Eglises d'Asie

Supplément EDA 2/2008 : « En Asie, prisonniers et victimes ont besoin d’une justice réparatrice » – Interview de Rodolfo Diamante –

Publié le 22/11/2010




En Asie, face à des règles pénitentiaires très strictes, les aumôniers et bénévoles intervenant dans les prisons ne sont pas toujours en mesure de répondre aux besoins des détenus et des victimes de la criminalité. Fort de plus de quinze ans d’expérience au sein de la Commission pour la pastorale des prisons de la Conférence épiscopale catholique des Philippines et réélu récemment représentant …

de l’International Commission for Catholic Prison Pastoral Care (ICCPPC)* pour l’Asie et l’Océanie, le Philippin Rodolfo Diamante livre ses préoccupations majeures sur le système pénitentiaire « essentiellement punitif » de cette région du monde, où les châtiments corporels, voire la torture, sont couramment pratiqués par certains régimes autocratiques. L’interview ci-dessous a été diffusée le 19 décembre 2007 par l’agence Ucanews et traduite en français par la rédaction d’Eglises d’Asie.

 

Ucanews : Qu’implique votre statut de représentant à l’ICCPPC ?
Le conseil exécutif de l’ICCPPC se réunit tous les quatre ans. Responsable de la zone Asie-Océanie, je devrais, dans l’idéal, visiter les pays et régions de cette zone. L’Asie est composée de 51 pays et de 17 conférences épiscopales et la région Océanie de 21 pays et de quatre conférences épiscopales. Treize de ces pays font partie de l’ICCPPC.

En réalité, nous ne disposons pas de moyens financiers suffisants pour voyager. Je communique donc les rapports du conseil exécutif aux aumôniers de ces pays par courriel. Je récupère leurs rapports, en fait la synthèse et les transmets au conseil. Nous essayons de faire comme nous le pouvons avec nos modestes moyens.

Quelles sont les priorités en Asie ?
Nous continuons un travail de longue haleine en vue d’abolir la peine de mort, encore très fréquente en Asie. Nous partageons nos expériences et notre manière de travailler en faveur de cette cause. En Asie, les systèmes sont punitifs. Le fait même que la peine de mort soit toujours en vigueur dans la plupart des pays en est un signe. L’usage de la torture est aussi très répandu dans bon nombre d’entre eux. Si aux Philippines, un pays démocratique, nous avons encore des exécutions sommaires, qu’en est-il des pays où la répression est encore plus forte !

La plupart des pays d’Asie ont un système judiciaire lent car ils sont pauvres. La corruption imprègne le système pénal, les prisons sont saturées et la santé, les services d’aides psychologiques et sociaux sont absents ou insuffisants. La Corée du Sud et le Japon, où il existe de meilleures prisons, plus conformes aux normes occidentales – les prisonniers y ont des cellules individuelles et le gouvernement peut se permettre de verser un salaire aux personnes subvenant aux besoins des détenus –, semblent faire figure d’exception.

Dans certains pays comme au Sri Lanka, au Pakistan, en Malaisie, en Inde ou aux Philippines, ce sont uniquement des bénévoles qui s’occupent des prisonniers, leurs actions se limitant généralement à des activités religieuses. Vous avez également des groupes interconfessionnels qui cherchent à convertir, principalement des détenus catholiques ou bouddhistes. C’est un problème que nous essayons de comprendre et d’éclaircir. N’oublions pas que la torture sévit également dans les prisons en Asie.

Différents rapports soulignent la lenteur du développement de la pastorale des prisons. Pouvez-vous nous en dire davantage?
Lors de notre dernière réunion à Rome, en septembre dernier, certains aumôniers de Singapour, de Malaisie et d’autres pays asiatiques nous ont mis en garde sur le fait que si nous militions trop vigoureusement pour la mise en place d’un système judiciaire « réparateur » et pour la fin des châtiments corporels, les aumôniers risquaient d’être interdits d’entrée dans les prisons et de ne plus pouvoir exercer leur ministère. Les questions de réforme au sein du système pénitentiaire doivent être abordées avec une extrême prudence car l’entrée dans les prisons des aumôniers et des bénévoles dépend du bon vouloir des fonctionnaires qui peuvent leur interdire d’exercer leur ministère en invoquant de simples « raisons de sécurité ».

