Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Orissa : le témoignage d’un prêtre catholique victime des hindouistes

Publié le 25/03/2010




Après les attaques antichrétiennes menées à partir de la fin août 2008 en Orissa, notamment dans le district du Kandhamal, la situation est loin d’être revenue à la normale. Outre les morts et les destructions matérielles, une grande partie des personnes déplacées n’a toujours pas pu retourner chez elle. Dans les camps mis en place par le gouvernement, où la sécurité est incertaine, …

… on compte encore plus de 7 000 personnes ; 40 000 autres ont choisi de quitter, peut-être pour toujours, le district de Kandhamal et, pour une partie d’entre elles, sont allées grossir les bidonvilles de Bhubaneswar, capitale de l’Etat. Dans un récent rapport, l’archevêque catholique de Bhubaneswar, Mgr Raphael Cheenath, SVD, reproche aux autorités civiles de ne pas avoir tenu leurs promesses : « Les autorités s’efforcent de ramener chez eux les citoyens, mais sans les conditions de sécurité appropriées. » Les autorités ne mettent également pas tout en œuvre pour déférer devant la justice les coupables des violences ou bien encore pour indemniser les victimes. En outre, d’éminentes personnalités catholiques, comme le cardinal Telesphore Toppo, président de la Conférence épiscopale indienne, ont été empêchées de visiter les lieux, pour ne pas attirer davantage de l’attention sur les actes commis. Pendant ce temps, rapporte encore le rapport de Mgr Cheenath, les chrétiens continuent d’être humiliés par les extrémistes hindous, sont contraints de payer des tributs pour traverser des territoires ou pour revenir dans leurs maisons, subissent des intimidations, et sont empêchés par des menaces de se rendre à l’église.


On lira ci-dessous le témoignage du P. Edward Sequeira, prêtre catholique qui a échappé de peu à la mort lors des attaques menées dans le district du Kandhamal, fin août 2008.

 

Le P. Edward Sequeira a été l’une des premières victimes des attaques antichrétiennes déclenchées par des extrémistes hindous, au mois d’août 2008, dans le district du Kandhamal, en Orissa. Ce prêtre, religieux de la congrégation du Verbe Divin (SVD), exerçait depuis des années son ministère dans une léproserie et dans un orphelinat pour enfants abandonnés. C’est là que le 25 août, une horde de gens, qu’il qualifie de « terroristes », s’est saisi de lui, l’a frappé jusqu’à ce qu’il perde connaissance et a tenté de le brûler vif. Mais il a réussi à échapper aux flammes et à la fumée qui l’asphyxiait. Ayant repris connaissance, il avait pu s’enfermer dans une petite salle de bain du bâtiment où il vivait. Avant de s’évanouir à nouveau, il avait entendu les hurlements d’une de ses jeunes assistantes, Rajni Majhi, qui fut violée, avant d’être ligotée et brûlée vive.

Dans l’interview que nous présentons ici, il raconte comment et pourquoi il a tenu à rencontrer ses agresseurs, cherchant à comprendre la raison de la violence qu’ils ont mis en œuvre. Mais surtout, il évoque « la catastrophe humanitaire » qui continue de se dérouler en Orissa, où plus de 50 000 chrétiens ont été arrachés à leur terre et sont partis se réfugier ailleurs dans la crainte d’être encore victimes de la violence extrémiste. Le P. Edward dénonce aussi les manœuvres politiques qui sont sous-jacentes à ces attaques contre les chrétiens et qui visent à les dissuader d’aller voter lors des élections législatives du mois d’avril prochain. Il en appelle à la communauté internationale : la dignité de l’être humain a été bafouée en Orissa et, selon lui, la mondialisation doit aussi prendre le visage d’une certaine solidarité internationale.

Après neuf jours passés à l’hôpital du Saint-Esprit, à Bombay, le P. Edward Sequeira est revenu en Orissa le 11 septembre 2008. Mais il est contraint à des séjours fréquents à l’hôpital : les ligaments des muscles de son épaule sont déchirés, ses poumons sont toujours fragiles, ses blessures à la tête sont guéries, mais il souffre de céphalées continuelles. Les cicatrices des points de suture sont toujours visibles sur son dos, ses mains et ses jambes. Ainsi qu’il l’exprime, pour le pardon de ses agresseurs, il offre au Seigneur le mystère des souffrances qu’il a endurées.

Le P. Edward se déplace désormais incognito ; il s’est laissé pousser la barbe et c’est à peine s’il est reconnaissable – une précaution indispensable à sa propre sécurité. Car des menaces de mort pèsent toujours sur lui. En Orissa, il se cache. Affaibli par le paludisme et une mauvaise fièvre typhoïde, il change continuellement de lieu de résidence.

