantage par un échange sur des problèmes concrets que les bouddhistes et les chrétiens chercheraient à coopérer, là où des personnes souffrent. Je pense que ce genre d’activités serait plus facile à mettre en place.

Ces dernières années, dans de nombreux pays, y compris au Japon, le nombre des immigrés a considérablement augmenté ; leur part dans la communauté catholique japonaise s’est également accrue. Qu’en est-il aujourd’hui des rapports entre catholiques japonais et immigrés ?

Tout dépend des endroits. La paroisse est aussi le lieu où les catholiques étrangers se réunissent. La compréhension qu’a le clergé local de cette réalité est par conséquent très importante. Mais la plupart des prêtres japonais ne parlent pas de langue étrangère et il existe des endroits où l’on ne peut pas dire que la communication entre les prêtres et les catholiques étrangers soit bonne. De plus, il existe des spécificités culturelles, des coutumes différentes, tout un tas de petites difficultés.

A ce sujet, en tant qu’évêque, quels conseils donneriez-vous aux prêtres ?

Avant de devenir évêque, j’ai travaillé pendant cinq ans à Chiba et, sans vouloir être blessant, le problème majeur était justement le nombre important de catholiques étrangers dans chaque paroisse. Les catholiques étrangers sont plus nombreux dans les églises de Chiba que dans celles de Tokyo. Comme nous avons compris qu’un seul prêtre ou une seule église ne pouvait satisfaire aux besoins de toutes ces personnes, les paroisses de Chiba ont pendant très longtemps fait venir des missionnaires laïcs des Philippines, en prenant en charge leurs dépenses. Ces missionnaires laïcs allaient d’église en église et organisaient des préparations au baptême, expliquant aux catéchumènes que s’ils n’assistaient pas à leurs rencontres, leurs enfants ne seraient pas baptisés. Ils l’ont fait pendant très longtemps et le Centre international catholique de Tokyo (CTIC) s’est développé à partir de là. Mais aujourd’hui, il s’est créé une sorte de séparation entre le bureau du CTIC à Chiba et les prêtres des paroisses. C’est très regrettable et je pense qu’il serait bien que, de nouveau, les prêtres qui travaillent à Chiba rencontrent les prêtres et les missionnaires philippins pour parler de leurs expériences et voir comment ils pourraient travailler ensemble. En tant qu’évêque, j’aimerais participer à ce genre de chose.

La communication entre Japonais et immigrés ne concerne pas uniquement le diocèse de Tokyo, mais tout le Japon. Qu’en pense la Conférence épiscopale du Japon ?

Tous les diocèses japonais n’ont pas forcément de nombreux catholiques étrangers parmi leurs fidèles. La Conférence des évêques dispose de la Commission catholique du Japon pour les migrants, les réfugiés et les gens du voyage et seuls les évêques des diocèses qui comptent beaucoup d’étrangers sont concernés par ces problèmes ; je crois qu’ils sont très intéressés à coopérer avec eux.

Dans certaines paroisses, il existe des messes dominicales célébrées en anglais l’après-midi et d’autres en japonais le dimanche matin. Est-ce souhaitable ?

Les circonstances varient en fonction des lieux et d’un point de vue national, la Conférence des évêques ne donne pas d’instructions précises. En revanche, dans le diocèse de Tokyo et les diocèses limitrophes, particulièrement ceux de Saitama et de Yokohama, les choses sont très semblables et, depuis plusieurs années, nous abordons ensemble ces problèmes. D’un point de vue diocésain, nous désirons rapprocher les communautés catholiques japonaises et étrangères. Il y a beaucoup de facteurs qui interviennent et les choses ne sont pas toujours faciles, mais je crois que les gens sont de plus en plus conscients de l’importance de ce rapprochement.

Ce rapprochement concerne en particulier ceux que nous appelons les « enfants doubles ». Si ces enfants sont amenés par leurs parents à une messe en anglais ou en tagalog, ils ne comprennent rien. Quand arrive pour eux le moment de faire leur première communion, s’ils n’ont assisté, jusque-là, qu’à des messes en langue étrangère – qu’ils ne comprennent pas –, que pouvons-nous faire pour eux ? C’est pour cela que les catholiques étrangers établis au Japon devraient pouvoir assister à une messe en japonais et suivre des cours à l’école japonaise, le dimanche. Je pense que les deux communautés peuvent se rapprocher via les enfants.

Récemment, au Japon, on a assisté à des scènes de violence dans les écoles. Le nombre de suicides, l’influence des organisations d’extrême-droite et les inégalités sociales vont croissant. Est-ce que l’Eglise catholique, la Conférence épiscopale en l’occurrence, a envisagé de faire une déclaration commune avec les autres religions sur ces problèmes ?

