Eglises d'Asie

Mgr Francisco Claver : « Plutôt que des politiques, nous devons êtres pasteurs »

Publié le 18/03/2010




Quelques jours après la prise de position de la Conférence des évêques catholiques des Philippines dans les débats qui agitent actuellement la scène politique, Mgr Francisco Claver, chargé en 2006 par les évêques philippins de mener une réflexion sur la promotion des valeurs morales dans la vie politique du pays (1), est revenu sur la déclaration des évêques (2). Dans un entretien accordé à l’agence Ucanews (3), il précise le rôle que la hiérarchie de l’Eglise catholique souhaite tenir dans ce pays, où, à nouveau, les pressions de la rue et des milieux politiques sont fortes pour obtenir le départ du chef de l’exécutif.

Agé de 80 ans, évêque émérite de Bontoc-Lagawe, diocèse situé sur l’île de Luzon, Mgr Claver, jésuite, a derrière lui une longue expérience de responsable religieux. C’est notamment lui qui avait rédigé la lettre déclarant que le dictateur Ferdinand Marcos avait perdu toute légitimité à gouverner après les fraudes massives opérées lors des élections de février 1986. Peu après, un million de personnes étaient dans les rues de Manille, à l’appel du cardinal Sin, pour obtenir le départ du dictateur philippin – lequel quitta le pays le 25 février 1986. Vingt ans plus tard, Mgr Claver ne se dit pas étonné de voir les évêques critiqués pour ne pas avoir réclamé la démission de la présidente Gloria Macapagal-Arroyo. « Nous savions que nous allions décevoir ceux qui appellent à la démission, mais, en lisant ce que nous avons écrit, comment peut-on affirmer que nous sommes pro-Arroyo ? », interroge-t-il.

 

Lors de la session extraordinaire de la Conférence épiscopale tenue à la fin du mois de février dernier (2), les évêques ont débattu sur deux points : la démission (de la présidente) et le « People Power », ces manifestations populaires qui ont abouti au départ de Ferdinand Marcos en 1986 et à celui de Joseph Estrada en 2001. Mgr Claver explique que la démission n’est acceptable que si elle repose sur une base légale. « Nous avons une Constitution et, si nous commençons à agir en-dehors, le fonctionnement normal des institutions n’est plus assuré. C’est bien de cela qu’ont peur la plupart des évêques. C’est la stabilité du pays qui est en jeu », assure-t-il, en ajoutant que le Sénat compte 24 membres, soit 24 candidats potentiels à la présidence et que le pays ne peut se permettre d’enfiler les « People Power » les uns à la suite des autres.

 

Mgr Claver poursuit en expliquant que le corps épiscopal a été profondément renouvelé depuis les années 1980. Aujourd’hui, seuls 25 évêques ont connu l’époque de la loi martiale (1972-1981) et les manifestations de 1986 qui ont abouti à la chute de Ferdinand Marcos. Ce sont donc plus de 65 évêques qui, en tant que tels, n’ont pas connu les dilemmes qui se posaient alors à la Conférence épiscopale. « En dépit de toutes les atrocités [commises sous la dictature], nous n’avons jamais demandé à Marcos de démissionner. Nous lui avons demandé de restaurer la Constitution et la démocratie, de respecter les droits de l’homme. Il ne nous est jamais venu à l’idée d’interférer dans les affaires gouvernementales ou de demander à Marcos de quitter le pouvoir », précise Mgr Claver. Si nous avons pris position sur la place publique, c’est parce que les gens avaient peur. « Personne n’osait parler, alors nous l’avons fait, pour le peuple, pour son bien », ajoute-t-il. Ensuite, l’Eglise, par la voix de ses évêques, n’a jamais cessé de s’exprimer. Après 1986, « nous avons continué à parler, à prendre position, comme si nous étions toujours sous le même régime de terreur ». Or, les temps ont changé et, si l’expression « People Power » signifie quelque chose, c’est bien que le peuple – et non plus les responsables de l’Eglise – doivent occuper le devant de la scène.

 

Une partie de l’opinion publique et du personnel politique veut voir l’Eglise prendre position par une déclaration politique, analyse encore Mgr Claver. « Mais nous avons choisi une approche pastorale », poursuit-il. Un prêtre, face à un pécheur, ne condamne pas la personne mais lui donne au contraire la possibilité de se corriger. Si la personne se repent, pas de problème. Si la personne persévère dans le péché, alors vous envisagez l’excommunication – « et, en la matière, l’excommunication, c’est le People Power ». A ce jour, « elle (Gloria Arroyo) n’a pas donné de signe qu’elle était prête à changer, mais nous avons à prendre en compte cette dimension pastorale dans notre politique ». « Plutôt que des politiques, nous devons être pasteurs », conclut-il, en citant à son appui l’encyclique Deus Caritas Est où Benoît XVI explique que, si l’Eglise travaille à un monde plus juste, ce n’est pas à elle de l’imposer.