L’attaque menée contre les personnes qui ont pris part à une manifestation pacifique pour défendre la liberté de religion, dimanche après-midi, sur la place du Monas, à Djakarta, montre à quel point nos libertés sont fragiles. Celles-ci ne sont pas tant menacées par ceux qui veulent s’en prendre à elles, que par la faillite de l’Etat à exercer la mission consistant à protéger les citoyens dans le libre exercice de leurs droits.
Les violences commises indiquent que, non seulement, la liberté de religion est menacée de disparaître, mais que la liberté d’expression est atteinte elle aussi. Le plus tragique est que l’Etat, la police en particulier, se sont montrés indifférents à ces violences, quand bien même il est clairement de leur responsabilité de protéger les personnes et leurs droits.
Nous nous abstiendrons ici de condamner les auteurs des violences de dimanche dernier car ils ne méritent pas notre attention. Il s’agit là d’un groupuscule qui cherche à attirer l’attention des médias pour paraître plus important qu’il n’est en réalité. Les violences auxquelles il se livre sont minutieusement pensées pour générer un maximum de publicité, et les médias se laissent à chaque fois prendre au piège en leur accordant la place et l’attention qu’il recherche. Les auteurs de ces violences ne sont pas dignes qu’une ligne de cet éditorial leur soit consacrée, mais le fait que leurs violences soient perpétrées sans que l’Etat cherche un seul instant à s’y opposer ne peut pas être passé sous silence.
Nous condamnons un gouvernement qui, pour la énième fois, a failli à remplir sa mission consistant à défendre les personnes exerçant leurs droits constitutionnels, dans le domaine de la liberté de religion en premier lieu, dans celui de la liberté d’expression désormais.
La manifestation de dimanche, organisée par l’Alliance nationale pour la liberté de religion et de croyance, avait pour objet de rappeler au gouvernement ses responsabilités constitutionnelles dans le domaine de la protection des droits des minorités religieuses en Indonésie. En arrière-plan, figurent les récentes attaques perpétrées contre des fidèles du groupe musulman des ahmadiyas – des attaques, soit dit en passant, largement ignorées par la police –, après qu’une institution publique a recommandé que ce groupe soit interdit pour « hérésie ».
Les ahmadiyas ne sont pas les seuls à sentir le vent du boulet. D’autres minorités religieuses ont elles aussi été prises pour cibles, attaquées ou harcelés, à tel point qu’on peut se demander s’il n’est pas justifié d’avoir le sentiment qu’en Indonésie, il existe aujourd’hui une persécution envers les croyances religieuses. C’est précisément pour démentir cette impression que des musulmans et des non-musulmans ont pris part à la manifestation pacifique de dimanche dernier afin d’envoyer un message au gouvernement et lui rappeler sa mission de protection des minorités religieuses.
Qu’une institution publique prononce un jugement sur l’essence d’une religion, jusqu’à dire ce qui est bien ou mauvais dans l’enseignement d’une religion, constitue en soi une violation grossière de la Constitution. C’est aussi une violation des principes du pancasila, l’idéologie qui est celle de l’Etat, et la date de la manifestation, le 1er juin, n’avait pas été choisie par hasard par ses organisateurs ; le 1er juin est le jour anniversaire de la promulgation du pancasila.
Que les autorités de l’Etat n’empêchent pas des groupes affirmant représenter le « vrai » islam d’attaquer de manière répétée les ahmadiyas constitue une mauvaise nouvelle. Que dimanche ces mêmes autorités se montrent incapables d’assurer la sécurité de personnes venues défendre la liberté de religion est certainement la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
Le gouvernement n’est pas le seul à montrer de l’ambiguïté vis-à-vis de l’existence et des agissements violents de groupes agissant au nom de l’islam. Les grandes organisations musulmanes de masse telles la Muhammadiyah et la Nahdlatul Ulama se sont abstenues de condamner de manière catégorique les violences de dimanche dernier ; tous les partis politiques islamistes ont gardé le silence. On peut donc s’interroger sur la solidité de leur engagement à défendre la liberté religieuse et le droit des minorités religieuses à professeur leur foi. Quelques-uns seulement ont dit ne pas accepter que le nom de l’islam soit utilisé par des groupes qui justifient ouvertement le recours à la terreur, à la violence, à l’intimidation pour parvenir à leurs fins.
Depuis des années, ces groupes violents utilisent le nom de l’islam pour assaillir leurs victimes. Le silence des organisations les plus importantes numériquement de ce pays peut être interprété comme un signe de leur complicité dans l’usage qui est fait de la violence ; avec certitude, on peut aussi dire qu’elles n’empêchent pas les groupes dont il est question de ternir l’image de l’islam.
Et pourtant, nombreuses ont été les organisations à condamner les ahmadiyas, qui ne sont pourtant pas connu pour être des violents ; elles ont ainsi pris position car, selon elles, le fait que les ahmadiyas revendiquent le fait d’appartenir à l’islam est considéré comme une offense.
Aussi longtemps que les principales organisations musulmanes et les partis islamiques maintiendront une telle attitude ambivalente, nous ne pouvons pas attendre du président Susilo Bambang Yudhoyono qu’il fasse preuve de fermeté à l’encontre des auteurs des violences de dimanche dernier, quand bien même les libertés de religion et d’expression seraient menacées.
A moins que nous constations que le gouvernement prend les mesures qui s’imposent pour répondre aux crimes commis contre nos libertés, nous pouvons commencer à compter les jours qui nous séparent de la faillite de l’Etat indonésien.