Si, malgré tout, on les autorisait à entrer dans les prisons, les fonctionnaires limiteraient probablement leur ministère à la célébration de la messe et à d’autres actes liturgiques. Les aumôniers ne pourraient donc plus travailler sur d’autres questions, telles la surpopulation carcérale, les problèmes de nourriture ou les aspects matériels et physiques de la vie des prisonniers, sans craindre d’attirer la colère des fonctionnaires qui leur supprimeraient leur autorisation d’entrée en milieu carcéral.

Qu’entendez-vous exactement par justice réparatrice ?
Avec la justice réparatrice, nous abordons la criminalité du point de vue de la rupture des relations humaines. Tous les crimes impliquent deux types de rupture de relations : celle du criminel et de la victime, et celle du criminel et de la société. La criminalité n’est pas seulement une infraction des lois, mais une rupture des liens. On est alors contraint de chercher un moyen de guérir les relations brisées par le délinquant ou le criminel.

Le système actuel ne répond pas à cette question de guérison mais oblige seulement le condamné à purger sa peine en le séparant de la société pour le punir de son crime. Le criminel rembourse en quelque sorte la victime en passant un certain temps derrière les barreaux. Si jamais il doit payer une amende, elle est versée au gouvernement et non à la victime.

Dans le système d’une justice réparatrice, il est nécessaire que le condamné rembourse la victime pour la rupture des liens qu’il a causée. Il le fait en réparant les dommages causés et en apportant une sorte d’indemnisation à la victime.

S’il doit y avoir une prise de responsabilité par le temps passé en prison, une expression concrète des remords est également nécessaire. Remords et guérison ne sont pas du tout inclus dans le système punitif. En fait, les bons avocats s’assurent que leurs clients ne vont pas avouer avoir commis un crime ou un délit contre qui que ce soit. Ce déni de responsabilité ne fait qu’empirer la rupture des relations. En outre, le système punitif consiste à transmettre la responsabilité de la communauté à un juge ou un tribunal, dont le seul rôle consiste à punir l’auteur de l’infraction, et non pas à guérir la rupture des relations.

Nous voulons que nos bénévoles facilitent la guérison des dommages causés par le crime. Dans l’idéal, ils répondent non seulement aux besoins des condamnés mais également à ceux des victimes en se penchant sur leurs besoins, en saisissant et en identifiant leurs douleurs et leurs souffrances, sans pour autant intervenir dans le règlement de l’affaire judiciaire. Nous avons besoin de mettre en place de nouveaux programmes pour parvenir à cela. Ce n’est que lorsque nous comprendrons les besoins que nous pourrons aider à la guérison.

Dans la justice réparatrice, le récit de l’auteur de l’infraction est un élément clé du processus. C’est à cette échelle que les bénévoles des prisons, en tant que médiateurs, peuvent intervenir en engageant une réconciliation entre les deux parties et en impliquant un peu plus la communauté. Les crimes trouvent leur fondement dans la manière dont la communauté et la société sont construites. Le bénévole doit, d’une part, faire prendre conscience à la communauté du sort de la victime, de sa douleur et, d’autre part, de ce qui a conduit le condamné à agir comme il l’a fait.

Est-ce que le paiement du « prix du sang » (1) tel qu’il existe dans la charia (loi islamique) est un signe d’ouverture et de développement de la justice réparatrice ?
Pas du tout. En fait, nous tentons régulièrement de susciter l’intérêt des chefs religieux musulmans pour aller visiter les prisonniers de religion musulmane. En Australie, il existe un imam qui visite les prisonniers musulmans, mais ailleurs quasiment personne. C’est difficile parce que, dans l’islam, la croyance est qu’une personne doit souffrir et être punie pour ses crimes.

Selon l’islam, si vous êtes en prison, vous le méritez, quelle que soit la peine que vous recevez, car il est préférable de souffrir et de racheter ses crimes ici, sur terre, plutôt que d’aller à la rencontre d’Allah sans avoir expié ses péchés. Soulager la souffrance est, par conséquent, la dernière des préoccupations des imams. Il existe une différence essentielle entre la notion de sanction dans l’islam et dans notre tradition chrétienne.

