Eglises d'Asie

Ahmadiyas, suite : le gouvernement impose des restrictions à la liberté des ahmadiyas et mécontente à la fois islamistes et défenseurs des libertés

Publié le 18/03/2010




Le 9 juin dernier, le gouvernement indonésien a pris une décision qui ne satisfait ni les islamistes ni les défenseurs des libertés : un décret, signé conjointement par trois ministres, impose des mesures restrictives aux ahmadiyas, fidèles d’une branche issue de l’islam et considérée par nombre de musulmans comme hérétique par rapport aux canons du « vrai islam » ; mais le texte gouvernemental ne va toutefois pas jusqu’à dissoudre ou interdire la communauté des ahmadiyas, ainsi que l’exigeaient bruyamment les islamistes du Front des défenseurs de l’islam (FPI) (1).

Signé par Maftuh Basyuni, ministre des Affaires religieuses, Mardiyanto, ministre de l’Intérieur, et Hendarman Supandji, procureur général, le décret interdit à la communauté des ahmadiyas « de diffuser des interprétations et de se livrer à des activités qui dévient des principaux enseignements de l’islam ». Il est précisé que cela inclut « la croyance selon laquelle il y a un autre prophète, avec ses propres enseignements, après le prophète Muhammad » (2), croyance constitutive de la foi des ahmadiyas. Le document ordonne aux ahmadiyas de professer les croyances de « l’islam dominant ».

 

A la lecture du décret, il n’est pas évident de savoir quelle est la marge de manœuvre laissée aux ahmadiyas, au nombre de 200 000 en Indonésie. Ils se voient certes interdits de toute action de prosélytisme, mais les ahmadiyas ont-ils toujours la possibilité de pratiquer leur foi en privé ? Le procureur général a précisé qu’« il n’y a[vait] pas dissolution » du mouvement ; toutefois, le ministre des Affaires religieuses a ajouté : « Aussi longtemps qu’ils se réclament de l’islam, ils doivent cesser de croire qu’il y a un autre prophète après Muhammad. Et, en tant que musulmans, ils doivent suivre les préceptes dominants de l’islam. Si nous constatons qu’ils persévèrent à mésinterpréter les enseignements de l’islam, ils auront à faire face à des sanctions judiciaires. » Le décret, entré en application le jour même de sa publication, ne fixe pas de dates pour l’arrêt de leurs activités ; il dit aussi que ceux qui attaquent les ahmadiyas devront répondre de leurs actes devant la justice.

 

Avant même que soit connu le texte du décret, la pression de la rue islamiste était forte : le 9 juin, plusieurs milliers de partisans du FPI et d’autres groupes islamistes manifestaient bruyamment devant le palais présidentiel. Ils ont ensuite pris le chemin du siège de la police de Djakarta, où le chef du FPI, Rizieq Shihab, interpellé cinq jours plus tôt, est détenu. Ils scandaient des slogans réclamant sa remise en liberté. Extrait de sa cellule et présenté à la foule durant cinq minutes, le dirigeant islamiste a tenu un discours virulent pour demander la dissolution des ahmadiyas. Une fois connue la décision gouvernementale, d’autres dirigeants de la mouvance islamiste, comme un porte-parole du Conseil des moudjahidines d’Indonésie, ont estimé que le décret n’allait « pas assez loin ».

 

Du côté des défenseurs des libertés, les réactions ont été tout aussi fortes. Selon le Jakarta Post du 10 juin, le gouvernement « s’est incliné face à l’intensité de la pression exercée par les groupes extrémistes ». Pour Adnan Buyung Nasution, éminent juriste cité par l’AFP, « le gouvernement s’est affaibli lui-même en prenant cette décision. Affaibli car les musulmans fondamentalistes extrémistes ou violents ont compris la leçon : ils savent désormais qu’ils peuvent mettre la pression sur le gouvernement ». Des musulmans modérés ont interrogé la constitutionnalité du décret, le texte du 9 juin étant, selon eux, contraire à la liberté de religion, dont l’exercice est garanti par la Constitution.

 

Au lendemain de la publication du décret, d’importantes forces de police ont été déployées à proximité des lieux où se réunissent les ahmadiyas, les autorités craignant des attaques d’islamistes ou des heurts entre ces derniers et des défenseurs des libertés.