Le gouvernement de l’Orissa a offert au P. Edward une indemnité de seulement 20 000 roupies (315 euros) pour la destruction de l’orphelinat dont il avait la responsabilité. La perte de sa jeep, qui a été complètement brûlée, n’a pas été prise en compte. Il a fait les démarches nécessaires pour recevoir cette indemnité en novembre 2008, mais, à ce jour, rien n’a encore été payé.

Un des faits qui attriste le P. Edward est qu’aucun des habitants du village où il s’était installé n’est venu témoigner auprès des autorités. Personne ne s’est présenté pour attester soit de son agression, soit de celle dont a été victime Rajni Majih.

Les parents de Rajni Majih ont reçu 200 000 roupies à titre de dédommagement, qui ont été partagées entre ses parents adoptifs et ses parents naturels.

Depuis son agression, le P. Edward a retourné à l’orphelinat de Padampur, au village et à la léproserie à cinq reprises ; à chaque fois, sous un déguisement. Il a même rendu visite à ses agresseurs en prison.

Il explique que c’est la troisième fois qu’il a été agressé en Orissa, les autres fois ayant été en 1997 et en 2004. Au mois de mai de cette année, il célèbrera le vingtième anniversaire de son ordination sacerdotale.

« J’ai reçu de si grands présents du Seigneur, qui m’a trouvé digne de souffrir pour Son nom », a-t-il confié à Nirmala Carvalho, de l’agence AsiaNews (texte diffusé le 6 février 2009).

Il poursuit : « Vingt-et-une personnes ont été arrêtées après mon agression, la mort de Rajni et l’incendie de l’orphelinat. Parmi elles, cinq étaient du village de Khuntpalli, c’étaient des gens qui avaient l’habitude de fournir du lait à l’orphelinat, quelques-uns étaient des ouvriers du bâtiment que j’avais fait travailler et la plupart étaient des gens que j’avais secourus, car ils souffraient de la lèpre, ou bien que j’avais emmené à l’hôpital dans ma jeep.

J’ai été à la léproserie et je leur ai demandé : ‘Pourquoi m’en voulez-vous ? Quel mal vous ai-je fait ?’ J’ai appris que l’attaque de l’orphelinat et que mon agression avaient été très soigneusement préparées et j’ai constaté que, si quelques-uns faisaient montre de quelque remords, les autres haussaient simplement les épaules en disant qu’ils n’étaient que des exécutants. Mais la plupart de ceux qui m’ont le plus grièvement frappé appartenaient au noyau dur du RSS (Rashtriya Swayamsevak Sangh) et du VHP (Viswa Hindu Parishad).

Il fallait que je rencontre ces gens ; je voulais savoir pourquoi ils m’avaient fait cela. C’étaient des gens dont j’avais nettoyé les plaies infestées par les vers. J’avais pris soin de leurs enfants et ils m’ont sauvagement battu et essayé de me brûler vif. C’étaient des gens qui fréquentaient ma mission (l’orphelinat) – soit pour y travailler en étant bien payés, soit pour obtenir quelques faveurs personnelles que je leur ai toujours généreusement données. Malgré cela, ils n’ont pas hésité une seconde avant de me frapper sans pitié, ni avant de brûler vive Rajni, après un viol collectif.

Je leur ai dit que je leur pardonnais, que mes blessures leur seraient une bénédiction et que mes souffrances les aideraient à se repentir du mal qu’ils ont fait.

C’est plutôt tragique de voir que tous ces villageois sont restés les témoins muets des coups que j’ai reçus et de la mort de Rajni dans le feu où ils l’ont jetée vivante et que pas un n’est venu témoigner.

En novembre 2008, je me suis rendu, avec une permission officielle, à la prison locale, où cinq de mes agresseurs, qui habitaient mon village, étaient détenus. Quand ils m’ont vu, ils ont été stupéfaits. Des bruits couraient en effet qui me disaient mort et personne ne savait ce que j’étais devenu.

Je leur ai posé la même question : ‘Quel mal vous ai-je fait ?’, ‘Pourquoi m’avoir attaqué et brûlé Rajni ?’ Ils ont eu, eux aussi, la même réponse, à savoir qu’ils n’avaient participé à aucune préparation et qu’ils n’avaient fait qu’exécuter des ordres. Avant de les quitter, je leur ai montré mes cicatrices, sur les épaules, la tête, le dos, les mains et les jambes et je leur ai dit que je leur pardonnais et que j’offrais les blessures que j’avais reçues pour qu’ils reçoivent des grâces divines, qu’ils soient édifiés et sauvés. Je leur ai dit que je continuerai à les servir et à prier Dieu tous les jours pour qu’Il leur accorde la connaissance de l’amour et qu’ils se réconcilient avec Lui.

