Eglises d'Asie

Les évêques catholiques demandent au gouvernement de reconduire et de moderniser la réforme agraire

Publié le 18/03/2010




Soixante-seize évêques de la Conférence des évêques catholiques des Philippines (1) se sont réunis au centre catholique Pie XII, à Manille, du 22 au 24 janvier dernier, afin de réfléchir au thème de la pauvreté en milieu rural, et de débattre des suites à donner à la réforme agraire de 1988. A cette occasion, ils ont fait part, à des parlementaires venus les rencontrer, de leur désir de voir reconduite et modernisée cette réforme.

C’est en 1988, sous la présidence de Corazon Aquino, qu’une loi sur la réforme agraire avait été votée par le Congrès philippin. Dans ce pays marqué par une pauvreté endémique en milieu rural et où les grands propriétaires terriens constituent une puissante oligarchie, le CARP (Comprehensive Agrarian Reform Program) avait pour objectif, en dix ans, de redistribuer des terres agricoles à 8,5 millions de petits paysans ou de paysans sans terre, un paysan possédant moins de trois hectares de terre agricole étant considéré comme tel. Après avoir été reconduit en 1998 pour une nouvelle période de dix ans, le programme doit s’achever en juin prochain. Selon le dernier recensement en date (2002), l’agriculture et la pisciculture représentent 15 % du PIB philippin et, sur une population de 85 millions d’habitants, les Philippines comptent 5,5 millions d’agriculteurs.

 

« Nous avons exprimé à nos parlementaires notre désir de voir poursuivie et approfondie la réforme agraire », a expliqué le président de la Commission pour l’action sociale, la justice et la paix de la Conférence épiscopale, Mgr Broderick Pabillo, évêque auxiliaire de Manille. Juste avant de se réunir pour leur assemblée plénière, du 25 au 28 janvier 2008, l’épiscopat philippin a ainsi signifié au pouvoir législatif que, pour l’Eglise des Philippines, le partage des terres était essentiel si l’on voulait voir le pays sortir des difficultés dans lesquelles il se débat. Des évêques ont demandé que la réforme aille au-delà de la seule redistribution des terres et facilite l’accès des paysans aux semences, au crédit ainsi qu’à la formation. Ils ont aussi dénoncé l’accaparement de certaines des meilleures terres par les industriels de l’agro-alimentaire.

 

A l’issue de la réunion, Mgr Pabillo a confié que l’ensemble des prélats avaient été « satisfaits » de sentir un vrai soutien de la part des législateurs, et de voir que ces derniers souhaitaient, eux aussi, la prorogation de la réforme agraire. Des dispositions confirmées par le speaker de la Chambre des représentants, Jose De Venecia Jr., qui a solennellement déclaré devant les évêques : « Nous, membres de la Chambre des représentants et du Sénat, sommes arrivés à un consensus, celui de faire tout notre possible » pour que la réforme soit prorogée au-delà de juin 2008. Sept projets de loi en ce sens ont été déposés devant le Congrès et l’un des parlementaires, Erin Tanada, élu de la province de Quezon, a affirmé que la réforme agraire était devenue « le souci de tous les partis politiques afin que régresse la pauvreté en milieu rural ».

 

Cette réforme ne fait pourtant pas l’unanimité. Elu de la province de Negros Occidental, sur l’île de Negros, Ignacio Arroyo, beau-frère de la présidente Gloria Macapagal-Arroyo, siège à la Chambre des représentants et figure parmi ses opposants notoires. Dans sa province, les tensions entre les propriétaires terriens et les petits paysans sont vives et ne sont pas exemptes de violence (2).

 

Pour Mgr Martin Jumoad, évêque de la prélature d’Isabella, dans le sud philippin, la réforme doit certes être prorogée, mais elle doit aussi être approfondie. Ces vingt dernières années, la volonté politique a fait défaut dans l’application de la réforme. Aujourd’hui, la redistribution des terres ne suffit pas, a-t-il expliqué. Trop souvent, les paysans reçoivent des terres mal desservies par le réseau routier, peu productives car difficiles à irriguer ou bien encore les moyens manquent pour leur mise en culture. Ces petits paysans se trouvent alors contraints de vendre les terres qu’ils ont reçues. L’agriculture figure parmi les priorités que s’est donnée la Conférence épiscopale pour 2008. Selon Mgr Antonio Ledesma, archevêque de Cagayan de Oro et président du Comité pour le monde rural de la Conférence des évêques, la sincérité du gouvernement à réformer le pays sera jugée à l’aune de son engagement en faveur des paysans pauvres.