Eglises d'Asie

Les plus hauts responsables de l’Eglise catholique appellent le Congrès à voter la reconduction de la réforme agraire

Publié le 18/03/2010




Le 15 décembre, les plus hauts responsables de l’Eglise catholique aux Philippines ont signé une lettre ouverte appelant les membres du Congrès philippin à voter la reconduction de la réforme agraire. Votée une première fois en 1988, reconduite en 1998, la loi sur la réforme agraire, ou Comprehensive Agrarian Reform Program (CARP), devait expirer le 10 juin dernier, avant qu’un vote in extremis de la Chambre des représentants et du Sénat ne la reconduise jusqu’au 31 décembre 2008.

Pour les évêques philippins, reconduire cette loi pour une nouvelle durée de dix ans est une affaire « très importante et urgente pour des millions de Philippins ». « Changer le régime de la propriété foncière est au cœur de la réforme agraire et du développement rural. Si rien n’est fait, cela signifie que nous tolérons l’injustice et le désordre », écrivent les évêques catholiques.

 

Les deux cardinaux de l’Eglise des Philippines, Mgr Gaudencio Rosales, archevêque de Manille, et Mgr Ricardo Vidal, archevêque de Cebu, ont apposé leur signature aux côtés de celle du président de la Conférence épiscopale, Mgr Angel Lagdameo, archevêque de Jaro, et du président de la Commission épiscopale pour l’Action sociale, la Justice et la Paix, Mgr Broderick Pabillo, évêque auxiliaire de Manille. Une telle mobilisation de la hiérarchie catholique des Philippines indique l’importance que ce dossier revêt pour les évêques philippins. « Il ne s’agit pas seulement du sort des pauvres du monde rural qui se voient spoliés de leurs terres et de leur dignité en tant que personnes. Il s’agit aussi d’une question qui concerne les habitants des villes sur lesquels reposera la responsabilité de faire une place aux paysans sans terres qui affluent vers les villes », écrivent les évêques.

 

La réforme agraire a été inscrite dans la loi en 1987, dans la foulée de l’euphorie démocratique soulevée dans le pays par la chute du dictateur Ferdinand Marcos, en 1986. Inscrit dans la Constitution, l’impératif de redistribution des terres a été transcrit dans la loi en 1988, avec le CARP, texte limitant la surface agricole maximale par propriétaire et autorisant l’Etat à acheter les surfaces dépassant ce seuil pour les redistribuer à des exploitants directs. Voté pour une durée de dix ans, il devait conduire au partage de 10,3 millions hectares de terres agricoles entre quatre millions de familles paysannes sans terre. Le texte a été reconduit en 1998, face au constat que les objectifs de redistribution des terres n’avaient pas été atteints. Dans un pays où les grandes propriétés foncières dominent le paysage rural, nombre de facteurs ont été avancés pour expliquer l’échec de la loi : résistance des grands propriétaires, faiblesse des moyens budgétaires débloqués pour racheter les terres, contournement de la loi par des moyens illégaux ou extra-légaux.

 

Dix ans plus tard, en 2008, les évêques philippins mettent en avant les provinces où l’application de la loi est un échec patent. Ils citent ainsi les régions de Calatagan, de Laguna, de Camarines Sur ou bien encore de Negros, où des incidents violents ou des manifestations de paysans pauvres se sont produits récemment. Negros est notamment connue pour les propriétés qu’y détient la famille du mari de la présidente des Philippines, Gloria Arroyo, et pour le peu d’enthousiasme manifesté par cette famille pour appliquer la réforme agraire.

 

Les évêques appellent notamment les législateurs philippins à ne pas travestir l’esprit de la loi. Selon eux, il est important d’augmenter les budgets et d’investir plus de moyens dans le soutien aux communautés paysannes qui ont reçu des terres (2). En effet, avant la date couperet du 31 décembre 2008, les partis politiques représentés à la Chambre des représentants se seraient certes mis d’accord pour reconduire pour dix ans la loi mais pour en supprimer les clauses relatives à l’acquisition automatique de terres par l’Etat. L’information reste à confirmer mais elle est suffisamment crédible pour que les évêques insistent sur ce point : « Vous (les législateurs) devez voter une loi qui comprenne l’achat et la redistribution des terres, une loi qui n’abandonne pas le système des achats automatiques de terres comme mode de transfert de propriété. »

 

Avant la fin de l’année et de l’actuelle session parlementaire, les députés doivent se prononcer sur le texte HB 4 077 qui porte extension du CARP pour cinq ans avec un budget prévisionnel de 100 milliards de pesos (1,54 milliard d’euros) ; les sénateurs, quant à eux, doivent se prononcer sur le texte SB 2 666 qui porte extension du CARP sur dix ans avec un budget prévisionnel de 147 milliards de pesos et un plan de formation pour les futurs bénéficiaires de la réforme agraire.