Eglises d'Asie

Supplément EDA 5/2008 : Deepika, les tribulations d’un quotidien catholique indien

Publié le 07/10/2011




 Signe d’une prise de conscience de la presse catholique indienne, Deepika, l’un de ses plus anciens quotidiens, a retrouvé sa vocation première, au service de l’Eglise. Les tribulations qu’a connues au fil de ces dernières décennies ce journal du Kerala témoignent des difficultés pour les médias chrétiens de s’adapter aux nouveaux défis de la professionnalisation de leurs équipes et de la recherche de financement.

 Le Nasarani Deepika (‘Qui porte la lumière chrétienne’ en langue malayalam) été fondé à Kottayam, au Kerala, le 15 avril 1887 par le P. Emmanuel Nidhiri, un prêtre membre de la congrégation des Carmes de Marie Immaculé (CMI) de l’Eglise catholique syro-malabare. Dans cet Etat qui concentrait déjà l’une des plus fortes proportions de catholiques de l’Inde, il fut le tout premier quotidien en langue malayalam. Rapidement rebaptisé Deepika (‘Le porte-flambeau’), terme plus neutre choisi afin de toucher un lectorat plus large, le journal remporte un rapide succès et ne cesse d’augmenter son tirage au cours du XXème siècle jusqu’à dépasser les frontières du Kerala.

En 1989, le titre franchit une étape importante de son histoire en passant aux mains du groupe Rashtra Deepika (1). Laïcs, prêtres et religieux travaillent ensemble dans l’entreprise nouvellement créée et se lancent dans de nouveaux investissements. Deepika tire alors à 300 000 exemplaires et parait sous différentes éditions pour les villes importantes du Kerala. D’autres publications sont mises en circulation et l’édition du soir de Deepika est l’une des plus lues de la presse en malayalam.

Toutefois, dans les années 1990, le groupe subit des revers financiers : son titre-phare voit son tirage diminuer et la recherche de fonds au sein de l’Eglise s’avère inopérante. En 2003, le Synode syro-malabar nomme Mar Mathiew Arakkal, évêque de Kanjirappally, à la tête de l’entreprise afin de redresser la situation. L’ouverture du groupe à de nouveaux investisseurs, dès 2004, renfloue l’entreprise mais entraîne le journal dans une valse de directeurs et de rédacteurs en chef successifs. C’est alors que Mar Mathiew Arakkal pense sauver le titre en le confiant à Aboobakkar Pharis, homme d’affaires musulman richissime, déjà investisseur dans le groupe. Toutefois, le nouveau directeur, après avoir assuré qu’il continuerait à défendre les valeurs qui avaient assuré la notoriété de Deepika, prend définitivement la main éditoriale et révèle ses objectifs politiques. Le quotidien, qui s’était fait connaître pour ses prises de positions anti-communistes, fait désormais la promotion du gouvernement communiste du Kerala, lequel s’en prend régulièrement l’Eglise. Des employés démissionnent, ne se reconnaissant plus dans la ligne éditoriale.

L’Eglise décide de réagir et de reprendre en main ce journal fondé par elle 120 ans plus tôt. Les évêques syro-malabar, syro-malankar et les catholiques latins se réunissent. Après de difficiles tractations avec les actionnaires de la compagnie, le contrôle du journal est finalement redonné à l’Eglise en échange du remboursement de l’argent investi. Le prix de la liberté aurait été de 160 millions de roupies (2,5 millions d’euros), en partie financés par les Malayalees expatriés.

Le 31 décembre 2007, Deepika retrouve sa fonction première et est relancé officiellement début 2008, lors d’une grande conférence de presse réunissant, fait rare au Kerala, tous les partis politiques à Kottayam, ville où était né le titre plus d’un siècle auparavant et où Jean Paul II avait inauguré son centenaire. Cet étonnant rassemblement montre à lui seul la crédibilité dont Deepika continue de jouir dans le monde des médias et l’attachement de la société indienne à l’un de ses plus anciens titres. Outre sa fonction missionnaire, perceptible surtout dans ses débuts, Deepika a aussi joué un rôle primordial dans le développement du journalisme en Inde, faisant même figure de précurseur. Premier quotidien en malayalam, il a été également le premier à être mis en ligne. De nombreux écrivains éminents ont écrit régulièrement dans ses colonnes et Deepika a innové dès ses débuts en ouvrant des rubriques consacrées au sport, à l’actualité agraire ou bien encore en publiant des romans feuilletons.

A l’annonce du rachat du journal, Charlie Paul, avocat catholique auprès de la Haute Cour du Kerala et rédacteur à Deepika, exprimait son soulagement à l’agence Ucanews : « Je suis heureux que le titre revienne dans le giron de l’Eglise. Ce journal a incroyablement contribué à l’expansion de l’Eglise au Kerala, mais nous ne l’avons réalisé que lorsque nous l’avons perdu. »

Aujourd’hui, Sunil Joseph Kooazhampala, le nouveau directeur du groupe Rashtra Deepika, a la ferme intention de redonner au célèbre titre son rôle de « voix morale » du Kerala, où 19 % de la population est chrétienne. « ‘Deepika’, c’est le rôle du chrétien, affirme un de ses lecteurs assidu. Il faut apporter la lumière aux autres. »