Eglises d'Asie

Dans un pays en pleine tourmente politique, l’Eglise catholique intervient dans le conflit qui oppose les écoles privées aux syndicats pro-maoïstes

Publié le 25/03/2010




Alors que le gouvernement du Népal vit sa plus grave crise politique depuis 2006, avec la démission du Premier ministre Prachanda le 4 mai dernier et le retour des maoïstes dans l’opposition, l’Eglise émerge à peine d’un conflit de plusieurs mois qui a confronté les écoles privées – dont la célèbre institution St-Xavier de Katmandou – aux syndicats d’enseignants pro-maoïstes.

Dimanche 3 mai, après plusieurs jours de tractations, les représentants de différents syndicats d’enseignants (1) ont décidé la réouverture des écoles privées de la vallée de Katmandou (2). Les établissements scolaires avaient été fermés suite aux actions et mouvements de grève menés par le tout nouveau et très offensif Syndicat des enseignants des établissements scolaires du Népal (NISTU), pro-maoïste, en protestation contre le renvoi, en décembre dernier, de trois professeurs de l’Ecole St-Xavier, collège catholique du district de Lalitpur, près de Katmandou.

La veille, samedi 2 mai, l’Eglise catholique du Népal, qui adopte habituellement une attitude réservée, était intervenue pour la première fois de façon officielle dans le bras de fer qui opposait, depuis l’hiver dernier, l’institution dirigée par les jésuites aux syndicats pro-maoïstes. Mgr Anthony Sharma, vicaire apostolique du Népal depuis 2007, avait tenu à affirmer « son soutien total à l’école St-Xavier en ces moments difficiles » et dit « condamner fermement cette attitude inqualifiable consistant à interrompre les études de milliers d’élèves » (3).

Le conflit avait éclaté en décembre 2008 lors du renvoi des enseignants de St-Xavier, tous trois membres du NISTU, au motif d’une violation du règlement de l’école. Il avait été rapidement alimenté par de nouvelles revendications des syndicats d’enseignants pro-maoïstes, dont la nationalisation des établissements privés, une demande qui est au programme du gouvernement maoïste depuis son accession au pouvoir il y a un an.

Après avoir empêché la tenue des cours par un sit-in devant l’école St-Xavier puis appelé l’ensemble des enseignants du secteur privé à la grève dans toute la vallée de Katmandou, région où l’enseignement privé est le plus implanté (4), la quinzaine d’enseignants de St-Xavier membres du NISTU avait déjà contraint l’établissement jésuite à fermer le 9 février « pour un temps indéterminé », sous la pression de revendications allant de l’augmentation des salaires à la réduction du temps de travail, en passant par la participation à la gestion de l’école.

Le 6 mars 2009, la grève s’étendait à toutes les écoles et pensionnats privés du Népal (plus de 9 000 établissements), toujours à l’appel du NISTU, afin de « [dénoncer] l’exploitation et l’esclavage dans les écoles privées ». Au-delà de la défense des trois enseignants, la revendication au cœur du mouvement de paralysie du système éducatif privé était devenue plus explicite : « Les dirigeants des écoles privés ne nous ont pas écoutés et ont défié le gouvernement », expliquait à la presse, Kumar Thapa, président du NISTU, ajoutant que les écoles privées pratiquaient la « commercialisation de l’éducation » et qu’une véritable justice sociale nécessitait la nationalisation des écoles privées et un système éducatif unique pour tout le pays (5).

A son tour, un syndicat d’enseignants, l’Association des écoles privées et pensionnats du Népal (PABSON), opposé aux militants pro-maoïstes, faisait valoir la qualité de l’enseignement dispensé par le secteur privé et rappelait le taux élevé de l’analphabétisme au Népal, bien que les écoles publiques soient gratuites. Le président du syndicat, Bhoj Bahadur Shah, appelait également les établissements privés à ne pas payer la « taxe d’éducation » de 5 %, récemment créée et « imposée de manière injustifiée [aux écoles privées] par le gouvernement maoïste ». En riposte immédiate, le ministre des Finances, Baburam Bhattarai, menaçait de graves sanctions les établissements qui ne paieraient pas ainsi que de priver leurs étudiants des examens pour leur diplôme de fin d’année (le cycle scolaire au Népal s’achève au printemps).

Depuis la création de l’établissement, c’était la première fois que l’école St-Xavier devait faire face à une action militante d’une telle ampleur, malgré l’augmentation impressionnante des grèves et manifestations au Népal depuis l’accession au pouvoir des maoïstes en 2008. Le célèbre collège jésuite avait ouvert en 1951, avec seulement 65 élèves, un an après la demande faite à la Compagnie de Jésus par le Premier ministre de l’époque, Mohun Shumsher Jung Bahadur Ran, de fonder un établissement scolaire au Népal. L’école, devenue la plus réputée du pays, emploie aujourd’hui environ 90 enseignants locaux, sans compter les pères jésuites, dont la plupart sont d’origine indienne.

L’ensemble de l’Eglise catholique du Népal, devenue préfecture apostolique en 1996, dirige 27 écoles dans le pays, accueillant environ 17 000 élèves, essentiellement non chrétiens, étant donné la faible proportion de catholiques (environ 2,5 % de chrétiens, dont 7 000 baptisés catholiques).

La résolution du conflit par l’accord entre les syndicats, le 2 mai, et la réouverture des écoles, le 3 mai, a coïncidé cependant avec le début d’une autre crise, plus grave, touchant le gouvernement lui-même. Le dimanche 3 mai, le Premier ministre népalais et ancien chef de la guérilla maoïste, Prachanda, limogeait le chef de l’armée pour insubordination, dernière étape d’un long conflit opposant les maoïstes aux militaires, considérés par les anciens rebelles comme les partisans de la monarchie déchue. Mais ce nouveau « coup d’Etat » des maoïstes a fait imploser la fragile coalition les maintenant au pouvoir, dont l’alliance avec les communistes, lesquels ont quitté le gouvernement avec fracas à l’annonce du limogeage du général Katawal.

Le 4 mai, Prachanda démissionnait à son tour, marquant son désaccord envers le président du Népal Ram Badan Yadav qui venait de réintégrer le chef de l’armée. Depuis, le pays attend la formation d’un nouveau gouvernement, qui sera probablement formé du Parti du Congrès népalais, conservateur, et du Parti communiste, un duo qui a déjà montré son inefficacité et qui semble préfigurer une nouvelle période d’instabilité politique pour l’Etat himalayen.

Malgré les injonctions de l’ONU, qui appelle au calme et au maintien du processus de paix amorcé en 2006, les maoïstes, revenus dans l’opposition, ont menacé de plonger le pays dans le chaos et multiplient les manifestations, comme celle de lundi 11 mai à Katmandou où les affrontements entre manifestants et forces de police ont été très violents (6).