Depuis deux ans que je suis évêque, je n’ai pas entendu parler d’intentions de ce genre. D’un point de vue local, il y a beaucoup plus d’activités. Par exemple, nombre de protestants travaillent avec des catholiques et aussi des bouddhistes pour traiter des problèmes de la violence domestique ou des sévices faits aux enfants. Ce genre de coopération est beaucoup plus répandu. Dans l’Eglise catholique, jusque là, quand il y avait un travail spécifique à faire, on fondait un ordre religieux qui s’en occupait. Il y a eu beaucoup d’initiatives de ce genre au Japon après la guerre, pour s’occuper des tuberculeux, des malades ou bien encore des handicapés ; il y a également eu création d’institutions pour dispenser des soins. Les ordres religieux ont fait un gros travail dans ces domaines. Aujourd’hui, l’idée qu’un ordre religieux puisse le faire n’est pas réaliste, les membres de ces ordres sont trop âgés et trop peu nombreux. Ce sont plutôt les ONG et les organisations à but non lucratif qui s’en occupent et des bénévoles se joignent à eux. Bien que ces organisations ne soient pas, en tant que telles, catholiques ou protestantes, elles comptent parmi elles beaucoup de protestants et de catholiques ainsi que des bouddhistes. Ce genre d’activités se développe.

Quels sont les sujets sur lesquels les évêques se sont beaucoup exprimés ces dernières années ? De quels groupes de catholiques japonais ont-ils été le plus entendus ?

Il y a quelques années, les évêques japonais ont écrit une longue lettre pastorale intitulée « Regarder vers la vie » (Inochi he no manazashi). Ils y traitaient des problèmes actuels du Japon, particulièrement ceux concernant la vie. Cette lettre est devenue un message tout à fait important pour beaucoup de personnes. Un autre problème est celui qui concerne la paix. C’est actuellement un problème brûlant, puisque le gouvernement pense réviser des articles de la Constitution, notamment celui où le Japon renonce à faire la guerre et également ceux traitant de la séparation de la religion et de la politique. Nous pensons qu’il s’agit là de problèmes très sérieux. En 2005, les évêques ont publié un message pour le soixantième anniversaire de la fin de la deuxième guerre mondiale et je pense que cette année, on prévoit un message spécial sur la séparation de la religion et de la politique.

En dehors des catholiques, qui lit ces messages ?

En ce qui concerne la révision de la Constitution, l’article 9 stipule que le Japon ne possèdera pas d’armes, mais en réalité nous avons déjà des forces dites d’auto-défense. Il existe pourtant tout un mouvement qui pousse à ce que la Constitution reconnaisse le droit d’avoir un minimum de forces militaires nécessaires à la défense. En face de ce courant d’opinion, d’autres estiment que si l’article 9 est révisé, la base de stabilité sur laquelle le Japon s’est édifié sera ébranlée. Le Japon n’est pas entré en guerre depuis 60 ans. Ces projets de révision constitutionnelle n’inquiètent pas seulement les catholiques, mais également beaucoup d’autres Japonais, dont des hommes politiques, des militants de partis politiques divers ainsi que des syndicats. Parmi eux, des membres de communautés religieuses ont des rôles importants. Les prêtres et les évêques catholiques en font partie et peut-être que ces personnes liront ce type de message.

Ne faudrait-il pas que les catholiques s’impliquent davantage dans les syndicats et les réseaux où travaillent des membres d’autres religions afin de s’attaquer aux problèmes sociaux ?

Bien sûr, ce serait une bonne chose. Mais les membres de l’Eglise ont également une grande variété de positions et d’opinions. En ce qui concerne la Constitution et le problème du Mémorial de Yasukuni, si les évêques et les prêtres venaient à se positionner, il y aurait des gens pour s’y opposer bruyamment.

Concernant les problèmes d’environnement et de réchauffement climatique, l’Eglise ne pourrait-elle pas prendre position plus ouvertement et réfléchir sur notre manière de vivre ?

Oui, elle le pourrait. Mais je n’ai pas entendu parler d’un mouvement très important à ce sujet. Bien sûr, à une petite échelle, par exemple dans les paroisses, il existe des petits groupes qui étudient ces problèmes et essaient de faire quelque chose, mais cela ne donne pas de grandes initiatives. L’Eglise catholique du Japon représente vraiment une toute petite minorité de la société japonaise et, quand des gens sont très attachés à un problème, ils vont vers un des nombreux mouvements qui existent, plutôt que d’essayer de faire quelque chose dans l’Eglise – c’est une des réalités du Japon. Pour l’Eglise catholique au Japon, agir est difficile.

