Eglises d'Asie

A l’approche des élections législatives, un important parti islamiste se mobilise pour séduire les jeunes

Publié le 25/03/2010




En Indonésie, la Saint-Valentin, célébrée le 14 février, est fêtée avec enthousiasme, particulièrement par les jeunes, qui, le regard tourné vers l’Occident, choisissent ce jour pour offrir fleurs et chocolats à l’élu(e) de leur cœur. Cette fête y est toutefois de plus en plus fustigée par certaines instances islamiques, à l’image de ce qui se passe dans le reste du monde musulman, …

… où la Saint-Valentin est perçue comme favorisant les fréquentations amoureuses avant le mariage (1).

A l’approche des élections législatives du 9 avril prochain, cherchant à redorer son image dans le but de rallier un électorat plus jeune, le Parti de la Justice et de la Prospérité (Partai Keadilan Sejahtera, PKS), l’un des partis les plus conservateurs mais non moins dynamique d’Indonésie, n’a pas hésité à se lancer dans une grande campagne de séduction, en annonçant, une semaine avant la Saint-Valentin, qu’il offrirait, le 14 février, des roses et des petits cadeaux avec des mugs portant la photo de leurs candidats.

Le choix de cette campagne inhabituelle était d’autant plus surprenant qu’il émanait d’un parti qui a activement soutenu la très controversée loi anti-pornographie, récemment votée mais dont les décrets d’application ne sont pas encore parus. La loi interdit les actes ou attitudes qui « offensent la moralité publique » et « incitent au désir sexuel », termes vagues qui font craindre aux diverses associations et mouvements, aux groupes de défense des droits de l’homme et aux organisations chrétiennes, de graves atteintes aux libertés fondamentales et aux particularités culturelles de ce pays plurireligieux (2).

Mais, après avoir annoncé son projet de campagne une semaine avant la fête des amoureux, le PKS a déclaré, tout aussi précipitamment, en avoir abandonné l’idée, avançant le prétexte que la fête était « issue de la culture juive ». « Nous ne voulons pas célébrer quoi que ce soit qui ne soit pas dans la droite ligne de l’islam », annonçait le 10 février, à la presse locale, le président du PKS, Titaful Sembiring, dans une volte-face remarquée. Pour surprenante qu’elle puisse paraître, l’association de la Saint-Valentin à « la culture juive » n’est pas nouvelle en Indonésie, pays où le judaïsme ne figure pas parmi les religions reconnues par l’Etat (3) et souffre d’une mauvaise image. Le 12 février 2008, Buya Mas’oed Abidin, président pour Sumatra-Ouest du Conseil des oulémas indonésiens (Majelis Ulama Indonesia, MUI), la plus haute instance islamique du pays, avait vu en la Saint-Valentin une « conspiration mondiale du capitalisme juif ».

Avec sa rétractation in extremis, le 10 février dernier, le PKS a évité de se décrédibiliser en tant que « voix de l’islam », rôle que ce parti revendique dans le paysage politique indonésien. Un an plus tôt, Ismet Amzis, maire de Bukittinggi, dans la province de Sumatra-Ouest, s’appuyant sur une loi locale anti-immoralité, avait ordonné, le 13 février 2008, l’interdiction de la fête sur le territoire de sa commune, arguant de son incompatibilité avec l’islam : « La Saint-Valentin n’appartient pas à notre culture (…). Cette fête encourage les gens à avoir des comportements immoraux et donc inacceptables tels que des accolades et même des baisers ! Surtout chez les jeunes. » Il avait prévenu que tout contrevenant serait arrêté par la police et déféré devant la justice, soulignant que l’occasion lui paraissait propice pour se rendre massivement dans les lieux de prières pour « démontrer sa foi et sa haute moralité » (4).

L’incongruité d’une campagne à l’occasion de la Saint-Valentin était d’autant plus forte que le projet avait été imaginé dans la province de Java-Ouest, l’une des deux provinces d’Indonésie où le PKS a remporté les élections en 2008, suscitant une certaine surprise et inquiétude face à la montée inattendue d’un parti considéré jusqu’alors comme peu influent. Dans ce bastion du PKS, Ahmad Heryawan, le gouverneur de la province de Java-Ouest, ardent partisan de la loi anti-pornographie, tente de faire interdire le Jaipongan, une danse au déhanché sensuel, créée sur les bases d’une danse folklorique locale après que le président Sukarno eut interdit le rock’n roll en 1961. Le gouverneur PKS a ordonné aux danseuses de ne plus onduler des hanches et de ne pas se rendre trop « attirantes ». « Nous nous sommes seulement fait l’écho de l’opinion publique, qui se sent mal à l’aise face à ces débordements », a expliqué Herdiwan Iing Suranta, directeur des Affaires culturelles de la province (5).

Zulkieflimansyah, le chef du PKS à l’Assemblée nationale (DPR, Dewan Perwakilan Rakyat), est quant à lui plutôt dubitatif en ce qui concerne les prises de position de son parti, qu’il décrit lui-même comme étant « entre le marteau et l’enclume ». C’est lui qui a insisté pour que le PKS se rende populaire, quitte à savoir parfois ne pas se montrer trop radical. En 2004, alors qu’il militait pour que l’Indonésie devienne un Etat islamique, le PKS a ainsi retiré de son programme pour les élections législatives ses revendications pour que seul l’islam soit reconnu en Indonésie.

Zulkieflimansyah est également très conscient du rôle que peuvent jouer les stars adulées par le public indonésien lorsqu’elles acceptent de soutenir la campagne du PKS. On chuchote qu’Ahmad Herawan, gouverneur de Java-Ouest, a gagné les élections de 2008 grâce à la popularité de Dede Yusuf, acteur célèbre venu soutenir sa candidature. « Tout de suite, les gens viennent vers vous, vous serrent la main, admirent la star de cinéma et finalement, vous ramassez beaucoup d’argent », conclut Zulkieflimansyah.