Eglises d'Asie

188 martyrs japonais du XVIIème siècle ont été béatifiés lors d’une grande cérémonie à Nagasaki

Publié le 18/03/2010




Le 24 novembre 2008, à Nagasaki, l’Eglise a béatifié 188 martyrs japonais. La cérémonie a eu lieu en présence de près de 30 000 personnes, dans un stade de baseball spécialement aménagé pour l’occasion, l’événement étant, pour l’Eglise catholique au Japon, l’occasion de mieux se faire connaître des non-chrétiens et, pour les catholiques japonais, « de raviver leur foi », ainsi que l’a expliqué Mgr Mizobe Osamu, évêque de Takamatsu et président de la Commission de préparation de la béatification.

L’Eglise du Japon, dont les martyrs se comptent par dizaines de milliers, comptait déjà plusieurs dizaines de saints et de bienheureux. Le christianisme, introduit dans le pays par saint François Xavier en 1549, y avait en effet connu un essor rapide jusqu’en 1587, date à laquelle commencèrent les persécutions, plus ou moins violentes et par paliers, qui s’échelonnèrent jusqu’à l’interdiction totale du christianisme sur le territoire japonais et le renvoi définitif de tous les missionnaires étrangers en 1614, perçus par le pouvoir shogunal comme l’avant-garde des puissances étrangères. La liberté de religion ne sera instaurée qu’en 1873, cinq ans après la restauration Meiji. Rome avait alors pris les devants et canonisés, en 1862, 26 martyrs, connus sous le nom des « 26 martyrs de Nagasaki » – dont saint Paul Miki –, 26 prêtres, religieux et laïcs crucifiés sur une colline de Nagasaki en 1613, face à l’occident ; en 1867, Pie IX réitérait le geste en béatifiant 205 autres martyrs.

 

Cette fois-ci, l’initiative de la béatification du P. Petro Kibe et de 187 martyrs – tous des laïcs, à l’exception de quatre prêtres et d’un religieux – revient au pape Jean-Paul II. Lors de son voyage de 1981 au Japon, profondément touché par le témoignage de foi des chrétiens japonais sous les persécutions, il avait donné le conseil aux évêques japonais de faire les recherches historiques nécessaires pour faire connaître la vie de ces témoins de la foi. Vingt-six ans plus tard, Benoît XVI signait à Rome le décret de béatification de ces martyrs, amenant à son terme un processus piloté de bout en bout par l’Eglise catholique du Japon. L’an dernier, à Rome, le cardinal japonais Hamao soulignait que la béatification de ces 188 martyrs était « la première dont la cause avait été promue par les évêques du Japon » (1).

 

Mis à mort pour leur foi chrétienne entre 1603 et 1639, les 188 martyrs sont tous japonais. Laïcs pour la plupart, formés d’hommes et de femmes, d’adultes, d’enfants et de vieillards, ils ont laissé des témoignages le plus souvent bouleversants (2). Dans une note de présentation, les évêques japonais écrivent : « Ces 188 martyrs n’étaient pas des militants de la chose politique, ils ne luttaient pas pour défendre leurs droits fondamentaux d’hommes et de femmes, ils ne récriminaient pas contre un régime qui leur niait le simple exercice de la liberté religieuse. Ils étaient des hommes et des femmes d’une foi profonde et vraie qui accordaient leur vie à ce qu’ils croyaient. A tous, ils donnent matière à réfléchir. »

 

Dans le Japon contemporain, la liberté de religion est inscrite dans la loi. Nulle persécution donc. Les évêques estiment cependant que ces 188 nouveaux bienheureux peuvent parler aux chrétiens japonais et, au-delà, à tous les Japonais, dans un pays où l’Eglise catholique compte 450 000 fidèles de nationalité japonaise. Le cardinal Hamao affirmait l’an dernier que, bien que « la liberté de croire soit totale » au Japon, cette liberté n’y était pas perçue comme un droit fondamental par l’opinion publique, laissant ainsi la possibilité à une certaine droite japonaise de revenir à l’instrumentalisation de la religion shinto à des fins politiques. Sous le régime militariste des années 1930 jusqu’à la défaite de 1945, la religion shinto avait été utilisée à des fins de contrôle social et politique au service des objectifs des dirigeants alors en place.

 

Sur un plan moins directement politique, les évêques soulignent que, dans une Eglise où les prêtres sont rares, le témoignage des martyrs d’hier dit quelque chose de la place des laïcs dans la transmission de la foi et l’organisation de l’Eglise aujourd’hui. « Le temps est venu de prendre sérieusement en considération la formation de nos laïcs », écrivent-ils. Dans une Eglise où les parents déplorent le fait qu’ils n’arrivent pas à transmettre leur foi à leurs enfants, les martyrs d’hier, si souvent suppliciés en famille, expriment la force d’une foi vécue ensemble. « Ne peut-on dire que la foi des parents [d’aujourd’hui] ne se transmet pas à leurs enfants parce que cette foi n’a jamais été l’élément déterminant qui informe toute leur vie ? », interroge l’épiscopat japonais.

 

Les évêques soulignent encore la vigueur du témoignage laissé par les nombreuses femmes qui figurent au nombre de ces 188 martyrs. « Nous avons pris conscience que sans ces femmes, l’Eglise du Japon n’existerait pas aujourd’hui. Nous attendons de la béatification de ces femmes martyres qu’un message d’espérance et de consolation soit apportée à toutes les femmes de ce pays, quelle que soit leur appartenance religieuse », écrivent-ils.

 

Enfin, dans un pays en proie à une profonde dénatalité, l’Eglise au Japon présente la particularité de compter plus de catholiques d’origine étrangère (580 000) que de fidèles japonais (450 000). Dans un pays très longtemps fermé à l’immigration et où le nombre officiel des immigrés est aujourd’hui de 2,15 millions (1,69 % des 127 millions d’habitants du Japon), l’Eglise a été amenée, ces dernières années, à mettre en place des structures spécifiques dans chacun de ses diocèses, dans chacune de ses paroisses, pour accueillir les immigrés. Là encore, les martyrs d’hier, en ce qu’ils étaient pleinement japonais tout en s’étant ouvert à une religion perçue comme non japonaise, peuvent être porteurs d’enseignements pour le Japon contemporain, indiquent certains catholiques japonais.