Actuellement, les missionnaires et les religieux venus de l’étranger sont moins nombreux. En tant qu’évêque du diocèse de Tokyo, qu’attendez-vous des missionnaires ?

Historiquement parlant, le Japon est un pays difficile. D’abord, il y eut l’édit de Toyotomi Hideyoshi (1587) qui décida de l’expulsion des missionnaires chrétiens, la première persécution de toute l’Eglise. Puis, au début de l’ère Shôwa (1926-1989), alors que le Japon se militarisait progressivement et que le nationalisme augmentait, les missionnaires étrangers furent de nouveau expulsés. Le Japon est ce genre de pays. Il existe une tendance à se précipiter sur un militarisme extrême – non seulement le gouvernement, mais également beaucoup de Japonais. Même parmi les gens qui vont à l’Eglise, on trouve cette étroitesse de raisonnement.

Mais notre foi va au-delà du pays et de la race pour se rattacher à tous les peuples du monde. En tant qu’expression visible, je pense que le rôle des missionnaires est très important – pas seulement parce que nous manquons de prêtres et que nous aimerions bien en voir venir de l’étranger, ni parce que nous aimerions bien étendre davantage le christianisme au Japon, mais aussi afin que nous ne restions pas isolés dans l’Eglise du Japon. Les missionnaires et les catholiques qui viennent de l’étranger sont très importants pour nous. Et je trouve très constructif qu’ils nous fassent remarquer les étrangetés de l’Eglise du Japon ou celles de la société japonaise.

Mgr Koda, quels espoirs ou quels rêves avez-vous pour l’avenir de l’Eglise au Japon ?

Comme je l’ai déjà mentionné, il y a beaucoup de problèmes sociaux, de violences, de crimes, de suicides. Je pense personnellement que la racine de ces problèmes est l’effondrement de la communauté traditionnelle. Les gens se trouvent de plus en plus isolés. Cela n’arrive pas qu’au Japon, c’est un problème mondial. Et comment finissent ces personnes isolées ? Elles sont si stressées, ont accumulé de telles frustrations qu’elles en viennent à la violence ou au suicide. Comment réintégrer ces personnes marginalisées de notre société moderne dans la communauté – c’est un grand problème.

Bien sûr, dans la société japonaise, comme dans bien d’autres sociétés, des efforts sont faits pour reconstruire les communautés locales, et spécialement du fait du vieillissement de la population et du déclin de la natalité. Je pense que les gens qui sont bien portants et qui ont un travail ne ressentent pas le besoin d’une communauté locale. Mais, avec l’âge, ils ne peuvent plus prendre part aux activités sociales et ont tendance à moins se déplacer, ils deviennent faibles et commencent à ressentir le besoin du soutien d’une communauté.

Un autre point qui me tient à cœur est l’éducation des enfants. Les enfants ne devraient pas être élevés dans un appartement avec leur mère pour seule compagnie. Ils devraient être élevés en ayant beaucoup plus de contacts. C’est pourquoi de plus en plus de monde réclame maintenant la mise en place de communautés locales. Comment les choses vont-elles tourner, je ne le sais pas.

Quand nous examinons notre foi dans ce contexte social, nous voyons que le fruit de notre foi, le christianisme, a été hérité de la communauté. Parler de « Dieu et moi » est une vue très moderne de la foi, mais, en réalité, c’est au milieu de la communauté que nous pouvons trouver le Dieu invisible. Les gens sont liés les uns aux autres par cette présence divine. Nous avons besoin de retrouver cette perspective capitale de la foi.

En regardant le Japon depuis l’ère Meiji (1868-1912), où le christianisme a été introduit par les missionnaires étrangers, nous voyons que dans notre foi, le concept de « Dieu et moi » a été central. Bien sûr, beaucoup de gens sont arrivés à l’éveil à la foi par eux-mêmes à l’âge adulte et ont décidé de recevoir le baptême, mais l’accent a toujours été mis sur la relation individuelle et personnelle avec Dieu. En lien avec la foi de la communauté, la foi de la famille a ses moments forts et ses moments superficiels, mais les liens familiaux deviennent plus ténus dans la société actuelle et, par conséquent, la foi familiale ne se transmet plus de génération en génération. Nous devons donc ramener le sens de la foi communautaire. C’est nécessaire et très important, mais dans une ville comme Tokyo, avec ces centaines de milliers, voire ces millions de personnes qui vivent proches d’une paroisse, il est difficile de créer un sentiment de communauté. C’est pourquoi, dans ce contexte, je pense qu’il est très important d’essayer de construire des petites communautés. J’invite donc les catholiques à se rassembler, à lire la Bible et à prier ensemble. Si dix ou vingt personnes prennent l’habitude de se rassembler, cela sera d’un grand secours pour chacun.