Eglises d'Asie

A l’approche des élections présidentielles, les responsables religieux demandent aux politiques de ne pas instrumentaliser la religion

Publié le 25/03/2010




« Nous désapprouvons les campagnes qui font de la religion un argument politique. » C’est par ces mots que, le 2 juillet dernier, les principaux responsables religieux du pays, réunis à Djakarta au Centre pour le dialogue et la coopération, ont appelé le personnel politique à refuser toute instrumentalisation de la religion à des fins partisanes. Le 8 juillet, les 175 millions d’électeurs indonésiens étaient appelés aux urnes…

… pour choisir leur prochain président (1).

Le 2 juillet, dix-sept responsables religieux, représentant l’islam, le catholicisme, le protestantisme, le bouddhisme et le confucianisme, étaient réunis autour du président du Comité indonésien des religions pour la paix, Din Syamsuddin. Ce dernier, qui est aussi et surtout le président de la Muhammadiyah, l’une des deux plus importantes organisations musulmanes de masse d’Indonésie, présidait la conférence de presse organisée à cette occasion. Devant les journalistes, il a déclaré que les responsables religieux en Indonésie ne voulaient pas que « la religion soit utilisée en politique comme peut l’être une matière première dans la sphère économique ». En revanche, les valeurs morales, éthiques et religieuses ont toute leur place dans le champ politique et ce sont elles qui doivent le guider, a-t-il affirmé.

Pour illustrer le refus des religieux de voir instrumentalisée la religion en politique, Syamsuddin a cité certaines affiches électorales où l’on peut comprendre que certains candidats sont plus musulmans que d’autres. Il est aussi revenu sur le cas de l’épouse de Boediono, le candidat à la vice-présidence du président sortant, Susilo Bambang Yudhoyono. Des tracts ont récemment circulé insinuant que la femme de Boediono était catholique – et non musulmane. Des rumeurs similaires avaient déjà couru lors des précédentes élections présidentielles, en 2004. Elles concernaient SBY et il était, là aussi, insinué que son épouse n’était pas un musulmane mais appartenait à une confession chrétienne. Ces rumeurs n’avaient pas empêché SBY d’être élu à la tête de l’Etat indonésien. Dans le cas de l’épouse de Boediono, la rumeur est allée assez loin pour celle-ci soit amenée à publier une mise au point confirmant qu’elle était musulmane.

Le P. Yohanes Dwi Harsanto, prêtre catholique et secrétaire de la Commission épiscopale pour la jeunesse, représentait l’Eglise catholique lors de la rencontre du 2 juillet. Selon lui, les électeurs indonésiens sont suffisamment matures « pour ne pas se laisser embobiner par de telles affirmations ». « Les gens sont assez éduqués pour ne pas croire à de telles inepties », a-t-il expliqué. Pour le Rév. Richard M. Daulay, secrétaire de la Communion des Eglises en Indonésie, structure qui réunit différentes Eglises protestantes, l’affaire de l’épouse de Boediono montre combien « faire de la religion un argument politique revient à humilier la religion ». « L’appel que nous lançons à tous, aux chrétiens notamment, est de prier dans leurs églises, leurs communautés, leurs familles pour le bon déroulement des élections et l’élection d’un bon président et d’un bon vice-président qui craignent Dieu », a-t-il déclaré.

A l’issue des élections législatives d’avril dernier (2), le paysage politique, par le jeu des alliances entre partis, s’est recomposé de manière à préparer l’élection présidentielle du 8 juillet. La campagne pour les présidentielles, ouverte le 2 juin, a été animée par la compétition entre les trois seuls « tickets » en présence : le président sortant, SBY, qui se présente avec Boediono comme vice-président ; Jusuf Kalla, qui était le vice-président de SBY et qui se présente contre lui en faisant équipe avec Wiranto, un ancien général ; et enfin Megawati Sukarnoputri, qui a dirigé le pays de 2001 à 2004 et qui se représente face aux électeurs en faisant équipe avec un autre ancien général, Prabowo Subianto.

Dans un combat politique fortement marqué par l’empreinte personnel de chacun des candidats, SBY, dont le Parti démocratique est arrivé en tête des législatives d’avril avec 20 % des voix, a fait alliance avec un ensemble de 23 petits partis, dont des partis islamistes. Malgré leur échec aux législatives, les partis islamistes, dont le PKS (Parti de la justice et de la prospérité), espéraient bien que l’un des leurs seraient choisi pour figurer sur le « ticket » présidentiel, aux côtés de SBY. Celui-ci a toutefois préféré éviter donner trop de poids aux islamistes en choisissant un homme sans étiquette partisane, en la personne de Boediono, gouverneur de la Banque centrale et économiste réputé. Face au ticket SBY-Boediono, on retrouve les deux grands partis laïques et nationalistes, le Golkar avec Jusuf Kalla et le PDI-P avec Megawati Sukarnoputri. La polémique sur l’attachement de chacun aux valeurs de l’islam, dans un pays où 85 % de la population est considérée comme appartenant à la religion musulmane, s’est déplacée sur le plan de la tenue vestimentaire des épouses des principaux candidats : les épouses de SBY et Boediono apparaissant toujours en public tête nue, les épouses de MM Kalla et Wiranto ont tenu à apparaître la tête élégamment couverte du jilbab, le foulard islamique ; des brochures vantant « les ferventes épouses de nos futurs leaders » (Istri Shalihah Pasangan Pemimpin Masa Depan), illustrées de citations du Prophète sur les tenues féminines, ont alors été opportunément distribuées aux électeurs (3).

Pour leur part, les évêques catholiques d’Indonésie ont réitéré leur positionnement habituel face à la scène politique : pas de consigne de vote, mais un appel aux fidèles à exercer leur droit de vote dans le sens de la défense du « bien commun ». Pour cela, chaque électeur se doit d’examiner les plateformes politiques en présence et de juger si elles contribuent à défendre les droits de la personne, à lutter contre la corruption, à respecter la séparation de l’Etat et des religions, et à promouvoir la liberté religieuse.