Eglises d'Asie – Corée du sud
Supplément EDA 1/2008 : Surprenant baby boom de filles
Publié le 10/09/2010
Or, selon une récente étude des Nations Unies, on assiste, depuis quelques années, à un quasi-retour à l’équilibre naturel en Corée du Sud, du fait, semble-t-il, d’une évolution des mentalités.
Lorsque Mme Park He Ran était jeune maman, nombreuses étaient les jeunes femmes à l’approcher pour lui demander son secret. Mme Park avait eu trois garçon d’affilée, à une époque où toutes les mères, en Corée du Sud, considéraient que leur devoir suprême était de donner naissance à un enfant de sexe masculin. Aujourd’hui, les remarques adressées à Mme Park sont sensiblement différentes. « Lorsque je dis aux gens que j’ai trois garçons et aucune fille, ils me répondent qu’ils sont désolés pour moi, explique Park He Ran, qui, à 61 ans, dirige un journal. En une génération, je suis passée du statut de mère la plus enviée à celui de femme que l’on plaint. »
En Corée du Sud, connue pour être autrefois l’une des sociétés patriarcales les plus rigides d’Asie, la préférence pour les garçons, ancrée dans les esprits depuis des siècles, s’estompe rapidement. Les démographes saluent cette évolution et l’étudient pour savoir si, sous peu, elle se constatera également dans d’autres pays asiatiques, tels la Chine, l’Inde ou le Vietnam. Cette préférence pour les garçons, couplée à la généralisation de l’accès à l’échographie, a entraîné la pratique, de plus en plus répandue, de l’avortement sélectif de fœtus de sexe féminin ; la conséquence immédiate étant un très fort déséquilibre entre le nombre des garçons et celui des filles.
« La Chine et l’Inde s’intéressent de près à ce qui se passe en Corée du Sud, qu’ils considèrent comme un pays précurseur en Asie, analyse Chung Woo Jin, professeur de l’université Yonsei, à Séoul. Ils sont curieux de savoir si les changements économiques et sociaux qu’a connus la Corée, pays relativement petit avec une forte densité de population, peuvent entraîner aussi rapidement des effets semblables chez eux. »
Selon une étude publiée en octobre dernier par la Banque mondiale, Chung Woo Jin et Monica Das Gupta, chercheur dans cette organisation internationale, indiquent que la Corée du Sud « est le premier pays d’Asie à renverser la tendance qui voyait les déséquilibres entre sexes à la naissance aller croissants ». L’an dernier, en Corée du Sud, le sex ratio à la naissance a été de 107,4 garçons pour 100 filles – soit un ratio encore légèrement au-dessus de la normale, qui se situe à 105 garçons pour 100 filles. Et, depuis 2002, ce ratio tend à diminuer, se rapprochant un peu plus chaque année de la norme.
Depuis des années en Asie, la proportion, à la naissance, d’enfants de sexe masculin atteint des proportions jusqu’ici encore jamais observées par les démographes. Selon le Fonds des Nations Unies pour la population, (UN Population Fund), en 2005, en Chine, la proportion était de 120 garçons pour 100 filles. En Inde, lors du dernier recensement en date, en 2001, elle était de 108 garçons pour 100 filles. Le Vietnam, avec, en 2006, un ratio de 110 garçons pour 100 filles, s’inscrit également sur la liste des pays asiatiques où les garçons sont désormais plus nombreux que les filles.
Dans un rapport paru en octobre 2007, l’organisme des Nations Unies a mis en évidence le fait que jouer avec les probabilités de la nature allait conduire à un accroissement des violences sexuelles. Aujourd’hui déjà, le trafic de femmes va croissant ; des hommes dans l’impossibilité de trouver une épouse dans leur région ou leur pays, cherchent alors à en faire venir de régions différentes ou de pays plus pauvres.
Il n’y a pas si longtemps, la Corée du Sud était dans cette situation. Au début des années 1990, le déséquilibre entre les sexes était de 116,5 garçons pour 100 filles. Parmi les mères qui avaient déjà donné naissance à deux enfants ou plus, la proportion atteignait même 206 garçons pour 100 filles, indiquent des données du Bureau national des statistiques de Corée.