Jusqu’à quel point les aumôniers et les bénévoles sont-ils en mesure d’aider les victimes ?
Idéalement, nous devrions également apporter une aide aux victimes, mais, en fait, peu de choses sont réalisées en ce domaine. Aujourd’hui, nous n’avons pas les moyens d’organiser ce type d’assistance. Les prisonniers, nous pouvons les voir car ils sont rassemblés sur un même lieu, la prison. Avec les victimes, c’est différent car elles sont dispersées géographiquement. Pour les victimes, il faut, d’une part, pouvoir les réunir, mais ensuite, elles vous disent : « Oh, vous travaillez auprès des prisonniers, alors vous êtes de leur côté. »

Il semble donc préférable de travailler auprès des victimes par l’intermédiaire des centres paroissiaux et diocésains d’action sociale et, plus tard, de réunir les prisonniers et les victimes, une fois qu’un travail d’écoute individuel a été réalisé de part et d’autre.

Quel est le rôle de la liberté conditionnelle ou de la mise en liberté anticipée dans la justice réparatrice ?
S’il y a liberté conditionnelle ou anticipée, il doit y avoir une analyse de la situation du condamné, et pas seulement du nombre d’années qu’il a passées derrière les barreaux. A-t-il manifesté des remords ou un désir d’être réhabilité ? Est-il vraiment prêt à rejoindre la société ?

Le système actuel ne comptabilise que les années d’emprisonnement de bon comportement, c’est-à-dire celles durant lesquelles le prisonnier n’a pas commis de délits. La capacité de réinsertion est évaluée en fonction de la fréquentation du détenu aux services religieux ou aux groupes de partage bibliques, et non pas sur sa participation aux programmes thérapeutiques ou d’orientation, comme c’est le cas pour les drogués ou les dealers.

Comment évaluez-vous de tels programmes ?
Il n’existe pas de statistiques. Le système encourage théoriquement ce type de programmes, mais où sont-ils ? Il n’y a pas d’argent pour de tels programmes ni de personnel suffisamment formé pour les mettre en place et les organiser. Les détenus survivent principalement grâce aux activités des bénévoles, qui organisent, la plupart du temps, des programmes religieux. Si vous souhaitez rétablir la « cassure » à l’œuvre chez les criminels, vous devez mettre en place des programmes adaptés aux crimes qu’ils ont commis.

Que pensez-vous de la prison à perpétuité?
Il devrait y avoir des centres où certaines personnes pourraient être maintenues, mais je ne pense pas qu’elles doivent y être enfermées. Des personnes comme les délinquants sexuels et les toxicomanes doivent être prises en charge par des instituts spécialisés, séparées de la société, mais pas enfermées. Il devrait y avoir des programmes pour qu’un jour, elles puissent retourner dans la société. La plupart des toxicomanes sont simplement isolés, sans aide ni relation, même avec leur propre famille.

Malgré la lenteur des réformes en milieu carcéral, qu’est-ce qui vous motive?
Cette pastorale est ma vocation, le sens de ma vie. Quand j’étais étudiant, j’étais à la recherche de ce qui pouvait donner un sens à ma vie. A cette époque, il était clair pour moi que je souhaitais devenir avocat. Cependant, ce qui m’est arrivé m’a poussé à m’engager dans la lutte sur les questions sociales. J’ai participé à la « First Quarter Storm », sous la présidence de Marcos. J’ai été arrêté, incarcéré, et j’ai commencé à m’interroger sur les raisons pour lesquelles Dieu avait permis que je sois emprisonné. Une fois libéré, je me suis promis de ne jamais oublier cette expérience parce que c’était là que j’avais rencontré le pauvre, ses problèmes, ses difficultés.

Même si j’ai poursuivi mon travail en tant qu’aumônier de campus, je n’ai jamais oublié les gens en prison. Alors, un jour, quand ils sont venus me demander de l’aide, je leur ai proposé de m’investir dans l’organisation et la formation, une mission pour laquelle je me sentais bien préparé. J’ai vraiment senti l’appel de Dieu. J’ai alors mis de côté mon désir d’être avocat pour me concentrer sur la théologie.