Les vingt orphelins dont je m’occupais sont maintenant dans des ashrams du gouvernement. Des écoles de village ont été contraintes d’admettre huit d’entre eux. Mais la honte accompagne ces enfants, car leurs parents ont été des lépreux et il subsiste une peur morbide de contamination. Je me dois d’aller les aider, leur donner une éducation et leur redonner dignité. Je ne peux pas abandonner la mission. »

Le P. Edward s’inquiète de ce qu’endurent les chrétiens du Kandhamal : l’insécurité matérielle et physique, leur calvaire moral et leur désespoir. Il craint pour l’avenir des jeunes, qui sont si impressionnables et ont été témoins de tant de violences et d’injustices.

« Ces massacres sont la représentation même du Mal. La situation reste préoccupante. Le Kandhamal est abandonné, coupé du reste du monde. Nos 50 000 chrétiens ont été déplacés et sont incapables de revenir là où ils vivaient dans le district. Dans bon nombre de villages, ils ne peuvent plus pratiquer leur religion. De plus, ils ne veulent pas revenir de peur d’être de nouveau attaqués, car, en quatre mois, ils n’ont vu prendre aucune mesure sérieuse pour empêcher ces attaques, pour protéger leurs biens et sauver leur vie. Des femmes ont été taillées en pièces quand elles sont parties moissonner les champs. Qui plus est, les coupables se promènent librement dans leur village. Comment nos gens peuvent-ils être rassurés quant à leur sécurité ?

Après être retourné en Orissa, j’ai été faire enregistrer ma plainte au commissariat de police. La police m’a dit que j’étais en train de raconter une « histoire », sans donner aucune preuve. Vous pouvez imaginer ce qu’ils sont capables de dire à nos pauvres gens si ceux-ci choisissent d’en appeler aux autorités !

Tant de femmes ont perdu leur mari qu’il y a un grand nombre de mères célibataires et beaucoup de jeunes livrés à eux-mêmes. Il faut s’occuper de ces enfants, de ces jeunes qui se retrouvent orphelins de père ; il faut s’en occuper, les prendre en charge. Il y a un vrai travail à faire pour notre peuple au Kandhamal. C’est une terrible catastrophe humanitaire.

L’Inde est un pays religieux qui a accueilli de nombreuses spiritualités, mais, malheureusement, une toute petite partie de sa population endoctrine les pauvres et les conduit à la haine des chrétiens avec de fausses idéologies. J’ai été profondément attristé par le fait que la grande majorité des hindous soit restée silencieuse face au massacre perpétré contre les malheureux chrétiens en Orissa. Ce sont les mêmes hindous qui sont passés par nos écoles, nos collèges, nos établissements d’enseignement technique, et ils n’ont même pas élevé la voix pour protester.

La religion est utilisée dans un but politique en Inde et je suis très inquiet pour les prochaines élections au niveau national et des Etats. Ici, au Kandhamal et dans tout l’Orissa, tout est politisé. Je suis inquiet pour la sécurité de nos gens.

Ici, les votes de nos gens ne comptent pas. La plupart de nos 50 000 chrétiens sont privés de leurs droits. Tous leurs papiers et documents d’identité ont été méthodiquement et intentionnellement réduits en cendres, afin qu’ils ne soient même pas capables de glisser un bulletin de vote dans une urne aux prochaines élections. Le malheur est que les politiciens auront réussi à avoir ce qu’ils voulaient. »

En face de ce qui semble être une situation sans espoir, le P. Edward refuse de se déclarer vaincu : « Au niveau national, il existe une volonté d’améliorer les choses, le gouvernement fédéral devrait intervenir. Mais, en attendant, la situation semble bien compromise. J’en appelle à la communauté internationale pour donner au problème du Kandhamal un retentissement international. Tout le monde parle de la mondialisation et de la diminution de la notion de frontières, mais la solidarité universelle et la fraternité internationale sont beaucoup plus essentielles que la mondialisation.

En d’autres termes, la mondialisation, la globalisation ne conduiront qu’à une société décadente. L’attaque de la communauté chrétienne en Orissa est une manifestation du Mal et il ne suffit pas de le dire. Des mesures doivent être prises, des sanctions doivent être imposées et même la Cour internationale de justice doit être saisie pour éviter que de pareils incidents ne se reproduisent ailleurs dans le monde.

Toute atteinte à la dignité de la personne humaine ou à une communauté minoritaire devrait provoquer des sentiments de révolte de l’humanité toute entière ; des instances internationales devraient se saisir de pareils événements. Ce n’est que lorsque la communauté internationale se sentira concernée par la défense de la vie et de l’humanité que nous pourrons avoir un avenir, un avenir dans lequel la dignité de la personne humaine sera la première des priorités. »