Durant ces années, le gouvernement demandait instamment aux Sud-Coréens de ne pas avoir plus de deux enfants. Bien que ces mesures démographiques n’aient jamais été mises en œuvre avec autant de force que la politique de l’enfant unique en Chine populaire, des campagnes de sensibilisation incitaient les mères ayant déjà deux filles à avorter au cas où leur troisième enfant se trouvait être de sexe féminin.
Les résultats de cette politique sont visibles aujourd’hui dans les régions rurales du pays, où, dans certains villages, quatre hommes sur dix se marient avec une femme venue d’un pays pauvre d’Asie, comme le Vietnam – tendance qui devrait encore se renforcer lorsque ceux qui sont nés dans les années 1990 arriveront à l’âge du mariage (2). Le manque de femmes en âge de se marier dans les campagnes a été renforcé du fait de la croissance économique rapide – laquelle a ouvert de nouveaux horizons dans les domaines de l’éducation et de l’emploi et a conduit les femmes à émigrer vers les villes.
Pourtant, aujourd’hui encore, les célibataires dans les campagnes sud-coréennes restent mieux lotis que les hommes les plus pauvres des pays d’Asie les moins développés, qui n’ont pas d’autres choix que de rester célibataires, expliquent les experts. « Ils sont vraisemblablement en train de devenir les principales victimes du nouveau système de mariage, qui va probablement devenir un facteur de déstabilisation et se traduira par des tensions dans les couches sociales les plus basses », explique Christophe Guilmoto, démographe de nationalité française et auteur du rapport du Fonds des Nations Unies pour la population, Sex-Ratio Imbalance in Asia: Trends, Consequences and Policy Responses, une étude sur les proportions et l’évolution du nombre d’hommes et de femmes en Chine, en Inde, au Vietnam et au Népal.
Dans la tradition coréenne, les fils perçoivent l’héritage, perpétuent la lignée familiale et prennent soin de leurs parents lorsqu’ils sont âgés – y compris après leur mort, puisque, selon l’usage, ce sont eux qui sont responsables du culte des ancêtres. Ainsi, les jeunes mariés vont vivre dans la famille du mari. Auparavant, il était fréquent que les mariés coréens se sentent honteux de ne pas avoir de fils. Certains allaient même jusqu’à divorcer de leur femme si celle-ci ne donnait pas naissance à un garçon. Aujourd’hui, peu de jeunes Coréens vivent sous le même toit que leurs parents ou prennent financièrement soin d’eux. De plus en plus, les retraités vivent de leur pension et de leur épargne, et ne comptent plus sur leurs enfants pour subvenir à leurs besoins. Enfin, avec l’augmentation des salaires versés aux femmes, les parents qui comptent sur leurs enfants pour financer leurs vieux jours peuvent désormais s’appuyer sur leurs filles. L’an dernier, pour la tranche d’âge concernée, six Coréennes sur dix sont entrées à l’université, contre moins d’une sur dix en 1981.
Selon une enquête menée l’an dernier auprès de 5 400 Coréennes mariées et âgées de moins de 45 ans, seulement 10 % ont déclaré qu’elles se sentaient tenues d’engendrer un fils, rapportait, début novembre, l’Institut pour la santé et les Affaires sociales du gouvernement coréen. Selon une enquête similaire réalisée en 1991, 40 % déclaraient qu’elles devaient mettre au monde un garçon.
Le changement dans les relations parents-fils s’est accéléré avec la crise financière en Asie et ses conséquences qui ont marqué la fin des années 1990, explique Chung Yong Ju, de l’Université de Silla. Bien des hommes ont perdu leur travail, fragilisant davantage leur capacité à prendre soin de leurs parents, alors que les femmes ont accru leur pouvoir dans la cellule familiale grâce à leurs revenus, tirés le plus souvent d’emplois à temps partiel. Par ailleurs, cette période a été favorable aux féministes qui ont gagné une bataille lorsque le Parlement a réformé l’un des derniers bastions du chauvinisme masculin en Corée : le Code civil, vieux d’un siècle.