Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Interview de Mgr Joseph Ngô Quang Kiêt, archevêque de Hanoi, le jour du coup de force de la police sur l’ancienne Délégation apostolique

Publié le 18/03/2010




(Une première question du P. Nghi sollicite des informations sur les événements survenus dans la matinée à l’archevêché de Hanoi.) « Aujourd’hui, dans la matinée, de très nombreux policiers se sont introduits à l’intérieur de la Délégation apostolique après avoir forcé le portail d’entrée. (…) A l’heure actuelle, à l’intérieur de cette même Délégation apostolique, de gros engins de chantier sont en train d’accomplir leur tâche.

Les grilles ont été renversées ainsi que d’autres constructions. En ce moment, les engins défoncent la cour et y déversent de la terre. L’intérieur et l’extérieur de la cour grouillent de policiers. Ils posent des clôtures en fil de fer barbelé pour interdire le passage, à l’entrée de la rue qui mène à l’archevêché, bloquant en même temps l’entrée du couvent des Amantes de la Croix. Les effectifs de la police comprennent des éléments des forces d’intervention rapide, de la police appelée « 113 ». Certains d’entre eux portent un uniforme, d’autre des vêtements civils. Quelques-uns ont des caméras. Ils sont secondés par des chiens policiers. Ils montent la garde empêchant les fidèles de passer par là, y compris les religieuses, qui, de l’archevêché, veulent rentrer chez elles. Tout le quartier est bloqué.

 

Pendant ce temps, à l’extérieur de la zone soumise au blocus et même dans la cour de l’archevêché, les fidèles se rassemblent de plus en plus nombreux. Des religieuses et des séminaristes prient devant la police.

 

Par ailleurs, je remarque aussi la présence de reporters de journaux étrangers venus pour s’informer, filmer et photographier. Certains d’entre eux, alors qu’ils étaient en train d’accomplir leur profession, ont été repoussés à l’intérieur de la cour de l’archevêché. Ils ont été protégés et sauvés par la foule. Cependant, l’un d’entre eux s’est vu arracher son appareil photos et a été maltraité. Voilà un certain nombre d’éléments de la situation actuelle telle qu’elle est en train d’évoluer devant nos yeux (…).

 

(Une seconde question rappelle qu’à la fin du mois de janvier dernier, avec l’accord du Saint-Siège, l’archevêque s’était engagé dans le dialogue avec les autorités pour récupérer la propriété. Ce dialogue, semble-t-il, a été rompu par l’initiative brutale du gouvernement.)

Nous en sommes très attristés ! Conformément à la lettre du cardinal secrétaire d’Etat (du Saint-Siège) envoyée au début de l’année, qui affirmait qu’il fallait s’engager sur la voie du dialogue, ici, tout le monde, le clergé comme les laïcs, a obéi aux souhaits du Saint-Siège. Ce dialogue n’était pas seulement celui de l’archevêque, mais aussi celui des laïcs, du clergé et de l’ensemble de la Conférence épiscopale du Vietnam. Ce processus de dialogue était en cours lorsque l’Etat a pris la décision unilatérale que nous connaissons. Nous constatons que l’Etat, de sa propre initiative, a rompu le dialogue en cours, sans respect de l’opinion de la Conférence épiscopale, du Saint-Siège et surtout du peuple chrétien. Voilà une chose tout à fait désolante.

 

(Une nouvelle question demande à l’archevêque si les autorités ne l’ont jamais consulté avant la décision de transformer la propriété de la Délégation apostolique en jardin public.)

Nous n’avons jamais été consultés. Hier, à 3 heures de l’après-midi, nous avons reçu une lettre des autorités de l’arrondissement de Hoan Kiem, nous invitant à venir « entendre » la proclamation d’un projet destiné à transformer le terrain du 42 Nha Chung en jardin public planté d’arbres. Je ne me suis pas rendu à la réunion. J’ai entendu dire qu’une dizaine de personnes y avait participé. Ils ont fait cette proclamation du projet. Ensuite, ce matin, ils ont décidé de le mettre à exécution immédiatement. Si bien qu’il n’y a eu aucune consultation de l’archevêché.

 

Les journaux et la télévision de Hanoi ont affirmé ce matin qu’un représentant de l’archevêché participait à cette réunion et qu’il avait approuvé la décision. Ceci est totalement contraire à la vérité.

 

(Une nouvelle question porte sur l’aspect juridique de cette affaire.)

C’est l’Etat lui-même qui s’est mis en infraction avec la loi. En premier lieu, il existe des dispositions communes et des orientations habituelles de l’Etat en matière d’aménagement des quartiers résidentiels et des travaux publics. Les nouveaux projets doivent être portés à la connaissance de la population locale pour que celle-ci donne son avis et apporte sa contribution de nombreux mois avant la réalisation. Pour être réalisé, le projet doit rencontrer l’accord de tous les habitants du quartier. Si cet accord n’est pas obtenu, il faut alors en expliquer avec soin toutes les raisons aux personnes en désaccord. Si le désaccord persiste, il faut abandonner le projet. Cela s’est passé ainsi en de nombreux endroits (…). Ainsi, l’Etat est en infraction avec les dispositions législatives qu’il a lui-même mises en place. Il n’y a jamais eu de consultation sur ce projet et nous-mêmes nous n’en connaissions pas la nature. Nous ne l’avons connu qu’hier soir (…).

 

En second lieu, il s’agit là d’une propriété. Le fait de programmer la création d’un espace vert sur le terrain situé au 42 de la rue Nha Chung, qui est appelé terrain de la Délégation apostolique, était entièrement en infraction avec la loi. Cette action ne respecte pas le droit de propriété actuel qui est celui de l’archevêché de Hanoi. Ce droit de propriété, nous le savons, doit être attesté par des documents légaux (…). L’archevêché possède toutes les pièces nécessaires, notamment les extraits des registres du cadastre dressé à l’époque française. Quant au gouvernement, il n’a même pas fait connaître la personne qui s’occupe du dossier et n’a aucun document à présenter.

 

Je voudrais rappeler l’historique de cette affaire. Mgr Dooley, alors délégué apostolique, a occupé cette résidence jusqu’en 1959, date à laquelle il a été expulsé. En 1960, ce fut le tour de son secrétaire. Cependant, le chauffeur de la Délégation et une autre personne travaillant pour le représentant du Saint-Siège continuèrent d’y habiter. De nombreuses années plus tard, un fonctionnaire du gouvernement est venu chasser les deux derniers occupants. Aucune politique précise n’a été suivie, aucun document n’a été publié. Cependant, les deux résidences (l’archevêché et la Délégation) ont continué de communiquer entre elle. Puis, un jour, l’Etat invita Mgr Cân (archevêque de Hanoi de l’époque), les prêtres de l’archevêché et les employés à une réunion. A leur retour, ils constatèrent qu’un mur de séparation avait été édifié. On peut même dire que ce mur avait été construit clandestinement et non pas au grand jour.

 

Il n’existe aucun document attestant que le bâtiment a été offert ou qu’il a été confisqué. Il est toujours resté la propriété de l’archevêché.

 

Dans un pays civilisé, chacun doit se conformer à la loi. Le droit de propriété doit être prouvé par un document légal. Lorsque c’est le plus fort qui gagne et le plus faible qui perd, nous ne sommes plus dans un pays civilisé.

 

(Une question concerne le jugement de l’archevêque sur l’attitude adoptée par le gouvernement en cette affaire.)

(…) Le bon droit d’un régime politique se justifie par la conduite morale qu’il adopte, une conduite morale qui doit s’appuyer avant tout sur la vérité. Dans cette affaire de terrains, nous constatons que bon nombre d’agissements ne sont pas conformes à la vérité. Tout d’abord, il y a de faux documents, comme, par exemple, à Thai Ha, le document qui montrerait que le P. Bich, alors très âgé, aurait offert la propriété. Or il existe trois ou quatre documents différents les uns des autres : comment cela peut-il se faire ? Dans l’affaire de la Délégation apostolique, on déclare que Mgr Cuong a également offert la propriété. Or il ne l’a jamais fait. On a récemment publié de fausses annonces, ce dont nous nous sommes rendus compte plus tard. On nous a fait des promesses trompeuses (…). »